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Relocaliser ou réindustrialiser ?


Photo : ElitePete.

Nicolas Sarkozy a fait un vœu face à dix millions de français : ré-industrialiser la France et remettre l’industrie au cœur de son projet présidentiel. A cette fin, il faut gagner en compétitivité, explique-t-il. D’où la nécessité présumée de mettre en place la TVA sociale, nouveau mesure phare du gouvernement pour réduire le coût du travail en tâchant de ne pas faire baisser les salaires et le pouvoir d’achat.

D’accord sur le principe, les socialistes objectent que l’augmentation des prix induits par la hausse de la TVA serait injuste et néfaste au panier de la ménagère. Ils proposent donc de financer la baisse du coût du travail en taxant les comportements pollueurs : cela donne la taxe carbone chère à François Hollande. Gauche et droite partagent donc ce constat : pour réindustrialiser la France, il faut réduire le coût du travail. Mais est-ce si évident ?

Ceux qui soutiennent cette hypothèse mettent régulièrement en avant des cas de relocalisations. Le fabricant de ski Rossignol en est l’exemple type. Après avoir raté sa délocalisation à Taïwan, cette entreprise s’était réinstallée à Sallanches (Haute-Savoie) en 2010, ce qui lui a valu d’être choisie par Nicolas Sarkozy pour défendre sa campagne « produire en France » plutôt que « acheter français ».

Ce phénomène est mondial. Aux Etats-Unis, Louisville s’apprête à accueillir une nouvelle usine General Electric fabriquant des chauffe-eau électriques et des frigos. La direction a d’abord pensé à la Chine mais s’est finalement laissée convaincre par le Kentucky. « Nous sommes arrivés à un point où produire certaines choses en Amérique est aussi viable que dans n’importe quel endroit dans le monde », indique un responsable de General Electrics au New York Times. Car la Chine se développe et avec elle, des millions de travailleurs voient leur salaire (et donc le coût de leur travail) augmenter. Ainsi, le fossé entre les Etats-Unis et la Chine se rétrécit peu à peu.

A la hausse de coût de la production en Chine s’ajoute un autre phénomène : en temps de crise plusieurs entreprises dans les pays développés profitent du chômage pour réduire les coûts salariaux, ce qui contribue encore à la réduction de l’écart entre pays producteurs et pays consommateurs. Heureux de retrouver du travail, les salariés des pays développés le sont moins lorsqu’ils lisent leurs fiches de paie. Certes, en tant que consommateurs, ils ont longtemps profité des délocalisations pour acheter moins cher…avant qu’ils ne perdent leur emploi à leur tour.

Mais la crise a par ailleurs un autre effet, plus surprenant : le coût de la production n’est plus le seul critère à être pris en compte dans les décisions de relocalisation. En Italie, Fiat (dont le sigle signifie Usine Italienne d’Automobiles de Turin) a annoncé son intention de relocaliser la production de Panda 3. 20 milliards d’euros seront ainsi investis par le constructeur pour doubler ses capacités de production italienne à horizon 2014. Comme l’affirme, Sergio Marchionne, PDG de Fiat, le choix de relocaliser la production de la Panda « n’a pas été basé sur des principes économiques purement rationnels » mais en raison du « rapport privilégié de la Panda avec l’Italie ». Acheter une voiture est devenu un acte patriotique et Fiat a bien l’intention d’en profiter pleinement !

Force est pourtant de constater que la relocation reste l’exception. Peu d’experts tablent sur une déferlante d’entreprises relocalisées. Si l’économiste Patrick Artus confirme à La Tribune que « dans cinq ou six ans, les produits chinois seront aussi chers que les européens », il ajoute qu’il « ne faut pas s’attendre, pour autant, à un mouvement de relocalisation vers le Vieux Continent. Ce qui ne sera plus produit en Chine le sera au Vietnam, en Indonésie, en Inde, au Bangladesh, en Egypte, au Maroc… ». Les quelques exemples de relocalisations célébrés par les médias et les politiques ne seraient donc que l’arbre cachant la forêt.

TVA sociale ou taxe carbone, beaucoup d’experts estiment en tout cas qu’à l’exception de certains secteurs spécifiques, la réindustrialisation de la France passera moins par des relocalisations que par le développement de nouvelles industries. Ils pensent entre autres à l’économie verte. Ils rappellent en outre qu’une industrie forte est liée à la taille et à la solidité de ses PME, ces « gazelles » de 300 salariés qui prospèrent en Allemagne mais beaucoup moins de ce côté-ci du Rhin.

Bref, il en va de la réindustrialisation comme de la dette ou de la croissance : il n’y a malheureusement pas de panacée. L’Etat peut bien agir, mais ce sont les mentalités et surtout le rapport au travail qui devront changer. En d’autres termes, il faut définitivement accepter la fin des Trente glorieuses puis en tirer toutes les conséquences : les Français en âge de travailler, à commencer par les plus jeunes, devront trimer plus dur et plus longtemps pour moins cher.



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