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Noces sarkoziennes


Noces sarkoziennes

Ecartons d’emblée l’idée qu’elle ait à voir avec les élaborations simplissimes du « complexologue » Edgar Morin qui, dans l’affaire, n’aura servi que d’habillage communicationnel. La politique de civilisation fut d’abord définie négativement par Henri Guaino en opposition à la politique de gestion. Politique dont la finalité consiste seulement à agir aux marges d’une situation qui, globalement, s’impose. Dans la Conception gestionnaire, la réalité est une donnée qui fait l’objet d’un traitement. C’est pourquoi la politique de gestion est un système où règne l’expertise. Promouvoir une politique de civilisation, c’est renverser la donne de sorte que la réalité redevienne le résultat de l’action politique et n’en soit plus le primat. En tant qu’il professe l’efficacité de l’action, le sarkozisme nous fait passer d’une logique d’adaptation à une logique de transformation. Bref, il redonne du sens au politique.

En effet, depuis une quarantaine d’année, l’idée que « gouverner, c’est gérer », s’est peu à peu imposée au fil des présidences… La même séquence, répétée après chaque élection, avait fini par briser le ressort démocratique : le second Premier ministre des présidents ramenait aux réalités et sonnait le glas des espoirs de transformation qui avaient pourtant permis l’élection. Ainsi, après mai 68 – la révolution qui accoucha de Couve de Murville – la « nouvelle société » de Chaban s’est achevée avec Messmer, la « nouvelle ère » de Giscard avec Barre, le « changer la vie » de Mitterrand avec Fabius. Pour Chirac, point ne fut besoin d’attendre un nouveau chef de gouvernement. Six mois après son élection, on nous fit comprendre que la promesse de réduire la fracture sociale n’engagerait jamais que ceux qui y avaient cru.

Et voilà pourquoi, au fil du temps, la politique était devenue quasi-muette. Plus personne ne voulait plus croire en ses pouvoirs. Les réglementations de Bruxelles conjuguées aux déréglementations de la mondialisation semblaient avoir pris les commandes. Le « c’est-comme-ça » triomphait.

Comme ses prédécesseurs, l’actuel président de la République s’est fait élire en réussissant à faire croire qu’il pouvait sortir de ce déterminisme. Le parti pris fut maximal : « Ensemble tout devient possible. » Mais, à la différence de ses devanciers il continue de défendre cette même vision volontariste de la politique, neuf mois après sa victoire. Aussi incroyable que cela puisse paraître, tout se passe comme s’il s’était lui-même pris au mot. Voilà un homme politique qui croirait en ses promesses.

Non pas qu’il se juge capable – lui et personne d’autre – de modifier les conditions d’exercice du pouvoir. Mais il pose comme postulat la liberté d’agir plutôt que l’obligation de s’adapter. Sa posture se fonde sur la conviction que la réalité des situations découle de l’action des hommes et non pas d’une surdétermination naturelle. C’est ce qu’il a explicitement affirmé dans ses vœux aux Français : « Je n’ai pas été élu pour m’incliner devant les fatalités. Du reste, je ne crois pas à la fatalité. » Ou encore dans son discours de Rome : « On ne subit pas l’avenir comme un fait. » Cette croyance se repère dans le séquençage en deux temps de la plupart de ses discours. Le premier pour constater une situation, le second pour affirmer la nécessité de la modifier.

Il s’agit là d’un choix clair entre deux visions du monde qui, en tant que posture philosophique, ne peut faire l’objet que d’un engagement a priori. Sur ce point, sa religion est ainsi faite. Il croit résolument en un monde sous emprise humaine. Croyance qui ne se conçoit qu’en posant une extériorité au monde au nom de laquelle cette emprise s’exerce. Même si son credo reste plus intuitif que cérébral, le chef de l’Etat est authentiquement monothéiste. C’est pour cela qu’il est, en définitive, peu probable qu’il évolue sur ce point. Cela surprend, fait causer et parfois inquiète. L’épreuve du pouvoir n’a pas ramené notre Président au bon vieux principe immanentiste de réalité. Vers quoi tout cela nous mènera-t-il ?

L’opinion reste perplexe. Sur le fond, elle ne demande pas mieux que de continuer à croire en l’aventure. Depuis qu’il est aux affaires, le débat politique a repris ses droits. Non pas celui entre droite modérée et gauche réformiste, mais celui sur les enjeux de civilisations. Le rapport que nos sociétés entretiennent avec la transcendance est redevenu une question débattue. Faut-il le regretter ?

Avec le chef de l’Etat, nous tentons une sortie de la post-histoire, celle où plus rien ne se passait, celle sur laquelle on n’avait plus de prise. Mais dans le même temps, l’audace inquiète. Si l’Histoire devait se remettre en marche, pense-t-on, ne ramènerait-elle pas le tragique dans ses soutes ? Et dans ce cas, ne vaudrait-il pas mieux revenir à la soumission d’un monde donné ?

Revenons à Sarkozy et retrouvons les problèmes et les questions. Quelle politique veut-il vraiment conduire après le réveil du Politique ? Sur ce point, le président reste en campagne. Et parfois en rase campagne. Car une chose est de rendre à l’action publique son sens, une autre est de définir le sens de cette action. Agir, oui. Mais pourquoi ? Et pour quoi ? Avoir des résultats ne suffit pas en soi. On peut trouver stupide la manie de l’évaluation. Il est, en tout cas, invraisemblable que les critères sur lesquels l’action des ministres pourraient être jugée n’aient été que partiellement rendus public. Vers quels rivages le chef de l’Etat veut-il conduire l’embarcation dont il prétend avoir repris les commandes ? Au nom de quoi prétend-t-il agir ? Et, au fait, puisqu’il invoque le Ciel, quel est son Dieu en vérité ?

Croit-il au libéralisme pour « remettre l’homme au cœur de la mondialisation » ? Soutient-il que l’étatisme a des vertus salvatrices ? A-t-il une idée des programmes qu’il conviendrait de diffuser sur une chaîne de télévision libre de publicité ? Et les racines chrétiennes de la France, faut-il les protéger ou les repeindre aux couleurs du communautarisme ? La France est dans le camp occidental, vient-il de rappeler devant les ambassadeurs. Mais l’atlantisme doit-il redevenir le principe de sa politique extérieure ?

Que pense Sarkozy, au fond ? Malgré (où à cause) de Guaino, on ne le distingue pas bien. Pour l’heure, l’agitation lui tient lieu de boussole, le mouvement permanent de direction, et sa personne de programme.

Après les premiers émois viendra le temps de la décantation. On verra alors si le couple qu’il veut former avec l’Histoire survivra au voyage de noces.



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Antoine Mercier, né en 1957 à Paris, est journaliste à France Culture.

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