À la recherche de l’esprit français
J’entends dire ici et là que des ruines prochaines de notre pays, il ne restera que notre esprit. Nous avons en effet cette aptitude merveilleuse à tourner les pires situations en dérision et à en rire. Je pense à Rivarol à propos du gouverneur de la Bastille massacré le 14 juillet 1789. « Monsieur de Launay avait perdu la tête bien avant qu’on ne la lui coupe. » Nous avons l’esprit vachard, un peu mufle, pas très charitable. Il s’exerce en général aux dépens des autres. Nous sommes beaucoup trop vaniteux pour le tourner contre nous-mêmes. Les lieux communs ont la vie dure. Qu’est-ce qu’une conversation française ? De la vitesse, du décousu, des réparties à l’emporte-pièce, des saillies, des jeux de mots ou des « bons mots ». Je partage avec Benjamin Constant une certaine méfiance pour ce genre d’acrobaties. Il en parle comme d’« un coup de fusil tiré contre l’intelligence ». J’ai de l’esprit une tout autre idée. Talleyrand en donne une bonne définition dans ses Mémoires. Avoir de l’esprit selon lui, c’est avoir du tact, l’instinct et le sens de l’exacte nuance des mots prononcés à-propos, la mesure aussi des rapports de la courtoisie et de l’impertinence. Il trouvait que les femmes étaient beaucoup plus douées à cela que les hommes et citait en exemple la conversation de sa mère. « Jamais elle n’a dit un bon mot, c’était quelque chose de trop exprimé. Les bons mots se retiennent, elle ne voulait que plaire et perdre ce qu’elle disait. » Tout ceci est passé de mode. Nos récentes évolutions de société, les rapports d’intolérance que nous entretenons entre nous se prêtent de moins en moins à la nuance. Et puis, la définition de l’esprit que je préfère n’est pas française. On la doit au philosophe allemand Georg Christoph Lichtenberg en 1798 : « Un couteau sans lame à qui manque le manche. »





