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Vos petits font des sous


Prière de ne pas glousser. Le Figaro nous annonce, sous la plume de Delphine de Mallevoüe, que « les banques vont apprendre l’argent aux petits ».

De mon temps, on leur apprenait la politesse ou, quand ils se faisaient encore dessous, la propreté : « Dis merci à la dame… Mets pas les doigts dans ton nez… N’insulte pas ta mère, fils de pute… » Ce n’est pas que nos enfants soient devenus à un tel point malpropres et malpolis que nous rechignons à la tâche. Non, nous leur apprenons le fric parce que nous n’avons plus rien d’autre à leur apprendre ni à leur transmettre. La crise, la vraie, est là.

C’est une crise morale ou, comme dirait l’autre, un malaise dans la civilisation. C’est aussi une crise financière et économique. La financiarisation à outrance des économies réelles a abouti, en 2008, à la crise des subprimes, mais également aux crises qui ont suivi jusqu’à leurs dernières manifestations grecques et italiennes. Pendant des années, on a voulu « apprendre l’argent » aux Etats et aux économies réelles. On en voit le résultat. On en touche les dividendes.

Lorsque la finance est aussi manifestement déconnectée des réalités économiques, c’est-à-dire lorsque le banquier se tient aussi loin de l’usine qu’il s’est tenu au cours des dernières décennies, on finit par l’effondrement conjoint de la finance et de l’économie.

Il en va de même pour l’euro. Ce n’est pas l’impéritie chronique du gouvernement grec ou l’incapacité de Silvio Berlusconi à conduire à terme les réformes pour lesquelles il avait été élu qui ont menacé l’euro d’une quelconque façon. L’euro était, dès l’origine, la pire menace contre lui-même. Seul prix Nobel français d’économie, Maurice Allais passait pour le pire des gagas lorsqu’au tout début des années 1990 il promettait la zone euro à une crise financière systémique. Pourquoi ? Parce que, expliquait-il, la viabilité d’une monnaie ne vient pas de la position dominante et passagère qu’elle peut acquérir sur les marchés internationaux, mais de sa connexion avec la réalité de la zone économique qu’elle dessert. Or, c’est bien la disparité des situations et des politiques économiques conduites dans chaque Etat de l’Union européenne qui a fragilisé l’euro.

Enfin, tout cela n’est pas très important, puisque, comme l’écrivait François Ier à sa mère après la sévère branlée de Pavie : « Tout est perdu fors l’honneur. » Et l’honneur, en France, cela consiste à « apprendre l’argent aux petits ».

Qui sont ces petits visés par les banques ? Les 6-10 ans, nous dit-on. Vu que pour les gamins de 12 ans, on leur offre déjà des cartes de paiement et de retrait rechargeables sur Internet, on ne pouvait plus rien faire pour eux. Donc, les 6-10 ans, on va leur apprendre l’argent.

Je n’aurais rien trouvé à redire si on avait voulu leur faire apprendre L’Argent, texte que Péguy écrit en 1913. Encore que : franchement, c’est pas de leur âge. Le texte de Péguy est magnifique, mais un brin réac, anti-moderne, comme on dit, mais contre une modernité qui se renie elle-même en plaçant des valeurs supérieures au sujet pensant. Et puis, quand tu as 6 ou 10 ans, tu ne penses pas à ça. Voilà ce qui te fait une journée heureuse quand tu as cet âge : tirer les cheveux de ta soeur, arracher leurs pattes aux sauterelles, couper la queue des lézards pour voir si ça repousse, couper les cheveux de ta soeur – ils repoussent, mais, elle, elle gueule, pas le lézard.

« Apprendre l’argent aux petits » ? C’est la dernière trouvaille à la mode. Elle porte à elle seule tout l’esprit de l’époque. Une époque vouée au fric. Et qui, croyez-vous, a trouvé cette magnifique idée d’« apprendre l’argent aux petits » ? Je vous le donne en mille (enfin, non, pas en mille, ils seraient capables de me prélever des agios) : la Société générale ! La banque de Jérôme Kerviel, celle-là même dont l’action a perdu 61 % sur l’année 2008 et qui a bénéficié d’un emprunt d’Etat d’1,7 milliard d’euros. Vraiment, si nous vivions encore dans un monde de politesse et de propreté, la Société générale ne devrait-elle pas commencer par le début : apprendre la banque à elle-même ?



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