Il y a 24 ans, l’islamisme replongeait l’Occident dans l’incertitude
Il y a des dates qui ne s’effacent pas, même lorsque le temps croit avoir le pouvoir d’apaiser. Le 11 septembre 2001 appartient à ces jours où l’histoire a pris feu sous nos yeux, où un matin de ciel bleu s’est transformé en crépuscule planétaire. À New York, des avions ont traversé les tours jumelles comme des poignards dans la chair d’un monde qui se croyait invincible. En quelques minutes, ce ne sont pas seulement des vies qui furent fauchées, ce fut une civilisation tout entière qui comprit qu’elle n’était plus à l’abri, que la barbarie frappait désormais au cœur même de sa modernité.
Mais pour moi, cet effondrement ne fut pas seulement celui de deux géants de verre et d’acier. J’y vis ressurgir les spectres de ma propre mémoire. Alger avait déjà connu la morsure de la haine, les cris étouffés sous le vacarme des bombes, les rues vidées de leurs passants, les bibliothèques incendiées comme des bûchers modernes. Le 11-Septembre ne m’apprit rien de neuf : il confirma seulement que ce que nous avions enduré dans l’ombre allait, tôt ou tard, engloutir la lumière du monde. L’Algérie avait été un laboratoire sanglant ; New York devint la vitrine tragique de ce que nous n’avions cessé d’annoncer.
Et pourtant, à mesure que les années passent, je vois l’oubli tisser sa toile. Vingt-quatre ans plus tard, combien de consciences se rappellent vraiment ce jour ? Combien ont remplacé l’effroi par une indulgence coupable, un relativisme confortable, une volonté de banaliser ce qui fut une déclaration de guerre à l’humanité ? On préfère parler de « diversité culturelle », on maquille le fanatisme en folklore, on confond la tolérance avec l’abdication. L’oubli n’est pas seulement une faute morale : il est une complicité.
Je sais ce que signifie cet effacement. J’ai vu, en Algérie, les premières concessions faites au nom de la paix. On a laissé les islamistes imposer leurs codes dans les quartiers, leurs dogmes dans les écoles, leurs menaces dans les foyers. On a cédé des mots, puis des gestes, puis des vies. On a pensé qu’en fermant les yeux, la bête s’assagirait. Mais le ventre restait fécond, et il l’est encore.
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Voilà pourquoi je ne peux me taire. Voilà pourquoi je répète, avec une obstination que certains me reprochent, que la laïcité n’est pas une option française, mais une condition universelle de survie. Elle n’est pas un luxe pour pays apaisés, elle est le socle sur lequel se construit une société adulte. Elle protège la foi en la préservant de l’instrumentalisation. Elle protège l’incroyance en lui donnant droit de cité. Elle protège la République en la tenant à distance des cléricatures de tous bords. Elle est ce garde-fou fragile, mais vital, contre la tentation du retour au sacré meurtrier.
Se souvenir du 11-Septembre, ce n’est pas nourrir un ressentiment. Ce n’est pas appeler à la revanche. C’est refuser la complaisance, refuser la naïveté, refuser la fatigue de penser. Car la haine, elle, ne se fatigue pas. Elle guette les faiblesses, les silences, les dérobades. Elle s’avance masquée, avec le sourire des compromis, avant de révéler le couteau qu’elle tenait dans son dos.
Je me souviens d’Alger, où un rire pouvait devenir une provocation, où une chanson à la radio pouvait valoir une condamnation, où des jeunes femmes furent égorgées pour avoir osé garder leurs cheveux libres. Je me souviens de ces amis disparus, assassinés pour avoir écrit, pour avoir enseigné, pour avoir simplement refusé de se taire. Alors quand je vois aujourd’hui certains expliquer qu’il faut « comprendre » les fanatiques, qu’il faut « contextualiser » leur violence, je sens monter la colère froide de celui qui a déjà vécu la descente aux enfers et qui sait que le prix du silence est toujours payé en sang.
Le 11-Septembre est une cicatrice mondiale. Mais une cicatrice ne signifie pas guérison : elle rappelle la blessure, elle exige la vigilance. Si nous baissons la garde, elle se rouvrira. Les flammes qui ont consumé New York peuvent renaître ailleurs, sous d’autres formes, avec d’autres visages.
C’est pourquoi j’écris, non pour ressasser, mais pour veiller. Comme on garde une flamme vacillante dans la tempête, comme on tient une veilleuse dans une chambre obscure. Les peuples n’ont pas besoin de discours rassurants, ils ont besoin de vérité. Et la vérité, c’est que la liberté n’est jamais acquise. Elle est un combat quotidien, un acte de résistance à l’endormissement général.
Je parle ici en exilé qui a dû quitter sa terre pour sauver sa voix. En poète qui croit encore que les mots peuvent tenir tête aux armes quand ils sont justes et courageux. En citoyen qui sait que la République n’est pas un mot d’histoire, mais un horizon à réinventer chaque jour.
Le 11-Septembre n’est pas seulement une date à commémorer. C’est un avertissement à ne jamais oublier. La barbarie est patiente. L’humanité, elle, n’a qu’une arme : la mémoire.
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