Accueil Politique Les cirques ferment mais les clowns se portent bien

Les cirques ferment mais les clowns se portent bien


Les cirques ferment mais les clowns se portent bien

Pendant quelques jours, au début de la crise, on ne les entendait plus. Les Lamy, les DSK, les Pébereau, les de Boissieu, les Minc, les Sylvestre, les Artus et les Le Boucher, on avait l’impression qu’ils avaient profité des soldes de chez Opodo, direction l’été indien, dans le Pacifique ou aux Antilles. Remarquez, ça nous faisait aussi des vacances. Les grosses crises, ça donne un goût de souffre mais ça réveille forcément en nous un vieux fond de chant révolutionnaire façon 89. Ah ça ira, ça ira, ça ira, les maîtres penseurs (ou plutôt les maîtres-compteurs, non, les maîtres-conteurs), on les aura. Donc, on pouvait se concentrer entièrement sur les pitreries du nouveau duo de fantaisistes BHL-Houellebecq et les lagarderies du moment en comptant les jours qui nous séparaient de la séparation du ministre de l’Economie que, dans sa grande science du casting politique, le chef des pitres – lui aussi silencieux pendant une dizaine de jours – avait offert à la France.

On commençait à s’inquiéter, on s’essayait à penser de travers, et pas comme des porcs ! Certains, comme Emmanuel Todd, Jacques Sapir ou Malakine, nous délivraient leur version de la crise : le libre-échangisme intégral, fondé sur la dépression salariale (des produits toujours moins cher pour un consommateur toujours plus pauvre), engendre une véritable passion pour le crédit, devenu seul instrument de relance, qui finit par faire exploser le système en engendrant moult manoeuvres spéculatives dignes du morceau de scotch que se passaient tous les voyageurs de l’avion dans un des Tintin de notre enfance qui avait stimulé la réflexion de Lacan sur la névrose familiale… D’où les solutions proposées : protectionnisme européen, contrôle des changes, interdiction des paradis fiscaux, plafonnement des rémunérations des grands patrons, interdiction des parachutes. Bref, réglementation législation et redistribution, et non plus régulation.

Et puis, patatras, le naturel a repris le dessus. Le commerce aussi car ces gens-là, voyez-vous, ont toujours quelque chose à vendre. Un poste, un rapport, un livre, un nanar au théâtre ou au cinéma, la maison n’hésite pas à faire dans le polyvalent, voyez Attali. Rhabillés, comme toujours, en Monsieur Je-vous-l’avais-bien-dit, ils sont, dès que Sarkozy a donné le top-départ, remontés sur scène au café du commerce audiovisuel, dans les radios et les TV où ils disposent toujours de leur rond de serviette. Attali, justement, a endossé l’habit qui sied mieux à un moine de son espèce, prophète. Voyez-vous ça, ces pégrelots de journalistes l’ont titillé sur la demi-page de son rapport sur les taxis alors qu’il avait consacré cinq pages, pas moins (sur 350, pensez donc !) à la crise. Lesdits journalistes ont baissé les yeux et se sont presque excusés. Pensez donc, ils prenaient le thé à Neuilly chez un prophète et ils n’avaient pas réalisé ! Pas un (sauf un blogueur, bien sûr) n’a eu l’idée de relire les fameuses cinq pages. Dommage, ils ont raté l’occase de clouer le bec au hibou de l’expertosphère une fois pour toutes. Car si le sieur Attali y parle bien de finance, c’est pour bien préciser à quelles conditions nous pourrions survivre sans déranger le bel ordonnancement du monde des subprimes et autres creditcruncheries.

Heureusement qu’ils sont revenus, tous les pitres professionnels avec leurs pitchs bien léchés sur les « excès » de cette finance, que, voyez-vous, ils avaient toujours dénoncée. Et comme toujours, jusqu’à la prochaine crise, c’est-à-dire la collision suivante avec le réel. Cette crise, de toute façon, ils la verront bien assez tôt. Quand tous les fabriquants d’automobiles auront fermé leurs ateliers, quand les banques auront dégraissé leurs effectifs, quand les caisses sociales auront serré la ceinture de leurs assurés, ils pourront imaginer à quelle bulle spéculative nous serons mangés la prochaine fois. Les énergies nouvelles, par exemple ?

Cet article est extrait de l’éditorial du numéro zéro de Vendredi, nouvel hebdomadaire d’actualité réalisé avec les blogueurs et les sites d’information, et dont le premier numéro paraitra le 17 octobre.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent De l’électricité dans l’air
Article suivant Autoportrait de Napoléon Empereur
Philippe Cohen est journaliste et essayiste, rédacteur en chef de l'hebdomadaire Vendredi.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération