Royaume-Uni : le suicide assisté au secours du budget?


Royaume-Uni : le suicide assisté au secours du budget?

euthanasie soins palliatifs

L’inénarrable Jean-Luc Romero jubile : ses amis britanniques ont remporté la première manche, dans leur tentative de légaliser le suicide assisté dans leur pays. Le lobby répondant au nom poétique et original de Dying in Dignity a annoncé vendredi 7 novembre que la majorité des membres de la Chambre des Lords approuvaient la proposition de loi sur la « mort assistée » (Assisted Dying Bill).

Déposé en juillet dernier par Lord Falconer, ancien Chancelier et ministre de la Justice travailliste, le texte vise à légaliser le suicide assisté pour les personnes atteintes d’une maladie irréversible, dont l’espérance de vie serait estimée à six mois. La proposition est soutenue par le Parti travailliste, le groupe de pression Diying in Dignity, et la National Secular Society, lobby athée militant.

La société britannique est très partagée sur ce texte, contrairement à l’indifférence qui prévalait pour le mariage homosexuel en 2013. « We’re relax, we play cricket ! », répondait le truculent leader du UKIP, Nigel Farage, lorsque des Français l’interrogeait sur l’absence de manifestations au Royaume-Uni sur les thèmes éthiques. Mais cette fois, le débat sur le suicide assisté a pris une tournure émotionnelle, inédite dans la culture locale. Pourquoi cette nouvelle donne ?

Comme en France, les partisans et les opposants regardent vers la Belgique et les Pays-Bas. Les Britanniques, qui ont toujours perçu ces deux pays comme leurs points d’appuis sur le continent, Napoléon et son admirateur Zemmour en savent quelque chose, suivent avec attention les évolutions de leurs législations. Or, le vote quasi-unanime du Parlement belge en faveur de l’euthanasie des enfants a été très mal perçu. L’argument-clé des opposants à la « mort assisté » dans sa version anglaise tient dans la crainte de dérives de ce genre.

En outre, un universitaire néerlandais spécialisé dans l’éthique médicale, le Professeur Theo Boer, de l’Université protestante de Groningen, est intervenu dans le débat : « ne faites pas notre erreur ! » Initialement favorable à l’euthanasie, légalisée en 2002 aux Pays-Bas, il a témoigné dans la presse britannique être effrayé par l’évolution d’une loi qu’il pensait être un moindre mal : de 2000 morts par sédation en 2006, le nombre d’euthanasies est passé à 6000 en 2014. « Quand le génie est sorti de la bouteille, il est impossible de le faire revenir », a-t-il prévenu, en mettant en garde de la partialité des fameux comités d’experts, mis en place pour surveiller les euthanasies, souvent noyautés par des partisans du mourir à tout prix.

Ces arguments semblent avoir porté. L’Église anglicane d’Etat a mobilisé ses fidèles, ainsi que l’Église catholique. Les évêques anglicans (dont 26 siègent à la Chambre des Lords, comme « Lords spirituels ») ont largement diffusé la lettre posthume du Révérend Christopher Jones. Ancien aumônier d’étudiants à Oxford, ce prêtre était atteint d’un cancer du cerveau en phase terminale, dont il est mort en 2012. Pressentant le débat sur le suicide assisté, il avait écrit une lettre dans laquelle il argumente son opposition à toute forme d’euthanasie : « L’interdiction du suicide assisté m’a été immensément utile pour ne pas le considérer comme une option, et pour me contraindre à répondre à ma situation par la créativité et l’espérance. (…) Mon expérience a renforcé ma conviction que la loi interdisant le suicide assisté est une digue essentielle contre des jugements bien-intentionnés, mais injustifiés, sur la valeur de la vie, et les velléités d’éliminer la souffrance. La souffrance est inacceptable, mais elle doit pouvoir être traitée par les soins palliatifs. »

Le Royaume-Uni n’a pas réellement mis au point un dispositif de soins palliatifs comparable à celui qui existe en France, et les partisans de la « mort assistée » font valoir que son coût économique serait trop lourd à supporter. Il n’y a pas de petites économies.

Le Premier ministre David Cameron, après un silence ambigu, a fini par déclarer son opposition au suicide assisté, pour ne pas s’aliéner la base du Parti conservateur, déjà échaudée par le mariage homosexuel, et tentée de regarder vers le UKIP. Ce mouvement, qui compte d’ailleurs nombre de libéraux et libertariens favorables au « droit de mourir », fait mine de s’y opposer, comme lors du mariage gay, pour récolter les mécontents. Une posture peu coûteuse, qui rappelle celle d’un certain parti en France, globalement indifférent à la loi Taubira, mais faisant de l’oeil aux manifestants dégoûtés par la duplicité d’un Sarkozy.

Après la Chambre des Lords, la proposition de loi sur le suicide assisté doit passer par la Chambre des Communes, où elle a des chances d’être rejetée si les conservateurs s’y opposent dans leur majorité. Par contre, en cas de victoire travailliste à l’élection générale de mai 2015, le destin du texte sera certainement différent.

En attendant, les Britanniques se déclarent à 54 % en faveur du suicide assisté. Lucides, ils estiment dans le même temps à 58 % que la meilleure des lois n’empêchera pas les dérives à la Belge. Cyniques, 10 % pensent qu’il faudrait récompenser financièrement les personnes âgées qui demanderaient le suicide assisté, histoire de les encourager à « partir ». À moins que cela ne soit une marque du fameux humour anglais.

*Photo : BORDAS/SIPA. 00612815_000002.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Le désamour de Zemmour
Article suivant Affaire Jouyet-Fillon : un imbroglio d’Etat

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération