Accueil Monde « Les changements climatiques dont nous sommes témoins au Groenland ne sont pas discutables »

« Les changements climatiques dont nous sommes témoins au Groenland ne sont pas discutables »

Entretien avec le glaciologue, Baptiste Vandecrux


« Les changements climatiques dont nous sommes témoins au Groenland ne sont pas discutables »
Extraction d'une carotte de neige au Groenland. ©Baptiste Vandecrux

Baptiste Vandecrux, glaciologue et enseignant-chercheur à l’Université technique du Danemark travaille sur la calotte glaciaire du Groenland et nous explique l’impact des changements climatiques sur cette région clé pour l’avenir de la planète.


En quoi votre travail de climatologue et glaciologue au Groenland est-il si important?

Le Groenland est couvert à 80 % par une énorme calotte glaciaire qui fait plus de trois fois la superficie de la France et qui peut aller jusqu’à trois kilomètres d’épaisseur. Si cette énorme quantité de glace devait fondre un jour, ce serait suffisant pour élever le niveau de la mer de sept mètres. C’est aussi au Groenland que l’on voit les plus grands changements climatiques, avec des températures qui augmentent en moyenne deux fois plus rapidement que dans d’autres régions du globe. Cette augmentation de température a commencé à affecter différents mécanismes qui sont liés à la calotte glaciaire, comme un écoulement plus rapide de la glace vers la mer, une production d’iceberg qui s’accélère, une réduction de l’épaisseur de la calotte glaciaire par endroit et un accroissement de la fonte de glace chaque été depuis quelques décennies.

À partir de quand a-t-on constaté que la glace commençait à fondre de façon anormale ?

Suivant la hausse de la température au Groenland depuis les années 1980, c’est au tournant des années 1990 que la fonte s’est intensifiée de manière généralisée sur la calotte glaciaire. Cette tendance se poursuit à l’heure qu’il est, avec des étés comme 2010 et 2012 durant lesquelles plus de glace a été fondue que durant n’importe quelle année du XXème siècle.

Votre thèse se concentre sur une région à l’intérieur de la calotte glaciaire, une des plus froides du Groenland.

Cette région, qui représente 79 % de la calotte glaciaire, est couverte par une épaisse couche neigeuse qui peut faire plus de 50 à 60 mètres d’épaisseur. Lorsque l’été vient, la neige à la surface fond et l’eau pénètre dans la couche neigeuse. Là, elle regèle et ne participe pas à l’élévation du niveau des mers. Pour l’instant, cette couche neigeuse agit comme une éponge qui va absorber l’eau de fonte chaque été. Je me concentre donc sur cette région pour savoir comment elle va s’adapter au fil des changements climatiques. On constate déjà que dans certaines régions de l’ouest du Groenland et au nord du Canada, cette éponge perd ses capacités d’absorption après des étés particulièrement chauds. Durant ces épisodes, cette couche neigeuse fond tellement rapidement qu’une couverture de glace se forme sous la surface et isole la neige en profondeur de l’eau de fonte à la surface. Au lieu de pénétrer dans cette couche neigeuse pour y être stockée, l’eau de fonte ruisselle sur la couverture de glace, atteint l’océan et participe à l’élévation du niveau des mers.

Avez-vous une estimation de la quantité d’eau que cela produit et son incidence sur l’élévation des océans ?

Chaque année, ce sont des centaines de gigatonnes d’eau de fonte qui sont normalement stockées dans cette couche neigeuse. En 2012, par exemple, c’est plus d’un millimètre d’élévation du niveau des mers qui a été évité grâce à ce processus de rétention de l’eau de fonte. Mais c’est aussi durant cet été 2012 que toute une région de l’ouest du Groenland s’est transformée et où cette éponge neigeuse a perdu localement sa capacité de stockage. Si cela devait se généraliser à l’avenir, il est possible que la calotte glaciaire ne puisse plus stocker d’eau de fonte dans sa couche neigeuse et ce serait une quantité d’eau importante ajoutée chaque année aux océans.

Ne peut-on pas comprendre les conséquences avant la montée des océans ?

Pendant l’épisode de chaleur de 2012, en amont de la ville de Kangerlussuaq au sud-ouest du Groenland, nous avons vu des rivières se former sur cette couche neigeuse en haute altitude, indiquant que l’eau de fonte n’était plus retenue en profondeur. Les quantités d’eau de fonte drainées étaient telles que la rivière qui traverse la ville en contrebas a débordé en quelques jours et détruit une partie du pont reliant la ville à son aéroport. Ce n’est qu’une anecdote mais cela montre que ces phénomènes peuvent causer des dégâts matériels importants.

Quels seraient dans un avenir plus ou moins proche, les conséquences pour le reste du monde ?

La première conséquence de la fonte des glaces au Groenland serait l’élévation du niveau de la mer, qui affecterait les villes portuaires et des pays comme le Pays-Bas ou le Bangladesh. Une autre raison d’étudier la fonte des glaces est que cet apport grandissant en eau fraîche dans les océans pourrait influencer les courants marins et certains phénomènes météorologiques.

Bâtissez-vous des scénarios pour imaginer ces crises ?

À la Commission géologique du Danemark et du Groenland, nous nous concentrons sur la collecte de données fiables sur l’évolution de la calotte glaciaire du Groenland. L’étude des impacts géopolitiques et climatiques ne fait pas partie de notre mission. De nombreux travaux qui utilisent nos données ont néanmoins été faits à ce sujet. Mais nous nous contentons d’être des sentinelles qui observent les changements en cours au Groenland.

Comment vit-on personnellement avec le fait d’en savoir plus que les autres ?

En tant que climatologues, nous sommes plus exposés à la situation au Groenland. Les changements dont nous sommes témoins ne sont pas discutables. Le fait d’entrer dans un processus de communication dépend de chaque chercheur. Certains, comme Jason Box, un des consultants de notre projet, (ndlr : qui apparaît dans le film de Leonardo Di Caprio, Avant le Déluge) s’engagent pour une prise de conscience des politiques. Ils ont aussi le mérite de présenter notre métier au plus grand nombre. Mais beaucoup de chercheurs font simplement leur travail sans faire de politique.

Vous avez fait six séjours en quatre ans au Groenland ? Racontez-nous !

Je suis parti pour deux raisons très différentes : pour donner cours en tant que doctorant à l’Université technique du Danemark qui a un centre universitaire à Sisimiut, dans l’ouest du pays, et pour prendre part à deux expéditions scientifiques américaines sur la calotte glaciaire au printemps 2016 et 2017. Notre but était de collecter des données sur la couche neigeuse dont je parlais précédemment et d’entretenir des stations météo qui opèrent tout au long de l’année. Ces expéditions étaient financées par la NASA qui a besoin de nos observations pour valider les données satellites. Ce sont des projets qui demandent près de deux ans de préparation afin de collecter les fonds, d’obtenir les autorisations, de rassembler le matériel et d’organiser la logistique. Ce qui coûte le plus cher est naturellement le transport dans ces régions reculées, nous avons eu la chance de bénéficier d’avions de l’armée américaine qui stationnent à Kangerlussuaq tout l’été et qui nous ont déposés sur la calotte glaciaire avec notre équipement.

Le réchauffement climatique est selon vous incontestable. Quelle est la proportion de climato-sceptiques dans la communauté scientifique ?

Je n’ai jamais rencontré de chercheur ou lu d’article scientifique rejetant nos conclusions sur l’évolution actuelle du climat au Groenland. Ce que je peux néanmoins comprendre c’est que le système climatique et son évolution sont des processus complexes et qu’il n’y a pas une histoire unique soutenue par une preuve irréfutable. Il y a plutôt un ensemble d’observations, à différents endroits, différents moments et de différents types, qui vont toujours montrer une image différente. Or la constante est l’évolution rapide du climat sur les dernières décennies. Certains universitaires peuvent critiquer un type d’observation ou de modèle particulier, pour lesquels, pris individuellement, il est toujours possible de trouver des limites, des doutes et des incertitudes. Sauf que c’est l’existence de toutes ces preuves réunies qui nous montrent l’ampleur des changements qui sont en cours et en font un élément irréfutable pour moi et pour la majorité de la communauté scientifique.

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