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Réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) : Bruxelles se trompe de modèle

Une réforme qui risque de provoquer une nouvelle vague de protestations.


Réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) : Bruxelles se trompe de modèle
Manifestation organisée par les syndicats FNSEA et Jeunes Agriculteurs devant l'Assemblée nationale, Paris, le 26 mai 2025, avant un débat sur le projet de loi Duplomb. Stephane Lemouton/SIPA

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté le 16 juillet des propositions pour une réforme de la PAC après 2027. Il y a de quoi inquiéter les agriculteurs français. Tribune libre de Gilles Lebreton, ancien député au Parlement européen (2014-2024), négociateur de la PAC pour la période 2021-2027, et membre des Horaces[1]


Les agriculteurs n’en finissent plus d’avoir de bonnes raisons de manifester leur mécontentement. On se souvient de leur explosion de colère en janvier 2024 contre diverses mesures dont le projet de règlement sur la « restauration de la nature » – amendé ensuite -, et contre l’intention de la Commission – toujours d’actualité – de ratifier le traité de libre-échange avec le Mercosur. On a aussi en mémoire leur mobilisation de mai dernier contre la suspension de la loi Duplomb, finalement votée le 8 juillet et qui permet notamment de mettre fin à certaines surtranspositions françaises du droit européen. Voilà maintenant que la présentation par Ursula von der Leyen des orientations de la nouvelle PAC, le 16 juillet, annonce une nouvelle vague de protestations.

Il faut dire qu’il y a de quoi s’inquiéter. Sur les quatre principales nouveautés présentées, trois au moins sont alarmantes pour les agriculteurs.

D’abord, le montant du budget annoncé pour la PAC est en nette régression : 300 milliards d’euros pour la période 2028-2034 contre 387 milliards pour la période 2021-2027. Cela représente une baisse de 22 % ! C’est à peine croyable à une époque où nos “élites” semblaient avoir compris, à la suite de la pandémie de covid-19 et de la guerre en Ukraine, que la sécurité alimentaire est une priorité.

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Ensuite, la structure de la PAC est profondément modifiée : fini, son budget spécifique ainsi que la répartition de celui-ci en deux fonds distincts, l’un (le FEAGA ou Fonds européen agricole de garantie) pour les aides directes aux agriculteurs, l’autre (le FEADER ou Fonds européen agricole pour le développement rural) pour le soutien au développement rural. Le budget de la PAC est désormais intégré dans un fonds plus vaste, englobant aussi la politique de cohésion, l’immigration, et même « les politiques sociales ». On voit le danger, d’ailleurs bien identifié par la ministre française de l’Agriculture, Annie Genevard, hélas impuissante à le conjurer : cette nouvelle structuration permettra de raboter la PAC « mois après mois » au gré des arbitrages politiques de Bruxelles. L’agriculture deviendra ainsi plus que jamais une variable d’ajustement, ce qu’elle était déjà lors de la négociation des traités de libre-échange. On devine sans difficulté les pressions qui seront exercées en ce sens par les États membres de l’UE qui, contrairement à la France, ne sont pas de gros consommateurs des fonds de la PAC et ont intérêt à en obtenir la réduction.

En troisième lieu, Von der Leyen veut imposer un plafonnement et une dégressivité pour les versements des aides directes aux agriculteurs. Certes, intrinsèquement l’idée n’est pas stupide, car le système actuel d’aide à l’hectare privilégie sans doute trop les grandes exploitations, et incite ainsi au regroupement des petites et moyennes exploitations, mettant en danger le modèle de l’agriculture familiale. C’est ainsi que depuis trois ans, la taille moyenne des fermes françaises est passée de 89 à 93 hectares. Quant au nombre d’exploitations de plus de 200 hectares, il progresse de 2,8% par an[2]. Mais les seuils proposés par la Commission sont manifestement trop bas : plafonnement à 100 000 euros, dégressivité de 25% entre 20 000 et 50 000 euros, de 50% entre 50 000 et 75 000 euros, et de 75% au-delà. Par comparaison, la loi américaine OBBB du 3 juillet 2025 retient un plafonnement à 155 000 dollars.

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Enfin, et c’est là à nos yeux un motif de satisfaction, la Commission souhaite accorder aux États membres une plus grande marge de manœuvre pour financer leur agriculture. Cela permettra à chaque État, dans le droit-fil des plans stratégiques nationaux créés par la réforme de 2021, de fixer plus librement ses priorités en matière agricole. Le commissaire à l’agriculture, le Luxembourgeois Christophe Hansen, a ainsi expliqué que les 300 milliards d’euros fléchés pour l’agriculture sont un plancher et non un plafond : les États pourront donc dépasser le montant d’aides ainsi prévu. Bien entendu, cette liberté accrue devra être encadrée pour éviter que de trop grandes distorsions entre États membres ne finissent par vider la PAC de sa substance. Il faudra donc veiller à maintenir certaines règles existantes, comme par exemple la liste commune des pesticides interdits, et à instituer des plafonds européens de subventions pour chaque type de culture et d’élevage.

Ces quelques critiques esquissent donc ce qui pourrait constituer un contre-modèle pour la réforme de la PAC : d’abord, le maintien d’un budget PAC autonome, au moins pour la partie « aides directes » correspondant à l’actuel FEAGA, et suffisamment abondé pour éviter toute diminution forcée des aides actuelles ; ensuite, la possibilité de puiser en cas de besoin pour l’agriculture dans le nouveau fonds « cohésion » ; plafonnement et dégressivité institués à des seuils également réhaussés ; enfin, liberté accrue des États membres de fixer leurs priorités dans le cadre de leurs plans stratégiques nationaux, et de subventionner leur agriculture dans le respect de plafonds communs à instituer.


[1] Les Horaces sont un cercle de hauts fonctionnaires, hommes politiques, universitaires, entrepreneurs et intellectuels apportant leur expertise à Marine Le Pen, fondé et présidé par André Rougé, député français au Parlement européen..

[2]La France agricole, n°4122 du 11 juillet 2025 p. 19.



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Gilles Lebreton est ancien député au Parlement européen (2014-2024) et membre des Horaces.

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