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Pourquoi mes étudiants en droit sont si nuls

Un an de droit, dix-huit de travers...


Pourquoi mes étudiants en droit sont si nuls
Auteurs : LODI Franck/SIPA. Numéro de reportage : 00851268_000003.

On peut très facilement identifier la cause principale de la baisse tendancielle du niveau : l’insuffisante maîtrise de la langue française, c’est-à-dire de l’outil nécessaire à la compréhension et à l’expression, quelle que soit la discipline envisagée. 


Le niveau monte. Du moins, si l’on s’en tient au taux de réussite au baccalauréat, il y a apparemment tout lieu de se féliciter : de 65,9% des candidats de série générale en 1980, il a atteint les 91,2% en 2019. En toute logique, l’enseignement supérieur devrait être l’heureux bénéficiaire de ce progrès, tout comme l’ensemble de la population, voyant ainsi croître le nombre de jeunes gens accédant à l’université.

Une minorité de bons étudiants

Mais quittons le monde de Pangloss. Lorsqu’il s’agit d’interpréter ces statistiques, le bon sens ne laisse entrevoir que deux explications : soit le niveau des élèves et des étudiants a effectivement progressé (l’inflation des mentions « très bien » ou « bien » au baccalauréat, comme le nombre de titulaires de Masters 2 en serait une preuve supplémentaire), soit le degré d’exigence a baissé. Pour le dire plus brutalement, il serait bien plus facile d’obtenir son bac, sa licence ou son master aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Quand on enseigne dans le supérieur depuis assez longtemps, comme c’est mon cas, on penche sans aucune hésitation pour la seconde interprétation.

Empiriquement, j’observe toujours une minorité de bons étudiants à l’université (à l’inverse des grandes écoles et des quelques universités parisiennes ou provinciales cotées, où ils sont une majorité). Mais le nombre d’étudiants médiocres est grandissant, ce qui n’empêche cependant pas le nombre de diplômés de progresser, le degré d’exigence étant indexé sur le niveau réel du plus grand nombre…

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On peut très facilement identifier la cause principale de la baisse tendancielle du niveau : l’insuffisante maîtrise de la langue française, c’est-à-dire de l’outil nécessaire à la compréhension et à l’expression, quelle que soit la discipline envisagée. C’est le handicap majeur d’une grande partie des étudiants. Il suffit de corriger des copies de licence pour s’en convaincre. On peut les regrouper en plusieurs catégories :

Trop de copies blanches

Certaines copies révèlent surtout le dysfonctionnement structurel de l’enseignement supérieur : les fameuses copies blanches – le délice du correcteur – rendues par les étudiants qui se perdent dans des filières ne correspondant pas à leur choix initial. Ainsi, en droit, on trouve dans mon université des étudiants qui n’ont pas été recrutés en IUT et se rabattent sans conviction sur le droit. D’autres s’inscrivent à l’université afin d’obtenir une bourse qui ne les oblige qu’à faire acte de présence aux examens. Dans certaines universités, les boursiers représentent près de 50% des effectifs. Pour bon nombre, la bourse est tenue comme une aide n’impliquant ni obligation de résultat, ni obligation de moyens.

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Reste le gros des copies, celles des étudiants de bonne volonté, qui « jouent le jeu ». Or, tout enseignant en sciences humaines est frappé par les difficultés de ces élèves à maîtriser l’expression écrite et orale. En premier cycle et au-delà, le nombre de fautes d’orthographe, de grammaire, ou de syntaxe est parfois si élevé qu’il rend la lecture des copies très ardue. Ces difficultés d’expression posent de véritables problèmes de fond dans les disciplines comme le droit où la rigueur formelle et la précision du vocabulaire sont indispensables. On connaît le mot de Victor Hugo «  La forme, c’est le fond qui remonte à la surface ».

Cherche stage avec C.V boîteux

Le plus alarmant, c’est que beaucoup d’étudiants ne réalisent pas l’enjeu de la maîtrise des formes et estiment souvent « que ce qui compte, c’est le raisonnement », sans voir que celui-ci dépend totalement du maniement des outils qui en rendent l’expression possible. Cet état d’esprit perdure jusqu’en Master 2 (cinquième année) : lors de la recherche des stages pour les étudiants choisissant un parcours professionnel, je dois batailler pour leur faire comprendre qu’une lettre de motivation doit être exempte de toute faute si elle veut ne pas manquer sa cible…

Que faire, face à ces problèmes ? Certaines facultés de droit ont instauré des tests de langue pour l’inscription en licence 1, des résultats trop faibles ayant pour conséquence d’obliger l’étudiant à suivre une remise à niveau durant l’année universitaire. Mais comment prétendre combler des lacunes résultant des choix pédagogiques funestes faits dans le secondaire ? Ce sont alors les impératifs immédiats qui l’emportent : pour des raisons pratiques tenant au nombre de places que peuvent offrir les établissements, voire parfois par lassitude ou faiblesse des enseignants, on notera avec moins de sévérité des copies objectivement insuffisantes. Par le jeu des compensations de notes, leurs auteurs se retrouveront à passer dans l’année supérieure, et ainsi de suite jusqu’en Master, où le niveau devient en conséquence assez hétérogène.

Toutes les universités ne se valent pas

Il y a sur ces questions une vraie inégalité entre les établissements, engendrée essentiellement par leur environnement social. Inutile d’avoir lu Bourdieu pour comprendre que le niveau n’est objectivement pas le même, en termes de maniement de la langue et – pour employer un terme désormais polémique – de culture générale, entre les universités parisiennes et celles de banlieue ou de certaines provinces. En région parisienne, les étudiants les moins bien lotis perçoivent d’ailleurs, non sans amertume, qu’un diplôme obtenu dans une université périphérique n’a pas la même valeur (pour de futurs employeurs et même en termes de recherche) que celui décroché dans une université parisienne réputée : c’est patent en droit où le must, pour faire une thèse, reste Assas ou la Sorbonne. Ce sentiment qu’existe une vaste hypocrisie cautionnée par l’institution elle-même (« les diplômes se valent où qu’ils aient été obtenus ») pousse alors les bons étudiants de banlieue vers les universités les plus prestigieuses, contribuant par leur départ à affaiblir encore un peu plus le niveau de leur établissement d’origine.

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enseigne le droit dans une université parisienne.

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