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L’état mental de Donald Trump

Trump face à Poutine: l’émotion contre le cynisme?


L’état mental de Donald Trump
Donald Trump sur Fox News, le 12 septembre 2025 © Anthony Behar/Sipa USA/SIPA

Le président Trump adore jouer au cow-boy émotif, et le Russe Poutine est en train d’en faire son jouet préféré.


« Ma patience s’épuise rapidement », déclare vendredi sur Fox News Donald Trump au sujet de Vladimir Poutine. C’est une information sur l’état émotionnel du président américain, et cela seulement. Car cela ne nous dit absolument rien sur les conséquences possibles de cet état en termes géopolitiques concrets. Que va-t-il se passer ? Mystère.

Cette énigme serait sans grande importance, si elle n’était la énième en trois ans au sujet de la guerre et, surtout, si elle n’était un indicateur peu rassurant sur la stratégie de Trump et sur son état mental.

Frontières

Depuis sa réélection, Trump nous a assuré qu’il « faisait confiance » à Poutine. Jusque-là, rien que de très diplomatique, même s’il est toujours risqué d’accorder trop visiblement sa confiance à un tyran qui attaque un de vos alliés. Mais, depuis, Trump n’a cessé de nous répéter qu’il était « déçu » par les gestes du président russe à son égard. Du reste, de gestes, il n’y en a jamais eu un seul. Poutine n’a rien concédé, rien offert. Pas un seul centimètre carré du champ de bataille, pas un pas en arrière, pas un seul demi-aveu de commencement de doute, rien. Trump a proposé, essayé, temporisé, assoupli, négocié, mais Vladimir Vladimirovitch Poutine est resté d’acier. Pour le moment, dans ce tête-à-tête, toutes les caresses sont venues de Washington, toutes les morsures de Moscou. Alors, Donald est déçu. De plus en plus.

Que voyons-nous ? Que Trump échoue complètement à ramener à la raison un ex-officier du FSB né au pays de l’idéologie, qui a été élevé dans le cynisme, est devenu adulte dans la corruption, et déploie sur son voisin ukrainien ses grandes ailes de chauve-souris soviétique. Pas le genre de gars que l’on ramène à la raison, pour la simple raison que la raison, il s’en fiche. Il n’en a pas l’utilité. Il veut Kiev comme Gollum veut son Précieux. Et, probablement, ensuite, lorsqu’il aura passé Kiev à son doigt, il voudra Vilnius, Kaunas, Riga, Helsinki, que sait-on encore ? Poutine a déclaré un jour : « La Russie n’a pas de frontières ». Il le pense. Alain Besançon, grand expert du monde slave, expliquait que « la Russie est une religion ». Appuyé à une icône de Saint Staline, patron des impérialistes, Poutine est prosélyte. Il veut que nous devenions croyants. Et, pour cela, il doit démontrer à Donald la supériorité de la foi de la taïga sur celle du Grand Canyon. Alors, comme le lui a enseigné le catéchisme du Kremlin, il humilie quiconque lui résiste. C’est très efficace, quand l’interlocuteur est émotif et pressé d’aboutir.

Dur, froid, têtu comme une mule

1940, Berlin. Les yeux dans les yeux, Molotov pose une question à Hitler sur ses intentions stratégiques concernant la Turquie. Hitler élude en bavassant, comme il sait si bien faire. Molotov repose sa question à l’identique. Hitler re-élude. Molotov repose sa question. Hitler s’acharne à détourner le sujet, en faisant l’éloge de Staline. Molotov revient à la charge. Hitler met fin à la réunion, quitte la salle et dit à son entourage : « Jamais on ne m’a parlé sur ce ton. » Staline tire les ficelles, mais c’est Vyacheslav Molotov le plus grand négociateur de l’histoire soviétique. Dur, froid, têtu comme une mule, il ne lâche jamais sa proie. Molotov est un grand diplomate et un grand assassin. Pendant la Grande Famine, il se rend en Ukraine pour interdire aux fonctionnaires de flancher face à la souffrance du peuple. Dans les années 70, il dit à un journaliste : « J’ai toujours été favorable à la Grande Terreur, j’ai toujours encouragé Staline à mener des exécutions de masse. » Aucun remords. Indispensable. Un des rares caciques que Staline ne tuera pas. Voilà l’école bolchévique des relations internationales. Difficile de ne pas songer à M. Poutine quand on pense à Molotov aujourd’hui. Il vous dira mille fois le même mensonge s’il le faut. Et si vous êtes pressé et émotif, il vous fera perdre la face. Trump est pressé et émotif.


Plus important : « Démoraliser l’adversaire est notre devoir, nous ne serions pas communistes si nous ne le faisions pas », confie Molotov à un journaliste dans les années 70. On tient là la clé de la déception de Trump. Elle est provoquée. Poutine sait que, pour désarmer Donald, il faut que les bras lui en tombent, le forcer à quitter la salle outré et désemparé, comme Molotov y pousse Hitler. Mais le plus navrant est qu’en réagissant ainsi, ouvertement, publiquement, médiatiquement, Trump commet une énorme erreur. Une faute grave : il dit à Poutine ce qu’il ressent. Et, pour le tyran des steppes, tellement friand des faiblesses de ses adversaires (demandez à Angela Merkel, elle en sait quelque chose), l’émotion de Trump sent bon la chair fraîche.

Mauvais comédien

On pourrait nous répondre que Trump fait semblant, qu’il joue sa déception. Sans aucun doute. Mais il ne joue pas à contre-emploi de ce qu’il est réellement : il surjoue. Il exagère ce qu’il est pour le rendre spectaculaire. Du reste, vous ne l’ignorez pas : il suffit de le regarder. Son exhibitionnisme émotionnel, si évident, n’est nullement constitué de paradoxes. Quand il est content, il montre qu’il est incroyablement content. Quand il est en colère, il fait savoir qu’il est exceptionnellement en colère. C’est sa manière de se cacher. Feindre l’hyperthermie est une manière de timidité.

Donc, Trump dit qu’il est déçu parce qu’il est inquiet. Et Poutine en conclut qu’il va falloir continuer à l’inquiéter et le décevoir. Pourquoi ? Pour prouver au monde que Donald est incapable de réagir autrement que par des émotions, rougeurs aux joues. Le prétendu bagarreur qui s’écrie « Retenez-moi, ou je lui casse la gueule ! » démontre son incapacité à se battre. Vladimir veut fournir au monde cette évidence : Trump recule à mesure qu’il vibre. Poutine sera alors celui qui a dompté le lion au cheveux jaunes, et cela inspirera aux autres puissants une crainte non négligeable. Vladimir va continuer à provoquer Donald. Toujours un peu plus méchamment. Déclenchant des émotions toujours un peu plus troubles, amères – et ridicules.

Trump est-il piégé ? Il peut s’évader de l’impasse, mais à une seule condition : s’engager. Faire dix pas en avant. Bousculer Poutine sans demander pardon à celui qu’il a qualifié, il n’y a pas si longtemps, d’ « ami ». Faire d’un coup changer la peur de camp. C’est possible. La dernière chose à faire, face à la Russie, est de la laisser penser qu’elle est imbattable. Elle veut le croire, mais elle ne l’est pas. Cela exige du sang-froid. Et Trump a le sang en fusion du soir au matin. Même quand il dort, il grogne. « Tempête sous un crâne », disait Hugo. C’est tout le problème. Le FSB veut que la pensée stratégique de la Maison-Blanche soit un ouragan enfermé dans une boîte. Un rugissement en vase clos.




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