Accueil Politique Halal, casher, des traditions dépassées ?

Halal, casher, des traditions dépassées ?


C’est désormais une évidence, le steak s’est invité au premier plan des bastons électorales. D’abord levé par une émission d’enquêtes de France 2 (qui lors de sa diffusion, n’avait déclenché aucun scandale), très opportunément redécouvert sous une frite par la candidate du FN, aussitôt après qualifié de non-sujet par la totalité de ses concurrents à la présidentielle, stigmatisé comme topique intrinsèquement raciste par la quasi-totalité de la presse, le lièvre de l’abattage rituel n’en finit pas de courir. Et en bon lièvre, il court dans tous les sens et bondit là où on ne l’attendait pas.

Ainsi, vendredi dernier, en meeting à Velaine-en-Haye, en Meurthe-et-Moselle, Claude Guéant, avait déclenché un tonnerre d’applaudissements dans la foules de supporters UMP en déclarant: « Nous ne voulons pas que des conseillers municipaux étrangers rendent par exemple obligatoire la présence de la nourriture halal dans les repas des cantines ».
Le lendemain, son patron et candidat en remettait une couche lors de son meeting de Bordeaux en se prononçant en faveur de « l’étiquetage de la viande en fonction de la méthode d’abattage » avant de conclure simple et clair : « Reconnaissons à chacun le droit de savoir ce qu’il mange, halal ou non ».
Comme je suis un gentil garçon, c’est au terme d’un vrai drame de conscience que j’ai cherché sur Google ce que le même Nicolas Sarkozy avait déclaré, une semaine plus tôt, aux Halles de Rungis : « On consomme chaque année en Ile-de-France 200.000 tonnes de viande et il y a 2,5% de viande casher et halal » sur ce total. « Est-ce que vraiment ça vaut le coup de faire une polémique pour ça? Il y a vraiment des choses dont on doit débattre. Mais aller jeter la suspicion sur des artisans, des commerçants, sur des éleveurs (…) pour gagner quelques voix, est-ce que c’est à la hauteur du débat? Je ne pense pas ». En vertu de quoi le président avait décrété que Marine Le Pen avait suscité une polémique « qui n’a pas lieu d’être ».

Il faut croire que nul n’est prophète en son parti, puisque ce lundi matin, le Premier ministre, s’exprimant « à titre personnel », a relancé en fanfare le débat en suggérant sur Europe 1 que « les religions devaient réfléchir au maintien de traditions qui n’ont plus grand chose à voir avec l’état aujourd’hui de la science, l’état de la technologie, les problèmes de santé ». Ladite suggestion valant explicitement à la fois pour le halal et le casher. Le dégagement de Fillon est, à mon avis, aussi surprenant que calculé. En plongeant la communauté juive dans un débat duquel elle se tenait globalement à l’écart, il se disculpe, lui, François Fillon de toute accusation de racisme, qui pourrait entacher la suite de sa carrière. A partir du moment où personne n’osera, et à juste titre, le taxer d’antisémitisme, le procès en islamophobie n’est plus tenable, dans la mesure où il a formulé ses remarques simultanément vis-à-vis des personnes pieuses des deux religions.
Ces déclarations, on s’en doute, ne sont pas passées totalement inaperçues du côté du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) : « J’ai été choqué de l’entendre s’exprimer ainsi », « la déclaration de François Fillon est stupéfiante », a déclaré à l’AFP Richard Prasquier. Mais derrière l’indignation l’analyse pointe, une analyse que ne peux que partager, ce qui ne m’arrive pas tous les jours s’agissant du CRIF : « Même s’il dit que c’est à titre personnel qu’il s’exprime, quand on est Premier ministre, on a une parole officielle. Nous sommes dans un pays de séparation de l’Eglise et de l’Etat », a-t-il conclu, très judicieusement à mon avis, il est assez grave, qu’à des fins personnelles un premier ministre en fonction s’immisce dans les « pratiques ancestrales » quand celles-ci se trouvent justement être au cœur d’une religion. Autant la clarté sur les étiquettes est une mesure légitime, que l’UMP a d’ailleurs combattu, autant ce n’est pas à l’Etat de « moderniser » les cultes tant que ceux-ci restent dans les clous républicains. A ce tarif-là pourquoi ne pas interdire le vin de messe au titre de la lutte contre l’alcoolisme ?

On noter enfin que ce début d’affaire dans l’affaire a aussi déclenché un regain de ressentiment chez certains musulmans, et parfois de façon assez « cocasse » dirons –nous pour éviter toute vulgate freudienne. Je pense notamment au twitt épatant émis après la déclaration de Fillon par Salima Saa, membre du secrétariat national de l’UMP « je ne cautionne pas les propos qui assimilent l’abattage de la viande halal à des « pratiques ancestrales » » avant d’ajouter dans un communiqué officiel qu’elle était « attristée de voir s’étaler des jugements négatifs et dévalorisants sur les musulmans de France ». En politique comme au supermarché, le casher, c’est sans doute pas son rayon…



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