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« Nudge »: la France en retard

Cette science du comportement est utilisée pour influer les décisions des citoyens


« Nudge »: la France en retard
Image: Pixabay

Si la réalité dépasse parfois la fiction, c’est que la fiction précède souvent la réalité. La littérature prévoit l’avenir. Cette chronique le prouve.


Il y a parfois, dans la chaleur de l’été, un moment où, à la lecture d’un article de presse à l’air anodin, une sueur glaçante vous sort de votre léthargie : Le Monde, édition du 10 août, pages intérieures : « L’État se met aux sciences comportementales ». Sous-titre : « Par l’incitation douce, le gouvernement cherche à concevoir des politiques sans contraintes ni sanctions ». L’idée de transformer le gouvernement des peuples en une science exacte : angoisse immédiate. L’idée ne date pas d’hier, et elle n’est pas nécessairement totalitaire, au moins dans l’intention. On se souvient pourtant du Rousseau du Contrat social, en apparence une mécanique parfaite, mais où, parfois, « on forcera le citoyen à être libre ».

Pour éviter que cette contrainte soit trop voyante – LBD, grenades de désencerclement –, le gouvernement songe donc au « nudge » qui est, nous dit l’article, une technique qui vise à modifier le comportement et à « pousser les gens à choisir l’option que l’on juge préférable », comme l’explique un professeur genevois de psychologie. Hérité du marketing, le « nudge » a été appliqué en politique dès Blair et Obama, mais constate l’article, « la France a du retard ».

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« Nous avons vu, nous, ce qu’il y a d’extrême dans la servitude, alors qu’on nous épiait pour nous ôter tout usage de parler et d’entendre. L’on nous eût même ravi le souvenir avec la parole, s’il nous eût été possible d’oublier aussi bien que de nous taire. » C’est Tacite, qui dans le prologue à La Vie d’Agricola raconte les dernières années du règne de Néron, finalement assez dans la philosophie du « nudge ». Cet espionnage est doux, il s’agit même de vous faire oublier que vous êtes espionné, raffinement qui n’existait pas, au contraire, dans 1984.

« Ces techniques peuvent inquiéter. Mais on ne veut pas faire le bonheur des gens malgré eux. Il faut donc que la démarche soit parfaitement partagée, transparente », affirme Stéphane Giraud, chargé de l’application du « nudge » à la Transition écologique. On veut bien le croire, mais il n’en a pas l’air bien convaincu lui-même. Adieu la responsabilité, la lucidité et le libre arbitre, car nous sommes trop bêtes pour choisir ce qui est bien pour nous.

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C’était la base d’une dystopie terrifiante et un peu trop oubliée d’Ira Levin, au titre révélateur, Un bonheur insoutenable : « “Pourquoi la Famille ne peut-elle pas prendre ses décisions elle-même ?” demanda Copeau. Wei mâcha et avala : “Parce qu’elle n’en est pas capable. Pas capable de le faire raisonnablement, pour être plus précis. Si elle n’est pas traitée, elle est… bon, vous en avez eu un échantillon sur votre île : mesquine, stupide et agressive, motivée avant tout par des considérations égoïstes.” »

Bienvenue chez nous, camarade « nudgé », tu vas voir, tout va très bien se passer…

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Septembre 2019 - Causeur #71

Article extrait du Magazine Causeur




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