Accueil Édition Abonné Décembre 2021 Récession made in China

Récession made in China

La Chine ne règnera pas sur le monde


Récession made in China
© Soleil

L’empire du Milieu est au bord d’une crise économique majeure pour cause de ralentissement simultané des différents moteurs de sa croissance. Le régime est en mesure d’éviter le pire, mais il est trop dépendant des économies occidentales fatiguées.


Voilà quarante-trois ans que la croissance chinoise se poursuit sans désemparer, cas unique dans l’histoire d’une économie passée sans encombre de la phase de décollage à la phase de consolidation, puis à celle de la maturité.

Alors que les économies anciennement développées – Angleterre, États-Unis, Allemagne, France – se sont élancées à partir de leur marché intérieur, en s’appuyant sur les entreprises locales, la Chine a fait le choix, avec la bénédiction des Occidentaux, de viser les marchés extérieurs en mobilisant les capitaux et le savoir-faire étrangers. Elle a d’emblée bénéficié d’un écart inouï entre le coût du travail et la productivité. Elle a aussi pu s’approprier la demande déjà existante sur les autres continents, sans avoir à mener une politique de soutien de sa demande interne qui s’est accrue mécaniquement du fait de la multiplication des emplois et des revenus.

Tout le secteur immobilier chinois peut être considéré en état de faillite déclarée ou non déclarée

La Chine a heurté l’iceberg de l’immobilier

Le doute qui est apparu après la crise financière de 2008 a été balayé. Certains, en Occident, ont pu diagnostiquer l’origine de cette crise dans la déflation salariale, corollaire d’un libre-échange par trop favorable à la Chine. Le système s’est néanmoins maintenu sous la sainte garde de l’OMC, du FMI et des bourses mondiales, avec l’appui inconditionnel des banques centrales. Et la Chine est devenue l’atelier du monde tandis que les industries américaines, anglaises et françaises se sont affaissées. Les déficits commerciaux qui en ont découlé sont traités par le mépris, alors que celui des États-Unis, qui dépasse les 800 milliards de dollars annuels, s’accroît trimestre après trimestre.

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Mais, tandis que la Chine s’est installée en superpuissance industrielle, ses dirigeants ont fait le choix d’ajouter un deuxième moteur à la croissance : le secteur du bâtiment et des travaux publics. Avec des raisons imparables au premier abord : la nécessité de loger confortablement la masse des travailleurs des campagnes venus s’installer dans les villes pour occuper les emplois nouveaux et le besoin d’infrastructures modernes exacerbé par un développement explosif. La Chine s’est couverte d’autoroutes, de lignes à grande vitesse, de ports et d’aéroports ultramodernes, alors que les Européens et les Américains, prisonniers des dogmes d’austérité imposés par les marchés, ont laissé vieillir leurs propres infrastructures.

Il semble cependant qu’un vent d’euphorie trompeuse a soufflé sur les dirigeants chinois. Alors que les besoins en logements ont été largement pourvus, les promoteurs immobiliers ont projeté une croissance ininterrompue au même rythme qu’auparavant. Ils ont usé et abusé de l’effet de levier de la dette, tant en dollars qu’en monnaie locale. C’est ainsi que le secteur immobilier représente aujourd’hui plus du quart du PIB, une situation comparable à celle de l’Irlande au moment de sa faillite en 2011 !

Panique à bord

Les médias économiques lâchent désormais les noms de ces mégaentreprises de l’immobilier – Evergrande, Fantasia, Kaisa, Sinic – dont la dette n’est plus remboursable, sauf si de l’argent frais est injecté dans leurs comptes. Tout le secteur immobilier chinois peut être considéré en état de faillite déclarée ou non déclarée. Reste à savoir comment ce secteur sinistré pourrait être remis à flot. Certes, l’État, qui n’a pas de dette, a les moyens de la restructuration nécessaire. Mais les dirigeants chinois hésitent. Venir au secours des mammouths du secteur serait en contradiction avec le slogan officiel de la « prospérité partagée » entre les différents acteurs.

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Or, chacun le sait, les marchés financiers, une fois ébranlés, peuvent être saisis de panique. À la mi-octobre, les taux sur les emprunts des sociétés chinoises cotées se sont tendus violemment, comme si ces sociétés étaient considérées en faillite virtuelle. Les CDS, primes d’assurance sur les prêts consentis, ont connu une même évolution. La Chine subit, en ce début d’hiver 2021, un épisode de peur financière comparable à celui qui a débouché sur la faillite de Lehman Brothers. L’hypothèse d’une intervention en catastrophe du gouvernement chinois se renforce donc.

Nonobstant les évolutions propres aux marchés du crédit, l’économie chinoise a affiché, durant le dernier trimestre, les plus mauvais indices de son histoire récente. Le PIB a pratiquement stagné sous l’effet du début de récession dans le secteur du bâtiment et d’un fort ralentissement de la production industrielle – le marché automobile a chuté de 13 % sur un an. Sur la même période, les prix à la production ont connu une hausse sans précédent de 13,5 %, poussés par le coût des matières premières, mais cette hausse n’est pas encore répercutée sur les prix à la consommation. Cependant, la faible hausse des salaires, de l’ordre de 2 %, implique une réduction du pouvoir d’achat.

Prochaine escale: la démondialisation ?

Il semble donc que l’ensemble des moteurs de la croissance tendent à s’éteindre y compris l’investissement, qui dépend de tous les facteurs mentionnés. Restent les exportations que les aveugles au pouvoir en Occident soutiennent par leurs politiques de déficits budgétaires. Ainsi les exportations chinoises évoluent encore à un rythme de 20 à 30 % l’an, et la croissance chinoise est à la merci d’un ralentissement des économies américaines et européennes qui pourrait se manifester après l’épuisement des plans de relance.

Le sort de la Chine n’est pas seul en jeu. Pris isolément, le pays peut se résoudre à un réajustement et à une réorientation de son modèle économique : revalorisation significative du travail et assainissement des secteurs surendettés. Mais son essor exceptionnel est la résultante principale du cynisme de la mondialisation conçue par les élites occidentales. Son affaissement retentirait sur les marchés financiers de la planète.

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C’est ainsi que réapparaît l’hypothèse de la démondialisation, d’autant plus d’actualité que l’aberration économique et écologique du libre-échange mondial a été mise en lumière par la crise du Covid. Des goulots d’étranglement sont apparus dans le système de transport de marchandises. Pourquoi faut-il importer des produits courants depuis l’Asie, alors qu’ils peuvent être faits chez nous, en grande sécurité et en gagnant énormément sur les émissions de CO2 ? Reste à savoir si cette crise permettra vraiment de rebattre les cartes du système mondial.

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Décembre 2021 - Causeur #96

Article extrait du Magazine Causeur




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est un économiste français, ancien expert du MEDEF

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