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Laïcité et traditions chrétiennes: des liaisons pas si dangereuses

Faut-il s'offusquer de la présence de gendarmes en uniforme dans une église?


Laïcité et traditions chrétiennes: des liaisons pas si dangereuses
La croix de Lorraine du mémorial De Gaulle à Colombey-les-Deux-Églises a vu le passage du Tour de France en juillet 2017. SIPA. AP22074545_000029

Le 3 décembre dernier, des gendarmes en uniforme assistaient à une messe en l’honneur de Sainte-Geneviève, patronne de la gendarmerie, dans l’église de Carling, en Moselle. Une photo de cet événement, publiée dans Le Républicain Lorrain, faisait réagir la fédération de Moselle de la libre-pensée qui décidait en mars (trois mois plus tard) d’interpeller le Préfet pour dénoncer « une rupture de la neutralité qui s’impose aux personnels de l’Etat ».

Il existe effectivement en droit français une application différenciée du principe de laïcité selon que l’on est usager ou agent du service public. Là où les usagers bénéficient, dans les limites de l’ordre public, de la libre manifestation de leurs convictions religieuses, les agents du service public sont, quant à eux, tenus à une stricte obligation de neutralité.

La République prend en compte les particularismes locaux

Dans le département de la Moselle, notons que si le principe de laïcité s’applique, c’est cependant avec un certain tempérament en raison du maintien du régime concordataire (l’Alsace et la Moselle étant intégrées à l’Empire allemand en 1905, la loi du 9 décembre 1905 n’y est pas appliquée). Ainsi, les ministres du culte en Alsace et en Moselle sont nommés et payés par l’Etat en application de l’article 14 du Concordat et récemment, le Tribunal administratif de Strasbourg a considéré que les principes de neutralité et de laïcité ne s’opposaient pas à l’éligibilité d’un prêtre catholique en qualité de président d’université.

La neutralité de l’Etat, notamment en Moselle, ne peut donc s’apprécier en faisant fi de tout particularisme local (juridique et traditionnel) ou en se bornant à alléguer des valeurs universalistes abstraites déconnectées de la réalité. En matière de laïcité, la République prend en compte les particularismes locaux. Un même principe ne trouve pas nécessairement même application partout dès lors que des circonstances locales particulières le justifient. Le Conseil d’Etat a ainsi une jurisprudence nuancée s’agissant des crèches de Noël dans les bâtiments publics. Elles sont, par exemple, autorisées au sein de l’Hôtel du département de Vendée, terre contre-révolutionnaire à forte tradition catholique (la Vendée est d’ailleurs le seul département dont le logotype comporte un symbole religieux, le cœur vendéen). Elles ne le sont pas en revanche en région Auvergne Rhône-Alpes où il n’existe aucune tradition auvergnorhonalpine particulière qui justifierait l’installation d’une crèche dans l’Hôtel de Région de la confluence.

La République prend également en compte la dimension historique ou culturelle attachée à la religion. Il y a quelques années, le Conseil d’Etat avait jugé légales les subventions publiques allouées à la rénovation de l’ascenseur de la basilique de Fourvière à Lyon (qui n’est pas un bâtiment public) dès lors que cela concourait à un objectif de mise en valeur de la ville ; l’ascenseur étant utilisé par des touristes et non au bénéfice du culte.

Le christianisme en France est aussi une tradition

Récemment, l’ambiguïté entre fait religieux et fait historique et culturel aura trouvé son point d’orgue avec l’affaire de la statue de Jean Paul II à Ploërmel. La Bretagne en général et Ploërmel en particulier, entretiennent avec le christianisme un rapport très singulier. On dit qu’à la Révolution, le mouvement chouan du département du Morbihan n’épargna pas Ploërmel et que Bougainville lui-même y coupa des arbres de la liberté. La solution pour le moins alambiquée rendue par le Conseil d’Etat dans l’affaire de la statue (consistant concrètement à couper une œuvre d’art en deux) aura toutefois eu le mérite de créer un débat entre Pierrick Gardien, Roland Hureaux et Régis de Castelnau dans les colonnes de Causeur.

On ne saurait donc par principe considérer la religion uniquement en tant que telle en lui ôtant artificiellement toute dimension traditionnelle, historique et culturelle.

S’agissant des gendarmes de Carling, la fédération de la libre pensée de Moselle posait la question suivante : « que serait-il advenu s’ils avaient participé à une cérémonie bouddhiste ou à un rite maçonnique » ? Il ne peut y avoir de bonne réponse que si l’on pose une bonne question. Qui peut le savoir puisque, justement, les gendarmes n’ont participé ni à une cérémonie bouddhiste ni à un rite maçonnique. La patronne des gendarmes est Sainte-Geneviève, ce n’est pas Bouddha, et l’ancrage du christianisme en France n’est pas le même que celui du bouddhisme ou celui de la franc-maçonnerie. On ne peut raisonner, comme le font les libres penseurs, systématiquement dans l’abstrait, en mettant tout sur le même plan.

Il faut dépasser cette réflexion à laquelle ils nous invitent. En France, le christianisme n’est pas qu’une religion, il s’agit également d’une tradition, d’une histoire, d’une culture. Au-delà d’une question de principe doit se poser une question de bon sens. Est-on choqué du croissant musulman sur le drapeau de la Turquie (officiellement) laïque ? Alors, est-ce choquant de voir un uniforme à l’église ? Le général De Gaulle, chef du gouvernement provisoire, a assisté, en uniforme, à un Te Deum à Notre-Dame, le 25 août 1944, pour célébrer la Libération de Paris. Doit-on gommer la croix de Lorraine qu’il donnât comme emblème à la France libre et dont le symbole est évidemment religieux ? Au nom de la laïcité, faut-il s’offusquer de tout au risque de censurer culture, histoire et tradition ?

Comme nous le rappelle Régis de Castelnau dans son très beau texte, le gendarme Arnaud Beltrame, mort la veille des Rameaux, est allé bien au-delà de son seul devoir d’officier. Il y a du Maximilien Kolbe dans son action. Les valeurs qui ont guidé cet homme, devoir, engagement, désintéressement, honneur, sacrifice, étaient empruntes de sa foi chrétienne. Leur manifestation par un gendarme ne saurait être critiquable pour des seules considérations idéologiques.

La laïcité n’est pas en péril parce que quelques gendarmes sont dans une église. Elle le serait davantage si ces mêmes gendarmes n’empêchaient pas des prières illégales de se tenir dans la rue.



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