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Staline, l’autopsie


Staline, l’autopsie

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Il y a tout juste soixante ans, en mars 1953, Staline disparaissait. Il est difficile d’imaginer aujourd’hui l’émotion suscitée par cette nouvelle. Le « Petit père des peuples », le « grand mécanicien de la locomotive de l’Histoire » était considéré comme le principal vainqueur du nazisme et faisait l’objet d’un culte de la personnalité non seulement en URSS et dans les pays du Bloc de l’Est, mais aussi dans tous les partis communistes du monde. Staline, littéralement, était une idole intouchable. Aragon lui-même, pourtant stalinien zélé, l’apprit à ses dépens. Il fut vivement pris à partie par des cadres et des militants du PCF pour avoir osé mettre en une des Lettres françaises un dessin de Picasso en hommage au grand homme disparu, un dessin qui ne répondait pas aux canons de l’esthétique réaliste socialiste et qui fut interprété comme un manque de respect inqualifiable. Aragon dut alors se livrer à une autocritique dont l’absurdité a quelque chose de terrifiant aujourd’hui : « On peut inventer des fleurs, des chèvres, des taureaux, et même des hommes, des femmes  mais notre Staline, on ne peut pas l’inventer. Parce que, pour Staline, l’invention, même si Picasso est l’inventeur est forcément inférieure à la réalité. Incomplète, et par conséquent, infidèle.  »
Pourtant, moins de trois ans plus tard, c’est l’Union soviétique elle-même, par le bais du rapport Khrouchtchev, qui allait révéler au monde, de manière officielle, ce que certains soupçonnaient ou disaient déjà depuis longtemps :  l’horreur d’un système totalitaire qui pratiqua la terreur et le meurtre de masse de manière planifiée.[access capability= »lire_inedits »]
Staline, archétype du dictateur orwellien, Big Brother au bon sourire rétrospectivement effrayant, continue pourtant de poser un certain nombre de problèmes alors que le cas de Hitler a été réglé depuis longtemps. Parce qu’il a commis ses crimes au nom d’une idéologie, le communisme, qui a porté l’espérance de centaines de millions d’hommes, Staline doit-il être considéré comme un monstrueux accident de parcours ou comme faisant partie des gènes mêmes du marxisme ? Et peut-on, dans le même ordre d’idées, penser aujourd’hui une équivalence, voire une identité entre Staline et Hitler sans sombrer dans le contresens ou la relativisation de la Shoah ?
Il a semblé important à Causeur de reformuler ces questions, soixante ans après la mort de Staline,  non seulement en autopsiant l’encombrant cadavre du dictateur  mais aussi en nous intéressant au monumental travail de Timothy Snyder dans Terres de sang. Ce jeune historien américain propose une approche originale et novatrice des interactions entre nazisme et stalinisme, deux idéologies qui, entre 1933 et 1945, se sont côtoyées, succédé ou affrontées et ont fait 14 millions de morts parmi les non-combattants. Unité de temps, unité d’action (le meurtre de masse), unité de lieu (les « terres de sang » qui s’étendent de la Pologne centrale à la Russie occidentale en passant par l’Ukraine et les pays balte) : en mettant l’accent sur le territoire où ont été commis ces crimes, Timothy Snyder redonne à la tragédie européenne une cohérence globale. Et s’il n’apporte pas de réponse à la question comparative –  cela n’est pas son rôle – son ambition, pour le coup, est profondément antitotalitaire : « Et à nous, humanistes, de retransformer ces chiffres en êtres humains. Si nous ne le faisons pas, Hitler et Staline auront façonné non seulement notre monde, mais aussi notre humanité ».[/access]

Terres de sang, l’Europe entre Hitler et Staline, Timothy Snyder, Gallimard, 2012, traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat.

Mars 2013 . N°57

Article extrait du Magazine Causeur



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