Accueil Économie Parler de « jour de libération fiscale » ne rime à rien

Parler de « jour de libération fiscale » ne rime à rien


Parler de « jour de libération fiscale » ne rime à rien
Sipa. Numéro de reportage : 00834057_000006

Ce n’est pas de l’impôt ni des cotisations sociales qu’il faut nous libérer mais du mur absurde entre ce que nous payons de manière obligatoire et ce que nous obtenons des administrations. Démonstration.


L’Institut Molinari, Contribuables associés et quelques autres organismes qui se considèrent comme des think tanks, ont trouvé depuis une dizaine d’années le moyen d’intéresser les media : annoncer le « Jour J de la Libération fiscale des Français ». Survenant à une époque de l’année où les effectifs des rédactions sont réduits pour cause de vacances, cette annonce est facilement reprise. Cette année, Le Figaro du 27 juillet consacre au sujet l’équivalent d’une page et demie dans ses pages saumon (économie).

Aucune action publique ne mériterait que nous lui consacrions une partie de nos revenus 

Dans ce quotidien, il est écrit : « la France conserve encore cette année son bonnet d’âne du pays le plus taxé en Europe. Et donc de celui dont les citoyens commencent le plus tardivement à travailler pour eux-mêmes et à profiter du fruit de leurs efforts, au lieu de financer – via leurs impôts, cotisations et autre contributions sociales – les dépenses de l’Etat et de la Sécu ». Cette phrase résume parfaitement l’idée du « jour de libération fiscale » : tout ce qui est versé à l’Etat, aux collectivités territoriales (de plus en plus par l’intermédiaire du Trésor public), et aux organismes de protection sociale, serait perdu pour le citoyen. Tout cet argent serait gagné en vain par les travailleurs et les détenteurs de capitaux puisqu’ils ne sont pas libres de l’utiliser à leur guise !

La protection sociale est un service public indispensable 

Regardons donc à quoi sert cet argent. Premièrement, à procurer un revenu aux retraités : 325 Md€ leur ont été versés en 2016. Est-ce vraiment de l’argent qui a été volé aux Français ? Globalement, les retraités ont élevé les travailleurs actuels : en cotisant aux régimes de retraite, ceux-ci s’acquittent d’une dette à l’égard de la génération sans laquelle ils n’auraient pas la capacité de travailler productivement. Elever des enfants est un investissement, les retraités touchent le dividende qui récompense cet investissement : il s’agit d’un échange.

Que l’on reproche à cet échange d’être mal organisé au point que des personnes ayant peu de connaissances en économie ne le reconnaissent pas comme tel, je suis le premier à le faire, et cela depuis trente-cinq ans. Mais le scandale n’est pas de prélever des cotisations vieillesse, il est d’avoir légalement décidé que ces cotisations donnent droit à des pensions futures, confondant ainsi un versement de dividendes avec une dépense d’investissement.

Le cas de l’assurance maladie

Les dépenses de prise en charge des accidents, de la maladie et de l’invalidité, que ce soit par l’assurance maladie ou par l’assurance accidents du travail et maladie professionnelle, ont atteint 250 milliards d’euros en 2016. Ces dépenses et les cotisations qui en financent une grande partie relèvent typiquement d’une logique d’assurance. Certes, il ne s’agit pas d’une assurance commerciale, parce qu’une partie importante des cotisations versées par les plus riches sert à payer les soins prodigués aux plus pauvres. Cela correspond à la fraternité, l’un des trois piliers de notre République. Mais, là encore, le caractère assurantiel existe bel et bien : riche un jour ne signifie pas riche toujours, et le riche devenu pauvre n’est pas mécontent de rester couvert par une solide assurance maladie que ses revenus devenus exsangues ne lui permettraient plus de payer s’il fallait débourser son véritable prix.

Sans doute faudrait-il, pour faire bien comprendre la nature assurantielle de l’assurance maladie, la faire financer exclusivement par des cotisations salariales, en remplacement des cotisations patronales et d’impôts tels que la CSG. Le législateur français ne fait pas correctement son travail quand il avalise le bric-à-brac financier concocté par Bercy. Mais il ne s’agit pas de remplacer une assurance publique fraternelle par des assurances commerciales : il faudrait au contraire avoir le courage d’intégrer la couverture dite « complémentaire » et la couverture de base, de façon à économiser une bonne partie des frais de gestion, lesquels s’élèvent pour les complémentaires santé à 20 % des primes qu’elles encaissent, voire même un peu plus. Cela permettrait de laisser les actuels assureurs privés ou mutualistes gérer aussi l’assurance santé obligatoire de ceux qui le désirent, de façon à bénéficier de la stimulation à une bonne gestion que procure la concurrence.

L’exemple du chômage

L’assurance chômage ne fait pas partie de la sécurité sociale. Il vaudrait mieux l’y inclure plutôt que de travailler à son étatisation, comme c’est actuellement le cas. Compte tenu des dépenses d’insertion/réinsertion professionnelle, ce budget atteignait 45 Md€ en 2016. Les 10 % qui correspondent à des dépenses d’investissement dans le capital humain de personnes ayant perdu ou vu baisser leur employabilité relèveraient logiquement du budget de la formation professionnelle. Mais le reste des dépenses, soit 90 %, relève indéniablement de l’assurance : il faudrait que cette couverture soit clairement payée par ceux qui en bénéficient, à savoir les salariés, dont la cotisation ne correspond aujourd’hui qu’au tiers environ de la cotisation totale.

Les services des collectivités territoriales et de l’Etat

Pour une part, ces services correspondent à des dépenses régaliennes dont les citoyens tirent profit : chacun de nous a par exemple intérêt à ce que la France dispose d’une diplomatie, d’une armée, d’une police, de tribunaux et de systèmes d’incarcération et de réinsertion en fin de peine qui soient efficaces. Chacun sait que dans beaucoup de ces domaines nous ne dépensons ni assez, ni assez bien. Il ne s’agit pas d’augmenter les budgets pour faire exactement la même chose à plus grande échelle, mais de consacrer par exemple 20 % de plus à certains de ces services pour en obtenir 40 % de résultats supplémentaires : la disette budgétaire est souvent cause d’une sous-productivité considérable.

Les charges de personnel de l’Etat ont absorbé 143 milliards d’euros en 2017. C’est beaucoup, mais ce n’est pas forcément excessif : le scandale tient surtout au fait que cette dépense (un peu plus de 6 % du PIB) ne soit pas davantage efficace. Pour ce prix, les services publics devraient être de grande qualité, ce qui n’est hélas pas le cas. La formation initiale, qui mobilise environ 148 Md€ et 1,1 million d’agents, n’est pas très performante, comme le soulignent d’année en année les comparaisons internationales ; cela vient pour une part assez importante du « pédagogisme » ridicule qui règne dans une partie des établissements. Des gains de productivité considérables sont souhaitables et possibles, de façon à améliorer considérablement la qualité du « produit fini ». Un espoir est permis, puisque le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, semble avoir compris le problème et vouloir le traiter.

La nécessité d’importants progrès de la productivité des agents et de la qualité des services qu’ils rendent étant actée, reste à savoir si les collectivités territoriales et l’Etat sont par nature voués à gaspiller l’argent des contribuables. La réponse est : non ! Il existe quantité de domaines pour lesquels un paiement des services par l’impôt est plus rationnel qu’un achat « commercial ».

Dans sa remarquable Philosophie de l’impôt, Philippe Nemo dessine un contrat conclu entre les citoyens et l’Etat : « le citoyen paie l’impôt pour obtenir de l’Etat qu’il lui rende certains services ». On peut dire la même chose pour les services rendus par les collectivités territoriales. Toutes ces administrations sont au service de la population, et s’il est logique de se plaindre d’un mauvais rapport qualité/prix, il est ridicule de dire que nous payons des impôts pour rien. Si un jour ils sont obligés de payer un péage chaque fois qu’ils emprunteront une rue ou une route, plutôt que de verser un impôt en échange duquel ils obtiennent, entre autres, la liberté de circuler librement sur des centaines de milliers de kilomètres asphaltés, les Français auront-ils gagné au change ?

Il ne faut pas supprimer les prélèvements obligatoires mais en obtenir une bonne contrepartie

Il y a vingt-trois ans, Jean Picq publiait Il faut aimer l’Etat. Il avait raison, mais pour cela il faut que l’Etat soit aimable. Alors souvenons-nous de la sagesse des nations, selon laquelle « Qui aime bien, châtie bien ». Nous devons, sinon châtier l’Etat, du moins lui mettre la pression pour qu’il nous rende des services meilleurs à moindre prix. Ayons une attitude de consommateurs vigilants, qui en veulent pour leur argent. La formule service public est la meilleure dans un nombre important de cas, il est sot de le nier et de dire qu’en payant ces services nous jetons obligatoirement notre argent par les fenêtres.

Ce n’est pas de l’impôt qu’il faut nous libérer, ni des cotisations sociales, mais du mur absurde qui a été édifié entre ce que nous payons de manière obligatoire, et ce que nous obtenons des administrations. Il faut réintroduire l’échange au cœur des rapports entre les citoyens et les administrations publiques (Protection sociale, Etat et Collectivités territoriales).

Une formule de la comptabilité nationale et du jargon administratif résume à elle seule l’absurdité de la situation actuelle : « prélèvements obligatoires sans contrepartie ». Ce sont les deux derniers mots de cette formule qu’il s’agit d’éradiquer. Les prélèvements obligatoires ont de facto une contrepartie, mais peu visible, cachée qu’elle est par une organisation politique et bureaucratique que l’on dirait sortie du cerveau du Père Ubu. L’ensemble vaste et diversifié des services publics doit apparaître clairement comme la contrepartie – ou plus exactement l’ensemble des contreparties – des prélèvements obligatoires. Les vaticinations d’instituts en quête d’échos médiatiques, si elles étaient prises au sérieux, nous détourneraient d’engager les actions requises pour ce qui est le but véritable : améliorer le rapport qualité/prix des services publics.

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est économiste et membre fondateur du fonds de recherche Amitié Politique. Prochain livre à paraître : "La retraite en liberté" (Cherche midi)

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