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It’s not the economy, stupid !*


Manifestation du Tea Party devant le siège du Congrès à Washington.

ll y a encore une semaine , l’économie mondiale présumait que les Etats-Unis seraient toujours capables de rembourser leur dette en temps et en heure. Leur prêter de l’argent présentait donc un risque zéro, d’autant que la note de la dette américaine était réputée encore meilleure que les évaluations des agences de notation. On croyait les Etats-Unis « au-dessus de la mêlée financière », voire méritant une note de « AAAA », comme le disait le milliardaire Warren Buffet, aussi célèbre pour son sens de la formule que pour son flair de magnat des affaires. En fait, Buffet disait tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas : le jour où les Etats-Unis ne pourraient plus payer leur dette, leurs créanciers seraient en train de manger des conserves au fond de leurs abris anti-atomiques car la faillite de Washington amènerait l’Apocalypse financière et économique.

Au beau milieu de l’affolement suscité par la décision de l’agence de notation Standard & Poor’s de baisser la note de la dette américaine (du maximum AAA à AA+), il ne faut pas oublier que, malgré une dette abyssale, les Etats-Unis restent un pays richissime et puissant dont la « valeur nette » (c’est-à-dire les biens, moins la dette) reste énorme. La dette américaine représente à peu près 84 % du PIB, deux fois plus qu’à la fin de l’époque Clinton, mais presque autant que la dette de la France qui, elle, garde son éclatant « AAA ». Mais les Etats-Unis gardent un sérieux atout : les impôts y représentent à peu près un quart du PIB contre plus de 40 % en France et 37 % en Allemagne. Les Américains ont donc un important potentiel de remboursement et selon les calculs de la Maison Blanche, une augmentation d’impôts de 25 % (de 24 % à 30 % du PIB) permettrait au gouvernement fédéral américain, même dans l’hypothèse d’une croissance molle, de ramener la dette à des proportions plus saines en deux décennies.

L’absurdité économique de la décision de S&P est patente : des sociétés comme Microsoft et Exxon-Mobil, entreprises certes privées mais qui dépendent néanmoins du gouvernement américain qui leur assure l’environnement et les infrastructures (éducation, législation etc.) nécessaires à leur existence et développement, sont aujourd’hui, avec leurs « triple A », mieux notées que lui ! Et quand on regarde les Etats qui ont gardé leur note parfaite, cela tourne à la farce : selon S&P, ceux qui prêtent aux Etats-Unis d’Amérique prennent un risque plus important que les créanciers du Lichtenstein, le Luxembourg, Hong-Kong ou Singapour… Même la note du Koweit, écrasé en 48 heures par l’Irak, n’est inférieure que d’un cran de celle de l’Etat qui l’a secouru.

Moody’s, une autre agence de notation qui, avec S&P, fait la pluie et le beau temps dans ce secteur, s’est d’ailleurs bien gardée de suivre ses confrères de S&P et continue à accorder à la dette des Etats-Unis le « triple A ». En dépit des apparences, les marchés, eux non plus, n’ont pas vraiment suivi S&P car le taux de rémunération des obligations émises par le trésor américain a baissé pour atteindre le seuil de 2,34 %.

La décision de S&P est donc éminemment politique, ce qui est tout à fait légitime. Une agence de notation, au service des prêteurs, est obligée de prendre en compte la dimension politique avant de dire à ses clients quelle chances ils ont de récupérer leur argent s’ils décident de financer tel ou tel gouvernement et en conséquence quel prix (taux d’intérêt) il faut demander pour compenser le risque. Ainsi, on peut en déduire du jugement de S&P qu’ils ne croient pas le système politique américain capable de prendre les décisions nécessaires pour maîtriser la dette. Nécessaires selon qui ? Mais pour qui se prennent-ils ces analystes ? Sauf que ces mesures sont aussi nécessaires pour les élus américains !

Chez S&P, on a bien suivi les négociations sur le plafond de la dette et le consensus qui s’en dégagé : n’importe quel accord devrait comprendre une augmentation d’impôts, au moins sur les hauts revenus. Les leaders Républicains avec à leur tête John Boehner, président de la Chambre des représentants des États-Unis, le savent et les leaders de la communauté des affaires comme Warren Buffet et Bill Gates le disent : les riches américains ne paient pas assez. Sauf que ces mêmes analystes chez S&P jugent en même temps, qu’une telle politique est aujourd’hui impossible à adopter.

Les tractations entre la Maison Blanche et le Congrès ont démontré que le pouvoir ne s’exerce plus sur la colline du Capitole à Washington mais chez les « desperates housewives » du Tea Party. Les négociations les plus âpres et les plus difficiles n’ont pas été engagées entre démocrates et républicains ou entre le président Obama et John Boehner, mais plutôt entre républicains « classiques » et Républicains mouvance Tea Party intransigeants et décidés « à affamer la bête » : diminuer autant que possible les moyens alloués à l’Etat fédéral.

C’est justement parce que Boehner et ses amis se sont montrés impuissants que S&P a tiré le signal d’alarme. La majorité républicaine est aujourd’hui l’otage d’une partie de son électorat qui a instauré une sorte de « démocratie semi-directe » emprisonnant les élus dans une campagne électorale perpétuelle. Ce que nous dit l’agence S&P est que le système fédéral des Etats-Unis est en panne et donc le pire n’est plus inenvisageable.
Voilà qui est grave.

*Avant la campagne présidentielle de 1992, le président républicain sortant George Bush (père) était considéré comme imbattable en raison de son excellent bilan extérieur : de la gestion de la fin de la guerre froide jusqu’à la guerre du golfe, son parcours a été impeccable. Les Etats-Unis traversant une petite période de récession, les Démocrates ont déplacé la campagne sur le terrain économique. Bill Clinton lança alors à son rival malheureux :  » It’s the economy, stupid !  » (c’est l’économie, idiot !) pour expliquer sa victoire.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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