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LREM déchire la « race »: un vote dangereux et inutile

En pleine racialisation de la société française, la mesure interroge...


LREM déchire la « race »: un vote dangereux et inutile
Richard Ferrand, rapporteur général du texte sur la disparition du mot "race", juin 2018, à l'Assemblée nationale. SIPA. 00865455_000041

Les députés (LREM, principalement) ont voté pour la disparition du mot « race » de la Constitution. En pleine racialisation de l’Etat et de la société française, la mesure interroge…


Le gouvernement a déposé, le mercredi 9 mai 2018, le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace. Pêle-mêle, ce projet prévoit la création d’une chambre de la société civile en remplacement du Conseil économique, social et environnemental, la réduction du nombre de parlementaires, la suppression de la Cour de justice de la République, la création d’incompatibilités entre les fonctions ministérielles et l’exercice de certaines responsabilités locales, la simplification de la procédure législative ou encore l’inscription de la Corse dans la Constitution. Conformément à la procédure de révision de la Constitution, le Conseil d’Etat a donné un avis sur le projet de loi constitutionnelle le 3 mai dernier.

Le tour de passe-race des députés

Une mesure symbolique de cette réforme ne figure toutefois pas dans le projet déposé : la suppression du mot « race » de l’article 1er de la Constitution. Elle est issue d’un amendement parlementaire ajouté pendant les discussions sur le projet. Mercredi 27 juin, les députés ont donc décidé que le mot « race » serait ôté de l’article 1 de la Constitution, qui disposerait désormais que « la France assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de sexe, d’origine ou de religion ». La mesure a été votée à l’unanimité en commission à l’Assemblée nationale, le 27 juin, et devrait, selon toute logique, être adoptée le 10 juillet prochain.

Ajouter des mesures à un texte dans le cadre des discussions parlementaires comporte un avantage considérable, cela permet d’éviter opportunément l’avis du Conseil d’Etat (qui ne peut porter que sur le projet présenté par le gouvernement) au cas où le Conseil mettrait en lumière les incohérences juridiques de tels ajouts. Et il y a effectivement lieu à discuter de la nécessité tant juridique que symbolique de cette mesure.

La suppression du mot « race » de la Constitution, c’est un peu comme le droit de vote des étrangers, cela fait des années qu’on en entend parler mais cela n’a jamais abouti. Promesse de campagne de François Hollande finalement abandonnée, cette mesure a été relancée par des députés LREM qui considèrent que le terme de « race » ne serait plus adapté à une société démocratique du XXIe siècle, qu’il rend la Constitution symboliquement violente, mal comprise (on se demande bien par qui) et infondée. Vraiment ? A y regarder de plus près, cette mesure apparaît pourtant aussi inutile que dangereuse.

La Constitution n’a pas le monopole de la « race »

Inutile car la Constitution n’est pas le seul texte qui interdit la distinction fondée sur la race. L’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne adoptée en 2000 prohibent toute distinction fondée sur la « race ». Supprimez le mot « race », il demeurera malgré tout en vigueur au sommet de l’ordonnancement juridique. Les tribunaux français sont les juges de droit commun du droit international, en particulier de celui de l’Union européenne, rien ne les empêchera de se fonder sur ces textes, quand bien même le mot « race » aurait été expurgé de la Constitution.

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Aussi, pour que la suppression du mot « race » soit effective, outre la suppression des textes de droit international, il conviendrait de procéder à une réécriture complète du code pénal dans lequel il figure toujours. Se borner à le supprimer de la seule Constitution, cela ne sert strictement à rien.

Si elle part d’un bon sentiment, cette démarche trahit une méconnaissance de l’histoire constitutionnelle de la France. L’introduction du terme « race » dans la Constitution en 1946, confirmée en 1958 n’a jamais eu pour objet ou pour effet d’exprimer une pensée raciste. Bien au contraire, il s’agissait, après l’horreur du nazisme, de nommer clairement son ennemi afin de mieux le combattre. La volonté de prohiber toute distinction de race s’inscrit dans la droite ligne de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, selon laquelle les distinctions ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. Vouloir supprimer le mot « race » en considérant d’une part qu’il affirme l’existence des races et d’autre part qu’il permet de valider le racisme, c’est manifestement ne rien comprendre à son utilité dans le texte suprême.

La sacralisation du racialisme

Supprimer le mot « race » est en plus dangereux. Vouloir supprimer le mot « race », c’est vouloir supprimer l’expression qui lui est associée à savoir « sans distinction de race », c’est-à-dire la suppression du principe selon lequel on ne distingue plus selon la race. C’est extrêmement préoccupant à une époque où justement les distinctions raciales à l’anglo-saxonne deviennent de plus en plus présentes.

Depuis 1998, on se gargarise bêtement devant une France prétendument « black, blanc, beur », la diversité est promue au rang de dogme et chacun est renvoyé à sa race. Le président de la République lui-même (ainsi que la ministre de la Culture et la présidente de France Télévisions) regrette la surreprésentation des « mâles blancs » et invite à l’Elysée un artiste s’affichant ostensiblement « noir et pédé ». En 2016, sous le slogan « les compétences d’abord », le gouvernement, en se chargeant de véhiculer des stéréotypes, prétendait lutter contre les discriminations à l’embauche par une campagne d’affichage dans laquelle chaque affiche fusionnait les visages d’un candidat blanc et d’un candidat de couleur : au visage blanc était associée une réponse positive de recruteur, au visage de couleur, une réponse négative. Il était insinué que les seuls blancs étaient favorisés et qu’ils devaient être nécessairement culpabilisés pour cela.

Du sommet de l’Etat jusqu’à la base, la société se racialise, le travail de sape du modèle français républicain est à l’œuvre et on glisse dangereusement vers une américanisation de la pensée (mais qu’importe après tout, pour notre chef de l’Etat, la culture française n’existerait pas).

Vouloir supprimer le mot « race », c’est vouloir supprimer l’expression qui lui est associée à savoir « sans distinction de race ». Sans distinction de race, nous pouvons justifier toutes les revendications farfelues, à commencer par les fameux ateliers racisés en non mixité qui sont particulièrement à la mode. Sans distinction de race, on banalise les discours effrayants comme celui tenu à l’occasion de la scène surréaliste survenue dans l’émission « Arrêt sur images », ce week-end, dans laquelle l’homme qui prétendait ne pas en être un regrettait aussi d’être considéré comme « blanc ». Comme s’il ne pouvait exister de débat sans composition raciale.

La Constitution n’est pas un tract 

Comme l’a très justement écrit l’essayiste Mathieu Bock-Côté : « Que pensent les députés qui se sont ralliés à cet amendement de cette effrayante racialisation des appartenances ? »

Certains défenseurs de cette suppression considèrent que c’est parce que les races n’existent pas que le mot doit disparaître. Soit, mais si la Constitution ne devait comporter que des notions qui existent, pourquoi ne supprimerions-nous pas celle qui donne au gouvernement le pouvoir de « déterminer et de conduire la politique de la nation » ? Pour beaucoup d’adeptes de la déconstruction du roman national, il n’existe pas de nation française et nous serions face à une fiction juridique. Mais peut-être devrions-nous aussi supprimer la référence à la parité au motif que pour certains la distinction homme-femme n’a aucune consistance et qu’ils ne s’y retrouvent pas ?

Tout cela n’a aucun sens. La Constitution n’est pas un essai biologique. C’est un texte de droit.



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