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Plutôt Karl que Mario


Image : Denis Collin, Le cauchemar de Marx.

Nos élites monétaires et politiques pataugent dans cette interminable crise financière et ne parviennent pas à éteindre l’incendie des marchés. Elles devraient se remettre à l’étude de … Marx ! Il est bien sûr très difficile de faire reconnaître à la droite que les théories de Karl Marx ne sont pas toutes à jeter aux oubliettes. Dans le même temps, comment une gauche modérée ayant accepté l’avènement des marchés oserait-elle extraire Le Capital des rayons poussiéreux de sa librairie ?

Il est pourtant indéniable aujourd’hui, en pleine crise financière, que l’esprit du grand homme renaît de ses cendres. Ne sommes-nous pas ainsi aux premières loges pour assister impuissants à une « accumulation » (qu’il dénonçait et qu’il prévoyait) de « richesses à un pôle » concomitante à une « accumulation de misère » à un autre pôle ? Quel est aujourd’hui le parti politique ou l’observateur avisé qui n’est pas choqué – au moins en son for intérieur – par cette quête effrénée de profits et de productivité des investisseurs et des entreprises ? Cette boulimie débouche « naturellement » sur son pendant : la création (pour reprendre les termes de Marx) d’une « armée de réserve industrielle », c’est-à-dire de laissés pour compte que l’on ne convoque que pour les payer une misère ! En 2011, le conflit entre capital et travail n’est même plus larvé : il crève les yeux.

Conformément au procédé décrit par Marx, les entreprises réduisent leurs coûts et évitent les embauches afin de gonfler leurs profits. Les bénéfices des grosses entreprises ne sont-ils pas au mieux de leur forme depuis plus d’un demi-siècle alors que le chômage au sein de nos nations « développées » bat des records ? Les États, dominés par des entreprises et des établissements financiers à taille hyperbolique, ont cru pouvoir masquer cette réalité à leur population en les anesthésiant avec l’opium du crédit. En réalité, cette aisance populaire en trompe l’œil consacrait – et dissimulait– le creusement d’une intolérable inégalité de revenus qui se retrouve aujourd’hui au même niveau que dans les années 1920 ! Ces élites économiques vont pourtant recevoir le boomerang en pleine figure car elles vont s’apercevoir qu’elles ont quand même besoin de cette fameuse « armée de réserve » pour consommer les produits de leurs entreprises… Marx (encore lui !) avait bien noté le paradoxe entre surproduction et sous-consommation : difficile de faire tourner industries et commerce alors que les capacités de production ont été étirées à leur extrême et que l’armée des consommateurs est à genoux…

Comment faire comprendre à nos responsables politiques et à nos élites économiques que leur succès et leurs richesses sont directement proportionnels au confort matériel de cette « armée » ? Comment les persuader d’enfin adopter des mesures énergiques entièrement dédiées au redressement des classes populaires ? Qu’on se le dise une fois pour toutes : cette crise, qui est loin d’être provisoire, ne sera jamais réglée par l’austérité imposée aux populations ! La seule et unique clé consiste en une régression durable du chômage qui ne pourra s’opérer qu’à la faveur d’une réduction substantielle de la fiscalité des employeurs et d’encouragements massifs des entreprises aux nouvelles embauches. Il est ainsi impératif de rétablir le pouvoir d’achat afin de relancer la demande et d’éviter la spirale déflationniste, quitte à rééchelonner, voire à éponger, les lourds endettements des ménages (américains principalement). Parallèlement, les États doivent contraindre les banques de financer plus généreusement les PME mais aussi de recapitaliser et de prendre le contrôle (au moins pendant quelques années) des banques qui se sont retrouvées dans une situation périlleuse de leur propre fait. Les banques centrales, enfin, devraient jouer le jeu en achetant généreusement les papiers valeurs émis par les gouvernements et les entreprises. Il faudra qu’elles se résignent à transgresser leurs propres règles en tolérant une inflation modérée qui rendra le fardeau de l’endettement plus supportable.

Il est donc vital d’entreprendre sans tarder toute une batterie de mesures entièrement destinées au bien-être des classes pauvres et moyennes. Car, comme le disait Marx : « la raison ultime de toutes les crises reste la pauvreté et la consommation restreinte des masses »



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Franco-Suisse né à Beyrouth en 1963, il a sillonné le Moyen-Orient. ex-cambiste et trader, il dirrige sa propre société financière à Genève pendant douze ans. Aujourd'hui, Michel Santi décortique, scrute et analyse le monde de la Finance. Il est également rédacteur du site : <a href="http://www.gestionsuisse.com">Gestion Suisse</a>

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