L’automne à Pékin


L’automne à Pékin

Prosper Giquel

L’ automne à Pékin
Rencontres présidentielles
&
150e anniversaire
de la première université francophone en Chine

Portrait par Václav Brožík en 1879 de Prosper Giquel, avec la tunique dorée impériale & la photographie qui a servi pour le tableau. (Collection particulière).

Le président chinois Xi JinPing「習近平」 avait mentionné au ministre des affaires étrangères Laurent Fabius son grand intérêt pour le Français le plus célèbre en Chine, le Lorientais Prosper Giquel「日意格」(1835–1886) .

Il lui suggéra de découvrir l’oeuvre du marin breton à MaWei「馬尾」, dans la province du FuJian「福建省」, en visitant les musées consacrés au ChuanZheng XueTang「船政學堂」, «l‘Académie navale» adossée à «l’Arsenal de FouTcheou», un chantier naval et une vaste usine qui fut en son temps la plus moderne à l’Est de Suez.

Quelques semaines plus tard, Laurent Fabius est donc revenu en Chine, offrir en personne une réplique du buste offert par le gouvernement impérial chinois à la famille de Giquel, en 1886, lors de son décès.

En fait, nombre d’archives et photographies ayant été détruites pendant la révo. cul., la Chine ne disposait plus de portraits authentiques de Giquel.

Cette copie de son buste fut donc reçue avec gratitude, ainsi que les photos que René Viénet avait achetées il y a une trentaine d’années auparavant au libraire Charles Blackburn, et offertes au Musée de MaWei.

Trois originaux de ce buste par Franceschi furent réalisés en 1886 : le bronze, conservé dans la famille par les héritiers de Giquel, et deux plâtres.

Buste de Prosper Giquel, par Franceschi, offert par le gouvernement impérial chinois – [Musée des Beaux-Arts de Rennes. Photo : Louis Deschamps].

Le frère de Giquel en offrit un au Musée de Rennes où il a été retrouvé dans les caves par René Viénet, l’historien – coté français – de cette histoire oubliée (en France, pas en Chine) qui réédite tous les textes de Giquel et prépare un album sur cet intéressant sujet.

Depuis, ce buste figure dans la base Joconde du ministère de la Culture: c’est celui qui a servi pour la réplique récemment offerte par la France à la Chine. Le second plâtre fut offert à la Société de sauvetage en mer, dont les Giquel étaient des bienfaiteurs. Mais cette société a «égaré» ledit plâtre (pas perdu pour tout le monde puisque vendu à vil prix par un commissaire priseur du Nord de la France / lot 272 du 8 décembre 2008).

Prosper Giquel fut l’un des deux seuls étrangers jamais honorés de la «tunique dorée» (soie jaune d’or, avec une doublure en vison, la plus haute distinction décernée par l’empereur) pour avoir dirigé un régiment franco-chinois défendant les villes du ZheJiang 「浙江」contre l’insurrection monothéiste des TaiPing(s)「太平天國」. Cette tunique est maintenant rangée dans la chambre en meubles laqués de NingBo「寧波」que Giquel avait ramenés de Chine en France.

Mais, surtout, il a été le fondateur, aux cotés de Zuo ZongTang「左宗棠」et de Shen BaoZhen「沈葆楨」de la première université technologique occidentale en Chine, francophone et anglophone, intégrée à un grand chantier naval et à ses multiples ateliers en amont.

C’était à MaWei「馬尾」, en aval de FuZhou「福州」, dans l’estuaire du fleuve Min「閩江」.

Photo panoramique probablement par John Thomson, en 1969, du chantier naval et de l’Académie en cours de construction.

Ce plan en couleurs, de grandes dimensions, de la main de Giquel, a été retrouvé au SHD à Vincennes. Il a été récemment réédité avec ses explications traduites en chinois :「船政學堂與馬尾造船廠全圖」.

Cet ensemble universitaire et industriel est considéré par la Chine comme emblématique du mouvement de modernisation de la Chine 「洋務運動,又稱自強運動、同治維新」sous l’empire mandchou après les «guerres de l’opium». C’est un «lieu de mémoire» où régulièrement les dirigeants chinois viennent exposer leur stratégie navale, en particulier, l’(ex) président Hu JinTao「胡錦濤」pour le 140e anniversaire de l’oeuvre de Giquel en 2006.

Le chantier naval pouvait construire six navires en même temps : quatre cales de lancement étaient perpendiculaires au rivage, et deux autres «en travers», c’est à dire parallèles à la rive.

Photo du YangWu 揚武, le premier navire à vapeur (et à voiles, marins dans les vergues) sorti du chantier naval et la peinture chinoise correspondante. C’est ce navire qui en 1874 effectue les premiers relevés hydrographiques face à TaiNan (Formose) pour dissuader les Japonais d’y intervenir sous prétexte de lutter contre les pirates.

Six douzaines de Français enseignaient, entre 1866 et 1875, dans «l’Académie navale», le ChuanZheng XueTang「船政學堂」, qui comportait une école de génie maritime (où tous les cours étaient donnés en français) et une école d’hydrographie (de conduite des navires, cours donnés en anglais).

Giquel rédigea l’un des premiers dictionnaires français-chinois (avec le diplomate Lemaire) et d’autres textes fort pertinents, en cours de réimpression, ainsi que son journal. A signaler que ce ne sont pas des universitaires français qui furent les premiers à publier sur Giquel, mais un Américain, Steven Leibo.

De cette université sortiront nombre de réformateurs chinois, dont Yan Fu「嚴復」, le premier traducteur de Montesquieu et de John Stuart Mill ; Tcheng Ki-tong「陳季同」 Chen JiTong, auteur de plusieurs best-sellers écrits directement en français publiés à Paris ; et de nombreux autres, dont celui qui traduisit pour la première fois un roman français, la Dame aux camelias, Wang ShouChang「王壽昌」, qui dicta à Lin Shu「林紓」une première mouture qui devint la Traviata en chinois classique CháHuā Nǚ「茶花女」, etc.

Photo par Nadar de Chen JiTong 陳季同

Le (futur) amiral Wei Han 魏瀚 lors de son arrivée en France, en 1877, pour son stage à l’Arsenal de Cherbourg

Pourquoi Giquel est-il oublié en France ?

C’est parce qu’en 1884, sur ordre de Jules Ferry (applaudi par Mgr Freppel, le chef de fille de la droite cléricale de l’assemblée), l’amiral Courbet va détruire cette université laïque qui n’avait rien coûté à la France (entièrement financée par la Chine), et le chantier naval où travaillaient 2500 ouvriers).

Rare asiette à dessert d’époque :

l’amiral Courbet bombardant l’université francophone de MaWei, le 23 août 1885.

Je cite ici les historiens parisiens interviewés en marge du tournage du documentaire de FuJian TV : « le bombardement par la France d’une université francophone et la destruction de la «flotte chinoise» (en fait française, construite par Prosper Giquel, et dirigée par des officiers chinois formés à Cherbourg) sont des évènements (désormais) «politiquement peu corrects», donc balayés sous le tapis par des sorbonnards pas très scrupuleux. La construction et la destruction de cette université ne figurent même pas dans le livre de Muriel Détrie sur l’histoire des relations franco-chinoises …». Fin de citation, dans ce règlement de comptes entre sinologues, que je regarde avec amusement.

C’était la prolongation de la guerre pour la conquête du Tonkin, qui se poursuivra jusqu’à l’occupation du Nord de Formose et de l’archipel des Pescadores ; et qui finira par causer la chute du gouvernement Ferry, critiqué violemment par Clemenceau ; sinon l’amiral Courbet voulait porter la guerre plus au nord et détruire Port-Arthur.

Deux «images d’Epinal» chinoises de la guerre de conquête du Tonkin : Luu Vinh Phoc, en chinois Liu YongFu 「劉永福」 reçoit la tête du Commandant Rivière (qui est bien mort aux mains des Pavillons noirs「黑旗軍」 à Hanoi ). Mort de l’amiral Courbet, qui en fait n’est pas décédé au Tonkin mais à Formose, aux Pescadores 「澎湖列島」.

Pour la Chine, Giquel est un «excellent sujet bilatéral», qui autorise en fonction des aléas des relations commerciales des échanges de toasts chaleureux et de félicitations (à propos de Giquel) ; et à d’autres moments de «froncer le sourcil» : « 25 années après avoir pillé et incendié – avec les Britanniques – le Palais d’été 「圓明園」de l’empereur de Chine, construit par les jésuites dans la banlieue de Pékin, vous avez détruit la première université de type occidental en Chine, construite par votre admirable compatriote Giquel ».

Je résume ici, trop sommairement, un long article paru dans le Bulletin de la société de géographie de Paris, en 2007. Mais des livres sont en préparation et, j’espère, un film qui reprendra, sous une autre forme, les documents que j’ai aidé la TV du FuJian à filmer en France avec Du LiYan.

Cf. ci-après les photos du tournage chez les descendants de Prosper Giquel, à la BNF et dans les salons historiques du Château de Vincennes (la «Chambre de la la reine» et le «Salon de Mazarin»). Le DVD chinois n’est pas inintéressant par ses reconstitutions avec comédiens mêlées aux tournages d’archives, mais pour une Taiwanaise, travaillant en France, le sujet mérite une relation moins «patriotique» et plus sobre dans le goût occidental.

J’ai réalisé les prises de vues qui illustrent la présente tranche de blog, et des centaines d’autres, dans les deux branches de la famille (sympathiques et accueillantes) de Prosper Giquel et dans les «Archives de la Défense» (le SHD) au Château de Vincennes ; mais aussi à la BNF, à la Société de géographie, etc. C’est le moment d’écrire que la responsable des relations extérieures du SHD, Véronique de Touchet, est très efficace et très adorable. Ce fut lorsque, avec DU LiYan 「杜立言」, j’ai servi de guide à une équipe de FuJian TV. Ses techniciens préparaient, avec CCTV, ce long documentaire de plusieurs heures sur Giquel, avec les encouragements du Président chinois, qui fut en poste au FuJian pendant une quinzaine d’années, et qui connaît donc très bien Prosper Giquel et les musées qui lui sont consacrés à MaWei.

En 2016 on célébrera le 150e anniversaire de l’Académie navale francophone de MaWei, le ChuanZheng XueTang. On peut penser que les deux présidents Hollande et Xi JingPing 「習近平」, qui doivent se rencontrer les 2 et 3 novembre 2015, à Pékin, conviendront d’honorer, comme il se doit, Prosper Giquel par une exposition commémorative. L’automne, c’est la saison qui est la plus belle en Chine du Nord, en particulier pour prendre de bonnes décisions : Boris Vian le savait, puisqu’il en a fait le titre d’un livre (qui bien sûr ne se passe ni à Pékin, ni en automne). Cette saison devrait être favorable à des décisions présidentielles stimulantes pour les historiens.

Une telle exposition serait facile à organiser au Musée de l’Armée, aux Invalides, avec le grand nombre de documents, préservés au SHD dans le Château de Vincennes et chez les descendants de Prosper Giquel, déjà photographiés et bien répertoriés. La Chine est d’autant plus intéressée à un tel projet qu’elle n’a plus d’archives, depuis la révo.cul., sur ce sujet qu’elle considère important (les gardes rouges de Mme Mao ayant volatilisé toute la documentation historique sur le sujet).

Le DVD de CCTV & FuJian TV, pour la partie historique tournée en France, et pour la reconstitution avec comédiens tourné en Chine, est très «à la chinoise». Tout en assurant sa programmation dans le cadre d’une telle exposition, il serait sans doute opportun de produire un documentaire «à la française» qui replace bien Prosper Giquel dans le cadre historique qui fut le sien.

Comme mes lecteurs l’auront compris, j’aime bien les photos dans les blogs, puisque je suis photographe, et j’en donne pas mal cette fois-ci. Mais j’aimerais plus encore y insérer des vidéos.

A suivre, donc.

Les descendants de Prosper Giquel, avec l’amiral de Contenson, ancien directeur des Archives de la Défense, et descendant du Capitaine de Contenson qui rédigea le premier rapport (élogieux) sur «l’Arsenal de FouTcheou» et son fondateur, Prosper Giquel.

Cette photo (1869) du temple de MaZu surplombant le site de MaWei est précieuse car ce temple qui avait survecu aux bombardements de l’amiral Courbet (et à ceux, après 1937, de l’armée japonaise) fut détruit par les gardes rouges pendant la révo.cul. Reconstruit récemment, c’est cette photo (conservée par les descendants de Giquel) qui a permis de rectifier la restauration, en particulier la ligne de la toiture.

Prosper Giquel (dont l’épouse est décédée en couches à MaWei) et sa fille

 

Le recto et le verso du coffret de 6 DVDs consacré, par CCTV et FuJian TV, à Prosper Giquel et à son oeuvre, en partie tournés en France, dans la famille, au SHD, etc.

*Photo : Vera Su.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Le Yémen, victime de l’amitié franco-saoudienne?
Article suivant Alain Finkielkraut, le guetteur mélancolique
est une photographe taïwanaise installée en France.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération