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Schtroumpfons-nous à la mairie


Il faut relire L’Étrange réveil du Schtroumpf paresseux : c’est l’histoire d’un Schtroumpf qui devait repeindre un mur et qui s’endort le pinceau à la main. À l’aide d’un subterfuge assez grotesque (suspendre des toiles d’araignée dans sa hutte), ses collègues du village s’appliquent à lui faire croire qu’il a dormi deux cents ans. Choqué, à son réveil, de s’être laissé aller de la sorte, le Schtroumpf paresseux n’a d’autre solution que de courir derrière les autres afin de rattraper le temps perdu. Cette culpabilité s’apparente à celle des socialistes sur la question du mariage homosexuel.

Coupable de s’être laissé endormir par les clichés de la sexualité dominante, le Schtroumpf progressiste entend bien corriger son retard. Le mariage homosexuel a-t-il l’air plus moderne ? Va pour la défense progressiste du mariage homosexuel. Notons que cette défense pourrait très bien se limiter à l’acquisition platement intéressée d’une suite de privilèges, puisque la sexualité minoritaire se révèle être – ô surprise − aussi bourgeoise que la dominante. Encore faut-il que le débat prenne son envol, encore faut-il que cette acquisition ait l’air d’une libération. Ce côté « missionnaire de la dernière heure » est assez agaçant, mais il faut bien comprendre que le Progrès sexuel est l’une des plus belles missions du Schtroumpf progressiste.

Cette avancée du socialisme n’est pas sans conséquence sur la distribution des anathèmes. Face au procès en beaufitude qui lui est fait, je comprends le malaise de l’homo erectus ordinaire et je conçois que son instinct le pousse à défendre, a contrario, la pertinence de l’hétérosexualité.[access capability= »lire_inedits »]

L’abîme qui sépare un homme et une femme : un ravissement pour l’esprit

Pour ma part, je pense qu’il est essentiel de ne pas la défendre. Les partisans de la différence sexuelle doivent s’en tenir au malentendu homme/femme, malentendu que je tiens pour la part la plus précieuse de l’hétérosexualité. Le charme de la vie de couple H/F dérive essentiellement d’un malentendu surmonté. Aussi est-il inutile de le défendre.

S’il est une conquête culturelle en matière de sexualité, c’est bien la reconnaissance de l’abîme qui sépare un homme et une femme. Relativement pénible à vivre, cet abîme est un ravissement pour l’esprit. De Laclos à Lacan, il n’est pas de romancier un tant soit peu réaliste, ni de penseur un tant soit peu conséquent qui ne se soit penché sur cet abîme pour en faire, non pas un fait épisodique, mais un fait de structure. Il s’agit là d’un véritable test en matière de lucidité. Les rêves d’unité auxquels se sentent tenues les institutions religieuses et politiques ne sont que des réponses imaginaires très maladroites à cette différence sexuelle incompréhensible.

Si le malentendu sexuel possède des vertus heuristiques non négligeables, alors l’extension de l’homo est plutôt inquiétante. Je ne doute pas que les homosexuels ne soient capables de se méprendre, au moment de s’unir devant un élu de la République, sur leurs intentions respectives ; qu’on me permette toutefois de supposer que cette incompréhension ne sera jamais aussi parfaite que dans un couple hétérosexuel traditionnel.

Chercher à combler cet abîme est le commencement du mensonge et de la mauvaise poésie. Nos amis progressistes peuvent toujours emprunter le langage du droit pour assurer l’égalité des conditions sexuelles. Il s’agit là d’une équivalence trompeuse, pour ne pas dire conventionnelle, laquelle ne porte aucunement témoignage de leur véritable amitié envers la cause homosexuelle. Souhaitons plutôt aux couples homosexuels d’explorer les recoins du malentendu matrimonial, et ce jusqu’au vertige. C’est la seule égalité sexuelle envisageable.[/access]

Juillet-août 2011 . N°37 38

Article extrait du Magazine Causeur



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