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Un enterrement burlesque


Et maintenant, on va où ? est une fable de sang, de rires et de larmes. Sa bande-annonce légèrement racoleuse ne traduit qu’imparfaitement l’extraordinaire mélange de genres que Nadine Labaki a su imprimer à son film. Après le talentueux coup d’essai qu’était Caramel, sorte de Vénus Beauté sur fond d’amours interdites, l’actrice-réalisatrice s’empare à nouveau des tabous de la société libanaise dans un second opus qui frôle le coup de maître.

Dans ce film qui avait fait grande impression au festival de Cannes[1. Dans la sélection « Un autre regard »], Labaki n’y va pas par quatre chemins. Marquée par quinze ans de guerre civile, plus récemment traumatisée par les affrontements politico-confessionnels qui précédèrent l’élection de Michel Sleimane à la présidence de la République en 2008[2. Qui opposaient l’alliance entre le Hezbollah chiite et les chrétiens aounistes au bloc formé par le Courant de Futur de Rafic Hariri, les chrétiens phalangistes et les druzes proches de Walid Joumblatt. Bilan : une centaine de morts en quelques jours], Labaki exorcise les fractures confessionnelles libanaises et en fait la toile de fond d’une intrigue tragi-comique écrite à six mains[3. Par Nadine Labaki, Jihad Hojeily et Rodney Al Haddad].

Dans un village anonyme de la campagne libanaise, Musulmans et Chrétiens vivent en bonne intelligence grâce à la complicité des femmes et à la connivence œcuménique qui unit l’imam au prêtre syriaque. Unies dans leur condition d’épouse ou de fille à marier, les villageoises forment une communauté qui transcende les clivages religieux divisant leurs mari, fils et frères.

Or, dans ce miracle à ciel ouvert qu’est le Liban, il suffit que le journal télévisé fasse état de quelques échauffourées sporadiques dans une banlieue lointaine pour que resurgisse le spectre de la guerre civile. Une croix accidentellement brisée, la salle de prière de la mosquée mystérieusement saccagée : quelques étincelles suffisent à ranimer les haines larvées.

Sans pécher par idéalisme sirupeux, Labaki met en scène son groupe de vestales vouées corps et âme à la préservation du fragile équilibre local. Les médias se font Cassandre ? Qu’importe, on neutralisera le seul poste de télévision du village en prenant soin de brûler les gazettes apportées de la vallée tous les matins. Les hommes veulent s’entretuer pour imiter leurs glorieux aînés ? Qu’à cela ne tienne, on enfouit six pieds sous terre toutes les armes que l’on trouve.

La tension allant crescendo, lorsque arrive l’heure de sonner le tocsin, on fait appel aux bas instincts qui unissent les mâles de toutes obédiences : le haschich et les danseuses de cabaret ukrainiennes, l’un servant de déclic à l’alanguissement des autres. Orchestrée par Yvonne, la femme du maire, la parade fera d’assassins potentiels d’inoffensifs mâles libidineux…

S’alliant à la solidarité féminine, un gang de barbus joue les pacificateurs. Nadine Labaki fait intervenir le Janus islamo-chrétien que constitue le couple du prêtre et de l’imam. Navrés par la rancœur qui habite leurs ouailles, ils se font complices du complot toxico-lascif ourdi par les femmes du village.

Au fond, tout cela n’est qu’accessoire, cosmétique offert à l’œil distrait du spectateur de bande-annonce. La vraie clé du film se cache à l’ombre des oliviers mûrs, là où les Parques tissent et coupent le fil ténu de l’existence. Le sacrifié s’appelle Nassim. Au hasard d’un trajet quotidien en mobylette, il prend une balle perdue, venue d’un village voisin où la discorde islamo-chrétienne fait rage. Inconsolable, sa pieuse mère chrétienne le pleure comme la Vierge son fils mort sur la croix. Les scènes bouleversantes montrant le corps inerte du jeune homme lavé par celle qui l’a engendrée renouvellent le thème de la mater dolorosa, nous donnant à voir une sublime Pietà submergée par le deuil, attendant une résurrection qui ne viendra pas. La nécessité de ne pas alarmer la communauté, échaudée par les récents heurts, décuple la douleur. Il faut cacher le mort, le faire passer pour malade, se battre contre le fils aîné qui voudrait en découdre avec les Musulmans.

Le dénouement du film réserve une surprise à ne dévoiler sous aucun prétexte. Telles des personnages d’Aristophane, les villageoises sauront dompter leur maris, avec le concours actif des deux hommes de religion. Servi par la musique émouvante de Khaled Mouzanar, le diptyque final mêle tragique et burlesque dans un face à face entre la mort et l’identité.

Là est l’impalpable secret du titre du film, que vous ne lèverez qu’en achetant votre place de cinéma.

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est journaliste.

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