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Bensoussan: nouveau Drumont?


Bensoussan: nouveau Drumont?
Georges Bensoussan
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Georges Bensoussan

Il faut remercier le Collectif contre l’Islamophobie en France (CCIF). Pour avoir fait apparaître publiquement les lâchetés de l’antiracisme à géométrie variable. Pour nous montrer qu’une certaine France s’est en effet soumise. Un magistrat du parquet a ainsi décidé qu’un signalement de cette officine identitaire, adversaire revendiqué de la loi républicaine, méritait poursuite contre un historien français, Georges Bensoussan. Lors du procès, qui s’est tenu le 25 janvier devant la 17e chambre du Tribunal de Paris, le seul antiraciste présent ce jour-là, c’était lui – le prévenu.

Le CCIF ne pense pas : il juge, stigmatise sur des bases absolument ségrégationnistes. Rien de neuf, la reformulation du discours sur l’islamophobie généralisée de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) qui a notamment produit en 1990 une « lumineuse » Déclaration islamique des droits de l’homme que tout un chacun devrait lire.

Quant à ceux qui se proclament les adversaires du politico-religieux et du racisme « d’où qu’il vienne », LDH, Mrap, Licra, SOS Racisme, tous s’enivrent de leurs mots-valises, de leurs implorations et de leurs batailles judiciaires : « préservons le vivre-ensemble ». Peu importe que le vivre-ensemble n’existe que dans leurs rêves. Il faut faire taire celui qui empêche de rêver.

L’immense majorité des militants de la Licra ont découvert son action en justice le jour de l’audience, ce qui a suscité démissions et conflits internes.

Mauvais augure pour la liberté démocratique que cette alliance des autruches et de leur prédateur. Attaqué de toutes parts (en interne en particulier), le président de la Licra se défend: la Licra n’a pas suivi le CCIF, elle a suivi le parquet « comme c’est l’usage ». Faux. La commission juridique de la Licra précise sur son site : « Si la présence de la Licra aux côtés du parquet représente une valeur ajoutée, elle n’est parfois pas nécessaire. Par ailleurs, la Licra ne peut intervenir sans un accord exprès de la victime lorsque celle-ci est identifiée. » Dans cette affaire, la victime identifiée étant « les familles arabes », on devra se passer de leur accord exprès. Mais le CCIF est là pour les représenter et signale en leur nom les propos de Bensoussan prononcés sur France Culture en octobre 2015. C’est toute la stratégie identitaire des dirigeants de l’association de passer pour les porte-parole d’une communauté dont ils prétendent sonder les cœurs et les esprits sans tenir compte de sa diversité.

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Le procès intenté à Pascal Bruckner et Jeannette Bougrab par le PIR (Parti des Indigènes de la République) et les Indivisibles était ignoble mais symptomatique du racisme bien connu de ces associations. Le procès fait à l’historien Georges Bensoussan est en revanche historique, même s’il conclut une campagne acharnée. Une enseignante passionnée par la diversité indigéniste a pu rassembler les pétitionnaires qui dénoncent depuis quinze ans Les Territoires perdus de la République comme une opération de propagande raciste anti-arabe savamment orchestrée (par qui ?). Depuis 2002, hélas, les faits nous ont donné raison en matière d’antisémitisme violent et de montée du radicalisme. Mais témoigner de la tragédie morale et politique qui s’annonce est en soi un crime pour les petits idéologues différentialistes d’extrême gauche qui se retrouvent à soutenir Dieudonné ou cautionner les réunions interdites aux blancs au nom du progressisme postmoderne.

Dans le feu de l’échange avec Patrick Weil dans Répliques, l’émission d’Alain Finkielkraut, Bensoussan, citant de mémoire des propos tenus par Laacher dans un documentaire, utilisait la métaphore d’un antisémitisme « tété au lait de la mère » qui lui a valu ce procès. En réalité, Laacher allait beaucoup plus loin: « Cet antisémitisme, il est déjà déposé dans l’espace domestique. Il est quasi naturellement déposé sur la langue, déposé dans la langue… Des parents à leurs enfants, quand ils veulent les réprimander, il suffit de les traiter de juifs. Bon. Mais ça, toutes les familles arabes le savent. » Mais un sociologue français d’origine algérienne, on ne pétitionne pas contre lui, on ne le traîne pas devant les tribunaux, on le dit victime d’une diffamation et d’une manipulation et on le pousse à porter plainte contre Bensoussan. Smaïn Laacher, qui pense par lui-même, a retiré sa plainte. Déception de la pasionaria et ses amis qui après la pétition Mediapart, instrument fétiche de la vérité Potemkine, se tournent vers le CCIF !

Et les associations antiracistes dans tout ça ? De la LDH et du Mrap, rien à attendre : voilà vingt ans que[access capability= »lire_inedits »] ces vieux fossiles marxistes, obsédés par la question coloniale, soutiennent l’islam politique. Ce 25 janvier, ils étaient fiers d’être alliés à la représentante du CCIF qui arborait, devant les juges, son hijab rose et sa large robe fleurie dissimulant son corps aux regards pervers du public. Lila Charef, par ailleurs avocate, dénonce devant la Présidente le racisme d’État dont « les musulmans » sont victimes en France.

Dans un compte-rendu hallucinant paru sur Mediapart, Gilles Manceron[2. « À propos du procès de Georges Bensoussan », blog Mediapart, 10 février 2017.], ancien militant de la LDH et pétitionnaire contre Bensoussan, croit trouver la faille en établissant « un lien entre la lecture de cette histoire faite par Georges Bensoussan comme un antagonisme constant entre Juifs et Arabes et la manière dont les partisans israéliens de la poursuite effrénée de la colonisation mettent l’accent sur un antisémitisme éternel et généralisé dans le monde arabe pour justifier la pérennisation de cette politique ». Ou comment les lunettes embuées par l’obsession du démon colonial sioniste font perdre la vue. En outre, au motif que Bensoussan condamne l’aveuglement général sur l’antisémitisme arabe, Manceron va jusqu’à le comparer à Drumont qui se présentait à la fin du XIXe siècle comme le dénonciateur du pouvoir de la race juive « que personne ne veut voir ». Bensoussan héritier du fondateur de la Ligue nationale antisémite de France, il fallait oser.

Restent SOS Racisme et la Licra. S’agissant de celle-ci, il faut savoir que l’immense majorité des militants ont découvert son action en justice le jour de l’audience, ce qui a suscité démissions et conflits internes. Aux côtés du président Alain Jakubowicz, Sabrina Goldman et Mohamed Sifaoui sont à la manœuvre. La première, présidente de la commission juridique, est active quand il s’agit de poursuivre les antisémites qui font consensus (les Dieudonné, Soral, Rivarol et autres Gollnisch), mais on ne l’entend jamais contre ceux du PIR ou du BDS abrités derrière la propagande palestinophile. Sabrina Goldman, si diserte le 25 janvier contre Bensoussan, était fort discrète face à Houria Bouteldja sur le plateau de Taddeï en mars 2016, laissant à Thomas Guénolé le soin de démontrer l’antisémitisme de cette dernière. Pourquoi la Licra ne s’est-elle pas lancée dans une campagne judiciaire contre l’ouvrage raciste d’Houria Bouteldja contre le camp décolonial interdit aux blancs et aux juifs ? Rivarol se vendrait-il mieux que le pamphlet raciste et antisémite de Bouteldja ?

Mohamed Sifaoui, fraîchement entré à la Licra mais déjà au bureau exécutif, est quant à lui irréprochable puisqu’il est LE défenseur de la démocratie laïque contre les islamistes, son principal (et unique) argument contre les nombreuses critiques qui lui sont faites au sujet de son témoignage contre Bensoussan, témoignage complété par un article accusant Martine Gozlan, journaliste de Marianne qui ose défendre Bensoussan, de « connivence mal assumée », car elle est prise « entre son identité singulière et l’honnêteté intellectuelle ».[3. Marianne en ligne, 3 février 2017.] C’est bien connu, au final, le juif ne peut faire autrement que « penser en juif ». Pour l’antiracisme, M. Sifaoui, vous repasserez Sifaoui en veut à l’historien depuis qu’il a écrit sur la condition des juifs en pays arabes avant la colonisation. Pour Sifaoui qui se voit comme un des artisans de la réconciliation judéo-arabe en France, Bensoussan ruine tout effort de fraternisation. Il devient un facho et ses propos ne sont pas ceux d’un « historien sérieux » mais de « n’importe quel militant du Front national ». Le terme « historien », entre guillemets, laissent supposer que M. Sifaoui est habilité à juger des élégances académiques. Peut-être est-il, à l’instar de Georges Bensoussan, agrégé d’histoire habilité à diriger des recherches, auteur de plus d’une dizaine d’ouvrages, directeur éditorial d’une revue historique qui fait autorité dans son domaine.

Au fait, le même Sifaoui écrivait, en 2015, au sujet de l’antisémitisme dans le monde arabe : « J’ai honte pour ces sociétés abreuvées par la culture de l’indifférence quand elles ne sont pas nourries à la mamelle de la haine antisémite ». Pour cette mamelle et pour ces sociétés, expression de l’essentialisme raciste si on a bien suivi, à quand un procès ?

Qu’est-ce qui a bien pu unir ces deux camps en apparence inconciliables : les identitaires racialistes du CCIF et la bien-pensance antiraciste associative ? C’est le sujet juif. Encore et toujours, cet empêcheur de penser en rond.

Georges Bensoussan écrit des ouvrages documentés sur des « sujets sensibles », c’est-à-dire les sujets d’histoire alimentant la concurrence victimaire. Il raconte, à la suite d’autres historiens, anglophones surtout, l’histoire des relations entre juifs et arabes avant la colonisation, avant le sionisme et Israël, les prétextes servant à justifier la boue antijuive depuis 1945. L’espace géo-historique du monde arabe échappe sous sa plume à la doxa actuelle fabriquée par la peur de la confrontation idéologique et identitaire. C’est pourtant le déni qui pourrait la faire advenir, cette confrontation. « On ne naît pas antisémite, on le devient », a dit Bensoussan lors de son procès, « ce que la culture a fait, elle peut le défaire ». Voilà d’ailleurs le sens de « téter le lait » depuis longtemps en usage dans la littérature française. Ce n’est en rien biologique, c’est la métaphore même de la transmission par l’éducation, le bain culturel, « domestique » comme l’a dit Laacher.

Imprudents Georges Bensoussan et quelques enseignants (dont l’auteur de ce texte) d’avoir raconté dès 2002 l’antisémitisme de certains élèves. Imprudent de dénoncer le silence coupable de l’institution scolaire devant cette montée de la haine antijuive, misogyne, homophobe corrélée à un rejet ouvert de la citoyenneté française. Imprudents d’avoir fait entendre en 2002 la voix de collégiens qui, en 2015, glorifieront Merah et Coulibaly. Imprudents de faire paraître en 2017 Une France soumise.

Imprudent surtout Georges Bensoussan quand il publie Une histoire intellectuelle et politique du sionisme, ouvrage salué par la critique en 2002. À lire la littérature produite par les Indigènes de la République, le CCIF et les boutiques de l’islam politique, « l’entité sioniste » est un sujet tellement obsessionnel, qu’on comprend pourquoi « se faire » Bensoussan est une sainte mission. Que la Licra et SOS Racisme aient emboîté le pas est stupéfiant.

Imprudent Bensoussan qui persiste en 2012 avec presque 1 000 pages sur les Juifs en pays arabes, le grand déracinement. N’en déplaise à M. Sifaoui, le dhimmi juif subit, dès la colonisation arabe moyen-orientale et nord-africaine au VIIIe siècle, une violence morale et physique comparable à celle que vivaient les juifs d’Europe et du monde slave. Mais tout cela fut tu, ignoré, puisque, à la différence de l’Europe, les sociétés arabes n’ont fait aucun travail d’histoire sur elles-mêmes. Bensoussan n’affirme pas que l’entente ne fut jamais possible, il montre qu’il y a dans les sociétés arabo-musulmanes un antijudaïsme profond qui peut devenir violent à la moindre volonté d’émancipation du dominé. Le délire antijuif, loin de s’être apaisé avec la modernité, a pris des proportions phénoménales depuis les années 1930 et la diffusion de l’idéologie nazie via les Frères musulmans, ce que Sifaoui, Nacira Guénif[4. Professeur de sociologie à Paris 8 et sympathisante du PIR dont elle signe les appels à manifester voire y participe. Université de Paris 8, lieu où se sont tenues les réunions préparatoires au camp décolonial interdit aux « blancs » du PIR, que Mme Guénif a soutenu. Elle a vu dans la polémique suscitée par ces réunions ségrégationnistes « la preuve de la suprématie blanche » et justifie « qu’il y ait une volonté d’entre-soi de la part de personnes opprimées par un système de racisme inscrit au plus profond de l’État ». (mai 2016, L’Obs, Le Plus).]témoin pour le CCIF et même Gilles Manceron ont dû admettre.

Mme Guénif quant à elle, de toute sa hauteur de sociologue, a expliqué à la cour ébaubie que les sociétés arabes sont gangrénées par l’antisémitisme depuis des siècles mais que c’est un fait socioculturel qu’on doit accepter comme tel et non le dénoncer en généralisant, même par maladresse. Si le mot juif est une insulte en soi, largement usitée dans les sociétés arabo-musulmanes, cela « ne signifie pas la haine des juifs ». Il faut « contextualiser » cette expression, « sinon c’est de l’essentialisation ». Hilarité générale du public. Et pour bamboula ou bougnoule ? Quand on les entend dans une soirée de vieux racistes d’extrême droite, on contextualise ? Cela me rappelle tant de mes collègues enseignants dans les années 2000, indifférents lorsqu’ils entendaient les propos de « certains » élèves au motif que « c’est leur façon de parler, ça ne veut rien dire “chez eux” ». Cette bêtise des gens intelligents : penser sans voir. Ces mêmes collègues étaient en revanche prompts à agir quand « certains » autres élèves tenaient des propos racistes anti-arabes ou traitaient la prof de « connasse ». Deux poids-deux mesures : un racisme innocent, un racisme coupable. Un héritier perpétuel des discriminations coloniales qu’on excuse, un héritier perpétuel des colons exploiteurs qu’on condamne. Et ceux qui dénoncent ces contradictions accusés de « faire le jeu de ». Non, ceux qui « font le jeu de » ce sont les Guénif, Manceron, Sifaoui, Jakubowicz, Sopo etc., dont le déni idéologique renforce les identitaires de l’indigénisme racialiste islamiste et par réaction les identitaires des anti-Lumières d’extrême droite.

Dire l’antisémitisme arabe, le prouver historiquement comme l’a fait Bensoussan, est inaudible dans nos démocraties terrorisées, pratiquant l’autocensure et l’autoflagellation pour s’assurer du maintien de la trêve. Mais le réel est têtu, et l’actuelle émigration d Français juifs, inédite et massive révèle, est le signe de l’aveuglement de la démocratie face à l’idéologie totalitaire qui la menace[5. Lire à ce sujet Juifs de France. Pourquoi partir ? de Serge Moati (éditions Stock), recueil d’entretiens avec des Français juifs ayant récemment émigré vers Israël…]

Voilà ce que ce procès voulait dire. Voilà pourquoi l’inédite collusion de l’État (représenté par l parquet) et des antiracistes avec les indigénistes de l’islam politique devrait inquiéter tout le monde. Voilà pourquoi le jugement sera historique. Voilà pourquoi il faut défendre non pas Georges Bensoussan, Pascal Bruckner, demain Gilles Clavreul, mais l’idée de la France qu’ils représentent. Une France qui pense plus haut qu’elle-même, courageuse et prête à assumer son héritage intellectuel universel. Sinon, comme le prédisait Albert Camus au lendemain de la guerre, « le long dialogue des hommes » va s’interrompre et nous plonger dans la guerre dont rêvent les identitaires de tous bords. [/access]

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