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Soucis d’argent en Argentine


Photo : Hamster Rave.

En Argentine, il y a comme un air de déjà-vu : le cours du dollar s’envole. Alors qu’il valait 3.8 pesos en 2009, le billet vert s’échange aujourd’hui contre 4.3 pesos. Pas grave me direz-vous ? Oh que si ! Je viens de citer les taux officiels mais au marché noir, le taux de change est de 5.2 pesos pour un dollar. La dépréciation rapide du peso argentin et a fortiori l’écart entre le cours officiel et le cours du marché noir montrent que le miracle argentin bat de l’aile. Et si les Argentins se tournent de plus en plus vers le dollar, c’est parce que ils veulent se protéger contre l’inflation. En effet, les prix galopent, surtout si l’on en croit les chiffres officieux[1. Depuis que le gouvernement a resserré son contrôle sur l’Institut national de statistiques en 2007, l’information fournie par cet organisme est sujette à caution] (8% depuis début 2011 selon les données fournies par l’Etat, trois fois plus selon d’autres estimations).

Autre effet de l’inflation : les capitaux fuient l’Argentine à un rythme qui ne cesse de s’accélérer, traduisant les craintes des entreprises et des investisseurs. Or, dans ce pays qui, faute d’avoir remboursé sa dette publique en 2002, ne peut pas se financer sur les marchés internationaux, les réserves de devises sont essentielles pour soutenir la monnaie nationale et maîtriser le taux de change.

Mais les citoyens et les entreprises argentins ne sont pas les seuls à exprimer des doutes face à la politique économique de menée par la Casa Rosada. Les pays voisins commencent eux aussi à perdre patience. Car si l’Argentine a pu remonter la pente après la faillite de 2002, c’est notamment grâce à une politique protectionniste, autrement dit sur le dos de ses partenaires commerciaux. Daniel Asori, vice-président et ancien ministre de l’économie uruguayen, est l’un de ceux qui dénoncent des mesures asymétriques vidant le Mercosur[2. Le marché commun des pays d’Amérique du Sud] de sa substance. On entendrait le même genre de critiques au Brésil, et ce n’est pas le refroidissement économique qui va arranger les choses.

Après sa réélection triomphale à la présidence de la République fin octobre, afin de lutter contre la fuite des capitaux et d’enrayer la dépréciation du peso, Cristina Fernandez de Kirchner s’est empressée de contraindre les plus gros exportateurs nationaux, notamment les sociétés minières et pétrolières, à rapatrier et à convertir en pesos les devises générées par l’exploitation des ressources du pays.

De nouvelles conditions à la conversion des pesos en dollars ont également été imposées pour compliquer la convertibilité de la monnaie nationale. La présidente s’est ensuite attaquée à la gestion des comptes publics dont le déficit avoisine les 3.5% du PIB. Ce déficit est en partie creusé par les subventions diverses, dont celles accordées aux entreprises pour compenser le gel des prix en 2004 (essentiellement dans les secteurs des transports publics, de l’énergie et de l’alimentation). Un autre poste, voisin, pèse elle aussi lourdement sur les comptes de l’Etat : les aides aux entreprises (comme celle accordée à la compagnie aérienne nationale, Aerolinas Argentinas, nationalisée en 2008 et actuellement déficitaire). A l’heure actuelle, Kirchner opte clairement pour la rigueur et la réduction des dépenses publiques, une politique qui va probablement gâcher l’un des plus grands succès du modèle argentin : la baisse significative de la misère.

Ironiquement, la situation actuelle de l’Argentine rappelle celle des pays européens à la fin des années 1970 et au début des années 1980 : protectionnisme, guerre de dévaluation et d’inflation. Cela devrait nous rappeler pourquoi le PS et le PCF ont fait demi-tour en 1983.

Or, si après la faillite de 2002, l’Argentine était parvenue à remonter la pente en reprenant la main sur l’économie, cette politique semble aujourd’hui à bout de souffle. Après l’extinction de l’incendie de la crise de 2001 par le recours au protectionnisme, ce modèle arrivant à échéance, il est temps de passer à l’étape suivante.

Malgré l’inconfort intellectuel que cette pensée suscite, retenons qu’il n’y a pas une seule politique économique valable en tout temps et en tout lieu. Parfois, il est même recommandé de tourner le dos à ce qui était une idée géniale dix ans plus tôt…



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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