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Pourquoi j’aime Ruquier, Zemmour et Besson


Pourquoi j’aime Ruquier, Zemmour et Besson

Malgré ces passes d’armes, il n’y a pas trace dans OEPC du redoutable esprit de sérieux qui sévit dans les « toc-chauds » télévisuels à prétention culturelle – hormis celui de Taddeï. L’autodérision elle-même fait partie du programme avec Jean-Luc Lemoine, payé chaque semaine pour se payer les têtes du gang à Ruquier en moquant leurs tics.

Sans aller jusqu’à la parité « putes-archevêques » prônée par son prédécesseur Ardisson, Ruquier pratique allègrement le mélange des genres : vrais et faux artistes, politiciens honnêtes et présidentiables pressés, sportifs troglodytes et crieurs de ragots. L’essentiel, c’est que l’alchimie fonctionne ! La preuve : je me surprends parfois à gober ces trois heures d’affilée. (Pour les frères Dardenne, en général, dix minutes suffisent !)

Bien sûr, je peux aussi émettre des réserves : tout cela reste terriblement superficiel, n’est-ce pas ? Jamais un mot sur le drame des Serbes du Kosovo ! Vous voyez le niveau ?

En tout cas Patrick Besson l’a vu ! Dans une récente chronique du Fig Mag (13 mai 2008), l’implacable « humeuriste » se livre à un faux éloge posthume de Ruquier où l’ironie professionnelle laisse poindre une étonnante aigreur personnelle : « Il (feu Ruquier donc) pourfendait avec une acidité qui n’était jamais méchante, contrairement à d’autres jaloux de la presse écrite, les pensées toutes faites et le politiquement correct. » Allons bon ! Patrick ferait-il grief à Laurent de n’être pas lui ? Ou l’inverse ? A moins qu’il ne reproche à la presse écrite de n’être pas télévisée ? Ou le contraire ?

En principe, l’élitisme misanthrope de Besson n’est pas pour me déplaire. Il est même tout entier résumé dans ma phrase préférée de Jean Anouilh : « Je n’ai rien à dire à tout le monde ! » Il faut dire qu’Anouilh avait fait ses débuts dans les années 1930 en tant que scénariste des Dégourdis de la 11e, un film de comique troupier[1. Sorte de prequel raté de La 7e Compagnie.]. Certes il n’y a pas de sot métier, et il faut bien commencer (j’ai même personnellement commis un discours pour Monique Pelletier[2. Les plus anciens d’entre vous comprendront ma douleur ! (je demande aux autres de me croire sur parole.)]). Mais on comprend aussi ce que voulait dire l’auteur d’Antigone et des Poissons rouges : plus on a des choses personnelles et violentes à dire, moins on a de public[3. Voir Marc Lévy et Claude Lévi-Strauss.].

Sauf que Besson n’est pas Anouilh (scoop !). La misanthropie radicale de A est tempérée, chez B, par un authentique appétit de vivre – même au milieu des cons sonores.

Ainsi Patrick ventile-t-il[4. Allitération travaillée, contrairement aux apparences.] à toute la presse hebdo de piquantes chroniques sur tous les sujets – et à tous les éditeurs de languissants romans, souvent sur pas grand-chose.

Je vous entends d’ici : « Hou le Basile ! Il traite Besson d’aigri parce qu’il est lui-même jaloux comme un rat ! » Même pas vrai ! Si j’envie quelque chose, c’est bien cette monstrueuse capacité de travail qu’ont en commun, à défaut du reste, Patrick et Laurent.

Je dirais même plus : de tous les Besson actuellement sur le marché, Patrick est le seul que j’achète ! Mais force est de reconnaître aussi que ses homonymes font de fameux repoussoirs.

Résumons-nous : il y a Luc, le cinéaste interdit au plus de 12 ans ; Philippe, l’écrivain qui, faute de pensée vertébrée, a des opinions sur tout ; et puis Eric, le politicien GPS qui ne termine jamais une campagne présidentielle dans le camp où il l’a commencée, à moins d’avoir eu le temps de trahir deux fois…

Bref, il n’y en a pas un pour racheter l’autre ! Patrick au moins a du talent de la tête aux plumes : du style à coup sûr et, quand ça lui chante, du fond.

Bien sûr, j’ai du mal avec son tropisme romanesque. Comme disait Jules Renard (à moins que ce ne soit Simon Leys) : « Quand un romancier vaut mieux que ses romans, il ferait mieux de changer de métier ! »

Mais surtout, l’hégémonie du genre romanesque sur la production littéraire me paraît dangereuse pour l’avenir de l’intelligence.

J’en veux pour témoin notre belle jeunesse qui, quand par miracle elle lit encore, considère unanimement le roman comme l’essentiel de la littérature. Tragique erreur ! Entre autofictions creuses et polars pseudo-historiques à grand spectacle, combien en paraît-il par an ? Mille ? Dix mille ? Un million ? En tout cas, plus les romans pullulent, plus ils apparaissent pour ce qu’ils sont : un cagibi dans le Versailles des belles-lettres… Journaux intimes, essais, récits, nouvelles, contes, fables, poèmes : c’est tout le reste qui est littérature !

Cela dit, je ne suis pas plus objectif que vous dans cette affaire : non seulement je suis infoutu d’écrire le moindre début de roman, mais je n’arrive même plus à en lire.

Reste l’homme Besson. J’ai cru comprendre qu’il ne partageait pas pleinement ma Weltanschaaung ; mais qui n’a pas ses petits défauts ?

Je le vois comme un anar de droite – c’est à dire rebelle à l’embrigadement en général et au caporalisme post-progressiste en particulier – mais pas très catholique et fier de (ne pas) l’être !

Et Dieu sait que je ne lui en veux pas, s’il y arrive ! Mais pour moi, ne croire ni au bon sauvage ni au Bon Dieu, cela s’appelle la double peine : guère d’espoir en ce bas monde, et aucun dans l’au-delà !

Juillet 2008 · N°1

Article extrait du Magazine Causeur



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