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Syrie : Prenons Poutine au mot !


Syrie : Prenons Poutine au mot !

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En proclamant que l’ONU est la seule instance légitime habilitée à trancher le conflit syrien, Poutine semble avoir marqué diaboliquement un point, puisque si l’ONU est effectivement l’instance qui détient le monopole de la légalité à l’échelle mondiale, il peut la rendre impuissante par son droit de veto.

À plus long terme, pourtant, il s’est tiré une balle dans le pied, en abandonnant de facto le sacro-saint principe de la souveraineté des États dans leurs affaires intérieures, ce principe que Goebbels avait proclamé devant la SDN en 1933 : « Charbonnier est maître chez soi ».

Poutine vient en effet d’admettre que les États ne sont pas souverains vis-à-vis de leurs peuples, puisque la solution politique en Syrie appartient à une instance internationale. Au risque de paraître le flatter à l’excès, il semble ainsi rejoindre la vision d’un droit mondial que Kant a exposée en 1784 dans son Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique. Cette prédiction paraissait follement utopique en son temps. Elle a pourtant commencé à se réaliser à travers la SDN, puis l’ONU.

Pourquoi alors cette ONU, qui protège tant bien que mal les États les uns des autres, est-elle impuissante à protéger les peuples victimes de leurs États, ou les communautés déchirées par des guerres intestines ? La raison en est simple : l’ONU est avant tout une association d’États souverains voulant coexister pacifiquement, et c’est pour protéger leur souveraineté que ce pouvoir politique ne s’est pas doté d’un pouvoir juridique supranational distinct de l’Assemblée générale et non soumis au droit de veto.

Chacun sait pourtant qu’à l’échelle de chaque État, la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire est la condition sine qua non de la légitimité du Droit, et donc aussi de l’usage de la force dont il dispose. Il nous reste juste à comprendre que cette condition impérative de l’État de droit s’impose aussi bien à l’échelle de l’ONU qu’à celle de chaque Etat.

Si cette instance judiciaire supranationale existait aujourd’hui :

– un État ne pourrait plus martyriser impunément son peuple, comme c’est le cas en Corée du Nord depuis des dizaines d’années.

– Il ne pourrait plus cacher ou détruire les preuves de ses crimes, comme c’est le cas en Syrie.

– Et la solution politique qui serait alors imposée par le Droit ferait obligatoirement respecter les droits de tous, contrairement à ce qui se passe en Irak.

Cette perspective d’un Droit supranational sera combattue par les réalistes et par les souverainistes.

Les réalistes diront que  si on attend que tous les États se rallient à une juridiction placée au-dessus d’eux qui se mêlerait de leurs conflits intérieurs, on attendra éternellement. Il est exact qu’il y aura sans doute des États pour refuser un tel Droit, et pour se conduire en hors-la-loi. Il faudra alors les traiter comme tels.

Reste à examiner les objections des souverainistes.

La première, c’est le risque que ce Droit soi-disant supranational et neutre soit celui des États les plus forts. C’est le contraire qui est vrai. Si une telle juridiction avait existé en 1945, les procès de Nuremberg auraient eu lieu, mais ils n’auraient pas été conduits par les vainqueurs.

La seconde objection, un peu différente, c’est que les différentes cultures ont des valeurs de justice qui leur sont  propres, qui sont donc relatives, si bien qu’il n’existe pas de normes universelles au nom desquelles un tribunal supranational pourrait trancher.

Certes, certes. Mais si on renonce à inventer les formes d’un Droit supranational adapté à ces différences, les victimes de la violence seront éternellement condamnées soit à la subir, soit à faire appel à des protecteurs étrangers, infiniment plus redoutables que les sept samouraïs ou les sept mercenaires.

Pour ne pas avoir à choisir entre la peste et le choléra, et entre l’impuissance et l’illégalité, il faudra un jour prendre Poutine au mot, retourner sa ruse contre lui, et aller au bout du principe qu’il a énoncé, en dotant l’ONU d’un pouvoir juridique autonome.

 

*Photo : kremlin.ru



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André Sénik, professeur agrégé de philosophie.

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