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Quand la France débloque

La France est-elle encore un peuple ou une addition de colères ?


Quand la France débloque
Des manifestants du mouvement "Bloquons tout" tentent de bloquer une rue Porte de Montreuil, à Paris, le 10 septembre 2025 © Thibault Camus/AP/SIPA

À midi, Sébastien Lecornu fera son entrée à Matignon pour s’installer dans le fauteuil éjectable que François Bayrou a quitté hier. Pendant ce temps, l’extrême gauche bat le pavé depuis ce matin avec son mot d’ordre «Bloquons tout». Le ministre de l’Intérieur a promis une réponse policière des plus fermes en cas de débordements ou de blocages.


D’après Bruno Retailleau, la colère des Français pourrait se manifester par la violence en cette journée du 10 septembre. Ce qui s’exprime aujourd’hui, ce n’est pas la colère des Français, mais la rage impuissante des franges radicales et violentes de la gauche, la France qui débloque. C’est une mayonnaise largement montée par LFI. Dans les boucles Télégram étudiées par la Fondation Jean Jaurès, on a dénombré 88% d’électeurs de Mélenchon ou de Poutou. Ça a commencé avec « Nicolas qui paie » et ça finit en « Free Palestine »/ « La police tue » / « Macron démission ». Comme toujours ! Sauf les gilets jaunes au début, la plupart des mobilisations sociales de ces dernières années sont prises en otages par des voyous qui jouent à la révolution. Ils peuvent mettre des policiers au tapis (j’ai une pensée pour les 80 000 forces de l’ordre déployées aujourd’hui), ruiner d’honnêtes commerçants, peut-être menacer des sites stratégiques. Mais à part faire payer les riches, ils n’ont aucun projet. Et ils ne prendront pas le pouvoir dans la rue. Ni dans les urnes, j’espère.

Colères

Chacun brandit sa colère comme si cela créait des droits. Nous avons tous d’excellentes raisons d’être en colère. Contre le type qui met sa musique à fond dans le métro, contre le patron qui ne m’augmente pas, contre le gouvernement qui fait une mauvaise politique… C’est très humain, mais la colère n’est pas une politique. À moins de voter et de l’exprimer dans les urnes.

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Oui, mais les Français n’ont plus confiance dans leurs politiques, me dit-on.

Eh bien qu’ils en changent ! Il est vrai que notre système politique ne fabrique plus de légitimité. Jamais l’Assemblée nationale n’a été aussi représentative de la France et jamais aussi bloquée. Ce n’est pas seulement parce que de méchants partis seraient incapables de s’entendre, c’est le reflet de la profonde division du pays. Sommes-nous encore un peuple, c’est-à-dire une communauté politique qui se donne des institutions et des lois pour se gouverner ? Rappel historique : pour donner la citoyenneté pleine aux juifs français, Napoléon leur avait demandé s’ils considéraient les autres Français comme leurs frères. Aujourd’hui, j’ai l’impression que beaucoup de Français considèrent les autres Français comme leurs créanciers plus que leurs frères. Nicolas en a marre de payer pour les chômeurs et les retraités. Ce n’est pas super-fraternel. Mais c’est vrai pour tout le monde. Chacun en a marre des efforts à faire pour les autres.

L’immigration peut bien sûr aggraver le phénomène, mais il n’y a pas que ces fractures ethnico-culturelles. L’individualisme nous frappe tous, par ailleurs. Chacun pense que ses intérêts sont l’expression de la justice (j’ai travaillé donc j’ai droit à ma retraite, je suis pauvre donc j’ai droit à mes aides) et élit le candidat qui les défend. Les intérêts sont légitimes, il n’y a rien de mal à ça. Mais si la France court à la catastrophe aujourd’hui, c’est peut-être parce que chacun se demande ce que le pays lui doit et oublie de ce qu’il peut faire pour lui.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez notre directrice de la rédaction dans la matinale de Patrick Roger.




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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