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Damas sur le chemin de Tripoli ?


Photo : jean_chamel

Lâché par la Ligue arabe et de plus en plus clairement menacé par la Turquie, le régime syrien a reçu un coup redoutable le 16 novembre : les rebelles de l’Armée Syrienne Libre (ASL) ont frappé les services de renseignements de l’armée de l’air (Idarat al-Mukhabarat al-Jawiyya), cœur du système Assad. Certes, il ne s’agit pas d’une version moyen-orientale de l’offensive du Têt[1. Une campagne militaire menée en 1968 par les forces combinées du Viet Cong et de l’armée populaire vietnamienne, qui avait profondément affecté l’administration et l’opinion publique américaines, au point de changer le cours de la guerre]. Mais cette fois-ci, contrairement aux embuscades et aux petites opérations de guérilla qui constituaient jusqu’à mercredi dernier le mode opératoire de l’ASL, ceux que le régime qualifie de déserteurs se sont montrés ambitieux dans le choix de leur cible et bien organisés militairement. Ainsi, quels que soient les dégâts subis par les forces loyales au régime, l’ASL a remporté une victoire d’une grande portée symbolique.

Car comme leur nom ne l’indique pas, les services de renseignements de l’armée de l’air n’ont pas grand chose à voir avec l’aviation militaire. Pour comprendre cette curiosité typiquement syrienne, il faut rappeler que Hafez el-Assad, fondateur de la dynastie au pouvoir, a commencé sa carrière dans les années 1950 comme pilote de chasse. Il a ensuite fait de l’armée de l’air son principal instrument de pouvoir en élargissant les fonctions traditionnelles du renseignement militaire pour le transformer en police politique et en service d’ordre personnel.

Hafez el-Assad a maintenu pendant un quart de siècle (1963-1987) le général Mohamed el-Khouli à la tête de cette organisation chargée d’assurer les intérêts vitaux du régime : la sécurité physique de la famille Assad, la lutte contre les opposants à l’intérieur comme à l’extérieur de la Syrie et la surveillance des minorités. L’un des « faits d’armes » les plus célèbres d’el-Khouli et de ses hommes fut la répression de l’insurrection des Frères musulmans en 1982 et notamment la sanglante « pacification » de Hama.

En s’attaquant à la base principale de ce service à Harasta (non loin de Damas, sur la route qui mène à Alep), les rebelles syriens visaient le centre névralgique et symbolique du régime. Ce choix audacieux pourrait se révéler payant : jusqu’ici, les services de sécurité et la plupart des unités de l’armée syrienne ont tenu bon aux côtés du régime. Dépêchés d’une ville insurgée à une autre depuis neuf mois, les agents du régime n’arrêtent pas de faire le sale boulot d’Assad. Hormis quelques sadiques, on peut imaginer que nombre de ces hommes sont à bout et que la multiplication récente des embuscades tendues par les rebelles n’arrangent ni leur moral ni leurs nerfs.

Dans ce contexte, l’offensive de Harasta est de celles qui précipitent le cours des événements. La crise syrienne est entrée dans une nouvelle phase, probablement décisive. Alors que l’insurrection armée gagne de plus en plus en organisation, en efficacité et en audace, le régime risque de ne plus atteindre ses deux objectifs majeurs sur le terrain : empêcher les opposants de créer une place Tahrir ou une Benghazi, c’est-à-dire des sanctuaires de résistance, et garder le nombre de morts sous un seuil jugé « tolérable » pour éviter un trop important tollé dans l’opinion publique mondiale et donc un scénario libyen à l’ONU.

Dans son palais de Damas, le fils du pilote de chasse ferait donc bien de chercher la poignée du siège éjectable avant qu’il ne soit trop tard…



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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