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Reine d’un jour


Reine d’un jour

J’en conviens, c’est assez attendu mais chaque année, ça m’énerve. La journée de la femme, que l’on devrait plutôt appeler la journée du malheur des femmes, me flanque des boutons – ce qui est un comble. Je précise immédiatement que je n’aime pas que les hommes battent ou tuent leur femme, ni que leurs patrons les exploitent, ce qui devrait suffire à prouver que j’ai un grand cœur. J’ajoute que je ne crois pas que tout soit parfait sur le front de l’égalité. Mais le festival de propos convenus, de jérémiades inspirées et de communion compassionnelle, le tout noyé dans un flot d’aigreur et de ressentiment qui se déverse sur les méchants mâles qui nous gouvernent, me donne envie de prendre mes jambes à mon cou. Chaque 8 mars, le même message nous est délivré en boucle : nous sommes toutes des victimes. Ça, je n’achète pas. Et à l’exception des pleureuses qui se succèdent sur les plateaux et semblent tout droit sorties des livres de Muray, je ne connais pas une seule femme concrète qui achète.

« Où en sont les femmes ? » se demande gravement Le Monde à l’approche de cette centième édition. Je ne sais pas pourquoi mais je préférais entendre Patrick Juvet demander « Où sont les femmes ? » Comme me le souffle Miclo, « on ne nait pas femme, on le devient, d’accord. Mais ça ne me dit pas où sont mes escarpins ».

La précampagne du centenaire a commencé il y a deux ou trois semaines par la douloureuse question des femmes battues – au passage, on a oublié que 25 hommes mouraient chaque année sous les coups de leur tendre et douce. Puis on est passé à l’égalité dans le travail où, là encore, tout va mal : les femmes occupent les emplois précaires – alors que les hommes, bien sûr, jouissent d’une merveilleuse sécurité –, elles progressent plus lentement, ce qui n’a jamais rien à voir avec leurs propres choix ou avec les contraintes de l’entreprise, mais tient uniquement au machisme des dirigeants, lesquels privent ainsi la France de patronnes « compétentes, humaines, acharnées, instinctives » et j’en passe. « La crise aurait-elle eu lieu si Lehman Brothers s’était appelé Lehman Sisters », s’interroge Le Monde, apparemment sans rigoler (je n’ai pas trouvé la réponse à cette devinette pêchée en « une » mais peut-être ma mauvaise humeur m’a-t-elle rendue inattentive). Comme chacun sait, les tueuses, les emmerdeuses, les chipies, les hystériques et les autres sont de pures inventions de la littérature – encore un mauvais coup des hommes. D’ailleurs, aucun des mauvais coucheurs qui peuplent la rédaction de Causeur ne m’a envoyé un bouquet de fleurs en hommage à mes trésors féminins de calme, de patience et de sérénité, sans oublier mon sens bien connu de l’organisation. Cela dit, comme chez nous, c’est tous les jours jour de la femme, rien n’est perdu.

Heureusement, il y a des entreprises qui aiment les femmes et aiment plus encore le faire savoir. Le Parisien célébrait hier ces bonnes élèves. Alors qu’elles font déjà de leur comportement exemplaire en matière d’écologie et de diversité un argument de vente, elles pourront désormais brandir leur féminisme.

De l’horreur au travail on a naturellement enchaîné sur l’oppression domestique. Il est vrai que dans ce domaine, les inégalités de la nature s’ajoutent à celles qu’ont générées des siècles de patriarcat. Une expérience scientifique simple à réaliser vous le prouvera : placez un homme et une femme dans un foutoir où les toiles d’araignée se fraient un chemin entre les livres ; ajoutez si possible un réfrigérateur qui n’a pas rencontré une éponge depuis des semaines et une baignoire douteuse, et observez lequel des deux cobayes craque le premier. Espérons en tout cas qu’une brigade des plumeaux opérant sous la responsabilité de la HALDE mettra bientôt fin à l’antique injustice qui continue de régner sur le front ménager. En attendant ce jour béni, étant contrairement à toutes mes congénères travailleuses et efficaces de nature feignasse (il faut bien que des exceptions confirment la règle) je me permets de vous envoyer, une fois de plus, à mon cher Muray :

J’aime la sociologue parfaitement hystérique
Parce que le partage des tâches domestiques,
À lire les plus sûres études statistiques,
Demeure depuis quinze ans complètement statique.

Bizarrement, nul n’a songé au sort de celles à qui leur mari refuse l’usage d’un chéquier, interdit le recours à un médecin homme ou impose le port d’une prison vestimentaire. Passons.

En même temps qu’on communie dans l’apitoiement, on célèbre les innombrables vertus et les multiples exploits de ces dames – cela doit être ce qu’on appelle l’inconséquence féminine. Certaines rédactions où on n’a pas la chance d’être dirigé par la main de fer d’une patronne, profitent de ce beau jour pour faire du rêve du gouvernement des femmes une réalité. Ainsi, le « Grand journal » de Canal + était-il hier, sous la houlette d’Ariane Massenet, exclusivement féminin, public compris. Il y avait de la gonzesse et j’en connais quelques-uns qui n’ont pas dû en louper une minute. Certes, j’ai eu un peu la trouille quand Marie Colmant s’est indignée qu’on laisse encore un sale type comme Zemmour s’exprimer. Ça prouve, a-t-elle dit, qu’il reste beaucoup de progrès à faire. Cher Eric, j’ai bien peur que pour toi, ce soit « camp de travail à régime sévère ».

Il y en a pour tous les goûts. Actualité Juive, qui publie par ailleurs une excellente interwiew de Guaino, annonce en une que la femme est l’avenir de la communauté. On attend avec impatience que Têtu proclame que les lesbiennes sont l’avenir des homosexuels.

Dans cet océan de niaiserie, j’ai tout de même déniché une bonne nouvelle. Sachez, mesdames, frangines et copine, qu’à l’occasion de notre fête, le site Sexy Avenue propose 20 % de réduction sur les sex-toys et la lingerie sexy. Une excellente façon de rappeler que l’un des points communs à une grande majorité de femmes n’est pas qu’elles vivent l’enfer mais qu’elles aiment les hommes. Même s’il arrive que les deux aillent ensemble – c’est l’un des charmes de la vie des femmes.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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