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Macron, un paradoxe français


Macron, un paradoxe français
Tracts de campagne d'Emmanuel Macron, janvier 2017. SIPA. AP22001933_000001
Tracts de campagne d'Emmanuel Macron, janvier 2017. SIPA. AP22001933_000001

Il est ce que d’aucuns dans le milieu pourraient appeler un « OPNI », objet politique non identifié, dont la trajectoire fulgurante pourrait faire penser à celle d’un météore, tant l’ancien ministre de l’Economie a su capter sur lui l’éclat médiatique dans le ciel politique français. Une lumière qui lui confère aujourd’hui une légitimité et une crédibilité sans précédent dans l’histoire de la Vème République, pour un candidat à l’élection présidentielle inconnu du grand public il y a encore 3 ans.

Servan-Schreiber ou Félix Gaillard ?

Pour autant, Emmanuel Macron n’est pas le premier libéral agitateur d’idées voulant sortir la France d’une certaine sclérose grâce à une bonne dose de sociale-libéralisme. Longtemps, certains ont vu en l’ancien assistant éditorial de Paul Ricœur une réminiscence de Jean-Jacques Servan-Schreiber (JJSS), « notre Kennedillon » selon les bons mots de François Mauriac.

Initialement hommes de lettres brillants, médiatiques, porteurs de projets qu’ils prétendent novateurs pour la France, Emmanuel Macron et JJSS présentent de nombreuses similitudes. Toutefois, c’est peut-être Guillaume Larrivé, député LR, qui dressa la meilleure comparaison politico-historique en ce qui concerne le fondateur d’En Marche, en l’assimilant la semaine dernière à Félix Gaillard, plus jeune président du Conseil de la IVème République. A la tête d’un gouvernement de modérés, fédérant autour de lui plusieurs chapelles centristes, mais aussi indépendants et socialistes mesurés, celui qui n’avait pas encore franchi le cap de la quarantaine ne manquait pas d’idées solides pour notre pays, ni de qualités de technicien modernisateur.

La France n’a pas besoin d’un gestionnaire

Mais l’histoire comporte une dose de tragique face à laquelle le dynamisme et l’intelligence ne suffisent pas pour assumer la charge régalienne de l’Etat. Si, à l’instar de Félix Gaillard – qui prit des mesures économiques courageuses en accord avec son temps – Emmanuel Macron sut désenclaver l’activité de certains secteurs en France avec sa loi éponyme, l’époque actuelle et surtout les Français demandent autre chose qu’un simple gestionnaire comme chef d’Etat.

Car si l’ancien pensionnaire de Bercy a le vent en poupe dans les sondages, bénéficiant en ce sens d’une fenêtre de tir médiatique favorable eu égard du calendrier, force est de constater cependant que son discours centré sur les thématiques économiques ne parle pas ou très peu à l’ensemble des Français. Dans une étude publiée par l’institut de sondages Elabe il y a deux mois, le terrorisme (146%) et l’immigration (135%) apparaissaient ainsi comme deux des trois sujets les plus importants auxquels notre pays était confronté, tandis que le manque d’activité économique n’arrivait qu’en sixième position (21%), bénéficiant de seulement trois points de plus que la place de l’islam en France (18%). Un constat d’autant plus implacable que selon la même étude, 56% des Français estiment qu’il faut renforcer les moyens des forces de police et militaires quitte à renoncer à d’autres dépenses, tandis que près de la moitié d’entre eux se prononcent en faveur du renforcement du code pénal (148%).

Autant de positions sur lesquelles Emmanuel Macron apparaît en décalage complet avec la volonté de ses concitoyens et qui font écho à ses prises de distance avec l’exécutif au moment du débat sur la déchéance de nationalité. C’est d’ailleurs à cette époque qu’il appelait à prendre en cause les origines sociales du terrorisme et à s’interroger sur la part de responsabilité de la France, versant en ce sens dans un moralisme culpabilisateur à l’égard de la République. Un contre-pied parfait à l’égard du sursaut conservateur qui traverse l’hexagone depuis le début des années 2010 et d’une façon générale, l’ensemble des sociétés occidentales.

De qui/quoi Macron est-il le nom ?

De fait, au moment où le concept d’Etat-nation que l’on croyait tombé en même temps que le mur de Berlin fait son grand retour sur fond de crispations identitaires et de montée du terrorisme islamique en Occident, au moment où le Royaume-Uni et les Etats-Unis, chantres du néo-libéralisme  de la fin du XXème renouent avec le protectionnisme en réactivant la fibre patriotique, au moment où le mythe de la « mondialisation heureuse » s’écroule sous le poids des délocalisations et de la paupérisation de la classe moyenne périurbaine, Emmanuel Macron déboule avec un programme libéral-libertaire teinté d’europhilie hexagonale, négligeant jusqu’à présent les sujets régaliens, symboles d’une autorité de l’Etat que les Français aspirent à retrouver.

En 1992, James Carville, conseiller de Bill Clinton, alors candidat à la Maison Blanche, avait fait afficher dans le QG de campagne démocrate la devise «The economy, stupid!», afin de mieux illustrer la nécessaire focalisation sur les enjeux économiques auprès des électeurs. Une génération plus tard, le constat n’est plus valable et se fracasse sur le mur des réalités dont Patrick Buisson avait deviné les fondations dès les années 1980. Une époque où siégeaient au gouvernement en France des ministres communistes alors même que triomphaient en Europe et aux Etats-Unis les idées de Milton Friedman. Singularité française paraît-il.

Ainsi, alors que nombreux observateurs se demandent aujourd’hui de qui/quoi Emmanuel Macron est-il le nom, une première ébauche de réponse pourrait se dessiner. Et si ce n’était pas tout simplement du « paradoxe français » ?



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