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« Joker »: la révolution en kit

Le génie du capitalisme est de récupérer la contestation


« Joker »: la révolution en kit
Manifestation au Chili. Auteurs : Rodrigo Abd/AP/SIPA. Numéro de reportage : AP22393827_000004

 


Le Joker illustre le génie du capitalisme: récupérer la contestation pour en faire un spectacle.


Vous avez peut-être vu Le Joker ? On ne parle que de ce film qui cartonne au box-office. Le Joker raconte l’histoire malheureuse et violente de celui qui deviendra le pire ennemi de Batman. Jusque-là, le Joker était un simple méchant, un méchant déguisé en clown, le visage déformé par un sourire sarcastique. Dans le film qui est sorti il y a quelques semaines, on voit le Joker sous un autre angle : il est en fait une victime de la férocité du libéralisme sauvage façon Reagan.

Même si le film n’est pas daté, on peut penser qu’il se passe au début des années 80. On est à Gotham, ville qui n’existe pas mais qui est le symbole de la grande métropole américaine et en particulier de New-York. Le Joker qui ne s’appelle pas encore le Joker vit avec une mère impotente et va consulter pour des problèmes psychiatriques.

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Un milliardaire veut se faire élire à la mairie parce que la ville sombre dans le chaos, grève des éboueurs et délinquance. Il a un programme anti-pauvres et d’ailleurs le futur Joker se fait supprimer ses aides sociales dont il bénéficie pour des raisons budgétaires. Comme il est atteint d’une maladie neurologique qui le fait rire sans raison, il devient compliqué de payer son traitement d’autant plus que sa carrière d’humoriste tourne mal. A la fin, excédé par les humiliations, il tue trois traders dans le métro, le soir, alors que les types harcelaient une fille. Il avait encore son déguisement et il devient le symbole, assez vite, d’une révolte anti-riches qui tourne à l’émeute.

Loach et Guédiguian condamnés aux petits budgets

Le film est bien fait, c’est une remarquable performance d’acteur, il restitue parfaitement dans son atmosphère pluvieuse, préapocalyptique, le désespoir des plus défavorisés. Bref, comme l’a dit la critique, parfois pour s’en féliciter, parfois pour le déplorer car il ne faut pas oublier que la critique ciné, c’est aussi une idéologie, il s’agit d’un film anticapitaliste, d’un appel à l’insurrection qui d’ailleurs enflamme Gotham dans les dernières images.

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Beaucoup aussi s’étonnent que Hollywood finance un tel film qui finalement transmet au grand public un message anticapitaliste. Et de dire que ce n’est pas en Europe que l’on verrait ça où les cinéastes de gauche, façon Ken Loach ou Guédiguian sont condamnés à de petits budgets et finalement ne touchent que des spectateurs déjà convaincus. J’ai, à titre personnel, connu ça quand j’ai travaillé sur le scénario de Chez Nous avec Lucas Belvaux qui démontaient les mécanismes de la banalisation de l’extrême-droite.

Mais il ne faut pas s’étonner ou s’extasier. Hollywood comme toute grande industrie capitaliste est pragmatique. Le capitalisme, c’est même le pragmatisme de la marchandise. Hollywood sait que d’une certaine manière, la critique sociale, le refus de l’économie libérale sont à la mode, ou en tout cas touchent une partie non-négligeable de sa clientèle.

Faire de l’argent avec un film anticapitaliste

C’est comme ça que réagit l’industrie capitaliste du cinéma: elle raisonne en termes d’études de marché. Elle a raison parce que c’est logique. Et l’idée, c’est que le capitalisme, s’il s’y prend bien, peut faire de l’argent avec un film anticapitaliste. Que le film anticapitaliste est rentable. Hollywood avait déjà compris ça avec la guerre du Vietnam. L’opinion américaine était en partie opposée à la guerre, notamment les jeunes qui sont la population qui va le plus au cinéma (et à la guerre!). Eh bien donnons-lui des chefs d’œuvres antimilitaristes comme Apocalypse Now ou Voyage au bout de l’enfer.

Certes, ce sont des chefs d’oeuvres, mais des chefs d’œuvres qui n’ont rien changé.

Depuis, l’Amérique a mené bien d’autres guerres. Le Joker aussi est un grand film mais ce n’est pas lui qui va pousser à renverser le système. Il ne fait que mettre sur l’écran cette envie de renverser le système. Nuance.

T-shirts Che Guevara

Là où je veux en venir, c’est que le capitalisme est tellement flexible, malin, rusé, qu’il est capable d’intégrer sa propre contestation, sa propre critique et d’en faire un film à gros budget, on le sait depuis Debord qui disait que toute condamnation du Spectacle finit par être spectaculaire.

Le génie du capitalisme est dans cette capacité de métaboliser la contradiction, de l’assimiler, de la digérer. On n’interdit rien, même pas la représentation d’une ultra violence de classe parce que pendant que les gens sont au cinéma, ils ne sont pas dans la rue. Et qui sait si, comme le pensait Aristote à propos de la tragédie, le spectateur ne va pas, en plus, ressortir du Joker « purgé » de ses mauvaises passions.

C’est comme pour les tee-shirts de Che Guevara: le capitalisme sait tout faire, y compris transformer un révolutionnaire en moyen de mettre en valeur une paire de seins.


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