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Sévère mais injuste


Photo : skynews.

L’élève France a trouvé une maitresse d’école encore plus terrifiante qu’Eva Joly pour se faire taper sur les doigts : madame Moody’s. Quand Madame Moody’s n’est pas contente elle nous cause sur un ton qu’aucun professeur n’oserait employer avec ses élèves, ce qui est bien regrettable d’ailleurs. Et là, elle n’est pas contente. Comme elle veut laisser une dernière chance à la pédagogie, nous avons évité de justesse l’exclusion pour indiscipline budgétaire, mais elle nous a à l’œil. Au prochain faux-pas, le couperet tombera – c’est quoi la sanction, on se retrouve en BEP comme nous en menaçaient les profs quand ils ne connaissaient pas le mot « stigmatiser » ?

À noter que dans le langage de madame Moody’s on ne parle pas d’exclusion mais de dégradation, terme qui a un petit arrière-goût de moralisme old-school. Pour moi, madame Moody’s évoque les dames revêches des ligues de vertu de Lucky Luke qui sermonnent les pauvres coupables d’être en prime paresseux et alcooliques. Pourtant, elle sait bien, elle, que nous ne creusons pas notre découvert pour nous acheter des robes ni pour faire des cadeaux aux riches mais parce que, même sous la dictature sarkozyste, nous ne nous résignons pas à laisser tomber les plus faibles. Et malgré son logiciel binaire, même la gauche sait bien que, pendant qu’on gratte trois sous d’un côté, de l’autre, les dépenses sociales, même rationnées, augmentent mécaniquement sous l’effet de la crise. Madame Moody’s s’en fout parce que son dirlo, Monsieur Lesmarchés, a dit que si c’était pour jeter le fric par les fenêtres à nourrir des bouches inutiles, on n’aurait plus un sou.

Mais le pire n’est pas qu’on se fasse engueuler, le pire, c’est qu’on en redemande. D’accord, en temps normal, notre grand argentier a déjà un air de collégien qui vient d’abandonner les culottes courtes pour enfiler le costume du dimanche de son grand frère – ce qui a un certain charme quand on est sensible à la fraîcheur. Mais là, le petit Baroin avait vraiment la mine déconfite du cancre qui vient de se prendre l’avoinée de sa vie. En l’entendant balbutier des excuses et jurer que cette fois, on allait faire des efforts et que, promis-juré, le prochain bulletin serait impeccable, je ne savais pas si j’avais envie de le consoler, de lui en flanquer une ou de pleurer de honte. Voir un représentant de la République rougir et trembler parce qu’on menace de baisser la note de la France – qu’on appelle ironiquement « note souveraine » -, ça fait peur. Et pour aller faire pipi, on demande à l’ONU ? Et en cas de guerre, on se couche avant ou après le premier coup de sifflet ?

Je croyais naïvement que la gauche et son candidat flambant neuf allaient se jeter sur cette occasion de montrer qu’eux, ils n’avaient pas peur de monsieur Lesmarchés et qu’il pouvait se le garder, son pognon, parce qu’après tout les citoyens de France sont encore assez riches pour prêter à leur État. Bref, c’était le moment ou jamais, pour monsieur Normal, de montrer qu’il en a. Pour une fois, j’aurais trouvé ça vachement chouette qu’on envoie le prof sur les roses. Bernique. Monsieur Normal a préféré fayoter et dire que quand on l’aura élu délégué de classe, la discipline règnera et qu’on sera super dans les clous, bref, qu’on ne dépensera plus un centime qu’on n’a pas – ce qui signifie qu’on ne dépensera plus du tout. C’est cela, sans doute, qu’on appelle le changement.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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