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Eloge du supporteur


Photo : Maley

Stade Bonal, dimanche 5 février, 16h59. L’arbitre vient de prendre la décision d’annuler le match entre le FC Sochaux et le Lille Olympique Sporting Club. Ni l’un ni l’autre ne sommes très contents. L’un parce qu’il a froid dans la région la plus sibérienne de France et l’autre parce qu’il doit remplacer une bonne retransmission par une série américaine.

C’est un joueur sochalien qui va annoncer le report du match au public. On a dû se dire que ça passerait mieux et on a misé sur cette abnégation qui est le propre du footeux, du militaire et de l’électeur de DLR ou du FDG. L’annonce sera quand même sifflée et huée, autant qu’un plan d’austérité dans les rues d’Athènes. C’est que les supporteurs, comme les Grecs, ont bien compris qu’on se moquait d’eux.
Une partie du terrain était gelée et dangereuse pour les joueurs. Nous aurions aimé qu’on ait autant de souci pour la santé des supporteurs. Celle des Lillois, qui ont traversé la France sur des routes plus périlleuses que d’habitude et les Sochaliens, qui ont parfois pris la route depuis Besançon, comme l’un de nous deux.

Il était certain à 90 % que la température ambiante ne permettrait pas la tenue du match dans des conditions adéquates. Pourtant, les autorités locales, président de club et collectivités ont suivi à la lettre les recommandations de la Ligue professionnelle de football. Celle-ci, qui n’avait pas de mots assez durs pour les « clubs irresponsables qui fausseraient le championnat en n’investissant pas dans des systèmes de chauffage de la pelouse ». Nous le revoyons encore, le sémillant Thiriez[1. Président de la Ligue professionnelle de football], avec son ton d’avocat de partie civile, menaçant ceux qui ne se mettraient pas fissa aux normes. Comme un petit Fillon, il avait, avec le renfort de toute les éditocrates de la presse sportive, les Saccomano, Praud et consorts, présenté l’Allemagne comme le paradis des agences de notation, des pelouses chauffées et des matches jamais annulés.

Pourquoi nous sommes-nous alors souvenus de Christine Lagarde, du temps qu’elle était ministre des Finances et qu’en bonne Marie-Antoinette du développement durable, elle nous demandait de mettre des pulls pour économiser le chauffage ? Ca dérange pas le gouvernement du Grenelle de l’environnement que l’on dépense pour chauffer des pelouses qui n’ont rien demandé ? Le plus drôle, c’est qu’il y a vingt ans, on ne nous aurait pas enquiquinés avec des systèmes de chauffage coûteux et gaspilleurs d’énergie. On aurait annulé le match depuis trois jours et peut-être même reporté toute la journée de championnat.

Mais la Ligue professionnelle de foot, les présidents de clubs, ont un nouveau boss. Qui ne plaisante pas. Celui qui paie. La Télé. Canal + depuis vingt ans, Al-Jazira demain ! Al-Jazira, c’est la chaîne d’une civilisation qui en vaut une autre, ou pas ? Faut pas bouleverser les programmes de ces nouveaux maîtres du foot. Ils en sont même à se permettre des pressions de plus en plus insistantes pour modifier les lois du jeu, et notamment imposer le vidéo-arbitrage, beaucoup plus télégénique à leur goût. Pour l’instant, Platoche et quelques grandes gloires du foot authentique résistent, mais ça ressemble de plus en plus à Fort-Alamo ou à un match Brésil-Azerbaïdjan vu du côté azéri.
Voilà donc où nous en sommes. Les dirigeants du foot sont devenus les larbins des chaînes de télé sous prétexte qu’elles leur permettent de payer et d’échanger des joueurs à coups de millions. Voyez-vous, nous ne serions pas fâchés qu’il y ait un peu moins de pognon dans le foot. Que ces joueurs soient payés raisonnablement, qu’ils ne se comportent plus en divas ni en mercenaires. Nous sommes naïfs, sans doute. Mais moins pessimistes que nous en avons l’air.

La crise est là et la crise, dans le foot comme pour les Etats, c’est l’ordalie, le jugement dernier, l’apocalypse selon Sainte-Débine. En Espagne et en Angleterre, l’économie du foot est assise sur une montagne de dettes et la faillite guette comme ces avant-centres opportunistes qu’on appelle « les renards des surfaces ». Le développement du streaming, qui permet de partager son abonnement et d’inviter des copains du monde entier à voir le même match, va bientôt faire exploser la bulle financière indécente des sommes versées au nom des droits de retransmission.
Que le château de cartes s’effondre et les mercenaires reviendront au chaud à la maison. Canal + et Al-Jazira ne verront plus d’intérêt à investir autant et laisseront tomber Maître Thiriez comme une vieille chaussette.

A cet instant, lui et les présidents de clubs devront bien se retourner vers ceux qui auraient toujours dû demeurer leurs patrons, ceux qui paient pour voir le match au stade et qui sont dépositaires de l’âme d’une équipe : les supporteurs. On cessera alors de les faire passer pour des hooligans en puissance, de les considérer comme juste bons à acheter le dernier mug estampillé Pastore ou Lucho et on retrouvera la saine complicité qui régnait autrefois entre joueurs et spectateurs. Vous voulez qu’on vous dise ? Eh bien, vivement la faillite !



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