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Aux armes et cætera


Aux armes et cætera

Rouget de l’Isle se serait-il imaginé le succès « polémique » de son Chant de guerre de l’armée du Rhin, commué par la République française en hymne national ? L’auteur de la Marseillaise, qui écrivit aussi – soit dit en passant – un hymne royaliste sous la Restauration Vive le Roi ! (qui n’eut pas l’heur de plaire à Louis XVIII), aurait-il imaginé que le peuple français allait si longtemps se déchirer autour de son chant guerrier, dont le texte évocateur se compose – tel un cadavre exquis de circonstance – de phrases empruntées à des affiches de conscription du début des années 1790 ? Rouget de l’Isle aurait-il pu imaginer qu’il deviendrait un jour possible de comprendre l’histoire de France à travers les heurs et malheurs de ce qu’il appela lui-même sa « vieille sornette » (dans une lettre au compositeur italien Cherubini). Une « vieille sornette » qui est devenue l’un des hymnes nationaux les plus connus, et les plus revisités – à l’instar de la sublime Bannière étoilée américaine : depuis la transcription pour violon seul de Stravinsky, jusqu’à la Marseillaise reggae de Gainsbourg ; depuis l’Ouverture 1812 de Tchaïkovski jusqu’à la chanson All you need is love des Beatles qui s’ouvrent toutes les deux par le fameux chant révolutionnaire ; depuis l’arrangement de Hector Berlioz jusqu’à la version de Django Reinhardt portant le délicieux titre de Echoes of France…

Rouget aurait-il songé que sa « vieille sornette » allait drainer mille débats ces dernières années ? On se souvient du tollé provoqué dans les années 70 par la volonté de l’accordéoniste Valery Giscard d’Estaing de modifier légèrement la musique. On se souvient des débats accablants qui ont entouré le vers « Qu’un sang impur abreuve nos sillons » lors du bicentenaire de la Révolution française en 1989, l’abbé Pierre déclarant à cette occasion : « Changeons en message d’amour les paroles de haine de la Marseillaise ! »

Ces pénibles débats sur le « sang impur » oubliés, les années 2000 voient l’émergence d’un nouveau « folklore » avec la très mauvaise habitude prise par une partie des hooligans du Stade de France de siffler la « vieille sornette » lors de la solennelle cérémonie des hymnes nationaux qui ouvre les matchs de football.

Notons en liminaire que cela fait déjà des années que les joueurs de l’équipe de France de football n’entonnent plus vraiment l’hymne national au début des matchs. Ou bien un joueur sur deux, ou sur trois. Et encore. Du bout des lèvres. Evidemment, on a expliqué que notre équipe « black blanc beur » était trop tendue au début des matchs pour chanter à pleins poumons le Chant de guerre de l’armée du Rhin. Les coachs ont confirmé : il s’agissait bien d’un problème de « con-cen-tra-tion ! », pas de désintérêt pour un symbole républicain aussi bleu blanc rouge que notre drapeau, et que Madame Marianne, notre mère à tous. Chaque Coupe du monde de foot est ainsi l’occasion de déplorer que la plupart des joueurs des autres nations chantent leurs hymnes avec conviction, alors que nos onze petits bleus semblent vivre ce moment avec une telle sobriété qu’on pourrait la prendre pour de la désaffection. On ne leur demande certes pas de chanter avec la ferveur des rugbymen néo-zélandais scandant leur Haka, mais on aimerait les sentir fiers d’être français. Et on aimerait être fier de la fierté de cette équipe nationale où les minorités sont sur-représentées.

Mais si la Marseillaise ne soulève pas les passions des joueurs de football, elle déclenche parfois la haine des supporteurs. Un soir d’octobre 2001, en ouverture d’un match amical entre les bleus et la sélection nationale algérienne au Stade de France, l’hymne national est couvert par les sifflets. On connaît la pitoyable suite.

Quand on se rappelle qu’une loi Fillon de 2005 rend obligatoire l’apprentissage de la Marseillaise en maternelle et primaire et que le respect des symboles républicains est désormais inscrit dans la loi, il y a de quoi être découragé. Certes, les politiques ont condamné – « Pas de pitié pour ces gens-là », a dit Fadela Amara. En revanche, la presse et les intellectuels, jamais avares de sirop moraliste à l’aspartam, ont dénoncé un emballement de la classe politique face à des « sifflets » qui ne seraient qu’un symptôme de la « désintégration sociale » (Le Monde). « Ce n’est pas si grave ! », « Ils sont jeunes ! », « C’est du folklore ! », « Ils sont chômeurs ! », « On ne leur a pas laissé la chance de s’intégrer ! », « Ils sont victimes d’une société cruelle ! », « C’est à cause de la crise financière et du capitalisme mondialisé ! »… C’est à cause de la cause, et du pouvoir d’achat ! Sans parler du prix du baril ! On sait ce qu’une foule moutonnière peut avoir de déplaisant. Reste que l’hystérie suscitée par ces ignominieux sifflets collectifs masque plusieurs questions.

Pourquoi avoir confié à Lââm la mission d’interpréter l’hymne national ? Sans doute pour fabriquer une « image symbolique » aussi lourde et affligeante que sa voix… la franco-tunisienne interprétant l’hymne national, comme le signe d’un succès de l’intégration !

Pourquoi encore un match « amical » contre une nation du Maghreb ? Après les incidents du France-Algérie (2001) et du France-Maroc (2007), fallait-il tendre la verge pour se faire battre, à l’occasion d’une rencontre avec la Tunisie ?

Pourquoi les hooligans qui ont étendu une large banderole contre les « Ch’tis » durant la finale de la Coupe de la Ligue 2008 entre Lens et le PSG ont-ils été repérés en quelques jours par la Police, alors que personne ne semble parler en ce moment d’une identification des populations qui étaient présentes au Stade de France pour siffler l’hymne national ? Est-ce plus fondamentalement grave d’insulter le peuple des corons, que la nation toute entière ? Pourquoi n’ose-t-on pas parler des individus qui sifflent ? Pourquoi la télévision ne nous les a-t-elle pas montrés en gros plans ?

Pourquoi feindre la sidération face au comportement de ces jeunes gens ? Pourquoi faire semblant de découvrir un sentiment anti-national profondément ancré dans certaines populations, alors qu’il est sensible depuis de longues années ? (Depuis les agressions des « faces de craie » lors des manifestations lycéennes de ces dernières années par des bandes de jeunes venues de périphérie, jusqu’au communautarisme qui avance d’année en année au sein des « quartiers ».)

On observera pour conclure que le dixième anniversaire de la victoire de notre équipe « black blanc beur » au Mondial de 1998 sous la houlette de super-Zizou est bien sombre. Est-ce la France qui a changé ? Qu’est-ce qui n’est pas au carré dans l’Hexagone, qu’est-ce qui ne tourne pas rond au royaume du ballon rond, pour que les symboles communs de la République soient ainsi conspués ? Devons-nous ranger la « vieille sornette » au magasin des accessoires, et renoncer à toute dignité nationale, ou bien – « Aux armes et cætera !… » – trouver des moyens de la faire accepter, et respecter, coûte que coûte… ? Et si Carla Bruni, avec sa belle voix suave et sensuelle, nous offrait sa propre interprétation, digne et sexy, de la Marseillaise ? Chiche !



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Il est l’auteur de L’eugénisme de Platon (L’Harmattan, 2002) et a participé à l’écriture du "Dictionnaire Molière" (à paraître - collection Bouquin) ainsi qu’à un ouvrage collectif consacré à Philippe Muray.

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