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La faute de l’abbé Onfray


La faute de l’abbé Onfray
Même avec Freud, Michel Onfray règle ses comptes avec la religion.
Même avec Freud, Michel Onfray règle ses comptes avec la religion.
Même avec Freud, Michel Onfray règle ses comptes avec la religion.

On attendait saint Michel terrassant le dragon. C’est la concierge qui est venue, cancanant dans les communs sur la vie dissolue du locataire du 1er. « Ah ! Ce Viennois à la triste barbiche, quel sagouin, ne me racontez pas : si on l’avait laissé faire, il aurait couché avec sa mère, tué son père tellement il le détestait et gamahuché sa petite dernière. Un monstre, je vous dis. »

En consacrant un gros livre (il est des gros livres comme des gros mots) à l’imposture freudienne, Michel Onfray n’y va pas de main morte : la haine qu’il consacrait alors exclusivement aux monothéismes, il la déverse sur le médecin viennois. Dans la Weltanschauung onfrayienne, Freud et Moïse, chargés tous deux de toutes les tares, se partagent désormais la paternité de tous les maux. La psychanalyse est une religion à la rationalité toute déglinguée, nous dit en substance Onfray, et le récit qu’elle fait de la nature humaine nous aliène bien plus qu’il nous libère. Le pire est que les tenants de Freud se comporteraient comme des gardiens du dogme et que le moindre critique serait voué aux gémonies. Qu’importe, Michel Onfray, lui, ose braver l’interdit et y aller franco.

Malheureusement, la philosophie n’a pas attendu Michel Onfray pour se livrer à une critique sans concession de la psychanalyse et de ses présupposés. Karl Popper et Jacques Bouveresse, pour ne citer qu’eux, ont, depuis longtemps, critiqué la rationalité même de la théorie freudienne, lui déniant notamment sa prétention scientifique et la validité des lois psychiques qu’elle entend édicter.

[access capability= »lire_inedits »]Freud, un maître du soupçon

En un peu plus de cent ans, les questions soulevées par Freud n’ont pas simplement été au centre du débat philosophique : elles ont assuré une bonne part de la fécondité de ce dernier. Ricoeur l’a écrit : avec Nietzsche et Marx, Freud demeure l’un des « maîtres du soupçon ». Tous trois remettent en cause la philosophie classique du Sujet. La liberté dont nous nous prévalons n’est qu’une illusion : si nous voulons être libres, nous devons prendre conscience des déterminismes qui agissent en nous. La célèbre formule de Freud résume parfaitement l’entreprise : « Wo Es war, soll Ich werden » (là où le Ça était, le Moi doit advenir).

Aussi paradoxal que cela puisse paraître aux esprits binaires, cette formule contient l’intégralité du programme génétique de la civilisation occidentale, celle dont les sujets se disent avoir été conçus à l’image d’un Dieu disant de lui-même : « Ego sum qui sum. » Surprenante formule à la grammaire bancale (« Ego sum qui est » aurait été plus latin), mais qui irrigue toute l’histoire de la pensée, allant du « Nesquio quid, ego ipse sum » d’Augustin au « Cogito, ergo sum » de Descartes, pour finir entre les bras de Freud. Passionnantes aventures d’un roseau qui essaie de se penser. Même pas besoin d’avoir fait Lacan première langue pour se rendre compte d’une chose : celui qui veut se penser veut avant tout se panser, c’est-à-dire raconter son chagrin pour pouvoir l’endurer.

Lorsque l’on prête un peu d’attention aux textes du corpus freudien, sans y projeter ses propres fantasmes et névroses, on s’aperçoit que la critique est au centre de la démarche de Freud : en permanence, il remet en cause ses présupposés les plus fondamentaux, il alterne études cliniques et théoriques. Il se trompe, l’avoue, recommence, remet le travail sur le métier et met à jour l’appareil psychique, le rôle primordial de l’enfance et la part que joue la sexualité dans l’affirmation de la personnalité de chacun. Freud travaille avec une incommensurable patience : il avance pas à pas, modestement. C’est que tout le monde ne s’appelle pas Michel Onfray, qui peut vous expliquer péremptoirement la marche du monde, la mort de Dieu et la nature humaine en trois coups de cuiller à pot.

Ce qui gêne Onfray, au fond, c’est que Freud instille le soupçon sur le désir humain. Nous ne sommes pas mus simplement par la recherche de notre propre satisfaction, du plaisir ou du bonheur cher aux hédonistes anciens. La compulsion de répétition, chez Freud, nous annonce, au contraire, que nous poursuivons, malgré nous, notre malheur. Qu’on appelle ça le péché originel, le diable ou ses démons n’y change rien : des passions qui ne dépendent pas de nous agissent en nous et notre liberté vaut le travail que nous consacrons à les connaître pour nous en affranchir. Voilà ce qu’on appelle la civilisation occidentale.

La philosophie ravalée au rang du simple commérage

Mais Michel Onfray ne se contente pas de pratiquer la « philosophie » à coups de marteau-piqueur. En publiant ce livre que les lectrices des pages « psy » des magazines s’arracheront pour l’été (autant de parts de marché piquées à André Comte-Sponville), Onfray ravale la philosophie au rang du simple commérage. Sur la foi de ragots colportés par les détracteurs de Freud de son vivant et totalement démentis depuis par les historiens sérieux de la psychanalyse, notre bon Sigismond est accusé de tous les maux : il est antisémite parce qu’il a écrit Moïse et le monothéisme, fasciste tendance admirateur du Duce, donc quasi nazi, incestueux et pédophile. N’en jetez plus, qu’on lui coupe la tête ! En gros, si Freud met au point la psychanalyse, nous dit Onfray, c’est qu’il a des problèmes de slip. Une telle démarche a un nom : le freudisme de pissotière. Héraclite disait qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Michel Onfray vient d’apporter la preuve qu’on peut puiser, à moindres frais, l’encre de ses livres dans la rigole des vespasiennes.

Le livre de trop ? Sans doute. Le livre du moins qui invalide tous les autres. Tant que Michel Onfray s’attaquait aux monothéismes et disait à peu près n’importe quoi sur la théologie et l’Église (on se souviendra qu’il écrivait que Jean Paul II se réjouissait du génocide rwandais…), personne ou presque n’y trouvait rien à redire. Parce que la critique irrationnelle et infondée de l’Église est le pont aux ânes du politiquement correct. Or, en s’attaquant à la psychanalyse, Onfray s’attaque à une discipline dont les tenants et les spécialistes ne sont pas prêts à se laisser impressionner par le Surhomme de la « philosophie » française.[/access]

Mai 2010 · N° 23

Article extrait du Magazine Causeur



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