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Taser, à quoi ça sert?


Taser, à quoi ça sert?

Le Taser, c‘est un pistolet électrique. Avec le flash-ball, c’est un peu l’idole des armes non létales utilisées par la police depuis une dizaine d’années, c’est-à-dire depuis que Nicolas Sarkozy est ministre de l’Intérieur. Quand on en finit avec la police de proximité, mais qu’on veut tout de même éviter le carnage, il vaut mieux trouver des solutions de substitution. Alors va pour ces fameuses armes non létales. Comme ça, s’il y a des bavures, et il y en a toujours un peu, c’est comme le coulage dans les supermarchés, au moins elles seront non mortelles. Un genre de principe de précaution appliqué à la répression, si vous voulez.

Conte de fées

Le concept d’armes non létales est un joli conte de fées. Un peu comme celui d’opération chirurgicale bénigne. N’importe quel médecin, sauf éventuellement un chirurgien esthétique dans une série américaine genre Nip/Tuck, vous expliquera qu’il n’y a pas d’opération bénigne, que tout geste chirurgical, même anodin, même mille fois répété, comporte un risque. C’est pour cela que présenter le Taser comme une arme non létale, c’est un peu n’importe quoi. Dans « arme non létale », ce qui compte tout de même, c’est le mot « arme » et utiliser une « arme », par définition, c’est prendre le risque de tuer. Voire chercher à le faire. Il faudrait donc, pour être honnête, parler du Taser comme « d’une arme qui présente un peu moins de risques de tuer, quand vous l’utilisez, que le 9mm en dotation ».
Et puis, ce que je me demande aussi, tiens, c’est pourquoi le gardien de la paix qui patrouille dans le jardin d’enfants près de chez moi porte son 9mm dans l’étui, mais n’a pas de Taser. Parce qu’il n’a aucune raison de s’en servir contre de jeunes mamans qui font goûter les bambins, me répondrez-vous. Nous sommes d’accord. Ce qui signifie, à contrario, que si le policier emporte avec lui un Taser ou un Flash-Ball, c’est donc pour s’en servir. Et que l’on a, logiquement, davantage de risques de tuer ou de blesser gravement quelqu’un avec une arme non létale dont on est sûr de se servir qu’avec une arme létale dont on est sûr de ne pas se servir. Eh oui.
Paradoxe pour le moins dangereux quand ce sont tout de même des vies qui sont en jeu.

Deux décharges

Bon, rappelons les circonstances de l’affaire qui nous préoccupe: c’est un Malien sans papier (pléonasme en ce moment), à Colombes, qui s’est rebellé et qui a reçu deux décharges de Taser quand la police est venue le chercher. Il n’était pas dans un jardin d’enfants avec de jeunes mamans mais au douzième étage dans un appartement où il s’engueulait avec un ami. Quand on est clandestin, on devrait au moins avoir la politesse de ne pas déranger les voisins. La première décharge de Taser, apparemment, ne lui a rien fait. La seconde l’a calmé et tout le monde est reparti par l’ascenseur.
Dans l’ascenseur, avec les policiers, le Malien a fait un malaise et il est mort. Il avait peut-être trop de cholestérol. Ca bouffe à pas d’heure et un peu n’importe quoi, les clandestins, c’est bien connu. Même pas foutu de suivre un régime Dukan correctement. En même temps, il avait peut-être lu des études récentes indiquant que les régimes, c’est presque aussi dangereux pour la santé que le Taser.
Ou alors il était très contrarié de s’être disputé avec son ami. Ou il était crevé par sa journée sur un chantier du BTP qui ne voit jamais passer un inspecteur du travail. Ou ce sont les gaz lacrymogènes utilisés dans un premier temps. Ou c’est quand même de la faute du Taser. Ou de la faute à un peu tout ça mélangé. L’autopsie, à l’heure où nous écrivons, a une discrétion de violette et une prudence iroquoise. Nous citons le parquet de Nanterre : « Une asphyxie aigüe et massive », « il n’y a pas de cause certaine, unique et absolue du décès », « inhalation de gaz puisque du sang a été retrouvé dans ses poumons. », « un cœur dur et contracté, peut-être en lien avec l’utilisation du Taser mais ces résultats doivent être complétés par une expertise toxicologique et un examen des organes».
Allez savoir.

Euphémisation

Monsieur Antoine di Zazzo, PDG de Taser France, lui, est gêné. On le comprend, une arme non létale qui est plus ou moins soupçonnée de tuer, c’est toujours ennuyeux. Une parenthèse, Taser-France, ça veut dire en fait que la maison mère est américaine. Si ces joujoux mortifères semblent tellement indispensables au maintien de l’ordre des années 2010, on pourrait peut-être les fabriquer nous-mêmes ? Cela ne doit pas être bien sorcier. Utiliser un Taser, si j’ai bien compris, c’est un peu comme se servir à distance d’un défibrillateur cardiaque sur quelqu’un qui n’a pas de crise cardiaque.
C’est quand même problématique, quand on y pense, vu sous cet angle là.

Monsieur di Zazzo a donc tenté de s’expliquer très vite : « Seule l’autopsie de cet homme permettra de dire si notre pistolet est responsable du décès » et il ajoute « à ce jour, dans le monde, le Taser n’a jamais tué quelqu’un ». C’est vrai, l’autopsie laisse pour l’instant le bénéfice du doute au Taser. Monsieur di Zazzo va être provisoirement soulagé. Brice Hortefeux aussi. Admettons, mais d’après Amnesty International, aux Etats-Unis, il y a quand même de très forts soupçons qui confinent à la quasi certitude en ce qui concerne le décès de plusieurs personnes, essentiellement des adolescents ou des sujets fragiles.
Que ce soit ou non la faute du Taser, il va falloir réfléchir quand même un peu à cette notion d’arme non létale et à ses conditions d’utilisation. On a vu à plusieurs reprises ce que faisait le flash-ball quand il était employé dans des opérations de maintien de l’ordre où ce n’est pas son rôle. Un jeunes homme énucléé du côté de Montreuil sera prêt à vous en parler dès qu’il aura remis son œil de verre et retrouvé figure humaine.
L’arme non létale, ça participe finalement de cette euphémisation générale qui est caractérise notre novlangue. L’euphémisation aime bien les anglicismes comme « Taser » ou « management » qui permettent de contourner la réalité de la chose : « pistolet à impulsions électriques » ou « gestion optimale de l’humain dans le but de le presser comme un citron ».

L’arme non létale, c’est aussi, au bout du compte, le reflet de notre mauvaise conscience, de notre conscience malheureuse. Nous avons un reste de scrupule démocratique quand il s’agit de réprimer car la répression qui prouve qu’on n’a pas su prévenir est toujours une défaite personnelle de chaque citoyen. Et ce qu’on voudrait, avec l’arme non létale, c’est le beurre de la paix civile à n’importe quel prix, (même celui de la guerre a-t-on entendu l’été dernier) et l’argent du beurre de la bonne conscience humaniste et républicaine.
Cela va devenir de plus en plus compliqué.



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