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Paul-Marie Coûteaux, gentilhomme souverainiste


Il ne fait pas bon être un cœur rebelle au royaume des boutiquiers. Paul-Marie Coûteaux appartient à cette engeance pour laquelle l’histoire, la géographie, la langue et la (grande) politique composent un lieu d’enracinement. Ce personnage attachant et exaspérant se pique d’une passion inaltérable pour la nation française, qu’il ne craint pas d’essentialiser en donnée « absolue ». Héritier indistinct de Clovis et du général de Gaulle, il lorgne tant du côté de Jean Bodin [1. Penseur du XVIe siècle, théoricien de la souveraineté de l’État moderne.] que de celui de Charles Maurras, ces deux maîtres de l’intelligence française au legs intellectuel évidemment contestable.

Militant socialiste dans les années 1970, électeur de François Mitterrand, collaborateur de son ministre gaulliste de gauche Michel Jobert (« anti-américain virulent »)[2. Ministre des Affaires étrangères de Pompidou, puis ministre du Commerce extérieur de François Mitterrand de 1981 à 1983.], Coûteaux a rejoint l’autre rive de la politique hexagonale après la dérive « SOS Racisme » de la gauche au pouvoir. C’est aux côtés de Séguin, Villiers et Chevènement – sa dernière incursion à gauche, le temps d’une campagne « des deux rives », en 2002 – qu’il fera ses armes, accumulant les désillusions au gré d’un itinéraire politique sinueux qui déroute le profane et fait penser aux corsi et ricorsi − aux tours et détours − de Vico[3. Giambattista Vico (1668-1744), philosophe italien, élabora une métaphysique et une théorie cyclique de l’histoire selon laquelle les sociétés humaines progressent à travers une série de phases allant de la barbarie à la civilisation pour retourner à la barbarie.], référence dont tous ses amis savent qu’elle lui est chère.[access capability= »lire_inedits »] La politique, Coûteaux la conçoit comme un dépassement civilisé de l’inimitié inhérente à la vie collective. Mais son crédo libéral doit moins au Léviathan hobbesien qu’à l’antienne maurrassienne « l’ordre en haut et les libertés en bas ». Pas de politique sans ennemi, répète inlassablement le gentilhomme souverainiste lecteur de Carl Schmitt[4. Publiciste allemand, notamment auteur de La Notion de politique, qui érige la distinction ami/ennemi en critère distinctif du politique.]. Et l’ennemi tout désigné s’appelle les États-Unis d’Amérique ! La thalassocratie bottée et le catéchisme droit-de-l’hommiste qui constituent une « doctrine Monroe » revisitée à l’échelle planétaire[5. « Doctrine Monroe » : principes de la diplomatie américaine énoncés en 1823 par le président républicain James Monroe, qui prônaient un non-interventionnisme réciproque entre l’Europe et les Etats-Unis et, de ce fait, définissait le continent américain comme une zone d’influence des Etats-Unis.] sont des idées universalistes devenues folles. Son anti-antiaméricanisme, Coûteaux l’assume et le célèbre avec la verve d’un Dominique de Roux célébrant « l’entreprise de subversion anticapitaliste mondiale » du de Gaulle du discours de Phnom Penh.

L’art français de la guerre

« La guerre, cela commence quand un gouvernement dit non à un autre », déclame-t-il. Côté pile, Coûteaux caresse le rêve d’un axe européen « de l’Atlantique à l’Oural », négatif du pacte atlantiste qui scella le sort du malheureux Irak un jour de mars 2003. À rebours de ces droites populistes européennes passées de l’antisémitisme à l’occidentalisme le plus crasse, Coûteaux maintient le cap de sa prime jeunesse : sus à l’Amérique !
Comme nombre de nationalistes, l’ancien député européen nourrit le fantasme d’un affrontement armé. Pour galvaniser les masses, à défaut d’une bonne guerre, « il faudrait un drame » apte à raviver la conscience nationale déchue comme un coup de froid raffermit une peau trop détendue. Autre mythe, à force de parler de « sacralité » nationale, notre homme serait-il mystique ? Assurément, « la politique française est fixée une fois pour toutes, c’est une permanence », claironne-t-il, balayant les contradictions du roman national. De Guizot aux Communards, tout ce qui est national est sien.
Inversement, la trahison démocratique qu’a été le traité de Lisbonne (2008), resucée « simplifiée » de la Constitution européenne rejetée par le peuple français un certain 29 mai 2005, lui a laissé un goût amer. Et a vacciné Coûteaux contre toute compromission avec le président Sarkozy, qui mène la politique d’Alain Minc avec les mots de Guaino.

Après son ralliement à Marine Le Pen, le tour de valse a été bref ; déçu comme il l’est à chaque fois de ne pas trouver dans sa nouvelle famille d’adoption la flamme de la France éternelle qui l’anime, PMC s’est, comme à chaque fois, mis en tête d’ouvrir sa propre boutique. Son dernier-né, le SIEL (Souveraineté, indépendances et libertés), devrait lui servir de refuge pour ses fâcheries à répétition avec l’état-major du Front national. Enterrer les cadavres de Vichy et de l’Algérie française, transcender les clivages du passé autour de l’ambition gaullo-nationale, tel est le dessein des (maigres) troupes de Coûteaux, qui tiendront congrès courant mars.
Sa légion tricolore compte son lot de roycos d’Action française, de déçus du MPF (Villiers) et de l’UMP dont certains ont même émargé jadis chez Alain Madelin. Cette escouade hétéroclite aurait vocation à recomposer la droite autour du clivage « mondialistes » contre « patriotes ». En cas de déculottée sarkozyste au printemps, Paul-Marie prédit un destin centrifuge à l’UMP et compte déjà sur le renfort de la Droite populaire. Cette approche stratosphérique, si elle a le mérite de réhabiliter la grande géopolitique, impose une amplitude idéologique qu’on est en droit de trouver excessive, même avec des nerfs solides.

La souveraineté pour quoi faire ?

Habité par les siècles, Coûteaux a tendance à oublier que les baïonnettes et les cocardes tricolores n’ont jamais nourri personne. Il ne pense pas que l’intendance suivra, il se fiche qu’elle suive ou non. L’infrastructure – les rapports de production – ne compte pas face aux raisons supérieures de la superstructure – la nation. Si on pense que souveraineté n’est pas sa propre fin mais le moyen d’édifier une société désirable, son insigne mépris pour la question économique et sociale semble au minimum hasardeux, et contestable intellectuellement. On se joindrait volontiers à lui pour houspiller les faibles et les tièdes qui nous gouvernent, mais crier avec la meute des europhobes ne va pas ressusciter, en la renationalisant, la lutte des classes enlisée dans le mondialisme, qu’il soit de droite ou de gauche. Sans céder à un économisme bête et méchant, il y a de bonnes raisons de penser que l’urgence est d’inventer le système qui pourrait succéder à un capitalisme devenu fou sans se bercer de l’illusion d’un retour à l’« avenir radieux » d’hier.

En esprit iconoclaste qu’il est sans chercher à l’être, Paul-Marie Coûteaux pourfend la candeur des bonnes âmes de gauche qui veulent le monde sans frontières mais pas les fermetures d’usine. Mais chez lui, le refus de l’irénisme s’arrête là où commence le mythe national. Quand il croit qu’il suffit d’émanciper les peuples pour fonder des sociétés d’hommes libres, cet intellectuel égaré en politique tombe hélas dans ce que Tourgueniev appelait les « lieux communs à l’envers ».[/access]

 

Mars 2012 . N°45

Article extrait du Magazine Causeur



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