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Pour Macron, la France ne suffit pas

Et de toute façon, elle va beaucoup mieux que ce qu'on dit


Pour Macron, la France ne suffit pas
Emmanuel Macron reçoit le président angolais à L'Elysée, 28 mai 2018. SIPA. 00861082_000015

Il est une fois un roi. Dans son discours à la Sorbonne, le président Macron avait esquissé le tableau d’une super France dans une super Europe dont il serait le super président. Les élites applaudirent ce super discours. Coup d’œil oblique outre-Rhin de la chancelière tandis que les bulletins de mauvaise conduite continuaient de pleuvoir, comme à Gravelotte, sur les mauvais élèves : les populistes, les illibéraux, les anti système. Le roi a poursuivi son rêve : Sorbonne rime avec Lisbonne.

Regarde qui je fréquente et je te dirai qui je suis

Le roi a fait le tour des royaumes étrangers. Comme il se sent bien en tête-à-tête avec les puissants de ce monde ! En face d’eux, il tient le globe terrestre dans ses mains. A Versailles, il avait reçu les princes du royaume des Gafa. Ces tournées impériales le rassurent sur sa puissance politique.

Pendant ce temps, les Français pensent et disent : la start-up France n’est pas notre code. On veut du travail pas sa flexibilité. Ni d’un « enracinement mobile » comme dit Benjamin Griveaux. Marcher, c’est bien mais pour aller où ? Où elle en est, la courbe du chômage ? Où en est la lutte contre le terrorisme ? Le contrôle des flux migratoires ? On veut… on veut… « Tout ça, ce sont des états d’âme », pense le roi qui n’en a cure. Lui, il a foi en la fée Electricité. Il croit dans la révolution numérique, dans le brassage des peuples, des races et des nations. En même temps, il aime la littérature. C’est cela, la modernité : le mélange des genres.

La France, c’est beaucoup mieux que ce qu’on dit

En un an de règne, le président a fait trois fois le tour du monde en avion mais pas de la France. S’il le faisait, il verrait que, les soirs des quatre saisons, les cafés de la rue Soufflot sont vides et que les machines à laver essorent, dans les rues, les rêves dominicaux comme il y a trente ans. S’il le faisait, il aurait senti que, le 1er mai 2018, les coins de rue ne fleuraient pas le muguet. S’il le faisait, il verrait que les vaches ne broutent pas l’herbe de nos prairies et que leurs propriétaires peinent à les nourrir. S’il le faisait, il entendrait Marianne lui dire : « France, que fais-tu d’une de tes plus belles mamelles : l’agriculture ? »

Le 25 mai, le président a accordé, depuis Saint-Pétersbourg, un entretien à Ruth El Krief, à BFM TV. Il a dit combien il était satisfait de lui sur le plan diplomatique : d’avoir remis la France dans le concert des nations, de l’Europe et du monde. La France est, grâce à lui, devenue plus souveraine, plus unie, plus démocratique. On est heureux de l’apprendre d’une bouche si auguste. Le ton est assuré, le visage plus dur. L’aigle a sorti ses serres. Lui, il n’a pas d’états d’âme parce que dire, c’est faire.

Aussi, peu de réponses concrètes tombent-elles de sa bouche sur les sujets sensibles. Il les fait donner par personnes interposées : le lendemain, François Molins, nous a-t-il « rassurés » sur l’avenir du djihadisme. On évite ainsi de prononcer jamais le mot islamisme. En revanche, le président a mis à son actif anticipé « la réforme sans précédent de l’Education nationale entreprise pour casser un système reproductif ». Certes, les bambini pourront entrer à trois ans en Maternelle. Mais supprimer des heures de philosophie, en Terminale, est-ce bien raisonnable ?

En marche impériale

Il est une fois un roi dont le rêve impérial est désormais hors sol. L’empire Europe est en miettes. La Pologne, l’Autriche, la Hongrie, la Slovaquie, la République tchèque ont secoué le joug bruxellois et revendiqué leur identité. Le Royaume-Uni a choisi de sortir de l’U.E. Bruxelles a beau lancer ses anathèmes sur les mauvais sujets, ils restent sans effet. Le jour où le président s’entretenait avec Ruth Elkrief, l’Italie venait de secouer le joug de cette Europe-là. Il est vrai qu’elle était, le lendemain, recadrée pour illibéralisme par le président italien. Le Financial Times a appelé ces mauvais sujets : « les Nouveaux Barbares ». On ne saurait mieux dire.

Le président avance envoûté et envoûtant par son verbe. On dit qu’il est disruptif. Partout où il passe – et il est partout – il fait éclater, perturbe, casse. Son moteur, c’est l’électricité. Macron, c’est Mercure à l’état pur. Il a dit : « On n’a pas fait les choses tant qu’on n’a pas transformé le réel. » Il y a un an qu’il est au pouvoir. C’est peu mais assez pour voir se dessiner quelque chose : l’Europe tout entière qui disjoncte.

Jupiter, reviens sur Terre !

Le président serait comme un Don Quichotte au milieu d’une plaine de moulins à vent. L’Europe c’est feu le Saint empire romain germanique : un regroupement de multiples principautés qui regimbent sous la férule autocratique de Bruxelles. Le projet européen des pères fondateurs est en miettes. Tout comme le rêve technocratique et multiculturaliste de nos élites. L’Europe, c’est, aujourd’hui, Waterloo morne plaine.

Il est temps de retrouver le plancher des vaches. Il est temps de faire la tournée des popotes : fermes, écoles, petites entreprises agricoles. Que le président retrouve le réel et mette de côté ses rêves de grandeur. Il a reçu, il y a peu, le prix Charlemagne. Qu’il soit un nouveau Charlemagne. Et Henri IV tant qu’à faire, avec la poule au pot. Inutile de courir en tout sens sur la planète comme l’inoubliable Podalydès dans Le Révizor criant « Je suis partout ! Je suis partout ! »

Charlemagne et Henri IV : what else ?



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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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