Xavier Lemoine : «Apartheid? Un mensonge!»


Xavier Lemoine : «Apartheid? Un mensonge!»

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Causeur. Montfermeil, la ville dont vous êtes le maire depuis 2002, mais où vous travaillez depuis 1987, a accédé à la gloire médiatique lors des émeutes de 2005 en même temps que Clichy-sous-Bois, commune limitrophe alors gérée par le socialiste Claude Dilain. Mais, tandis que celui-ci était sacré par la presse comme un maire humaniste, vous y avez conquis la réputation d’un homme de « droite dure », et certains vous soupçonnent de nourrir une hostilité de principe envers l’islam. Est-ce le cas ?

Xavier Lemoine. C’est ridicule ! Je travaille depuis près de trente ans dans une ville où coexistent quarante nationalités, arrivées avec les vagues migratoires successives qui, à Montfermeil et dans l’ensemble de la Seine-Saint-Denis, sont massivement issues de pays musulmans – d’abord du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, puis, à partir des années 1990, de Turquie et, aujourd’hui, du Pakistan et du Sri Lanka. Et, avant de m’établir à Montfermeil, j’avais passé dix ans à naviguer au sein de la marine marchande, ce qui m’avait donné l’occasion d’observer in situ la vie économique et politique d’un certain nombre de pays musulmans. Alors, non seulement je n’ai pas d’hostilité à l’égard de la culture musulmane, mais elle m’est assez familière. Ce qui me distingue de Claude Dilain et, aujourd’hui, d’Olivier Klein, qui lui a succédé en 2014 à la mairie de Clichy-sous-Bois, c’est précisément que j’attache une grande importance aux facteurs culturels. Pour moi, l’enjeu prioritaire dans nos quartiers n’est ni social, ni économique, ni urbain, en dépit de tous les dysfonctionnements, bien réels, existant dans ces domaines, il est culturel. On pourra continuer à déverser des milliards, on ne réglera pas le problème.[access capability= »lire_inedits »]

Vous voyez bien que le problème, pour vous, c’est l’islam !

Je veux tout d’abord préciser que, quand je parle de l’islam, je fais référence à un système politico-religieux traversé par différents courants, pas aux hommes et aux femmes de culture ou de confession musulmane, qui jouissent à titre personnel comme tout un chacun de la liberté de croire et de pratiquer leur religion. Cela étant, le problème n’est pas l’islam, mais la façon dont nous avons géré et organisé son accueil en France. Au lieu d’imposer des règles, on s’est contenté de la célébration tonitruante – quoiqu’un peu moins depuis quelques semaines, je vous l’accorde – du multiculturalisme et du droit à la différence, ce qui a installé dans les esprits un relativisme absolu où tout se vaut et s’équivaut.

D’accord, mais la vie n’est pas faite de « ismes ». En quoi les bons sentiments affichés par les médias ont-ils affecté la réalité ?

Ils ne l’ont pas changée, ils l’ont occultée. Résultat, nous n’avons pas pris la mesure des basculements culturels et démographiques en cours, sans précédents dans l’histoire de France.
Ce droit exacerbé à la différence, qui a entraîné ce relativisme absolu, a été l’outil principal de notre paralysie intellectuelle face à des modes de vie, des cultures, des comportements qui ont redessiné nos métropoles et nos villes sur des critères non plus socio-économiques mais de plus en plus socioculturels. C’est ainsi que se sont formés bon nombre de ghettos. De surcroît, tous les travaux des démographes qui ont voulu quantifier ces phénomènes ont été censurés. Seule une Michèle Tribalat, avec beaucoup de courage, a pu faire ce travail, travail conforté par les travaux d’Hugues Lagrange.

La proportion des mariages mixtes est l’objet d’insondables controverses entre démographes. Qu’en est-il à Montfermeil ?

Sur les 50 ou 60 mariages que nous célébrons chaque année, très peu sont exogamiques. Quand on ne trouve pas son conjoint sur place, à l’intérieur de sa communauté, on va le chercher dans son pays d’origine.

N’avez-vous pas vous-même encouragé l’affichage des communautés et des origines, par exemple en lançant, après les émeutes de 2005, un défilé annuel « Cultures et création » ?

Les communautés d’origine sont une réalité, un élu doit faire avec. Les émeutes de 2005 avaient laissé une ville fracassée, divisée par de très fortes oppositions entre quartiers. Il fallait rassembler tout le monde – et pour ce faire, qu’on le veuille ou non, passer par les communautés. D’où une manifestation en deux temps : d’abord un défilé en habits traditionnels où chaque groupe montre ce qu’il a de plus beau, ensuite une création originale sur une idée commune. Il serait absurde de nier les histoires particulières : tout le monde a une origine, une histoire, des ascendants, et doit pouvoir être reconnu dans cette partie-là de sa personnalité. Mais jusqu’à une certaine limite. Dès lors qu’ils vivent en France, que leurs enfants et petits-enfants vivent en France et que, pour une grande part, ils sont ou deviennent français, ils doivent s’approprier notre culture française.

Donc, il y a une culture hégémonique à laquelle doivent s’adapter les étrangers. Pouvez-vous en définir les principaux traits constitutifs, les options fondamentales qui ne sont pas négociables ? Et jusqu’à quel point peut-on imposer une norme culturelle ?

Tout d’abord, la culture ne tombe pas de nulle part, elle est toujours l’expression profane d’un culte, le produit laïque de la religion majoritaire historiquement. La culture occidentale a, pour une part considérable, été façonnée par le christianisme. L’égale dignité entre l’homme et la femme est inscrite dans la Bible – « homme et femme il les créa » –, de même que le statut inférieur de la femme est inscrit dans les textes de l’islam.

On a mis pas mal de temps à trouver ça dans la Bible, non ? Mais n’entrons pas dans une querelle théologique. Concrètement, quelles exigences devrions-nous poser ? Et comment justifier que des exigences particulières soient imposées à certains citoyens français ?

Elles le sont à tous. Nous devons dire clairement que, sur le plan des principes, des mœurs, des comportements, toutes les options ne se valent pas. Je ne parle évidemment pas de boubous ou de couscous. La cravate a été apportée par les Croates dans les années 1870 et je ne crois pas que cela ait menacé la culture occidentale. Mais tout n’est pas négociable, surtout pas les fondamentaux, ce qui constitue le cœur de la culture occidentale. En plus de l’égale dignité entre l’homme et la femme que j’ai évoquée, je mentionnerai la laïcité comprise comme la distinction entre l’ordre spirituel et l’ordre temporel, et non la séparation, qui est une forme d’athéisme déguisé et, bien sûr, la liberté de conscience, non dans une vision d’insouciance vis-à-vis du spirituel mais de la liberté dans la recherche de la vérité. Si on est d’accord là-dessus, peu m’importe qu’on prie à l’église, à la mosquée, à la synagogue ou pas du tout, qu’on chante avec des youyous ou du rap, qu’on mange du couscous ou du cassoulet. Au contraire, dès lors qu’on s’accorde sur le même cadre intellectuel, on l’enrichit en intégrant des expressions diverses et des apports extérieurs.

Du reste, vous avez, en collaboration avec Claude Dilain, soutenu l’installation d’une mosquée dans un territoire commun à vos deux villes. Cela vous permet-il d’exercer un contrôle sur ce qui s’y dit ou fait ?

Si on croit à la liberté de conscience, on ne peut pas s’opposer à la liberté de culte. Pour autant, celle-ci n’est pas un absolu, elle doit être assujettie au respect de l’ordre public, et c’est là que la discussion se complique, car il faut le définir, cet ordre public. Pour moi, il suppose l’acceptation des fondements du vivre ensemble de notre société, que j’ai brièvement recensés. Dès lors que ce cadre est respecté, la pratique d’un culte, quel qu’il soit, doit pouvoir se faire dignement.

Reste à savoir comment réaliser votre harmonieux programme de transmission de notre culture contre le gré d’une partie des intéressés. En somme, il y a deux méthodes, la compassion ou la fermeté, l’apologie gentillette de la diversité ou la force de fer de la loi. Quelle est la vôtre ?

Un élu local n’a pas le choix, il lui faut évidemment user des deux. Encore une fois, un maire est obligé de composer avec la réalité concrète, telle qu’elle résulte de tous les choix ou dysfonctionnements politiques faits en amont. Nous sommes en bout de chaîne, avec un double devoir, celui de dénoncer avec vigueur tous ces funestes dysfonctionnements ou aveuglements, voire trahisons, mais également celui de prendre cette réalité locale, humaine, à bras-le-corps et de donner le meilleur de ce que nous avons à donner. Je dois respecter cette réalité et, en même temps, mon rôle est de guider les habitants, en particulier les primo-arrivants, vers ce qui fait la réalité culturelle et sociologique de notre pays. C’est pourquoi, par exemple, les cours de français sont une priorité. Nous avons en ce moment 90 mères qui les suivent et 140 autres en attente. L’objet est de leur apprendre la langue, mais aussi de leur faire comprendre les us et coutumes, les codes culturels, la laïcité, l’égale dignité entre l’homme et la femme, la liberté de conscience…

Eh bien, à en juger par certaines réactions après les attentats, ce n’est pas gagné !

On peut œuvrer dans ce qu’on estime être la bonne direction, sans pour autant se bercer d’illusions. Et ce que j’entends et vois tous les jours m’avait fait perdre les miennes, même avant les attentats de janvier. Il y a peu, une mère de famille de Montfermeil, musulmane pratiquante appartenant à la classe moyenne, m’a dit avec un grand sourire : « Monsieur le Maire, comprenez bien, nous vivons un moment eschatologique. Le rétablissement du califat annonce pour nous le retour du Mahdi, et chaque musulman a le devoir d’y contribuer quel que soit l’endroit où il se trouve ! » Et elle n’est pas la seule, loin s’en faut, à penser de la sorte. Et aucune politique ne peut empêcher la propagation de cet état d’esprit. Quel que soit le lieu d’accueil des familles primo-arrivantes, le tissu associatif, les réseaux sociaux, le satellite, l’Internet permettent de vivre en quasi-autarcie culturelle. Pour encourager la mixité, il aurait fallu agir il y a vingt ans. Aujourd’hui, c’est trop tard.

Trop tard ? Faut-il alors se résigner à vivre dans un pays fragmenté en communautés ?

Il est certain que nous sommes à ce jour face à un défi que jamais encore notre pays n’avait connu et qu’à vue humaine la situation peut paraître totalement compromise. Pour autant, l’histoire de France est faite d’immenses tragédies et de sublimes résurrections. C’est donc là, pour vous répondre, qu’intervient la vertu d’espérance. La France a dans son bagage intellectuel, culturel et spirituel les clés du dénouement.

Les maires de banlieue sont en première ligne pour défendre la laïcité et la règle républicaine, mais ils se plaignent souvent d’être abandonnés par l’État. Est-ce votre sentiment ?

Non. Peut-être est-ce dû au fait que Montfermeil est une ville emblématique, en tout cas, à quelques rares exceptions près, j’ai pu faire accepter et financer partiellement par l’État mes trois priorités : l’apprentissage du français, l’aide à la parentalité – les critères d’une bonne éducation dans le pays d’origine pouvant produire des catastrophes chez nous – et la découverte des grandes œuvres culturelles françaises. Tous nos habitants, de la maternelle jusqu’aux seniors, peuvent découvrir Versailles, le Louvre, Orsay, au cours de visites encadrées.

N’empêche, quand on vous écoute, on dirait qu’on a perdu le contrôle sans le vouloir et sans même le savoir. Concrètement, pouvez-vous décrire la situation de votre ville, en termes migratoires ? Quelle proportion des habitants ne possède pas la nationalité française ? Les « Français de souche » sont-ils concentrés dans certains quartiers ?

Pour donner la mesure des enjeux, prenons comme exemple le département de la Seine-Saint-Denis, sachant qu’une ville comme Montfermeil est structurée de la même manière. Notre département compte 1,5 million d’habitants recensés et passe sous silence les 200 000 clandestins estimés. Ce million et demi d’habitants se décompose ainsi : 500 000 personnes étrangères, titulaires d’une carte de séjour ; 500 000 personnes françaises d’origine étrangère très enracinées dans leur culture d’origine – ce chiffre est notamment dû à l’effet mécanique du droit du sol et des naturalisations ; 500 000 personnes françaises dites « de souche », par ailleurs plutôt vieillissantes et enclines au déménagement. De plus, si vous prenez les taux de natalité, celui des deux premiers tiers est quasiment le double de celui du troisième tiers. C’est donc une véritable bascule démographique et culturelle à laquelle nous assistons. Bien évidemment, la vie sociale de tous les jours est bien plus complexe et subtile que la vision statistique.

Le devoir d’accueil d’un maire est-il illimité ?

Non, le devoir d’accueil d’un maire n’est pas illimité, il est subordonné à la charge du bien commun, dont nous sommes dépositaires, et cela passe par la préservation d’équilibres sociaux facteurs de paix civile. Nous en sommes bien loin. Si la France avait voulu garder la maîtrise de ses frontières, c’est aux maires qu’elle aurait dû les confier.

Chaque année, il faut en outre accueillir des primo-arrivants. La rotation de la population s’est-elle accélérée, créant des quartiers condamnés à n’être que des sas de transition ?

C’était le cas jusqu’au renouvellement urbain initié par la loi Borloo de 2003. Il y avait beaucoup de copropriétés en faillite de plus en plus délabrées, livrées aux marchands de sommeil et condamnées à un turnover permanent. La loi Borloo a permis de transformer ces copropriétés en logements sociaux, après avoir au passage épongé la dette des propriétaires qui étaient devenus insolvables. Prenons l’exemple du quartier des Bosquets, qui comptait environ 9 000 habitants pour 1 500 logements. Tant qu’il s’agissait de locatif, le taux moyen d’occupation des logements était de 6 personnes par logement contre une moyenne régionale de 2,35 et, en l’espace d’un mandat, on renouvelait la totalité de la population : 9 000 personnes en six ans ! Depuis le plan Borloo, le turnover de la population est très faible, à peine 2 %. La population du quartier est fixée, ce qui permet au moins d’inscrire dans la durée les politiques sociales d’accompagnement. Il faut dire qu’en plus l’ouverture, dans la foulée des émeutes, d’un nouveau commissariat pour Montfermeil et Clichy-sous-Bois a permis de ramener la délinquance à un niveau raisonnable. Aujourd’hui, le quartier des Bosquets ne pose pas de problème aigu.

On peut donc reconquérir les « territoires perdus » ? Enfin, une bonne nouvelle !

La véritable reconquête, ce serait celle des esprits. Si la rénovation urbaine, en redonnant dignité et fierté à nos habitants, est un préalable indispensable, le véritable enjeu reste culturel. Par ailleurs, si la loi Borloo et des agences comme l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine) et l’ANAH (Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat) ont permis aux pouvoirs publics de reprendre pied dans les quartiers d’habitat collectif, dans les centres-villes anciens, c’est en mobilisant d’importants moyens financiers.
À Montfermeil, nous avons mobilisé 18 millions d’euros pour faire jouer notre droit de préemption et acheter des biens qui, sinon, seraient tombés entre les mains des marchands de sommeil. Seulement, maintenant qu’ils ont été chassés des cités et que les centres-villes sont sous contrôle, ces derniers s’attaquent au pavillonnaire. Ils achètent des pavillons et les divisent en micro-appartements afin d’y entasser le plus grand nombre de familles possible. Certains travaillent pour des filières organisées par pays d’origine – égyptiennes, pakistanaises, etc. À Montfermeil, comme ailleurs, c’est désormais dans ces zones pavillonnaires que des primo-arrivants sont logés dans des conditions indignes. J’en suis sûr, c’est là que se trouvent les futurs territoires de la politique de la ville.

Jusqu’au début des années 2000, ces quartiers que l’on disait « résidentiels » étaient le refuge de la petite classe moyenne qui échappait aux tours et aux cités. L’arrivée des marchands de sommeil et des populations les plus précaires risque d’entraîner une dégradation de l’habitat et une chute des prix de l’immobilier qui feront fuir les familles les plus aisées. Ce scénario est malheureusement banal, mais à Montfermeil, nous sommes attentifs à ce danger depuis longtemps et nous avons pris les mesures qu’il fallait. Le résultat, c’est que la population de ces zones fait confiance à la municipalité et qu’elle ne part pas.

Venons-en à la question de la radicalisation. Est-elle liée d’une quelconque façon aux problématiques urbaines ? Peut-on repérer des éléments qui constituent un terreau favorable ?

Le djihadisme n’est certes pas un phénomène hors-sol, mais à mon sens il relève plutôt de logiques individuelles. Au départ, il y a souvent une personnalité qui jouit d’une certaine crédibilité auprès des jeunes et peut les influencer, parfois jusqu’au passage à l’acte. En revanche, je récuse la lecture misérabiliste qui impute les dérives à l’alibi « chômage-famille éclatée-échec scolaire ». En acceptant et en légitimant cette rhétorique de l’excuse, nos politiques se montrent au mieux ignorants des ressorts fondamentaux de l’islam, au pire complaisants à leur endroit. Aveuglés par le primat que nous donnons à la raison, nous sommes aveugles aux dynamiques psychologiques. Quand on vous a toujours dit que la communauté musulmane était la meilleure, quand on vous a inculqué, à longueur de prières, de prêches, de lectures, que les autres, les chrétiens et les juifs, pouvaient être assujettis à un statut inférieur, voire, pour les fanatiques, qu’il était bon de les tuer, quand on vous a appris que les mécréants avaient le choix entre la conversion et la mort, vous avez beaucoup de chances de nourrir une vision binaire du monde, de la société, des rapports humains : d’un côté les purs, qui connaissent la vérité, de l’autre les infidèles, les athées, les adorateurs du mensonge. Dans ce partage manichéen, qui n’est pas avec moi est contre moi.

Ce sécessionnisme n’est-il pas pour une part réactif ? Vous avez évoqué la « préférence pour la différence », que les élites ont imposée au peuple. Cela n’a-t-il pas suscité en retour une montée du racisme dans la société française, qui a elle-même nourri le séparatisme ?

Non, je refuse cette grille de lecture. Face aux réclamations du droit à la différence, la réponse des Français n’est pas le racisme, mais l’exigence du droit à l’indifférence, ce qui signifie la possibilité pour chaque individu de mener la vie qui lui plaît, à condition de respecter la loi commune. Le problème, c’est que, dans l’islam, la liberté et la responsabilité individuelles ont peu de poids face au contrôle de la communauté – c’est le « nous » qui prédomine, et ce « nous » finit souvent par désigner comme « eux » les étrangers au groupe – « les Français », comme disent nombre de jeunes Français.

Ce poids du groupe, à quoi le voyez-vous ?

Par exemple à la manière dont on me dit bonjour, qui varie selon que la personne se trouve dans le quartier ou pas, sous l’œil de la communauté ou pas. Dans le quartier, on me salue plus discrètement, peut-être parce qu’on n’a pas envie de passer pour une balance. Loin des regards, c’est plus chaleureux. De même, combien de femmes adoptent des tenues vestimentaires qui ne doivent rien à leur liberté et à leur décision, mais à la pression incessante de l’entourage, à laquelle elles se conforment pour avoir la paix… Voilà pour les exemples les plus innoncents.

Il est paradoxal d’observer cette prévalence du groupe sur l’individu et d’imputer les processus qui mènent au djihadisme à des dérives personnelles. Est-il possible que la radicalisation vienne de la défaillance de communautés qui ne joueraient plus leur rôle structurant ?

On peut évidemment être très religieux, et même fondamentaliste, sans basculer dans la violence, mais l’inverse est aussi possible. L’extrême piété et la contrainte sociale qui l’accompagne peuvent aller de pair avec la radicalisation. Les jeunes djihadistes de Lunel provenaient de la même mosquée et de la même communauté. Et, de ce que j’ai pu en lire, les membres de cette communauté interrogés par les médias se sont contentés d’une condamnation assez molle. Les jeunes qui sont partis ont pu avoir l’impression qu’ils étaient encouragés ou, au minimum, qu’ils n’étaient pas clairement découragés.

Que faudrait-il faire pour construire cet « islam de France » que chacun appelle de ses vœux ?

Faute de clergé, de doctrine, donc d’intermédiaires légitimes pour dire ce qu’il convient de comprendre, de croire ou de ne pas croire, pour moi, l’islam de France est un leurre. Aussi la République devrait-elle se contenter de fixer les règles. Certes on aimerait que nos gouvernants s’adressent aux musulmans à la manière dont Napoléon s’est adressé à la communauté juive. Mais, aujourd’hui, personne n’ose parler comme ça à quiconque. Dommage, car cela a été bénéfique pour tout le monde. En attendant, les récents événements imposent peut-être des mises au point un peu brutales. Reste à savoir si elles viendront.

Après les attentats, on a commencé à s’interroger sur le rôle des associations. Dans notre dernier numéro, nous avons publié un reportage montrant le rôle ambigu joué par certaines qui, si elles ne contribuent pas directement à l’endoctrinement des jeunes, diffusent « une vision halal du monde » qui favorise le séparatisme. Que vous inspire votre expérience à ce sujet ?

Je distinguerai trois cas de figure. En premier lieu, certaines associations ont établi un rapport de force avec les politiques et sont devenues les points de passage obligés entre les pouvoirs publics au sens large et les populations visées par les politiques publiques. Même si ce n’est pas le style de la maison, je ne saurais prétendre que cette logique des grands frères, très dangereuse par sa philosophie, est totalement absente de Montfermeil. Ensuite, il y a une deuxième catégorie d’associations qui interviennent dans des domaines précis avec des objectifs définis avec les pouvoirs publics. L’ennui, c’est que, compte tenu des moyens mobilisés, elles ont tout intérêt à ce que la situation ne s’améliore pas, car cela signerait leur mort. Enfin, il y a les associations qui répondent à un appel à projet lancé par la commune et qu’on sélectionne en fonction de leur conformité au cahier des charges. Dans ce cas, le recours à une association permet d’avoir une certaine souplesse dans le fonctionnement. Reste que, dès qu’il s’agit de sujets sensibles, je préfère maîtriser toute la chaîne de l’action publique, donc éviter de faire trop appel aux associations.

Le Premier ministre a employé le terme « apartheid » pour qualifier la situation de nos banlieues. Qu’en avez-vous pensé ?

C’est une faute. L’apartheid est une situation dans laquelle il y a un bourreau et une victime. Employer ce terme, c’est accréditer l’idée que le Français, après avoir été colonialiste, pétainiste, collaborationniste, est toujours raciste – comme s’il s’agissait d’un caractère génétique. Aussi sa victime ne peut-elle demander qu’une chose : réparation. Une victime ne se demande pas si elle a une part de responsabilité – je dis bien « une part » – dans ce qui lui arrive. De plus, ce mensonge historique exonère tous ceux qui nous ont mis dans la situation dramatique où nous sommes. Il serait temps qu’ils assument leurs responsabilités.[/access]

Mars 2015 #22

Article extrait du Magazine Causeur



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