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Pour le Hezbollah, Beyrouth vaut bien une messe


Pour le Hezbollah, Beyrouth vaut bien une messe
Portrait du leader du Hezbollah Sayyed Hassan Nasrallah, Haret Hreik, SIPA, REX40318438_000002
Hezbollah haret Hreik
Portrait du leader du Hezbollah Sayyed Hassan Nasrallah, Haret Hreik, SIPA, REX40318438_000002

L’église Saint-Joseph est pleine à craquer en ce dimanche 30 octobre, pour la messe dominicale. C’est la veille de l’élection de Michel Aoun à la présidence de la République libanaise, et les façades de l’église sont recouvertes d’immenses portraits de ce chrétien maronite ancien commandant des forces armées libanaises, né en 1935 dans ce qui était à l’époque un village chrétien au sud de Beyrouth. Pourtant, Saint-Joseph ne se trouve pas en plein « Marounistan », surnom qui fut donné durant la guerre civile libanaise (1975-1989) aux territoires chrétiens situés au nord de Beyrouth, mais au cœur  de la banlieue sud de la capitale, à Haret Hreik, quartier/ville quasi-exclusivement chiite, qui abrite aujourd’hui les quartiers généraux du Hezbollah. Maroun et Armen, deux quinquagénaires libanais qui s’occupaient des portes de l’église, vivent ailleurs, dans les quartiers chrétiens. Comme beaucoup d’autres anciens habitants de Haret Hreik, très attachés à leur ville d’origine, ils s’y réunissent chaque dimanche, mais n’y vivent plus depuis des décennies.

Les transformations qu’a connues Haret Hreik n’ont pas pris plus d’un demi-siècle. Dans les années 1960, désireuses d’accéder à l’éducation et de profiter du dynamisme économique d’alors, de nombreuses familles chiites venues du sud et de l’est du pays s’installent dans la banlieue sud. La ville connaît un essor rapide, qui se traduit par des constructions illégales et une urbanisation anarchique. Au milieu des années 1970, la guerre civile constitue un tournant majeur pour la ville. Dans tout le Liban, des milices communautaires se créent, se disputent le territoire en opérant des « nettoyages ethniques » de fait. Les chrétiens d’Haret Hreik fuient en masse vers les quartiers chrétiens de Beyrouth-Est et la banlieue sud devient le refuge de dizaines de milliers de chiites. Le quartier  connaît une croissance démographique spectaculaire. Il est donc tout naturel que le Hezbollah, fondé par l’Iran en 1982, en prenne le contrôle.

Un ancien quartier chrétien devenu bastion chiite

Un quart de siècle plus tard, en 2006,  le QG du Hezbollah au cœur d’Haret Hreik (la « Dahia » comme on l’appelle en Israël)  est bombardé par l’armée israélienne. Des milliers d’habitants perdent leur maison et le Hezbollah, bien organisé et financé, prend en charge la reconstruction, achevée en 2013. La reconstruction des bâtiments détruits par les conflits successifs est gérée par Jihad Al-Bina, « Le Jihad de la reconstruction », fondation créée par le Hezbollah et également basée dans la banlieue sud. En l’absence d’Etat libanais, ces performances de la milice chiite qui le remplace pour venir en aide aux habitants renforcent son contrôle de ce quartier devenu une véritable ville-Etat gouverné par le « Parti de Dieu ».

Très soutenu pendant les années 2000 et notamment à la suite de la guerre de 2006 contre Israël,  le Hezbollah reste populaire à Haret Hreik malgré son engagement dans le conflit syrien aux côtés du régime dès 2011, plus par peur du terrorisme sunnite de l’EI que par soutien à Bachar El-Assad. En représailles, des attentats-suicides sont commis dans la ville par l’État islamique et le Front Al-Nosra en juillet 2013 et janvier 2014. Ces attentats exposent en pleine lumière le fait que désormais Haret Hreik est un « Etat dans le non-Etat » : le Hezbollah a installé ses propres points de contrôle tout autour de la banlieue sud et ses hommes patrouillaient dans ses rues.  Presque trois ans plus tard, les façades restent recouvertes des portraits des « martyrs » tombés pour sauver le régime syrien, rappelant aux passants que nous ne sommes pas tout à fait au Liban.

Aujourd’hui, il ne reste pas grand-chose de l’ancien quartier chrétien. La majorité des bâtiments sont assez récents, et la forte densité de population se traduit par des constructions assez hautes. L’empreinte du Hezbollah est partout : dans les rues où Michel Aoun enfant jouait avec ses amis chrétiens, l’achat d’alcool est aujourd’hui impossible, et les symboles du parti de Dieu, ses drapeaux et son logo sont omniprésents. Le drapeau noir floqué de l’inscription « Ya Hussein », en référence au petit-fils de Mahomet, honoré par les chiites, orne même le hall de la petite bibliothèque municipale pour enfants. « On ne peut pas parler de Haret Hreik sans parler du Hezbollah. Sans le Hezbollah il n’y a pas de Haret Hreik », explique Mortada, 22 ans. Cet habitant d’Haret Hreik est d’ailleurs l’exemple vivant de ce qu’il affirme. S’il a pu faire des études supérieures, c’est grâce à l’aide d’une association financée par le Hezbollah.

Une base hezbollahie sceptique

Si l’église Saint-Joseph est l’un des derniers vestiges de l’ancien village chrétien, elle n’est pas la seule. Ziad Waked, président du conseil municipal d’Haret Hreik, et plusieurs de ses adjoints sont chrétiens, élus grâce à l’appui du Hezbollah, rappellent eux aussi le passé du quartier. Alors que le parti chiite s’inscrit en apparence hors de la logique des clans et des familles caractéristique de la politique libanaise, il doit souvent composer avec les notables locaux dans les zones qu’il contrôle mais surtout avec le système libanais, équilibre fragile entre communautés et confessions mis à rude épreuve pas les évolutions démographiques du pays, dont Haret Hreik est l’exemple type. Waked au niveau municipal comme Aoun au niveau national témoigne de la capacité du Hezbollah de nouer des alliances et maintenir les apparences. Or, même si les dirigeants du parti de Dieu savent y mettre les formes, « la base » est un peu moins polie. Ainsi, si une part importante des chrétiens se réjouit de l’élection de Michel Aoun à la présidence de la République, les chiites d’Haret Hreik ne semblent pas particulièrement enthousiasmés. De plus en plus nombreux et puissants –  au Liban comme dans la région (l’Iran, l’Iraq et la Syrie) – les règles du jeu libanais hérités des années 1940  sont de moins en moins compréhensible pour les chiites. Pas sûr qu’ils vont les supporter encore longtemps, surtout si le conflit syrien se terminent par ce qu’ils interpréteraient comme une deuxième « victoire divine ».



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