Accueil Culture « Le grand amour de la pieuvre », biographie romancée du père du « Vampire »

« Le grand amour de la pieuvre », biographie romancée du père du « Vampire »

Un premier roman audacieux sur la vie et l’oeuvre de Jean Painlevé


« Le grand amour de la pieuvre », biographie romancée du père du « Vampire »

Jean Painlevé (1902-1989) est comme son nom l’indique le fils de Paul, mathématicien, trois fois président du Conseil, grand homme. Pas simple, comme on l’imagine.

Des surréalistes au Vampire

D’abord orienté vers la médecine, Jean ne supporte pas la froideur, la cruauté, avec laquelle le corps animal est exploité au profit du corps humain. Il bifurque vers la zoologie, et c’est le coup de foudre. Premier cinéaste scientifique, il réalise plusieurs dizaines de séquences montrant la faune et la flore marine. Ses premiers exposés devant les membres de l’Académie des Sciences sont plutôt mal reçus. Le cinéma, dans les années 1920, est un divertissement de foire, rien d’autre. Après un passage chez les surréalistes, Jean Painlevé rencontre Jean Vigo, et noue une amitié solide avec le réalisateur de Zéro de conduite. Résistant, à sa façon, c’est son film Le Vampire, mettant en scène une chauve-souris, qui marque les mémoires, et la censure.

Une vie à l’aune du vingtième siècle, tumultueuse et bagarreuse, qui réclamait un biographe à sa mesure. Et pour ne pas tomber dans la platitude d’un exposé de faits, il fallait un écrivain atypique.

Tout commence à Roscoff

Marie Berne, universitaire reconnue, gravite désormais entre les langues orientales, le thé, Londres et Paris. Le grand amour de la pieuvre est son premier roman.

Tout commence à Roscoff, en 1911, lorsque le tout jeune Painlevé, les pieds dans l’eau, découvre une pieuvre. C’est elle, Elle qui raconte. Féminité allégorique, ondoyante, sensuelle, mimant les minauderies et les chevelures des femmes terrestres, la pieuvre, maternelle aussi, autant qu’animale, cruelle, sauvage, narre les errances, la passion, la vie hors de l’aquarium de son grand amour. Lorsque, de son oeil « si humain » elle ne l’aperçoit plus, elle le traque. C’est une pieuvre star de cinéma, diva capricieuse, possessive, déhanchée et nonchalante devant la caméra, tourmentée le reste du temps. Elle veut « en finir avec (son) angoisse légendaire de mollusque affamé. »

On ne sait plus très bien qui domine quoi. La frontière entre l’homme et l’animal, entre la terre ferme et l’aquarium du 38, boulevard des Ternes s’efface. À l’époque, heureusement, le débat ouvert par les « anti-spécistes » est plus surréaliste que ne pouvait l’imaginer André Breton. La passion seule lie deux bêtes curieuses

Le style est à l’avenant

Lorsque les producteurs, nouveaux dieux du cinéma, réclament du son, Jean Painlevé pense aux Jeux d’eau de Ravel.

Il est réticent à apposer sa propre voix sur ces observations d’un autre monde, d’une autre échelle. Le relativisme scientifique le pousse à vouloir imiter, avec la langue, la luette, les dents, les lèvres, le langage flasque de son animal.

Il jette plus tard son dévolu sur l’hippocampe, la pieuvre en est jalouse, il pond ses oeufs lui-même. Il vit avec une femme, la pieuvre la déteste. Il filme une chauve-souris, et c’est la scène de ménage.

Le grand amour de la pieuvre est une biographie infiniment originale. Au-delà du point de vue narratif, trouvaille de talent, le style est à l’avenant, parfois rond comme une bulle, barbotant, gigotant autour de son sujet. Les illustrations de François Ayroles et la maquette travaillée en font un bel objet éditorial.

Les non-spécialistes auront parfois du mal à s’orienter parmi les sous-entendus, les jeux de mots et les ellipses. Reste que Jean Painlevé, ses films, disponibles gratuitement sur le net, et désormais sa biographie, valent un détour attentif.

Marie Berne, Le grand amour de la pieuvre, L’Arbre vengeur, 2017.

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étudie la sophistique de Protagoras à Heidegger. Elle a publié début 2015 un récit chez L'Editeur, Une Liaison dangereuse.

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