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Cinéma de réalisateur

Les Herbes sèches, de Nuri Bilge Ceylan, sorti le 12 juillet. Un superbe film turc.


Le prix d’interprétation féminine raflé à Cannes par l’actrice des Herbes sèches, de Nuri Bilge Ceylan, ne doit pas réduire ce chef-d’œuvre à cette récompense. Une fois encore, le cinéaste turc fait mouche avec cette grande fresque romanesque qui brosse le portrait d’un prof accusé à tort de harcèlement sexuel dans un petit collège d’Anatolie. Avec sa maestria habituelle, le réalisateur signe un film dont le héros fait songer à celui de Musil dans L’Homme sans qualités. Champion toutes catégories des longues conversations entre deux personnages, il s’en évade régulièrement jusqu’à briser le fameux « quatrième mur » de la représentation théâtrale lors d’une scène dont il ne faut rien révéler. De même dans sa seconde moitié, lorsque le récit se révèle totalement imprévisible. Le tout est porté par l’art de la mise en scène et des ruptures de ton et de forme qui mettent à l’image un cinéma trop souvent décrit, et à tort, comme froid et pesant.

Macron sans modération

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Dans un récent article paru dans Le Point, on apprend qu’Emmanuel Macron aime boire, aussi bien du whisky que des bons vins, et pas uniquement pour les grandes occasions…


« Emmanuel Macron ou l’art si français de lever le coude », tel est le titre d’un excellent article de notre consœur du Point, Nathalie Schuck, qui, non sans humour, nous renseigne sur les habitudes du chef de l’État et sa prédilection pour les alcools, ainsi que sur sa capacité de résistance : « il est capable d’écluser plusieurs ballons de belle taille de whisky sans que nulle trace de griserie ne froisse son visage ». Et on apprend plus loin que depuis son arrivée à l’Élysée, « les bouchons sautent et les bulles frétillent », au plus grand bonheur des convives et de la sommelière de la présidence, Virginie Routis, première femme à détenir les clefs de la cave de l’Élysée. Mais tout cela a, officiellement, un objectif : le rayonnement de la France. Déjà à Bercy, Emmanuel Macron choyait ses hôtes étrangers en considérant les vins et les alcools français comme d’excellents ambassadeurs. C’est pourquoi il a décrété que ce secteur est « hautement stratégique », qu’il est un « marqueur civilisationnel ». « Le vin, dit-il, c’est l’âme française. Il relève de nos usages. Je fais partie de ces Français pour qui un repas sans vin est un repas un peu triste ». 

Et on se souvient qu’en 2018, il avait lancé, au salon de l’Agriculture : « Moi, je bois du vin midi et soir. » Des propos qui avaient fait bondir les sobres addictologues, dénonçant une banalisation de la consommation d’alcool.

Si nos précédents présidents pouvaient apprécier de beaux flacons, aucun n’en a pas fait une telle promotion. Le général de Gaulle, Pompidou et Giscard étaient des amateurs discrets de grands crus, tout comme Chirac qui s’était très habilement construit une image populaire de buveur de bière. Mitterrand et Hollande n’ont pas laissé de souvenirs bacchiques, quant à Nicolas Sarkozy, il ne boit pas une goutte d’alcool.

Aussi, les prises de positions d’Emmanuel Macron font de lui, aux yeux de certains, le meilleur VRP de la filière vitivinicole. Et un indice ne trompe pas : il s’est vu décerner le prix de la personnalité des Trophées du vin, en 2022. 

A lire aussi: Causeur #114: l’insurrection des imbéciles

L’article du Point est instructif pour qui ne partage pas l’intimité du couple présidentiel. Emmanuel Macron se livrerait à des dégustations œnologiques à l’aveugle, et, attention : il ne se trompe jamais ! Et quand son agenda le permet, le président et son épouse vont s’encanailler autour d’une bonne bouteille et une planche de charcuteries dans un bar à vin. L’un des rares convives témoigne : « Dans ces dîners, on se marre bien, à quatre ou cinq, pas plus, au bistrot ou dans un bar à tapas. Brigitte est là, il raconte des histoires, il rit de nos blagues ». 

Un virage à 180° 

Difficile de croire que l’on parle là de notre président réélu en 2022, cet homme si sobre, ce bourreau de travail ne dormant que quelques heures par nuit pour se consacrer à ses dossiers… Il suffit de relire ce qui était écrit il y a un an au sujet de l’ambiance à l’Élysée : on était loin, très loin, de laisser penser que le président pouvait aller prendre du bon temps entre copains dans un bar à tapas. 

Le 18 août 2022, le même Point publiait un article très renseigné sur la vie privée d’Emmanuel Macron. Ses « soirées sont invariablement consacrées au travail. Les nuits à l’Élysée sont bien souvent studieuses », pouvait-on lire, et l’article de Mathilde Siraud d’affirmer que le président « s’est astreint depuis ses débuts à l’Élysée une vie d’ascèse rythmée par une discipline quasi militaire », « point de fantaisies ni d’escapades nocturnes. Jamais, de mémoire de personnel de l’Élysée on n’avait connu la maison aussi studieuse ». Le président dormirait d’ailleurs si peu que cela inquiéterait son épouse et ses conseillers. 

Il est vrai qu’Emmanuel Macron travaille, et aime travailler tard, nombreux sont ceux à témoigner de leurs échanges de textos jusqu’au milieu de la nuit, même le week-end. Sylvain Fort, qui a été chargé de la communication de l’Élysée jusqu’en 2019, expliquait au micro d’Europe 1, un an plus tard : « Travailler avec Emmanuel Macron, surtout en proximité, c’est apprendre à se caler sur son rythme biologique, même si on n’a pas le même. C’est un rythme biologique qui, en gros, le mène à travailler jusqu’à 1h30, 2h du matin, puis à reprendre le collier vers 6h30/7h ». 

Gros rouge ou grosse com’ ?

Passer de l’image d’un président qui ne fait que travailler à celle d’un amateur de vins entouré de copains au bistrot sent un peu le coup de com’. Tout d’abord, la nature même de ces fuites interroge. Alors qu’Emmanuel Macron n’organise plus de dîners de la majorité à l’Élysée parce qu’il s’agace des fuites dans la presse, on apprend, par ce qui est vraisemblablement son cercle rapproché, l’un des quatre ou cinq intimes cité plus haut, qu’il aime partager des tapas dans un bar à vin. Si ce sont de vrais amis, c’est une fuite commandée.

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Apprendre l’existence de ces sorties est plutôt sympathique, mais le contraste est saisissant. En fait, ce n’est même pas contrasté : on nous dit, soit le président est un foudre de travail, à mi-chemin entre Jupiter et Vulcain, il ne dort pas, il pressurise ses conseillers etc. Soit c’est un copain qui fait des blagues au bistrot, et, quand il en fait, elles sont drôles ; c’est aussi un amateur de vin, et, quand il fait des dégustations à l’aveugle, il reconnaît tous les crus.

On peut être tout cela à la fois – c’est aussi ça, l’esprit français ! –, mais pourquoi en faire autant dans un sens comme dans l’autre ? C’est là où les ficelles de la communication deviennent trop visibles, pour ne pas dire trop grosses. On comprend que l’intention est de casser une image de techno, lisse et froide, de montrer un président qui vit la vraie vie des vrais gens… Mais ce n’est pas sûr que cela le rende plus populaire car, avec ces « révélations » on ne saisit pas quelle est la cible visée, à qui veut-il plaire. Cela fait son petit effet dans le milieu journalistique et peut-être politique, mais ce ne peut avoir d’impact sur une majorité de Français.

En communication aussi, la modération a du bon.

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Mélenchon l’insurrectionnel

Le leader de la France insoumise à qualifié le CRIF de mouvement « d’extrême-droite ». Ce dernier réunit les principales organisations juives de France et lui reproche d’être sorti de l’arc républicain en ne condamnant pas les émeutes. Parmi ses comparses de la Nupes et dans toutes les analyses de la presse, on se persuade donc que Jean-Luc Mélenchon est devenu complètement fou. En réalité, son comportement est finalement assez rationnel. Il compte sur les émeutes et la répression pour créer le chaos et renverser les institutions.


Avec tant de frasques, tant d’outrances, Jean-Luc Mélenchon donne l’impression d’être pathologiquement emporté par un irrépressible goût pour la violence politique, une sorte de tropisme révolutionnaire qu’il n’a su tempérer pour apparaitre en « bon père du peuple » qu’à l’occasion des présidentielles de 2017. 

Philippe de Villiers sur CNews : « Il est dans sa logique, et sa logique, c’est la logique insurrectionnelle. Quand on vieillit, on revient à son enfance. En fait, il revient au trotskisme. Il veut tout faire sauter. Et donc, la logique insurrectionnelle : il y a une insurrection, il y a le feu, il va là où il y a le feu, pour mettre un peu plus de feu. Voilà. Et deuxièmement, il va là où est son nouvel électorat. » Ainsi, Mélenchon veut mettre le feu « pour mettre le feu » lorsqu’il déraisonne ; lorsqu’il raisonne, il pense à son électorat qu’il flatte en soutenant les émeutes. Le premier est un dérapage, le second, une stratégie. 

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Le choc dé-civilisation

Éric Zemmour sur Twitter : « La stratégie de Jean-Luc Mélenchon est claire : devenir le candidat des musulmans coûte que coûte, quitte à flatter sans cesse l’antisémitisme des banlieues, quitte à justifier sans réserve les émeutes, quitte à qualifier d’extrême droite tout ce qui n’est pas d’extrême gauche. » 

Mélenchon rêve d’être enseigné sur les bancs de l’école

C’est en réalité bien plus grave que cela. Mélenchon sait que les émeutiers ne représentent pas son électorat largement issu de l’immigration, et qu’une partie importante n’adhère sans doute pas à ses prises de position insurrectionnelles, quoi qu’en disent les indigénistes, pas plus qu’elle n’apprécie ses diatribes contre la police. Alors, pourquoi tous ces excès ? Mélenchon tente son va-tout avant de disparaitre. Après avoir échoué en 2022, il n’a plus grand espoir de prendre le pouvoir par les urnes. La fenêtre de tir est refermée car la population française vire à droite à vitesse grand V et il le sait. Mais il sait aussi que dans notre pays, à l’imagerie révolutionnaire bien connue, la période est particulièrement instable. Le risque est grand d’une émeute qui déborderait tragiquement les pouvoirs publics. Voilà sur quoi il mise désormais. Simple hypothèse, mais elle mérite qu’on s’y attarde. Plusieurs éléments vont en ce sens.

C’est conforme à ses motivations. Le vrai but de Mélenchon, fasciné par les révolutionnaires, est de marquer l’histoire comme ils l’ont fait. Il veut être enseigné sur les bancs de l’école. Il s’était rêvé en Jaurès, à présent être un Danton, voire un Robespierre lui siérait bien. Qu’importe, du moment qu’il entre dans les livres d’histoire ! C’est pourquoi il est obsédé de longue date par sa fameuse VIe République. Changer le régime politique d’un pays, quelle meilleure façon de rester à la postérité ? 

Au diable les bourgeois… Bon, les bobos peuvent quand même rester !

C’est également explicatif de ses agissements. Une fois qu’on table sur l’insurrection, nul besoin d’apparaitre pour un modéré afin de rassurer le bourgeois. On se fiche bien du cordon sanitaire qui doucement s’installe autour de Nupes. On souffle sur les braises en espérant que le feu prenne, on légitime les émeutiers, on en fait même des insurgés, pour mieux les récupérer le moment venu, quand il faudra un homme providentiel. Fort de sa légitimité, lui qui aura soutenu les émeutes de bonne heure, il prendra le pouvoir et imposera enfin une VIe République. Vous devrez apprendre sa date de naissance, lire ses biographies. Il y aura eu les révolutionnaires, les deux Napoléon, de Gaulle, et Mélenchon ! Les autres seront oubliés, y compris les présidents, qui passent et se succèdent, d’autant que la fonction est quelque peu galvaudée par des présidents médiocres, pour rester poli. Est-il si flatteur de devenir président de la République quand on pense à François Hollande ?

Enfin, le comportement de Mélenchon est finalement assez rationnel. À un moment où la France bascule dans la violence sociale et politique, où les Français se droitisent conséquemment, il y a des chances sérieuses que Marine Le Pen arrive au pouvoir. Or, ce serait selon l’extrême gauche le moment idéal pour des insurrections de masse. Les médias ne sauraient pas les condamner, puisqu’ils ont diabolisé Marine Le Pen. La répression qui s’ensuivrait serait peut-être même vertement vilipendée par tout ce que le pays compte de bienpensants, et une voie royale s’ouvrirait devant le vieux tribun de LFI pour imposer sa nouvelle République. La seule chose que craint Mélenchon aujourd’hui, c’est que ce soit un autre qui joue ce rôle-là.

Chair à canon

Dans ce scénario, Mélenchon a tout intérêt à multiplier les outrances pour favoriser l’arrivée de Marine Le Pen au pouvoir, laquelle offre un terrain plus favorable aux émeutes qu’un président plus ou moins centriste, en tout cas qui n’a pas l’étiquette d’« extrême droite ». En somme, devant un peuple qui se droitise, Mélenchon opposerait ici la stratégie consistant à le pousser du côté où il va tomber, c’est-à-dire la guerre civile. De ce chaos, il pourrait faire émerger un nouveau régime qui porterait de nouveaux verrous susceptibles de museler la droite aussi surement que la guillotine et remettre ainsi la France sur les rails du gauchisme. Le contexte d’émeutes des cités et autres black bloc muées en « résistance face au fascisme » serait un narratif idéal pour une telle mise au pas.

A lire aussi, Philippe Bilger: Marine Le Pen est-elle vraiment favorite pour 2027?

Conclusion : Mélenchon semble bien être devenu un séditieux, le chef de La France Insurrectionnelle. À ce titre, certains avancent qu’il pourrait être poursuivi. Pourquoi les autorités ne le font-elles pas ? Peut-être qu’Emmanuel Macron espère simplement tenir assez longtemps pour refiler la patate chaude à Marine Le Pen et laisse Mélenchon impuni au mieux pour ne pas le victimiser, au pire pour éviter de déplaire aux journaux de gauche. En tout cas, s’il y en a une qui devrait méditer sur tout cela, c’est bien Marine Le Pen. La gestion de cette situation sera son principal défi si elle arrive au pouvoir. Quant aux émeutiers, aux pillards, aux racailles de cités, tout le monde comprend désormais qu’ils ne sont jamais que la chair à canon des ambitions de Mélenchon. Et, quand ce dernier inscrira la transition de genre dans la nouvelle Constitution, entre autres joyeusetés wokes bien loin de leurs préoccupations, la jeunesse ignare tireuse de mortiers comprendra peut-être combien l’inculture politique favorise les manipulations dont la gauche reste à ce jour la plus grande experte.

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Najat TV

Netflix n’a qu’à bien se tenir. Najat Vallaud-Belkacem a discrètement lancé son propre site de vidéos en streaming, Inclusiv.tv. Tout un programme!


Quelle est la grande idée de Najat Vallaud-Belkacem qui, comme beaucoup de politiques, n’en a qu’une ? Réponse : accepter l’altérité rendra la société française plus forte. Quelle figure contemporaine représente mieux l’Autre que le migrant ? Invitée, sur Paris Première, à commenter le naufrage de l’Andrianna survenu le 14 juin, la Franco-Marocaine a regretté, des trémolos dans la voix, que l’Assemblée n’ait pas observé une minute de silence, et que Frontex puisse procéder à des opérations de « push back ». Observant les réussites pédagogiques obtenues dans le domaine du réchauffement climatique, elle a ensuite formulé un vœu : « Je rêve d’un GIEC sur les questions migratoires, que des sachants qui voient les chiffres viennent éclairer l’opinion. » Elle s’est évidemment voulue rassurante : « L’immigration en France, on sait que c’est à peu près 10 %. C’est quand même des chiffres assez contenus. On a l’impression d’accueillir des millions de migrants via le droit d’asile. Pas du tout ! Sur 130 000 demandes déposées chaque année, il y a à peu près un tiers qui est accepté. »

A lire aussi : À quand un ministère de la Vérité en France?

Ces jours-ci, l’ex-ministre de l’Éducation que les parents ont tant aimé détester lance un nouveau service de vidéos sur abonnement : inclusiv.tv. Le site, où sa bobine apparaît pas moins de trois fois sur la page d’accueil, offre une sélection de documentaires. « On y apprend à trouver sa place, mais aussi à aider les autres à trouver la leur. » Alors que la bataille culturelle fait rage entre militants et opposants de l’école inclusive, on est ravis d’apprendre que Mme Vallaud-Belkacem se concentre sur ses programmes télé plutôt que sur nos programmes scolaires. Mais, alors que Netflix, les feuilletons de TF1 ou la publicité semblent avoir déjà intégré des quotas de tout ce qui est imaginable, on peut tout de même se demander si elle y croit encore, quand elle se vante de mettre en avant « ceux qui résistent et qui prônent le mélange, l’inclusion ou le vivre-ensemble », stigmatisés comme des « bisounours naïfs et inconscients ».

Marine Le Pen est-elle vraiment favorite pour 2027?

La fille continuera à payer la rançon des errements du père, selon notre chroniqueur. Et si les Français n’ont plus honte de dire qu’ils votent RN, ils pourraient, au moment de glisser leur bulletin de vote dans l’urne, craindre de nouvelles émeutes en cas de victoire de Marine Le Pen à la prochaine présidentielle. 


Marine Le Pen n’est pas fasciste ni néonazie. Elle a procédé à une dédiabolisation sincère au sein du RN, même si ses adversaires compulsifs font semblant de ne pas y croire pour conserver leur haine bien intacte, bien au chaud. Argumenter et contester sur le plan politique serait beaucoup plus fatigant ! Je répète que réclamer l’équité médiatique et démocratique pour le RN, encore plus depuis les dernières élections législatives, ne fait pas de moi un suppôt de ce parti et ne m’a jamais conduit à être l’un de ses électeurs que par ailleurs je ne méprise pas. Il serait paradoxal d’être plus indulgent avec ceux qui crachent sur la France qu’avec ceux qui l’aiment. Je continue, au risque d’aggraver mon cas, à soutenir que ce pouvoir, en décrétant d’emblée que LFI et le RN n’appartenaient pas à « l’arc républicain » s’est arrogé un droit indu. Il n’avait pas à trier parmi l’ensemble des députés qui, par l’élection, devaient bénéficier du même respect de principe et de la même légitimité républicaine. Tout cela exprimé, je considère, sans être péremptoire, que 2027 sera sans doute la troisième et dernière défaite présidentielle de Marine Le Pen. J’ai conscience de m’aventurer en postulant que son adversaire au second tour ne sera pas quelqu’un dont l’extrémisme ferait encore plus peur que le sien. Je n’imagine pas par exemple un Jean-Luc Mélenchon y accéder et, si je me trompais, il serait probablement sèchement battu. Je me souviens d’un sondage qui, les mettant face à face au second tour, la voyait l’emporter avec 60%. Je ne crois pas que l’absence d’Emmanuel Macron, qui s’était vanté d’être le seul qui pouvait la vaincre à deux reprises, empêchera un représentant de la droite classique, du centre, du macronisme – Laurent Wauquiez, Jean Castex ou Edouard Philippe par exemple – de prendre la relève.

Les jeux ne sont pas faits

Je vais évoquer, par ordre croissant, les raisons qui font que, malgré la certitude affichée par beaucoup (pour s’en féliciter ou pour effrayer, quatre ans avant la prochaine échéance), je dénie que les jeux républicains soient faits et sa victoire acquise après deux tentatives infructueuses.

D’abord, le nom de Le Pen demeurera un handicap pour l’échelon suprême. Il maintiendra ce que la dédiabolisation largement menée à bien avait pour but de faire disparaître : le lien avec le père et les saillies, outrances et provocations historiques dont il a abusé. La fille continuera à payer la rançon des errements du père.

Ensuite, Marine Le Pen n’a cessé de progresser sur le plan technique, notamment dans ses entretiens avec les journalistes, jusqu’à parvenir à garder son calme quand tel ou telle d’entre eux pratiquait délibérément un questionnement exclusivement à charge. En même temps – et c’est une faiblesse dont elle n’a jamais pu se départir -, Marine Le Pen a et est une personnalité politique qui est bonne sans discontinuer dans son registre, sauf lors du moment crucial où la victoire décisive se gagne ou se perd. À deux reprises, elle a calé face à Emmanuel Macron et pourtant ce dernier n’a pas été éblouissant en 2022, se permettant de la traiter avec une désinvolture presque condescendante. Le problème, par deux fois, a tenu à une mauvaise articulation entre une oralité vigoureuse et volontariste mais un fond de moins en moins précis et compétent. Entre un verbe péremptoire et une substance de plus en plus approximative. Chez le téléspectateur, l’écart ne pouvait que laisser place à une impression d’amateurisme. Certes, en 2022 son score final a été meilleur qu’en 2017 mais le même blocage – avec en plus un adversaire en tête au premier tour – l’a privée d’un succès qui n’était pourtant pas inconcevable.

Des députés exemplaires

Enfin, il convient de mettre en lumière l’enseignement capital que la vie parlementaire nous a donné depuis les élections législatives (et le nombre de députés RN au-delà des espérances réalistes de Marine Le Pen) : le comportement quasiment exemplaire de ce parti à l’Assemblée nationale. Exemplarité dans la forme, perçue d’autant plus favorablement que le contraste avec LFI et l’extrême gauche était dévastateur pour ces dernières. La correction collective du groupe RN, le souci de son apparence, le classicisme superficiel imposé par sa présidente, s’ils ont permis de façonner une belle image partisane, n’ont en revanche pas fait bouger d’un iota la crédibilité du RN sur le fond. Non seulement à cause du refus obstiné de l’ensemble des groupes de répondre positivement à la moindre initiative législative du RN, dont en revanche on a accepté le soutien, mais, plus profondément, en raison des faibles variations de l’opinion publique : le RN espérait une relation entre son attitude parlementaire globalement louée, en en étonnant plus d’un et, en conséquence, la crédibilité et la confiance attachées à son programme. Mais tout démontre, pour schématiser, que la forme n’a pas suscité une adhésion accrue sur le fond. Cette impasse peut avoir pour conséquence paradoxale de banaliser le RN, qualifié de bon élève, offrant une double face contrastée : l’une qui dorénavant ne se distingue guère des conceptions de l’autorité, de la sécurité et de la justice de LR et l’autre, encore moins de la vision sociale, économique et étatique de LFI.

L’union de la droite extrême avec la droite républicaine aurait pu constituer une configuration possible mais la première n’en veut pas et la seconde y répugne, surestimant sans doute ses différences.

Mon analyse n’est pas contradictoire avec les enquêtes d’opinion à venir qui, avec Jordan Bardella, situeront probablement toujours le RN à un rang élevé et Marine Le Pen en très bonne place. Mais en 2027, lors du second tour ?

J’ose à peine évoquer un élément qui est si peu démocratique qu’on a scrupule à le mentionner. Si dorénavant on n’hésite plus à admettre qu’on va voter pour le RN, je ne suis pas persuadé qu’en revanche, au moment de glisser le bulletin dans l’urne, dans une France de plus en plus éruptive, où l’esprit démocratique s’appauvrit gravement, le citoyen n’éprouvera pas de l’angoisse face aux conséquences d’une victoire de Marine Le Pen. Moins à cause du programme qu’en raison des orages prévisibles d’un pays n’acceptant pas cette issue qui serait pourtant démocratique. Une France susceptible de continuer sur sa lancée violente d’aujourd’hui, pour un enfer demain ? 2027 ne verra pas Marine Le Pen succéder à Emmanuel Macron. Non pas grâce à lui mais à cause d’elle-même. En 2032, Jordan Bardella et Marion Maréchal, eux, seront sans doute dans la course.

Harold Hyman: «Les nations occidentales sont elles-mêmes en proie à une perte de confiance en la démocratie libérale parlementaire»

Figure reconnaissable entre mille, Harold Hyman est le Monsieur Relations Internationales de CNews. Lunettes rondes à monture épaisse, bretelles rouges bien en évidence, son érudition et sa capacité à transformer une carte en un récit captivant ne sont plus à démontrer. Causeur a voulu savoir comment un Américain a pu – et voulu – s’imposer aux médias français et quelles sont ses préoccupations majeures quand il regarde le monde contemporain en face. Propos recueillis par Alix Fortin et Jeremy Stubbs.


Causeur. Vous êtes franco-américain,  new-yorkais d’origine : qu’est-ce qui vous a motivé pour venir vivre en France en tant que journaliste spécialisé en affaires internationales ?

Harold Hyman. Au départ, après mes études, j’ai hésité entre une carrière de journaliste, de diplomate, ou de chercheur. Avant même de décider, il fallait choisir un environnement linguistique et culturel, et j’ai opté pour une aventure française, et non américaine. Comme j’aime ces deux pays par-dessus tout, il fallait vraiment y croire car il n’y aurait pas de retour en arrière.

Ensuite, le journalisme était évident pour moi, car on est journaliste par prédisposition,  l’école de journalisme n’est pas obligatoire, et cette activité couvre tous les domaines. J’ai supposé qu’en France je pourrais écrire comme au lycée ou en fac, avec des démonstrations, des références historiques, des conversations rapportées. Stylistiquement, Le Figaro me semblait plus clair que le New York Times, quoique moins dense. L’actu internationale était plus pétillante et directe sur RFI et France Info que sur Voice of America. En France, il y avait un meilleur dialogue entre la droite et la gauche et une meilleure connaissance du monde international et post-colonial – c’est-à-dire une meilleure compréhension du tiers monde, de l’Europe, et du monde arabe. Et la connaissance des États-Unis était plus forte en France que l’inverse. Choisir la France était donc logique selon mes critères subjectifs.

Quel a été votre parcours ?

Après avoir fait le lycée français de New York pendant 12 ans, jusqu’au baccalauréat, et ensuite étudié la  littérature comparée, je suis parti à Montréal pour étudier l’histoire. C’était une deuxième immersion dans le monde intellectuel de type français. Là-bas, j’ai certainement étudié dans les mêmes salles et avec certains des mêmes professeurs que Mathieu Bock-Côté quinze ans plus tard ! Me consacrant à l’histoire du Québec, j’ai fait un mémoire consacré à la politique culturelle québécoise jusqu’en 1965, début de la « Révolution tranquille ». Ce mémoire est cité encore aujourd’hui par les chercheurs, car ma curiosité m’a poussé à faire un travail en profondeur sur le sujet. Donc, j’ai le parcours de quelqu’un qui se laisse porter de-ci de-là jusqu’à ce qu’il trouve la bonne voie pour ne plus la quitter.

Pour revenir au présent, quel est, selon vous, le plus grand danger pour la paix dans le monde entre la course au réarmement, la montée de la flotte chinoise et le risque de dérapage nucléaire?

Le plus grand risque, c’est la Chine populaire, car si sa puissance continue de monter au point de concurrencer les États-Unis, on va devoir se réarmer, et la question nucléaire sera posée. Les actions de Poutine ont changé l’équation dans une certaine mesure. Certes, la Chine n’est pas plus faible après l’action de Poutine, mais peut-être que l’Occident sera un peu plus fort. Bien que l’OTAN ait été perçue comme une menace permanente par Poutine, en réalité elle n’était pas aussi puissante que prévu, puisque l’OTAN n’avait pas armé son flanc est en Europe pour ne pas provoquer la Russie! Une forme d’engrenage s’est installé progressivement : à chaque provocation de Poutine, les membres de l’OTAN s’armaient un peu plus, ce qui justifiait Poutine dans sa dérive. On voit, aujourd’hui, que l’OTAN peine à fournir des armes aux Ukrainiens. C’est étonnant, car justement il s’agit de se battre contre l’ennemi qui avait inspiré l’invention même de l’OTAN. Quand les Chinois voient cela, ils sont encouragés dans la poursuite de leurs ambitions, qui sont la récupération de gré ou de force de Taïwan, l’intimidation permanente faite au Japon et la création d’une zone d’influence allant du Kazakhstan au Vietnam. Malheureusement pour la Chine, le Vietnam est devenu un ami des États-Unis – ironie de l’histoire ! Selon le dénouement de la guerre russo-ukrainienne, la Chine va réajuster ses priorités. La Russie représente certes un danger pour l’Occident, mais moins que la Chine sur le long terme. Poutine a osé la guerre en Ukraine car Xi Jinping a adopté une posture de neutralité bienveillante. Toutefois, la puissance chinoise menace la Russie elle-même, car la Sibérie orientale est une revendication territoriale chinoise, en doctrine sinon en droit, depuis la fin du XIXe siècle et la conquête russe de ce territoire préalablement sous suzeraineté impériale chinoise. Le compte à rebours a commencé pour la Fédération russe en Extrême-Orient.

Pourquoi les nations n’arrivent-elles pas à se mettre d’accord sur des questions aussi urgentes et fondamentales que les mesures pour nous protéger contre le désastre environnemental ou le choix d’un modèle démocratique ?

S’agissant du climat, il est inutile que des nations industrialisées démocratiques prennent des mesures si les autres ne suivent pas. La bonne nouvelle, c’est que le parti communiste chinois sous Xi Jinping n’est pas opposé à l’action sur le climat. La Chine populaire a signé un accord bilatéral symbolique avec les États-Unis il y a une dizaine d’années, sous Obama, et on s’en est beaucoup félicité. Elle joue le jeu des diverses COP pour plusieurs raisons dont la peur d’un soulèvement général en Chine face à la pollution. Parce que le citoyen, ou plutôt le sujet du Parti communiste chinois, peut supporter de ne pas penser politiquement mais non pas de boire de l’eau brune. On a peu remarqué le nombre de mini-soulèvements en Chine depuis 10 ou 15 ans provoqués par des questions purement environnementales. Ce qui était demandé, ce n’était pas : « Donnez-nous une constitution avec la séparation des pouvoirs et le multipartisme ! » C’était : « Le chef de parti local est un salaud et un corrompu. Remplacez-le, payez-nous nos salaires et arrêtez d’envoyer des déchets chimiques dans les eaux ». Donc le problème de l’environnement pourrait peut-être être réglé avec ou sans la question démocratique.

Concernant le prestige mondial du modèle démocratique, les nations qui l’appliquent sont elles-mêmes en proie à une perte de confiance en la démocratie libérale parlementaire. Pourquoi cette désaffection? Il y a un cocktail de facteurs. La gauche et le centre bien-pensants ont cru que l’histoire allait dans leur sens, et que le simple fait de proclamer et imposer leur vision amènerait les autres à s’y rallier. En France cela a fonctionné sur plusieurs thèmes, dont la peine de mort et le mariage gay. En face, il y a une gauche populiste et surtout une droite populiste, qui se disent que pour contrer les bien-pensants, il suffit de transformer le processus démocratique en matraque, pour balayer la politique de la gauche et du centre. La vie politique devient une guerre de positions idéologiques, avec un vernis de démocratie. Ainsi, dans les pays occidentaux, les gens ont du mal à se mettre d’accord sur la définition du modèle démocratique, alors qu’on devrait s’inquiéter de la montée des nouveaux autoritarismes.

Qu’entendez-vous par « matraque » ?

Des groupes sont prêts à utiliser tout ce qui est légal et conforme à la Constitution mais contraire à l’esprit démocratique. Par exemple, quand Donald Trump annonce sa campagne électorale depuis le balcon de la Maison Blanche avec des feux d’artifice. Aucun président n’aurait osé faire ça au XXe siècle, même pas Nixon. Tous ont séparé le président du candidat. Mais aujourd’hui, on va jusqu’à utiliser la présidence de manière partisane, et l’on insulte les juges, les mœurs des uns et des autres lorsqu’il s’agit de vétilles comme le prix des dîners ou d’une raquette de tennis. C’est l’invective démagogique qui est une matraque.  Certains écolos exaltés ont également réussi à faire passer la consommation de viande et d’énergie nucléaire pour un crime, et avancent sur une voie où la prochaine étape sera l’égalité entre les hommes et les animaux. Ainsi l’on constate que la démocratie n’a pas réussi à faire une synthèse. Elle a donné lieu à deux mondes qui se battent sur le dos de la démocratie, et ce type de conflit s’est répandu partout en Occident. Le populisme de droite m’agace, mais je ne vois pas une réponse intelligente venant de l’autre camp.

Pourquoi le courant de pensée en France qui se méfie de l’atlantisme et de l’OTAN continue-t-il à exercer une influence non négligeable ? Ceux qui y adhèrent ont-ils raison sur certaines choses ?

Selon les Français, qu’il s’agisse du Général de Gaulle ou du Parti communiste, la France, pour être forte, devait être l’égale de toute autre puissance. Or cette attitude fait fi de notre déconfiture de 1940. La faille originelle est dans cet oubli. Une fausse idée a été propagée, comme quoi la France redevenait grande et puissante, narratif nécessaire à partir de 1945 si la France voulait participer à la reddition de l’Allemagne. Aujourd’hui, toute cette histoire-là est finie, mais ce mythe continue de vivre sans raison d’être ni vertus stratégiques. Et les mêmes qui sont anti-atlantistes sont anti-européens, donc je me demande contre qui on doit se défendre et avec quels alliés…

Il y a aussi le concept d’autonomie stratégique, qui est une construction intellectuelle douteuse: certes l’armée française doit avoir ses propres armes et ses moyens satellitaires, indépendants des Américains, mais notre autonomie est toute relative. Est-ce que le budget français doit véritablement payer le prix énorme pour un système satellitaire français ? Est-ce que la rupture d’avec l’OTAN nous ferait pousser des champs de billets de banque pour avoir ce système satellitaire autonome?

La tradition anti-atlantiste réunit des gens très différents comme les communistes à la Roussel, pour qui Staline était un camarade surtout lorsqu’il contrait l’impérialisme américain. C’est un anti-américanisme facile, teinté de tiers-mondisme démodé. À droite, il y a des gens qui ne digèrent pas la défaite de 40, le déclassement. Pour ne pas l’avouer, on préfère sortir de la classe. Ne pas vouloir être dans l’euro, ne pas vouloir être dans l’OTAN, ne pas penser à un futur standard militaire européen, c’est chercher une forme de singularité française sans puissance. Ce serait déjà bien que la France pèse un sixième des États-Unis militairement, alors que nous ne pesons que le dixième. Cet écart n’est pas dû aux supposées servitudes de l’Alliance atlantique.

Les anti-otaniens prétendent qu’il ne faut pas être les « toutous » des États-Unis.  Mais quand est-ce qu’on a été les toutous ? Sommes-nous retournés au Vietnam avec les Américains ? Sommes-nous allés en Irak en 2004 ? Sortir de l’OTAN, c’est briser l’échiquier parce qu’on n’aime pas les manières de son adversaire. Ils voudraient se rapprocher de Vladimir Poutine, mais alors quel allié infréquentable aurions-nous aujourd’hui ?

Pourtant, la France a été insultée et mise à l’écart par ses alliés – américains, britanniques et australiens – lors de l’affaire de l’AUKUS l’année dernière. Les Français n’ont-ils pas raison d’insister sur leur autonomie stratégique et diplomatique ?

Concernant l’affaire du pacte AUKUS, une puissance comme la France a subi un coup bas, mais pas une trahison irrémédiable. C’est un genre de mini-Suez 1956. Je prétends tout de même qu’il aurait fallu déceler cette entourloupe et  parer au plus pressé. Nous sommes censés être des maîtres du renseignement, au-dessus des Italiens, des Américains, des Allemands et des Anglais. Mais nous n’avons pas vu venir le pacte AUKUS. Il y avait pourtant des signes à interpréter. Je pense qu’au final les Australiens n’ont pas pris les sous-marins classiques français parce qu’ils éprouvaient une panique terrible, en 2019-2020,  que Pékin puisse vouloir les isoler complètement sur le plan géographique et économique. Par exemple, la Chine populaire a retiré tous ses étudiants de l’Australie, la privant des frais de scolarité qui se comptaient en dizaine de milliers de dollars par personne et par semestre. Le lait et la viande australiennes ont été soudainement interdits d’entrée sur le sol chinois. Or, en commandant des sous-marins nucléaires aux États-Unis, le gouvernement australien mettait à disposition de la U.S. Navy un port australien pour des sous-marins nucléaires américains. L’astuce pour l’Australie consistait à acquérir ainsi une protection gratuite. Nos services de renseignements et nos diplomates auraient dû prévoir cela. Mais je ne leur jette pas la pierre. Côté français, on s’en est sorti comme on pouvait. Maintenant Joe Biden et Rishi Sunak et Anthony Albanese nous envoient des fleurs, mais malheureusement c’est surtout symbolique. La vérité demeure que Joe Biden a négocié avec Tony Morrison, Premier ministre australien de l’époque, sachant que ce dernier était déloyal envers le contrat français. L’alliance otanienne n’est pas une garantie à 100% de la loyauté en tout. Mais posons-nous la question: qui viendrait à la rescousse si la Nouvelle-Calédonie se retrouvait entourée par la flotte chinoise, comme ce fut le cas avec Taïwan en mars 2023 ? Au moins Taïwan dispose d’une véritable flotte, infiniment plus grande que les maigres forces navales françaises du Pacifique. Le salut viendrait de la flotte américaine du Pacifique bien sûr. Il est souvent dangereux de s’enivrer de symboles, il y a une alliance profonde mais pas de fusion entre nos nations. Le Pacifique n’est pas l’Europe, et la France et l’Australie ne domptent pas la Chine. Les États-Unis peuvent encore le tenter. Autant dire que la stratégie indo-pacifique de Macron me semble démodée.

La suite demain

La Russie durcit sa loi anti-LGBT et interdit le transgenrisme

La Douma a durci une nouvelle fois sa législation contre les LGBT. Les députés ont voté en faveur d’une nouvelle loi interdisant toutes opérations chirurgicales visant à un changement de sexe. Une loi qui se place dans «le sens de l’intérêt supérieur de l’enfant» selon la chambre basse du Parlement russe.


Réunis en session parlementaire le 14 juillet 2023, les députés de la Douma se sont penchés sur un projet de loi visant à interdire aux médecins tous types d’opérations chirurgicales permettant un changement de sexe. Sauf dans les cas liés au traitement d’anomalies physiologiques congénitales détectées chez les enfants. Votée à l’unanimité, la loi freine également le droit à l’adoption par les personnes transgenres et empêche les bureaux russes d’état civil de modifier des documents officiels sur la base de certificats médicaux justifiant de changements physiques. Jusqu’ici, paradoxalement, un(e) transgenre « pouvait se rendre dans un hôpital public ou une clinique pour obtenir un document médical lui permettant de modifier de tels documents » comme le rappelle dans ses colonnes le quotidien Le Monde daté de juin dernier.  

Taper sur les homosexuels et les trans est un axe important de la propagande anti-Occident du Kremlin

Une série d’amendements qui vient renforcer la loi existante sur la « propagande gay » signée par le président Vladimir Poutine en décembre 2022 et qui prévoit déjà des sanctions très lourdes pour quiconque ferait la promotion de « relations et/ou préférences sexuelles non traditionnelles », ainsi que la transition de genre. Afin de justifier cette loi, plusieurs députés ont expliqué que le projet entendait stopper « une industrie développée de changement de sexe qui inclut des médecins malhonnêtes, des psychologues, un réseau d’organisations et d’activistes LGBT (…) qui mènent leur activité destructrice contre les adolescents et la jeunesse », et qu’il répondait à une demande de la société civile russe très sensible à ce sujet. « Le transgenrisme est une tendance monstrueuse ! C’est une voie qui mène à la dégénérescence d’une nation. C’est inacceptable pour nous » a d’ailleurs déclaré Viatcheslav Volodine, président de la Douma, pour expliquer son soutien à la loi. « L’avenir du pays doit reposer sur des familles saines, sur une éducation saine des enfants, et non sur les jeux européens de démocratie, qui se sont depuis longtemps transformés en dégradation générale » a ajouté la députée Tamara Frolova.

A lire aussi, Jeremy Stubbs: Le Mois des fiertés LGBT: une appropriation cultuelle

Voix des transgenres en Russie, Roman Aleshin (devenu depuis Yulia Alyoshina) a dénoncé une « loi discriminatoire et un véritable génocide des personnes transgenres ». « Les répercussions seront dures, car les personnes transgenres se verront refuser le droit aux soins médicaux, qui est garanti par la Constitution (depuis 1997-ndlr) » rappelle l’ancien élu de l’Initiative civile, un parti politique libéral. Une loi qui permet même de donner un statut « d’ennemi d’État » aux transgenres selon Ian Dvorkine, un psychologue qui dirige une ONG russe d’aide aux personnes souhaitant faire une transition. Selon un sondage réalisé par Levada en juin 2020, c’est un Russe sur cinq qui souhaite « l’élimination » des LGBT du pays et 32% qui réclament qu’ils soient « isolés de la société ». 

À Moscou, la gay pride est périlleuse

Chaque année, la marche de Fiertés organisée en Russie fait l’objet de violences par les nationalistes qui reprochent aux associations homosexuelles de s’attaquer aux valeurs traditionnelles russes et de se faire les porte-paroles d’un Occident décadent, visant particulièrement les États-Unis. Un discours qui se place dans les pas de celui de l’Église orthodoxe et du Kremlin. Un gouvernement russe qui pointe même des possibles collusions entre les associations LGBT et le gouvernement ukrainien. Quelques heures avant l’adoption du texte anti-transgenre, qui attend la signature du dirigeant russe, les services russes de sécurité (FSB) ont annoncé avoir arrêté un militant transgenre, accusé d’avoir organisé des transferts d’argent vers Kiev « dans le but de financer » l’armée ukrainienne. Un crime de haute trahison passible de prison à vie. Dernièrement, la justice russe a infligé une importante amende (51000 €) au réseau social TikTok qui n’avait pas respecté l’ordre donné par un tribunal de supprimer des comptes LGBT russes soutenant l’Ukraine.

La Douma a précisé que la loi n’aurait pas un effet rétroactif et que ce vote allait dans « le sens de l’intérêt supérieur de l’enfant ». Malgré tout, si elle n’est pas sans rappeler déjà une autre loi similaire mise en place du temps de l’Union soviétique, les homosexuel(le)s conservent le droit de se marier en Russie, de servir dans l’armée, de se réunir dans des lieux dédiés à leurs préférences, de donner leur sang et même d’adopter sans contrainte quelconque du gouvernement russe.

Prix de l’humour à Bercy pour le «bonus réparation textile»!

Qui peut le croire ? Qui a eu un jour cette idée folle, qui l’a cautionnée ? Qui a sélectionné les 500 artisans labellisés par l’État pour lancer le bonus réparation textile ? Réponse: Bérangère Couillard, notre « courageuse » et frondeuse Secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargée de l’Écologie. Son dernier fait d’arme la confortera-t-elle lors d’un éventuel remaniement gouvernemental ?


Résumons. Une aide pour aller chez le cordonnier : 8 euros remboursés par la Sécurité Sociale des semelles fatiguées. 7 euros pour réparer un trou, une déchirure, un accroc ou refaire un talon. 8 à 15 euros pour la réparation d’un zip. Pour raccommoder une doublure, 10 à 25 euros. 500 commerçants seront concernés, et le dispositif devrait être mis en place à l’automne. D’accord, mais que fait-on des baskets ?

Plus belle la vie

Autrefois, on donnait nos vêtements autour de soi quand on n’en voulait plus. On les revendait même à des boutiques spécialisées, ou on les exposait aux vide-greniers ; bref on les jetait rarement, comme monsieur Jourdain et sa prose on faisait de l’économie circulaire sans le savoir ! Sachant que les grandes enseignes de prêt-à-porter vous reprennent les vieux vêtements achetés chez eux contre un bon d’achat. Mais on n’avait pas pris en compte le concept de « seconde vie » qui fait chaud au cœur de votre tee-shirt abandonné.

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L’aide, mise en place dès lors que les 500 couturiers et cordonniers seront référencés, sera sous la houlette d’Elsa Chassagnette, en charge de ce « fond de réparation » (ça ne s’invente pas) grâce à « l’éco contribution de la filière textile ». Oui, parce que nos fringues polluent et que votre shopping coup de cœur frise l’éco criminalité ! La filière textile, qui par ailleurs se porte très mal depuis l’épidémie du Covid et dont les principales chaînes de prêt-à-porter ont fermé, doit apprécier que l’on incite à ne plus acheter… Pas grave : on doit aller vers la décroissance et financer les victimes de la décroissance, CQFD… Donc au lieu de réparer le trou des Finances publiques, on va réparer ceux de nos vêtements en vidant un peu plus les caisses de Bercy sur le principe des vases communicants. Mais on est raisonnable et l’inquiétude est présente, car il faut un maillage non pas textile, mais territorial, des artisans commerçants agréés… Il faut précisément que l’artisan soit agréé par l’État ou ses représentants, les sachants toutes catégories (y aura-t-il bientôt un concours de couture à l’ENA ?). Parce que si le réparateur est à plus de 10 km, il faut prendre sa voiture (électrique et fabriquée en Chine, ça va de soit) mais pour le commun des troués, le prix et la pollution de l’essence consommée pour aller chez le médecin du vêtement vont polluer la verdeur de la démarche… Un casse-tête chinois !

Parlons chiffons

Ce n’est pas pour rien que le ministère des Finances intervient : il faudra que « le prix de la réparation soit inférieur à un tiers du prix de rachat » (sic). Sans commentaire, on vous laisse réfléchir…

Ce qui ne manque pas de sel c’est que la mode consiste actuellement à porter des vêtements troués, voire en lambeaux ! Y compris dans les collections de haute couture, nombreux sont ceux qui s’appliquent à trouer leur jeans, à effranger leurs chemises, à user coudes et genoux, à décolorer ce qui paraît neuf, etc. Peut-être pourrait-on créer un bonus « destroy » pour compenser l’absence de bonus de réparation ? Parce que lorsque le vêtement ressemble à une loque, il vaut plus cher. L’« ultra fast-fashion » va y perdre son latin. En France on n’a pas de pétrole, plus d’argent, mais on a des idées fumeuses.

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Milan Kundera: éloge de la «frontière terriblement floue»

Relire Milan Kundera, disparu récemment, nous permet d’y voir un peu plus clair dans les contradictions de la vie. « La frontière entre le bien et le mal est terriblement vague », écrivait-il. La frontière entre l’amour et l’amitié érotique l’est également…


Milan Kundera n’aimait pas se montrer, s’exposer, qu’on parle de lui ; il n’aimait pas les interviews, les caméras ni les projecteurs. Cela faisait longtemps déjà qu’il ne mêlait plus sa voix ni sa vie – une vie qui avait dépassé, dans le roman, le seul combat de l’individu contre le totalitarisme – à la grande fête de l’insignifiance contemporaine. Son silence – et le nôtre – a été rompu par sa mort. Nous lui disons adieu ; ses livres interrompent le cours de nos lectures estivales. À l’heure où les artistes se commentent eux-mêmes, à l’heure frémissante des posts, des blogs, des comptes Instagram etautres curieuses mises en scène de soi, la mort du grand écrivain tchèque nous rappelle à la rareté d’une vie discrète, grevée des douloureuses pesanteurs de l’histoire, nous laissant en héritage l’insoutenable légèreté des choses de ce monde. 

La lecture en guise d’hommage silencieux

Quel livre lire, là, maintenant, en guise d’hommage silencieux et contre l’oubli, cet oubli dont il redoutait l’énergie négative ? La disparition d’un écrivain nous oblige et nous rend à l’urgence de la lecture. On furète dans sa bibliothèque, on regarde ce que l’on a de lui, ce qu’il a laissé, en partant, sur nos étagères. Pour beaucoup d’entre nous, ce sera L’insoutenable légèreté de l’être, le cinquième roman de Kundera, publié en 1984, une œuvre totale, partition musicale d’une existence humaine complexe, ambiguë et contradictoire, écrite par un romancier qui pensait que la simplification était une forme de soumission. 

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Tomas, d’un côté, Tereza et Sabina de l’autre, « les deux pôles » de la vie du protagoniste, « des pôles éloignés, inconciliables mais beaux tous les deux ». Maîtresses permanentes ou maîtresses éphémères ? Coucher avec une femme ou dormir avec elle ? Amours exclusives ou amitiés amoureuses ? Éternelle répétition de l’amour ou millionième de dissemblable et d’inimaginable dans l’érotisme, compassion sinistre ou « co-sentiment » joyeux ? Douce légèreté de la nostalgie ou poids métaphysique de l’absence de l’autre, innocence dans l’ignorance de l’ignominie ou culpabilité œdipienne de la tragédie communiste et de son totalitarisme kitsch« La frontière entre le bien et le mal est terriblement vague », écrit Milan Kundera. La frontière entre l’amour et l’amitié érotique l’est également, comme l’est aussi celle que l’on croit irréductible entre la pesanteur et la légèreté.

La vie est contradictoire…

La pesanteur n’est pas toujours du côté du drame et la légèreté n’a pas forcément les traits de la liberté ; il y a de la beauté dans le poids de la vérité et du réel incarné, il y a de l’insignifiance dans ce qui n’est qu’à demi-réel et ne nous pèse pas sur les épaules. « Ce n’est pas logique mais c’est comme ça ». Phrase dite en riant par Tomas, et qui résume tout. Tomas se croit-il plus léger de n’avoir plus à se soucier de Tereza et de son encombrant amour ? Se croit-il libéré de ce poids du manque en allant la retrouver, éprouvant dès lors le désespoir d’être rentré auprès d’elle ? Que dire aussi de Franz, dont Sabina admire le corps musclé mais qui « n’a jamais cassé la gueule à personne » ni « utilisé une seule fois sa force contre elle » ? « Aimer c’est renoncer à la force », pense l’amant de Sabina. Phrase belle et vraie mais qui le raye immédiatement de la vie érotique de celle qui n’aurait pourtant pas supporté cinq minutes un homme qui lui donne des ordres… Au regard de notre culte contemporain de la légèreté – ne peser ni sur les évènements, ni sur les choses, ni sur les êtres, réduire notre consommation et notre empreinte carbone, soulager la planète de notre poids criminel et les autres de notre emprise asphyxiante – cette œuvre est d’une lecture salutaire.

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La vie est contradictoire, elle nous ballotte entre des pôles opposés : agir/ne pas agir, choisir/ne pas choisir, se battre/ne pas se battre, se rétracter/refuser de se rétracter. Anna Karénine n’est jamais loin (Tereza arrive chez Tomas « avec le gros livre de Tolstoï à la main » et nommera sa chienne Karénine), cette femme qui a pu être heureuse et gaie tout en ayant perdu sa réputation et fait le malheur de son mari et de son fils. Biberonnée à la tiédeur du « en même temps », sorte de magma ou s’émoussent la pensée et l’action, mais aussi hystérisée par les termes haineux du quant à soi politiquement séditieux, notre société a perdu le sens même de ces oppositions nécessaires et de ces contradictions inévitables. « Les mots incompris » et leur « petit lexique », qui constituent l’un des chapitres de l’Insoutenable légèreté de l’être, nous renvoient à ce creuset de nos ambiguïtés qu’est le langage, reflet du monde que l’on est en train de construire. Un langage aujourd’hui râpé à la pierre ponce du consensus et sommé de se réduire au principe unique de la communication transparente.

… c’est une ébauche sans tableau

La lecture de Milan Kundera nous permet de retrouver du sens à nos vies bienheureusement contradictoires, et remettre des « frontières terriblement vagues » là où elles l’exigent. Milan Kundera n’a vécu qu’une fois, lui qui s’interrogeait sur le sens de ce « mythe loufoque » de l’éternel retour nietzschéen, comme si nos actions, nos jugements et nos sentiments étaient les ébauches d’un tableau final. Il pensait au contraire que « la vie est une esquisse de rien », « une ébauche sans tableau ». S’il nous était d’ailleurs donné de vivre nos vies plusieurs fois, serions-nous capables de ne pas répéter nos propres erreurs ? Celui qui répond oui est un optimiste. Soyons optimistes, faisons à nouveau revivre le grand romancier, par la lecture cette fois, et portons sur lui ce seul regard qui lui plaisait, non pas celui de l’adulateur ou du flagorneur, mais celui du rêveur posé sur un être absent. Nous vous regardons avec ces yeux-là, Monsieur Kundera. Car vous n’êtes plus là mais vous êtes bel et bien présent. « Ce n’est pas logique, mais c’est comme ça. »

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Le choc dé-civilisation

Les émeutes qui ont ravagé la France n’ont été accompagnées d’aucune revendication. De quoi dérouter les sociologues et politiques les mieux intentionnés qui ne peuvent admettre le caractère imbécile et clanique de ces violences. Cela suffira-t-il à désarmer le camp du déni ? Pas sûr. Mais beaucoup de Français sont de moins en moins résignés à vivre parmi tant de petits anges.


Beaucoup l’ont redoutée, d’autres, secrètement espérée. Pendant ces nuits où, sur nos écrans, défilaient des images de villes en flammes, de nombreux Français ont pensé que, cette fois, on y était – que la guerre civile commençait en vrai. Comme à chaque fois, ça s’est tassé une fois les razzias finies. Il est vrai qu’après des discours d’apaisement tenus au plus haut niveau de l’État (avec le succès que l’on sait) et deux nuits de quasi-laisser-faire, le changement de cap du gouvernement, la mobilisation policière et l’inhabituelle sévérité de la justice – qui a même envoyé quelques casseurs en prison –  ont pu donner l’illusion d’une riposte ferme. Et puis, il y a la fatigue, la lassitude : cette génération biberonnée au « tout, tout de suite » se lasse vite. Même de détruire.

Retour au vivre-ensemble

Au moment où nous bouclons, le président s’est félicité du retour au calme, c’est-à-dire, on suppose, au vivre-ensemble tel qu’il se pratique au quotidien au rythme des agressions, des règlements de comptes et des incivilités. Mais on peut se demander ce qui se passerait si toutes les cités « sensibles » décidaient en même temps de marcher sur les centres-villes. Notre chance est que, pour l’essentiel, ces émeutiers sont totalement déstructurés, pour être polie, et surtout, dépourvus de tout projet politique et de toute ambition collective.

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Même les sociologues, experts en ripolinage du réel, doivent en convenir. « Tout se passe comme si les quartiers étaient dans un vide politique, comme si les rages et les révoltes ne débouchaient sur aucun processus politique », déclare François Dubet au Monde. Non, ce n’est pas « comme si », c’est exactement ça. Ce qui ne l’empêche pas d’affirmer que « les jeunes des quartiers ne sont pas différents des femmes et des minorités sexuelles : tous adhèrent à la promesse républicaine ». C’est évident, si des hordes ont détruit ici une école, là une mairie ou, comme à Chambéry, un cinéma d’art et d’essai (sans doute parce qu’ils détestent les films ouzbeks), c’est parce qu’elles adhèrent à la promesse républicaine. Quant à la convergence des luttes minoritaires, il faudra en toucher un mot aux amoureux de la République qui ont menacé de saccager un bar gay à Brest. Des petits anges, vous dit-on.

Chantage au désordre

De très mauvaises fées leur ont donc fourni un narratif susceptible de donner à leur violence imbécile les apparences d’une révolte contre l’injustice. Tandis que la nomenklatura associative qui vit du chantage au désordre ressortait la faribole usée des agrégés-chômeurs qui peupleraient les quartiers, Insoumis, écolos et leurs truchements médiatiques ânonnaient leurs mantras usés : ce déchaînement était dû à la relégation, la ghettoïsation et la discrimination. On préfère ne jamais savoir comment ce nouveau prolétariat traiterait ses Lénine[1] si d’aventure ils accédaient au pouvoir. En attendant, comme l’a judicieusement formulé Jean-Baptiste Roques, après l’islamo-gauchisme, nous avons assisté à la naissance du racaillo-gauchisme.

Emmanuel Macron n’a certes pas annoncé de dotation massive pour les associations, ni fait repentance pour l’apartheid qui sévirait en France (il peut se rattraper le 14 juillet si ses conseillers lui vendent qu’il faut calmer le jeu, entendre la souffrance et ne pas énerver l’Algérie qui s’est mêlée de nos affaires sans provoquer la moindre protestation diplomatique). Il a vu, dit-on, dans les événements la confirmation de son diagnostic de décivilisation. Pour autant, nos dirigeants sont-ils prêts à voir ce qu’ils voient ? Il est à craindre que, comme après les émeutes de 2005 ou l’attentat de Charlie, ils s’empressent de refermer les yeux qu’ils viennent d’entrouvrir. Il faudra plus que 500 bâtiments publics vandalisés pour désarmer le camp du déni.

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Ce que retiennent nombre d’observateurs c’est d’abord l’impuissance de l’État. Quarante ans après, le syndrome Malik Oussekine inhibe encore les responsables de l’ordre public. Personne ne demande une police de cow-boys qui défouraille en toute occasion. Mais pour que force reste à la loi, il faut que force il y ait. Or, son emploi est tellement encadré et limité aux cas d’urgence absolue pour la vie humaine que cela revient à concéder aux voyous le monopole de fait du recours à la force. Et à admettre que les biens ne sont plus protégés. Résultat : contrairement aux policiers, les émeutiers ne risquent rien. C’est le contraire de la dissuasion. Depuis quarante ans, les politiques publiques sont guidées par l’obsession de ne pas jeter de l’huile sur le feu. Et depuis quarante ans, le feu couve. Peut-être serait-il temps de tester une autre méthode et un autre langage.

Comme le font, chacun dans ses termes, Alain Finkielkraut, Laurent Obertone, Driss Ghali, Michel Auboin dans les pages de notre magazine 114, il faut analyser cette sécession qui n’est pas politique ni sociale mais anthropologique, et dont la seule logique est la loi du clan, de la tribu, de la communauté ou du quartier. Les émeutiers prétendaient vouloir la Justice. Le message qu’ils ont adressé à la société française, à coups de mortiers et de cocktails Molotov, est qu’ils n’adhèrent ni à ses mœurs, ni à ses valeurs, ni à ses procédures de résolution des conflits.

La culture de l’excuse nous présente la facture

Autant dire que le problème paraît sans issue : comme on le répète en boucle, ces jeunes qui haïssent la France sont français. De plus, la minorité violente bénéficie de l’indulgence d’une partie de la majorité silencieuse, qui trouve que ce n’est pas bien de casser, mais qu’il faut comprendre. On aimerait entendre plus de voix comme celle d’Amine Elbahi, lui-même issu d’une cité, qui affirme qu’il n’y a pas d’excuse qui tienne.

Emmanuel Macron réunit les maires à l’Elysée, suite aux évènements insurrectionnels survenus dans les banlieues séparatistes après la mort d’un jeune à Nanterre, 4 juillet 2023 © Blondet Eliot /Pool/SIPA

Si la patience de nos gouvernants semble infinie, celle des gens ordinaires atteint sa limite. On peut raconter toutes les âneries sociologiques qu’on veut, la France qui bosse, paye ses impôts et élève ses gosses en a marre de payer pour ceux qui lui crachent dessus. Elle a voté avec sa carte bleue : comme le résume Gil Mihaely, le succès de la cagnotte pour le policier qui a tué Nahel est un référendum. « Que faire de la police ? » s’interrogeait Libération en « une » le 4 juillet. Beaucoup de Français se demandent plutôt que faire de ces compatriotes dont la contribution au bien commun est pour le moins contestable.


[1] Encore que pour Plenel, c’est la ressemblance avec Staline qui frappe.

Cinéma de réalisateur

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©NuriBilgeCeylan

Les Herbes sèches, de Nuri Bilge Ceylan, sorti le 12 juillet. Un superbe film turc.


Le prix d’interprétation féminine raflé à Cannes par l’actrice des Herbes sèches, de Nuri Bilge Ceylan, ne doit pas réduire ce chef-d’œuvre à cette récompense. Une fois encore, le cinéaste turc fait mouche avec cette grande fresque romanesque qui brosse le portrait d’un prof accusé à tort de harcèlement sexuel dans un petit collège d’Anatolie. Avec sa maestria habituelle, le réalisateur signe un film dont le héros fait songer à celui de Musil dans L’Homme sans qualités. Champion toutes catégories des longues conversations entre deux personnages, il s’en évade régulièrement jusqu’à briser le fameux « quatrième mur » de la représentation théâtrale lors d’une scène dont il ne faut rien révéler. De même dans sa seconde moitié, lorsque le récit se révèle totalement imprévisible. Le tout est porté par l’art de la mise en scène et des ruptures de ton et de forme qui mettent à l’image un cinéma trop souvent décrit, et à tort, comme froid et pesant.

Macron sans modération

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Salon de l'Agriculture, PAris, 24 février 2018 © Romain GAILLARD-POOL/SIPA

Dans un récent article paru dans Le Point, on apprend qu’Emmanuel Macron aime boire, aussi bien du whisky que des bons vins, et pas uniquement pour les grandes occasions…


« Emmanuel Macron ou l’art si français de lever le coude », tel est le titre d’un excellent article de notre consœur du Point, Nathalie Schuck, qui, non sans humour, nous renseigne sur les habitudes du chef de l’État et sa prédilection pour les alcools, ainsi que sur sa capacité de résistance : « il est capable d’écluser plusieurs ballons de belle taille de whisky sans que nulle trace de griserie ne froisse son visage ». Et on apprend plus loin que depuis son arrivée à l’Élysée, « les bouchons sautent et les bulles frétillent », au plus grand bonheur des convives et de la sommelière de la présidence, Virginie Routis, première femme à détenir les clefs de la cave de l’Élysée. Mais tout cela a, officiellement, un objectif : le rayonnement de la France. Déjà à Bercy, Emmanuel Macron choyait ses hôtes étrangers en considérant les vins et les alcools français comme d’excellents ambassadeurs. C’est pourquoi il a décrété que ce secteur est « hautement stratégique », qu’il est un « marqueur civilisationnel ». « Le vin, dit-il, c’est l’âme française. Il relève de nos usages. Je fais partie de ces Français pour qui un repas sans vin est un repas un peu triste ». 

Et on se souvient qu’en 2018, il avait lancé, au salon de l’Agriculture : « Moi, je bois du vin midi et soir. » Des propos qui avaient fait bondir les sobres addictologues, dénonçant une banalisation de la consommation d’alcool.

Si nos précédents présidents pouvaient apprécier de beaux flacons, aucun n’en a pas fait une telle promotion. Le général de Gaulle, Pompidou et Giscard étaient des amateurs discrets de grands crus, tout comme Chirac qui s’était très habilement construit une image populaire de buveur de bière. Mitterrand et Hollande n’ont pas laissé de souvenirs bacchiques, quant à Nicolas Sarkozy, il ne boit pas une goutte d’alcool.

Aussi, les prises de positions d’Emmanuel Macron font de lui, aux yeux de certains, le meilleur VRP de la filière vitivinicole. Et un indice ne trompe pas : il s’est vu décerner le prix de la personnalité des Trophées du vin, en 2022. 

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L’article du Point est instructif pour qui ne partage pas l’intimité du couple présidentiel. Emmanuel Macron se livrerait à des dégustations œnologiques à l’aveugle, et, attention : il ne se trompe jamais ! Et quand son agenda le permet, le président et son épouse vont s’encanailler autour d’une bonne bouteille et une planche de charcuteries dans un bar à vin. L’un des rares convives témoigne : « Dans ces dîners, on se marre bien, à quatre ou cinq, pas plus, au bistrot ou dans un bar à tapas. Brigitte est là, il raconte des histoires, il rit de nos blagues ». 

Un virage à 180° 

Difficile de croire que l’on parle là de notre président réélu en 2022, cet homme si sobre, ce bourreau de travail ne dormant que quelques heures par nuit pour se consacrer à ses dossiers… Il suffit de relire ce qui était écrit il y a un an au sujet de l’ambiance à l’Élysée : on était loin, très loin, de laisser penser que le président pouvait aller prendre du bon temps entre copains dans un bar à tapas. 

Le 18 août 2022, le même Point publiait un article très renseigné sur la vie privée d’Emmanuel Macron. Ses « soirées sont invariablement consacrées au travail. Les nuits à l’Élysée sont bien souvent studieuses », pouvait-on lire, et l’article de Mathilde Siraud d’affirmer que le président « s’est astreint depuis ses débuts à l’Élysée une vie d’ascèse rythmée par une discipline quasi militaire », « point de fantaisies ni d’escapades nocturnes. Jamais, de mémoire de personnel de l’Élysée on n’avait connu la maison aussi studieuse ». Le président dormirait d’ailleurs si peu que cela inquiéterait son épouse et ses conseillers. 

Il est vrai qu’Emmanuel Macron travaille, et aime travailler tard, nombreux sont ceux à témoigner de leurs échanges de textos jusqu’au milieu de la nuit, même le week-end. Sylvain Fort, qui a été chargé de la communication de l’Élysée jusqu’en 2019, expliquait au micro d’Europe 1, un an plus tard : « Travailler avec Emmanuel Macron, surtout en proximité, c’est apprendre à se caler sur son rythme biologique, même si on n’a pas le même. C’est un rythme biologique qui, en gros, le mène à travailler jusqu’à 1h30, 2h du matin, puis à reprendre le collier vers 6h30/7h ». 

Gros rouge ou grosse com’ ?

Passer de l’image d’un président qui ne fait que travailler à celle d’un amateur de vins entouré de copains au bistrot sent un peu le coup de com’. Tout d’abord, la nature même de ces fuites interroge. Alors qu’Emmanuel Macron n’organise plus de dîners de la majorité à l’Élysée parce qu’il s’agace des fuites dans la presse, on apprend, par ce qui est vraisemblablement son cercle rapproché, l’un des quatre ou cinq intimes cité plus haut, qu’il aime partager des tapas dans un bar à vin. Si ce sont de vrais amis, c’est une fuite commandée.

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Apprendre l’existence de ces sorties est plutôt sympathique, mais le contraste est saisissant. En fait, ce n’est même pas contrasté : on nous dit, soit le président est un foudre de travail, à mi-chemin entre Jupiter et Vulcain, il ne dort pas, il pressurise ses conseillers etc. Soit c’est un copain qui fait des blagues au bistrot, et, quand il en fait, elles sont drôles ; c’est aussi un amateur de vin, et, quand il fait des dégustations à l’aveugle, il reconnaît tous les crus.

On peut être tout cela à la fois – c’est aussi ça, l’esprit français ! –, mais pourquoi en faire autant dans un sens comme dans l’autre ? C’est là où les ficelles de la communication deviennent trop visibles, pour ne pas dire trop grosses. On comprend que l’intention est de casser une image de techno, lisse et froide, de montrer un président qui vit la vraie vie des vrais gens… Mais ce n’est pas sûr que cela le rende plus populaire car, avec ces « révélations » on ne saisit pas quelle est la cible visée, à qui veut-il plaire. Cela fait son petit effet dans le milieu journalistique et peut-être politique, mais ce ne peut avoir d’impact sur une majorité de Français.

En communication aussi, la modération a du bon.

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Mélenchon l’insurrectionnel

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Tourcoing, 22 mai 2023 © FRANCOIS GREUEZ/SIPA

Le leader de la France insoumise à qualifié le CRIF de mouvement « d’extrême-droite ». Ce dernier réunit les principales organisations juives de France et lui reproche d’être sorti de l’arc républicain en ne condamnant pas les émeutes. Parmi ses comparses de la Nupes et dans toutes les analyses de la presse, on se persuade donc que Jean-Luc Mélenchon est devenu complètement fou. En réalité, son comportement est finalement assez rationnel. Il compte sur les émeutes et la répression pour créer le chaos et renverser les institutions.


Avec tant de frasques, tant d’outrances, Jean-Luc Mélenchon donne l’impression d’être pathologiquement emporté par un irrépressible goût pour la violence politique, une sorte de tropisme révolutionnaire qu’il n’a su tempérer pour apparaitre en « bon père du peuple » qu’à l’occasion des présidentielles de 2017. 

Philippe de Villiers sur CNews : « Il est dans sa logique, et sa logique, c’est la logique insurrectionnelle. Quand on vieillit, on revient à son enfance. En fait, il revient au trotskisme. Il veut tout faire sauter. Et donc, la logique insurrectionnelle : il y a une insurrection, il y a le feu, il va là où il y a le feu, pour mettre un peu plus de feu. Voilà. Et deuxièmement, il va là où est son nouvel électorat. » Ainsi, Mélenchon veut mettre le feu « pour mettre le feu » lorsqu’il déraisonne ; lorsqu’il raisonne, il pense à son électorat qu’il flatte en soutenant les émeutes. Le premier est un dérapage, le second, une stratégie. 

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Éric Zemmour sur Twitter : « La stratégie de Jean-Luc Mélenchon est claire : devenir le candidat des musulmans coûte que coûte, quitte à flatter sans cesse l’antisémitisme des banlieues, quitte à justifier sans réserve les émeutes, quitte à qualifier d’extrême droite tout ce qui n’est pas d’extrême gauche. » 

Mélenchon rêve d’être enseigné sur les bancs de l’école

C’est en réalité bien plus grave que cela. Mélenchon sait que les émeutiers ne représentent pas son électorat largement issu de l’immigration, et qu’une partie importante n’adhère sans doute pas à ses prises de position insurrectionnelles, quoi qu’en disent les indigénistes, pas plus qu’elle n’apprécie ses diatribes contre la police. Alors, pourquoi tous ces excès ? Mélenchon tente son va-tout avant de disparaitre. Après avoir échoué en 2022, il n’a plus grand espoir de prendre le pouvoir par les urnes. La fenêtre de tir est refermée car la population française vire à droite à vitesse grand V et il le sait. Mais il sait aussi que dans notre pays, à l’imagerie révolutionnaire bien connue, la période est particulièrement instable. Le risque est grand d’une émeute qui déborderait tragiquement les pouvoirs publics. Voilà sur quoi il mise désormais. Simple hypothèse, mais elle mérite qu’on s’y attarde. Plusieurs éléments vont en ce sens.

C’est conforme à ses motivations. Le vrai but de Mélenchon, fasciné par les révolutionnaires, est de marquer l’histoire comme ils l’ont fait. Il veut être enseigné sur les bancs de l’école. Il s’était rêvé en Jaurès, à présent être un Danton, voire un Robespierre lui siérait bien. Qu’importe, du moment qu’il entre dans les livres d’histoire ! C’est pourquoi il est obsédé de longue date par sa fameuse VIe République. Changer le régime politique d’un pays, quelle meilleure façon de rester à la postérité ? 

Au diable les bourgeois… Bon, les bobos peuvent quand même rester !

C’est également explicatif de ses agissements. Une fois qu’on table sur l’insurrection, nul besoin d’apparaitre pour un modéré afin de rassurer le bourgeois. On se fiche bien du cordon sanitaire qui doucement s’installe autour de Nupes. On souffle sur les braises en espérant que le feu prenne, on légitime les émeutiers, on en fait même des insurgés, pour mieux les récupérer le moment venu, quand il faudra un homme providentiel. Fort de sa légitimité, lui qui aura soutenu les émeutes de bonne heure, il prendra le pouvoir et imposera enfin une VIe République. Vous devrez apprendre sa date de naissance, lire ses biographies. Il y aura eu les révolutionnaires, les deux Napoléon, de Gaulle, et Mélenchon ! Les autres seront oubliés, y compris les présidents, qui passent et se succèdent, d’autant que la fonction est quelque peu galvaudée par des présidents médiocres, pour rester poli. Est-il si flatteur de devenir président de la République quand on pense à François Hollande ?

Enfin, le comportement de Mélenchon est finalement assez rationnel. À un moment où la France bascule dans la violence sociale et politique, où les Français se droitisent conséquemment, il y a des chances sérieuses que Marine Le Pen arrive au pouvoir. Or, ce serait selon l’extrême gauche le moment idéal pour des insurrections de masse. Les médias ne sauraient pas les condamner, puisqu’ils ont diabolisé Marine Le Pen. La répression qui s’ensuivrait serait peut-être même vertement vilipendée par tout ce que le pays compte de bienpensants, et une voie royale s’ouvrirait devant le vieux tribun de LFI pour imposer sa nouvelle République. La seule chose que craint Mélenchon aujourd’hui, c’est que ce soit un autre qui joue ce rôle-là.

Chair à canon

Dans ce scénario, Mélenchon a tout intérêt à multiplier les outrances pour favoriser l’arrivée de Marine Le Pen au pouvoir, laquelle offre un terrain plus favorable aux émeutes qu’un président plus ou moins centriste, en tout cas qui n’a pas l’étiquette d’« extrême droite ». En somme, devant un peuple qui se droitise, Mélenchon opposerait ici la stratégie consistant à le pousser du côté où il va tomber, c’est-à-dire la guerre civile. De ce chaos, il pourrait faire émerger un nouveau régime qui porterait de nouveaux verrous susceptibles de museler la droite aussi surement que la guillotine et remettre ainsi la France sur les rails du gauchisme. Le contexte d’émeutes des cités et autres black bloc muées en « résistance face au fascisme » serait un narratif idéal pour une telle mise au pas.

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Conclusion : Mélenchon semble bien être devenu un séditieux, le chef de La France Insurrectionnelle. À ce titre, certains avancent qu’il pourrait être poursuivi. Pourquoi les autorités ne le font-elles pas ? Peut-être qu’Emmanuel Macron espère simplement tenir assez longtemps pour refiler la patate chaude à Marine Le Pen et laisse Mélenchon impuni au mieux pour ne pas le victimiser, au pire pour éviter de déplaire aux journaux de gauche. En tout cas, s’il y en a une qui devrait méditer sur tout cela, c’est bien Marine Le Pen. La gestion de cette situation sera son principal défi si elle arrive au pouvoir. Quant aux émeutiers, aux pillards, aux racailles de cités, tout le monde comprend désormais qu’ils ne sont jamais que la chair à canon des ambitions de Mélenchon. Et, quand ce dernier inscrira la transition de genre dans la nouvelle Constitution, entre autres joyeusetés wokes bien loin de leurs préoccupations, la jeunesse ignare tireuse de mortiers comprendra peut-être combien l’inculture politique favorise les manipulations dont la gauche reste à ce jour la plus grande experte.

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Najat TV

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D.R

Netflix n’a qu’à bien se tenir. Najat Vallaud-Belkacem a discrètement lancé son propre site de vidéos en streaming, Inclusiv.tv. Tout un programme!


Quelle est la grande idée de Najat Vallaud-Belkacem qui, comme beaucoup de politiques, n’en a qu’une ? Réponse : accepter l’altérité rendra la société française plus forte. Quelle figure contemporaine représente mieux l’Autre que le migrant ? Invitée, sur Paris Première, à commenter le naufrage de l’Andrianna survenu le 14 juin, la Franco-Marocaine a regretté, des trémolos dans la voix, que l’Assemblée n’ait pas observé une minute de silence, et que Frontex puisse procéder à des opérations de « push back ». Observant les réussites pédagogiques obtenues dans le domaine du réchauffement climatique, elle a ensuite formulé un vœu : « Je rêve d’un GIEC sur les questions migratoires, que des sachants qui voient les chiffres viennent éclairer l’opinion. » Elle s’est évidemment voulue rassurante : « L’immigration en France, on sait que c’est à peu près 10 %. C’est quand même des chiffres assez contenus. On a l’impression d’accueillir des millions de migrants via le droit d’asile. Pas du tout ! Sur 130 000 demandes déposées chaque année, il y a à peu près un tiers qui est accepté. »

A lire aussi : À quand un ministère de la Vérité en France?

Ces jours-ci, l’ex-ministre de l’Éducation que les parents ont tant aimé détester lance un nouveau service de vidéos sur abonnement : inclusiv.tv. Le site, où sa bobine apparaît pas moins de trois fois sur la page d’accueil, offre une sélection de documentaires. « On y apprend à trouver sa place, mais aussi à aider les autres à trouver la leur. » Alors que la bataille culturelle fait rage entre militants et opposants de l’école inclusive, on est ravis d’apprendre que Mme Vallaud-Belkacem se concentre sur ses programmes télé plutôt que sur nos programmes scolaires. Mais, alors que Netflix, les feuilletons de TF1 ou la publicité semblent avoir déjà intégré des quotas de tout ce qui est imaginable, on peut tout de même se demander si elle y croit encore, quand elle se vante de mettre en avant « ceux qui résistent et qui prônent le mélange, l’inclusion ou le vivre-ensemble », stigmatisés comme des « bisounours naïfs et inconscients ».

Marine Le Pen est-elle vraiment favorite pour 2027?

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Marine Le Pen à Hénin Beaumont, 14 juillet 2023 © FRANCOIS GREUEZ/SIPA

La fille continuera à payer la rançon des errements du père, selon notre chroniqueur. Et si les Français n’ont plus honte de dire qu’ils votent RN, ils pourraient, au moment de glisser leur bulletin de vote dans l’urne, craindre de nouvelles émeutes en cas de victoire de Marine Le Pen à la prochaine présidentielle. 


Marine Le Pen n’est pas fasciste ni néonazie. Elle a procédé à une dédiabolisation sincère au sein du RN, même si ses adversaires compulsifs font semblant de ne pas y croire pour conserver leur haine bien intacte, bien au chaud. Argumenter et contester sur le plan politique serait beaucoup plus fatigant ! Je répète que réclamer l’équité médiatique et démocratique pour le RN, encore plus depuis les dernières élections législatives, ne fait pas de moi un suppôt de ce parti et ne m’a jamais conduit à être l’un de ses électeurs que par ailleurs je ne méprise pas. Il serait paradoxal d’être plus indulgent avec ceux qui crachent sur la France qu’avec ceux qui l’aiment. Je continue, au risque d’aggraver mon cas, à soutenir que ce pouvoir, en décrétant d’emblée que LFI et le RN n’appartenaient pas à « l’arc républicain » s’est arrogé un droit indu. Il n’avait pas à trier parmi l’ensemble des députés qui, par l’élection, devaient bénéficier du même respect de principe et de la même légitimité républicaine. Tout cela exprimé, je considère, sans être péremptoire, que 2027 sera sans doute la troisième et dernière défaite présidentielle de Marine Le Pen. J’ai conscience de m’aventurer en postulant que son adversaire au second tour ne sera pas quelqu’un dont l’extrémisme ferait encore plus peur que le sien. Je n’imagine pas par exemple un Jean-Luc Mélenchon y accéder et, si je me trompais, il serait probablement sèchement battu. Je me souviens d’un sondage qui, les mettant face à face au second tour, la voyait l’emporter avec 60%. Je ne crois pas que l’absence d’Emmanuel Macron, qui s’était vanté d’être le seul qui pouvait la vaincre à deux reprises, empêchera un représentant de la droite classique, du centre, du macronisme – Laurent Wauquiez, Jean Castex ou Edouard Philippe par exemple – de prendre la relève.

Les jeux ne sont pas faits

Je vais évoquer, par ordre croissant, les raisons qui font que, malgré la certitude affichée par beaucoup (pour s’en féliciter ou pour effrayer, quatre ans avant la prochaine échéance), je dénie que les jeux républicains soient faits et sa victoire acquise après deux tentatives infructueuses.

D’abord, le nom de Le Pen demeurera un handicap pour l’échelon suprême. Il maintiendra ce que la dédiabolisation largement menée à bien avait pour but de faire disparaître : le lien avec le père et les saillies, outrances et provocations historiques dont il a abusé. La fille continuera à payer la rançon des errements du père.

Ensuite, Marine Le Pen n’a cessé de progresser sur le plan technique, notamment dans ses entretiens avec les journalistes, jusqu’à parvenir à garder son calme quand tel ou telle d’entre eux pratiquait délibérément un questionnement exclusivement à charge. En même temps – et c’est une faiblesse dont elle n’a jamais pu se départir -, Marine Le Pen a et est une personnalité politique qui est bonne sans discontinuer dans son registre, sauf lors du moment crucial où la victoire décisive se gagne ou se perd. À deux reprises, elle a calé face à Emmanuel Macron et pourtant ce dernier n’a pas été éblouissant en 2022, se permettant de la traiter avec une désinvolture presque condescendante. Le problème, par deux fois, a tenu à une mauvaise articulation entre une oralité vigoureuse et volontariste mais un fond de moins en moins précis et compétent. Entre un verbe péremptoire et une substance de plus en plus approximative. Chez le téléspectateur, l’écart ne pouvait que laisser place à une impression d’amateurisme. Certes, en 2022 son score final a été meilleur qu’en 2017 mais le même blocage – avec en plus un adversaire en tête au premier tour – l’a privée d’un succès qui n’était pourtant pas inconcevable.

Des députés exemplaires

Enfin, il convient de mettre en lumière l’enseignement capital que la vie parlementaire nous a donné depuis les élections législatives (et le nombre de députés RN au-delà des espérances réalistes de Marine Le Pen) : le comportement quasiment exemplaire de ce parti à l’Assemblée nationale. Exemplarité dans la forme, perçue d’autant plus favorablement que le contraste avec LFI et l’extrême gauche était dévastateur pour ces dernières. La correction collective du groupe RN, le souci de son apparence, le classicisme superficiel imposé par sa présidente, s’ils ont permis de façonner une belle image partisane, n’ont en revanche pas fait bouger d’un iota la crédibilité du RN sur le fond. Non seulement à cause du refus obstiné de l’ensemble des groupes de répondre positivement à la moindre initiative législative du RN, dont en revanche on a accepté le soutien, mais, plus profondément, en raison des faibles variations de l’opinion publique : le RN espérait une relation entre son attitude parlementaire globalement louée, en en étonnant plus d’un et, en conséquence, la crédibilité et la confiance attachées à son programme. Mais tout démontre, pour schématiser, que la forme n’a pas suscité une adhésion accrue sur le fond. Cette impasse peut avoir pour conséquence paradoxale de banaliser le RN, qualifié de bon élève, offrant une double face contrastée : l’une qui dorénavant ne se distingue guère des conceptions de l’autorité, de la sécurité et de la justice de LR et l’autre, encore moins de la vision sociale, économique et étatique de LFI.

L’union de la droite extrême avec la droite républicaine aurait pu constituer une configuration possible mais la première n’en veut pas et la seconde y répugne, surestimant sans doute ses différences.

Mon analyse n’est pas contradictoire avec les enquêtes d’opinion à venir qui, avec Jordan Bardella, situeront probablement toujours le RN à un rang élevé et Marine Le Pen en très bonne place. Mais en 2027, lors du second tour ?

J’ose à peine évoquer un élément qui est si peu démocratique qu’on a scrupule à le mentionner. Si dorénavant on n’hésite plus à admettre qu’on va voter pour le RN, je ne suis pas persuadé qu’en revanche, au moment de glisser le bulletin dans l’urne, dans une France de plus en plus éruptive, où l’esprit démocratique s’appauvrit gravement, le citoyen n’éprouvera pas de l’angoisse face aux conséquences d’une victoire de Marine Le Pen. Moins à cause du programme qu’en raison des orages prévisibles d’un pays n’acceptant pas cette issue qui serait pourtant démocratique. Une France susceptible de continuer sur sa lancée violente d’aujourd’hui, pour un enfer demain ? 2027 ne verra pas Marine Le Pen succéder à Emmanuel Macron. Non pas grâce à lui mais à cause d’elle-même. En 2032, Jordan Bardella et Marion Maréchal, eux, seront sans doute dans la course.

Harold Hyman: «Les nations occidentales sont elles-mêmes en proie à une perte de confiance en la démocratie libérale parlementaire»

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Le journaliste franco-américain spécialiste des affaires internationales Harold Hyman. Photo D.R.

Figure reconnaissable entre mille, Harold Hyman est le Monsieur Relations Internationales de CNews. Lunettes rondes à monture épaisse, bretelles rouges bien en évidence, son érudition et sa capacité à transformer une carte en un récit captivant ne sont plus à démontrer. Causeur a voulu savoir comment un Américain a pu – et voulu – s’imposer aux médias français et quelles sont ses préoccupations majeures quand il regarde le monde contemporain en face. Propos recueillis par Alix Fortin et Jeremy Stubbs.


Causeur. Vous êtes franco-américain,  new-yorkais d’origine : qu’est-ce qui vous a motivé pour venir vivre en France en tant que journaliste spécialisé en affaires internationales ?

Harold Hyman. Au départ, après mes études, j’ai hésité entre une carrière de journaliste, de diplomate, ou de chercheur. Avant même de décider, il fallait choisir un environnement linguistique et culturel, et j’ai opté pour une aventure française, et non américaine. Comme j’aime ces deux pays par-dessus tout, il fallait vraiment y croire car il n’y aurait pas de retour en arrière.

Ensuite, le journalisme était évident pour moi, car on est journaliste par prédisposition,  l’école de journalisme n’est pas obligatoire, et cette activité couvre tous les domaines. J’ai supposé qu’en France je pourrais écrire comme au lycée ou en fac, avec des démonstrations, des références historiques, des conversations rapportées. Stylistiquement, Le Figaro me semblait plus clair que le New York Times, quoique moins dense. L’actu internationale était plus pétillante et directe sur RFI et France Info que sur Voice of America. En France, il y avait un meilleur dialogue entre la droite et la gauche et une meilleure connaissance du monde international et post-colonial – c’est-à-dire une meilleure compréhension du tiers monde, de l’Europe, et du monde arabe. Et la connaissance des États-Unis était plus forte en France que l’inverse. Choisir la France était donc logique selon mes critères subjectifs.

Quel a été votre parcours ?

Après avoir fait le lycée français de New York pendant 12 ans, jusqu’au baccalauréat, et ensuite étudié la  littérature comparée, je suis parti à Montréal pour étudier l’histoire. C’était une deuxième immersion dans le monde intellectuel de type français. Là-bas, j’ai certainement étudié dans les mêmes salles et avec certains des mêmes professeurs que Mathieu Bock-Côté quinze ans plus tard ! Me consacrant à l’histoire du Québec, j’ai fait un mémoire consacré à la politique culturelle québécoise jusqu’en 1965, début de la « Révolution tranquille ». Ce mémoire est cité encore aujourd’hui par les chercheurs, car ma curiosité m’a poussé à faire un travail en profondeur sur le sujet. Donc, j’ai le parcours de quelqu’un qui se laisse porter de-ci de-là jusqu’à ce qu’il trouve la bonne voie pour ne plus la quitter.

Pour revenir au présent, quel est, selon vous, le plus grand danger pour la paix dans le monde entre la course au réarmement, la montée de la flotte chinoise et le risque de dérapage nucléaire?

Le plus grand risque, c’est la Chine populaire, car si sa puissance continue de monter au point de concurrencer les États-Unis, on va devoir se réarmer, et la question nucléaire sera posée. Les actions de Poutine ont changé l’équation dans une certaine mesure. Certes, la Chine n’est pas plus faible après l’action de Poutine, mais peut-être que l’Occident sera un peu plus fort. Bien que l’OTAN ait été perçue comme une menace permanente par Poutine, en réalité elle n’était pas aussi puissante que prévu, puisque l’OTAN n’avait pas armé son flanc est en Europe pour ne pas provoquer la Russie! Une forme d’engrenage s’est installé progressivement : à chaque provocation de Poutine, les membres de l’OTAN s’armaient un peu plus, ce qui justifiait Poutine dans sa dérive. On voit, aujourd’hui, que l’OTAN peine à fournir des armes aux Ukrainiens. C’est étonnant, car justement il s’agit de se battre contre l’ennemi qui avait inspiré l’invention même de l’OTAN. Quand les Chinois voient cela, ils sont encouragés dans la poursuite de leurs ambitions, qui sont la récupération de gré ou de force de Taïwan, l’intimidation permanente faite au Japon et la création d’une zone d’influence allant du Kazakhstan au Vietnam. Malheureusement pour la Chine, le Vietnam est devenu un ami des États-Unis – ironie de l’histoire ! Selon le dénouement de la guerre russo-ukrainienne, la Chine va réajuster ses priorités. La Russie représente certes un danger pour l’Occident, mais moins que la Chine sur le long terme. Poutine a osé la guerre en Ukraine car Xi Jinping a adopté une posture de neutralité bienveillante. Toutefois, la puissance chinoise menace la Russie elle-même, car la Sibérie orientale est une revendication territoriale chinoise, en doctrine sinon en droit, depuis la fin du XIXe siècle et la conquête russe de ce territoire préalablement sous suzeraineté impériale chinoise. Le compte à rebours a commencé pour la Fédération russe en Extrême-Orient.

Pourquoi les nations n’arrivent-elles pas à se mettre d’accord sur des questions aussi urgentes et fondamentales que les mesures pour nous protéger contre le désastre environnemental ou le choix d’un modèle démocratique ?

S’agissant du climat, il est inutile que des nations industrialisées démocratiques prennent des mesures si les autres ne suivent pas. La bonne nouvelle, c’est que le parti communiste chinois sous Xi Jinping n’est pas opposé à l’action sur le climat. La Chine populaire a signé un accord bilatéral symbolique avec les États-Unis il y a une dizaine d’années, sous Obama, et on s’en est beaucoup félicité. Elle joue le jeu des diverses COP pour plusieurs raisons dont la peur d’un soulèvement général en Chine face à la pollution. Parce que le citoyen, ou plutôt le sujet du Parti communiste chinois, peut supporter de ne pas penser politiquement mais non pas de boire de l’eau brune. On a peu remarqué le nombre de mini-soulèvements en Chine depuis 10 ou 15 ans provoqués par des questions purement environnementales. Ce qui était demandé, ce n’était pas : « Donnez-nous une constitution avec la séparation des pouvoirs et le multipartisme ! » C’était : « Le chef de parti local est un salaud et un corrompu. Remplacez-le, payez-nous nos salaires et arrêtez d’envoyer des déchets chimiques dans les eaux ». Donc le problème de l’environnement pourrait peut-être être réglé avec ou sans la question démocratique.

Concernant le prestige mondial du modèle démocratique, les nations qui l’appliquent sont elles-mêmes en proie à une perte de confiance en la démocratie libérale parlementaire. Pourquoi cette désaffection? Il y a un cocktail de facteurs. La gauche et le centre bien-pensants ont cru que l’histoire allait dans leur sens, et que le simple fait de proclamer et imposer leur vision amènerait les autres à s’y rallier. En France cela a fonctionné sur plusieurs thèmes, dont la peine de mort et le mariage gay. En face, il y a une gauche populiste et surtout une droite populiste, qui se disent que pour contrer les bien-pensants, il suffit de transformer le processus démocratique en matraque, pour balayer la politique de la gauche et du centre. La vie politique devient une guerre de positions idéologiques, avec un vernis de démocratie. Ainsi, dans les pays occidentaux, les gens ont du mal à se mettre d’accord sur la définition du modèle démocratique, alors qu’on devrait s’inquiéter de la montée des nouveaux autoritarismes.

Qu’entendez-vous par « matraque » ?

Des groupes sont prêts à utiliser tout ce qui est légal et conforme à la Constitution mais contraire à l’esprit démocratique. Par exemple, quand Donald Trump annonce sa campagne électorale depuis le balcon de la Maison Blanche avec des feux d’artifice. Aucun président n’aurait osé faire ça au XXe siècle, même pas Nixon. Tous ont séparé le président du candidat. Mais aujourd’hui, on va jusqu’à utiliser la présidence de manière partisane, et l’on insulte les juges, les mœurs des uns et des autres lorsqu’il s’agit de vétilles comme le prix des dîners ou d’une raquette de tennis. C’est l’invective démagogique qui est une matraque.  Certains écolos exaltés ont également réussi à faire passer la consommation de viande et d’énergie nucléaire pour un crime, et avancent sur une voie où la prochaine étape sera l’égalité entre les hommes et les animaux. Ainsi l’on constate que la démocratie n’a pas réussi à faire une synthèse. Elle a donné lieu à deux mondes qui se battent sur le dos de la démocratie, et ce type de conflit s’est répandu partout en Occident. Le populisme de droite m’agace, mais je ne vois pas une réponse intelligente venant de l’autre camp.

Pourquoi le courant de pensée en France qui se méfie de l’atlantisme et de l’OTAN continue-t-il à exercer une influence non négligeable ? Ceux qui y adhèrent ont-ils raison sur certaines choses ?

Selon les Français, qu’il s’agisse du Général de Gaulle ou du Parti communiste, la France, pour être forte, devait être l’égale de toute autre puissance. Or cette attitude fait fi de notre déconfiture de 1940. La faille originelle est dans cet oubli. Une fausse idée a été propagée, comme quoi la France redevenait grande et puissante, narratif nécessaire à partir de 1945 si la France voulait participer à la reddition de l’Allemagne. Aujourd’hui, toute cette histoire-là est finie, mais ce mythe continue de vivre sans raison d’être ni vertus stratégiques. Et les mêmes qui sont anti-atlantistes sont anti-européens, donc je me demande contre qui on doit se défendre et avec quels alliés…

Il y a aussi le concept d’autonomie stratégique, qui est une construction intellectuelle douteuse: certes l’armée française doit avoir ses propres armes et ses moyens satellitaires, indépendants des Américains, mais notre autonomie est toute relative. Est-ce que le budget français doit véritablement payer le prix énorme pour un système satellitaire français ? Est-ce que la rupture d’avec l’OTAN nous ferait pousser des champs de billets de banque pour avoir ce système satellitaire autonome?

La tradition anti-atlantiste réunit des gens très différents comme les communistes à la Roussel, pour qui Staline était un camarade surtout lorsqu’il contrait l’impérialisme américain. C’est un anti-américanisme facile, teinté de tiers-mondisme démodé. À droite, il y a des gens qui ne digèrent pas la défaite de 40, le déclassement. Pour ne pas l’avouer, on préfère sortir de la classe. Ne pas vouloir être dans l’euro, ne pas vouloir être dans l’OTAN, ne pas penser à un futur standard militaire européen, c’est chercher une forme de singularité française sans puissance. Ce serait déjà bien que la France pèse un sixième des États-Unis militairement, alors que nous ne pesons que le dixième. Cet écart n’est pas dû aux supposées servitudes de l’Alliance atlantique.

Les anti-otaniens prétendent qu’il ne faut pas être les « toutous » des États-Unis.  Mais quand est-ce qu’on a été les toutous ? Sommes-nous retournés au Vietnam avec les Américains ? Sommes-nous allés en Irak en 2004 ? Sortir de l’OTAN, c’est briser l’échiquier parce qu’on n’aime pas les manières de son adversaire. Ils voudraient se rapprocher de Vladimir Poutine, mais alors quel allié infréquentable aurions-nous aujourd’hui ?

Pourtant, la France a été insultée et mise à l’écart par ses alliés – américains, britanniques et australiens – lors de l’affaire de l’AUKUS l’année dernière. Les Français n’ont-ils pas raison d’insister sur leur autonomie stratégique et diplomatique ?

Concernant l’affaire du pacte AUKUS, une puissance comme la France a subi un coup bas, mais pas une trahison irrémédiable. C’est un genre de mini-Suez 1956. Je prétends tout de même qu’il aurait fallu déceler cette entourloupe et  parer au plus pressé. Nous sommes censés être des maîtres du renseignement, au-dessus des Italiens, des Américains, des Allemands et des Anglais. Mais nous n’avons pas vu venir le pacte AUKUS. Il y avait pourtant des signes à interpréter. Je pense qu’au final les Australiens n’ont pas pris les sous-marins classiques français parce qu’ils éprouvaient une panique terrible, en 2019-2020,  que Pékin puisse vouloir les isoler complètement sur le plan géographique et économique. Par exemple, la Chine populaire a retiré tous ses étudiants de l’Australie, la privant des frais de scolarité qui se comptaient en dizaine de milliers de dollars par personne et par semestre. Le lait et la viande australiennes ont été soudainement interdits d’entrée sur le sol chinois. Or, en commandant des sous-marins nucléaires aux États-Unis, le gouvernement australien mettait à disposition de la U.S. Navy un port australien pour des sous-marins nucléaires américains. L’astuce pour l’Australie consistait à acquérir ainsi une protection gratuite. Nos services de renseignements et nos diplomates auraient dû prévoir cela. Mais je ne leur jette pas la pierre. Côté français, on s’en est sorti comme on pouvait. Maintenant Joe Biden et Rishi Sunak et Anthony Albanese nous envoient des fleurs, mais malheureusement c’est surtout symbolique. La vérité demeure que Joe Biden a négocié avec Tony Morrison, Premier ministre australien de l’époque, sachant que ce dernier était déloyal envers le contrat français. L’alliance otanienne n’est pas une garantie à 100% de la loyauté en tout. Mais posons-nous la question: qui viendrait à la rescousse si la Nouvelle-Calédonie se retrouvait entourée par la flotte chinoise, comme ce fut le cas avec Taïwan en mars 2023 ? Au moins Taïwan dispose d’une véritable flotte, infiniment plus grande que les maigres forces navales françaises du Pacifique. Le salut viendrait de la flotte américaine du Pacifique bien sûr. Il est souvent dangereux de s’enivrer de symboles, il y a une alliance profonde mais pas de fusion entre nos nations. Le Pacifique n’est pas l’Europe, et la France et l’Australie ne domptent pas la Chine. Les États-Unis peuvent encore le tenter. Autant dire que la stratégie indo-pacifique de Macron me semble démodée.

La suite demain

La Russie durcit sa loi anti-LGBT et interdit le transgenrisme

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Répression lors d'une manifestation interdite de militants de la cause homosexuelle à Saint-Pétersbourg, 21 novembre 2013 © Dmitry Lovetsky/AP/SIPA

La Douma a durci une nouvelle fois sa législation contre les LGBT. Les députés ont voté en faveur d’une nouvelle loi interdisant toutes opérations chirurgicales visant à un changement de sexe. Une loi qui se place dans «le sens de l’intérêt supérieur de l’enfant» selon la chambre basse du Parlement russe.


Réunis en session parlementaire le 14 juillet 2023, les députés de la Douma se sont penchés sur un projet de loi visant à interdire aux médecins tous types d’opérations chirurgicales permettant un changement de sexe. Sauf dans les cas liés au traitement d’anomalies physiologiques congénitales détectées chez les enfants. Votée à l’unanimité, la loi freine également le droit à l’adoption par les personnes transgenres et empêche les bureaux russes d’état civil de modifier des documents officiels sur la base de certificats médicaux justifiant de changements physiques. Jusqu’ici, paradoxalement, un(e) transgenre « pouvait se rendre dans un hôpital public ou une clinique pour obtenir un document médical lui permettant de modifier de tels documents » comme le rappelle dans ses colonnes le quotidien Le Monde daté de juin dernier.  

Taper sur les homosexuels et les trans est un axe important de la propagande anti-Occident du Kremlin

Une série d’amendements qui vient renforcer la loi existante sur la « propagande gay » signée par le président Vladimir Poutine en décembre 2022 et qui prévoit déjà des sanctions très lourdes pour quiconque ferait la promotion de « relations et/ou préférences sexuelles non traditionnelles », ainsi que la transition de genre. Afin de justifier cette loi, plusieurs députés ont expliqué que le projet entendait stopper « une industrie développée de changement de sexe qui inclut des médecins malhonnêtes, des psychologues, un réseau d’organisations et d’activistes LGBT (…) qui mènent leur activité destructrice contre les adolescents et la jeunesse », et qu’il répondait à une demande de la société civile russe très sensible à ce sujet. « Le transgenrisme est une tendance monstrueuse ! C’est une voie qui mène à la dégénérescence d’une nation. C’est inacceptable pour nous » a d’ailleurs déclaré Viatcheslav Volodine, président de la Douma, pour expliquer son soutien à la loi. « L’avenir du pays doit reposer sur des familles saines, sur une éducation saine des enfants, et non sur les jeux européens de démocratie, qui se sont depuis longtemps transformés en dégradation générale » a ajouté la députée Tamara Frolova.

A lire aussi, Jeremy Stubbs: Le Mois des fiertés LGBT: une appropriation cultuelle

Voix des transgenres en Russie, Roman Aleshin (devenu depuis Yulia Alyoshina) a dénoncé une « loi discriminatoire et un véritable génocide des personnes transgenres ». « Les répercussions seront dures, car les personnes transgenres se verront refuser le droit aux soins médicaux, qui est garanti par la Constitution (depuis 1997-ndlr) » rappelle l’ancien élu de l’Initiative civile, un parti politique libéral. Une loi qui permet même de donner un statut « d’ennemi d’État » aux transgenres selon Ian Dvorkine, un psychologue qui dirige une ONG russe d’aide aux personnes souhaitant faire une transition. Selon un sondage réalisé par Levada en juin 2020, c’est un Russe sur cinq qui souhaite « l’élimination » des LGBT du pays et 32% qui réclament qu’ils soient « isolés de la société ». 

À Moscou, la gay pride est périlleuse

Chaque année, la marche de Fiertés organisée en Russie fait l’objet de violences par les nationalistes qui reprochent aux associations homosexuelles de s’attaquer aux valeurs traditionnelles russes et de se faire les porte-paroles d’un Occident décadent, visant particulièrement les États-Unis. Un discours qui se place dans les pas de celui de l’Église orthodoxe et du Kremlin. Un gouvernement russe qui pointe même des possibles collusions entre les associations LGBT et le gouvernement ukrainien. Quelques heures avant l’adoption du texte anti-transgenre, qui attend la signature du dirigeant russe, les services russes de sécurité (FSB) ont annoncé avoir arrêté un militant transgenre, accusé d’avoir organisé des transferts d’argent vers Kiev « dans le but de financer » l’armée ukrainienne. Un crime de haute trahison passible de prison à vie. Dernièrement, la justice russe a infligé une importante amende (51000 €) au réseau social TikTok qui n’avait pas respecté l’ordre donné par un tribunal de supprimer des comptes LGBT russes soutenant l’Ukraine.

La Douma a précisé que la loi n’aurait pas un effet rétroactif et que ce vote allait dans « le sens de l’intérêt supérieur de l’enfant ». Malgré tout, si elle n’est pas sans rappeler déjà une autre loi similaire mise en place du temps de l’Union soviétique, les homosexuel(le)s conservent le droit de se marier en Russie, de servir dans l’armée, de se réunir dans des lieux dédiés à leurs préférences, de donner leur sang et même d’adopter sans contrainte quelconque du gouvernement russe.

Prix de l’humour à Bercy pour le «bonus réparation textile»!

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Bérangère Couillard chez "Monoprix" à Paris, janvier 2023 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Qui peut le croire ? Qui a eu un jour cette idée folle, qui l’a cautionnée ? Qui a sélectionné les 500 artisans labellisés par l’État pour lancer le bonus réparation textile ? Réponse: Bérangère Couillard, notre « courageuse » et frondeuse Secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargée de l’Écologie. Son dernier fait d’arme la confortera-t-elle lors d’un éventuel remaniement gouvernemental ?


Résumons. Une aide pour aller chez le cordonnier : 8 euros remboursés par la Sécurité Sociale des semelles fatiguées. 7 euros pour réparer un trou, une déchirure, un accroc ou refaire un talon. 8 à 15 euros pour la réparation d’un zip. Pour raccommoder une doublure, 10 à 25 euros. 500 commerçants seront concernés, et le dispositif devrait être mis en place à l’automne. D’accord, mais que fait-on des baskets ?

Plus belle la vie

Autrefois, on donnait nos vêtements autour de soi quand on n’en voulait plus. On les revendait même à des boutiques spécialisées, ou on les exposait aux vide-greniers ; bref on les jetait rarement, comme monsieur Jourdain et sa prose on faisait de l’économie circulaire sans le savoir ! Sachant que les grandes enseignes de prêt-à-porter vous reprennent les vieux vêtements achetés chez eux contre un bon d’achat. Mais on n’avait pas pris en compte le concept de « seconde vie » qui fait chaud au cœur de votre tee-shirt abandonné.

A lire aussi: Commission européenne: la politique de concurrence aux mains des Américains?

L’aide, mise en place dès lors que les 500 couturiers et cordonniers seront référencés, sera sous la houlette d’Elsa Chassagnette, en charge de ce « fond de réparation » (ça ne s’invente pas) grâce à « l’éco contribution de la filière textile ». Oui, parce que nos fringues polluent et que votre shopping coup de cœur frise l’éco criminalité ! La filière textile, qui par ailleurs se porte très mal depuis l’épidémie du Covid et dont les principales chaînes de prêt-à-porter ont fermé, doit apprécier que l’on incite à ne plus acheter… Pas grave : on doit aller vers la décroissance et financer les victimes de la décroissance, CQFD… Donc au lieu de réparer le trou des Finances publiques, on va réparer ceux de nos vêtements en vidant un peu plus les caisses de Bercy sur le principe des vases communicants. Mais on est raisonnable et l’inquiétude est présente, car il faut un maillage non pas textile, mais territorial, des artisans commerçants agréés… Il faut précisément que l’artisan soit agréé par l’État ou ses représentants, les sachants toutes catégories (y aura-t-il bientôt un concours de couture à l’ENA ?). Parce que si le réparateur est à plus de 10 km, il faut prendre sa voiture (électrique et fabriquée en Chine, ça va de soit) mais pour le commun des troués, le prix et la pollution de l’essence consommée pour aller chez le médecin du vêtement vont polluer la verdeur de la démarche… Un casse-tête chinois !

Parlons chiffons

Ce n’est pas pour rien que le ministère des Finances intervient : il faudra que « le prix de la réparation soit inférieur à un tiers du prix de rachat » (sic). Sans commentaire, on vous laisse réfléchir…

Ce qui ne manque pas de sel c’est que la mode consiste actuellement à porter des vêtements troués, voire en lambeaux ! Y compris dans les collections de haute couture, nombreux sont ceux qui s’appliquent à trouer leur jeans, à effranger leurs chemises, à user coudes et genoux, à décolorer ce qui paraît neuf, etc. Peut-être pourrait-on créer un bonus « destroy » pour compenser l’absence de bonus de réparation ? Parce que lorsque le vêtement ressemble à une loque, il vaut plus cher. L’« ultra fast-fashion » va y perdre son latin. En France on n’a pas de pétrole, plus d’argent, mais on a des idées fumeuses.

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Milan Kundera: éloge de la «frontière terriblement floue»

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© CHOCHOLA/SIPA

Relire Milan Kundera, disparu récemment, nous permet d’y voir un peu plus clair dans les contradictions de la vie. « La frontière entre le bien et le mal est terriblement vague », écrivait-il. La frontière entre l’amour et l’amitié érotique l’est également…


Milan Kundera n’aimait pas se montrer, s’exposer, qu’on parle de lui ; il n’aimait pas les interviews, les caméras ni les projecteurs. Cela faisait longtemps déjà qu’il ne mêlait plus sa voix ni sa vie – une vie qui avait dépassé, dans le roman, le seul combat de l’individu contre le totalitarisme – à la grande fête de l’insignifiance contemporaine. Son silence – et le nôtre – a été rompu par sa mort. Nous lui disons adieu ; ses livres interrompent le cours de nos lectures estivales. À l’heure où les artistes se commentent eux-mêmes, à l’heure frémissante des posts, des blogs, des comptes Instagram etautres curieuses mises en scène de soi, la mort du grand écrivain tchèque nous rappelle à la rareté d’une vie discrète, grevée des douloureuses pesanteurs de l’histoire, nous laissant en héritage l’insoutenable légèreté des choses de ce monde. 

La lecture en guise d’hommage silencieux

Quel livre lire, là, maintenant, en guise d’hommage silencieux et contre l’oubli, cet oubli dont il redoutait l’énergie négative ? La disparition d’un écrivain nous oblige et nous rend à l’urgence de la lecture. On furète dans sa bibliothèque, on regarde ce que l’on a de lui, ce qu’il a laissé, en partant, sur nos étagères. Pour beaucoup d’entre nous, ce sera L’insoutenable légèreté de l’être, le cinquième roman de Kundera, publié en 1984, une œuvre totale, partition musicale d’une existence humaine complexe, ambiguë et contradictoire, écrite par un romancier qui pensait que la simplification était une forme de soumission. 

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Tomas, d’un côté, Tereza et Sabina de l’autre, « les deux pôles » de la vie du protagoniste, « des pôles éloignés, inconciliables mais beaux tous les deux ». Maîtresses permanentes ou maîtresses éphémères ? Coucher avec une femme ou dormir avec elle ? Amours exclusives ou amitiés amoureuses ? Éternelle répétition de l’amour ou millionième de dissemblable et d’inimaginable dans l’érotisme, compassion sinistre ou « co-sentiment » joyeux ? Douce légèreté de la nostalgie ou poids métaphysique de l’absence de l’autre, innocence dans l’ignorance de l’ignominie ou culpabilité œdipienne de la tragédie communiste et de son totalitarisme kitsch« La frontière entre le bien et le mal est terriblement vague », écrit Milan Kundera. La frontière entre l’amour et l’amitié érotique l’est également, comme l’est aussi celle que l’on croit irréductible entre la pesanteur et la légèreté.

La vie est contradictoire…

La pesanteur n’est pas toujours du côté du drame et la légèreté n’a pas forcément les traits de la liberté ; il y a de la beauté dans le poids de la vérité et du réel incarné, il y a de l’insignifiance dans ce qui n’est qu’à demi-réel et ne nous pèse pas sur les épaules. « Ce n’est pas logique mais c’est comme ça ». Phrase dite en riant par Tomas, et qui résume tout. Tomas se croit-il plus léger de n’avoir plus à se soucier de Tereza et de son encombrant amour ? Se croit-il libéré de ce poids du manque en allant la retrouver, éprouvant dès lors le désespoir d’être rentré auprès d’elle ? Que dire aussi de Franz, dont Sabina admire le corps musclé mais qui « n’a jamais cassé la gueule à personne » ni « utilisé une seule fois sa force contre elle » ? « Aimer c’est renoncer à la force », pense l’amant de Sabina. Phrase belle et vraie mais qui le raye immédiatement de la vie érotique de celle qui n’aurait pourtant pas supporté cinq minutes un homme qui lui donne des ordres… Au regard de notre culte contemporain de la légèreté – ne peser ni sur les évènements, ni sur les choses, ni sur les êtres, réduire notre consommation et notre empreinte carbone, soulager la planète de notre poids criminel et les autres de notre emprise asphyxiante – cette œuvre est d’une lecture salutaire.

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La vie est contradictoire, elle nous ballotte entre des pôles opposés : agir/ne pas agir, choisir/ne pas choisir, se battre/ne pas se battre, se rétracter/refuser de se rétracter. Anna Karénine n’est jamais loin (Tereza arrive chez Tomas « avec le gros livre de Tolstoï à la main » et nommera sa chienne Karénine), cette femme qui a pu être heureuse et gaie tout en ayant perdu sa réputation et fait le malheur de son mari et de son fils. Biberonnée à la tiédeur du « en même temps », sorte de magma ou s’émoussent la pensée et l’action, mais aussi hystérisée par les termes haineux du quant à soi politiquement séditieux, notre société a perdu le sens même de ces oppositions nécessaires et de ces contradictions inévitables. « Les mots incompris » et leur « petit lexique », qui constituent l’un des chapitres de l’Insoutenable légèreté de l’être, nous renvoient à ce creuset de nos ambiguïtés qu’est le langage, reflet du monde que l’on est en train de construire. Un langage aujourd’hui râpé à la pierre ponce du consensus et sommé de se réduire au principe unique de la communication transparente.

… c’est une ébauche sans tableau

La lecture de Milan Kundera nous permet de retrouver du sens à nos vies bienheureusement contradictoires, et remettre des « frontières terriblement vagues » là où elles l’exigent. Milan Kundera n’a vécu qu’une fois, lui qui s’interrogeait sur le sens de ce « mythe loufoque » de l’éternel retour nietzschéen, comme si nos actions, nos jugements et nos sentiments étaient les ébauches d’un tableau final. Il pensait au contraire que « la vie est une esquisse de rien », « une ébauche sans tableau ». S’il nous était d’ailleurs donné de vivre nos vies plusieurs fois, serions-nous capables de ne pas répéter nos propres erreurs ? Celui qui répond oui est un optimiste. Soyons optimistes, faisons à nouveau revivre le grand romancier, par la lecture cette fois, et portons sur lui ce seul regard qui lui plaisait, non pas celui de l’adulateur ou du flagorneur, mais celui du rêveur posé sur un être absent. Nous vous regardons avec ces yeux-là, Monsieur Kundera. Car vous n’êtes plus là mais vous êtes bel et bien présent. « Ce n’est pas logique, mais c’est comme ça. »

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Le choc dé-civilisation

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Nuits de heurts à Bordeaux, 29 juin 2023 © Stéphane Duprat/Sipa

Les émeutes qui ont ravagé la France n’ont été accompagnées d’aucune revendication. De quoi dérouter les sociologues et politiques les mieux intentionnés qui ne peuvent admettre le caractère imbécile et clanique de ces violences. Cela suffira-t-il à désarmer le camp du déni ? Pas sûr. Mais beaucoup de Français sont de moins en moins résignés à vivre parmi tant de petits anges.


Beaucoup l’ont redoutée, d’autres, secrètement espérée. Pendant ces nuits où, sur nos écrans, défilaient des images de villes en flammes, de nombreux Français ont pensé que, cette fois, on y était – que la guerre civile commençait en vrai. Comme à chaque fois, ça s’est tassé une fois les razzias finies. Il est vrai qu’après des discours d’apaisement tenus au plus haut niveau de l’État (avec le succès que l’on sait) et deux nuits de quasi-laisser-faire, le changement de cap du gouvernement, la mobilisation policière et l’inhabituelle sévérité de la justice – qui a même envoyé quelques casseurs en prison –  ont pu donner l’illusion d’une riposte ferme. Et puis, il y a la fatigue, la lassitude : cette génération biberonnée au « tout, tout de suite » se lasse vite. Même de détruire.

Retour au vivre-ensemble

Au moment où nous bouclons, le président s’est félicité du retour au calme, c’est-à-dire, on suppose, au vivre-ensemble tel qu’il se pratique au quotidien au rythme des agressions, des règlements de comptes et des incivilités. Mais on peut se demander ce qui se passerait si toutes les cités « sensibles » décidaient en même temps de marcher sur les centres-villes. Notre chance est que, pour l’essentiel, ces émeutiers sont totalement déstructurés, pour être polie, et surtout, dépourvus de tout projet politique et de toute ambition collective.

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Même les sociologues, experts en ripolinage du réel, doivent en convenir. « Tout se passe comme si les quartiers étaient dans un vide politique, comme si les rages et les révoltes ne débouchaient sur aucun processus politique », déclare François Dubet au Monde. Non, ce n’est pas « comme si », c’est exactement ça. Ce qui ne l’empêche pas d’affirmer que « les jeunes des quartiers ne sont pas différents des femmes et des minorités sexuelles : tous adhèrent à la promesse républicaine ». C’est évident, si des hordes ont détruit ici une école, là une mairie ou, comme à Chambéry, un cinéma d’art et d’essai (sans doute parce qu’ils détestent les films ouzbeks), c’est parce qu’elles adhèrent à la promesse républicaine. Quant à la convergence des luttes minoritaires, il faudra en toucher un mot aux amoureux de la République qui ont menacé de saccager un bar gay à Brest. Des petits anges, vous dit-on.

Chantage au désordre

De très mauvaises fées leur ont donc fourni un narratif susceptible de donner à leur violence imbécile les apparences d’une révolte contre l’injustice. Tandis que la nomenklatura associative qui vit du chantage au désordre ressortait la faribole usée des agrégés-chômeurs qui peupleraient les quartiers, Insoumis, écolos et leurs truchements médiatiques ânonnaient leurs mantras usés : ce déchaînement était dû à la relégation, la ghettoïsation et la discrimination. On préfère ne jamais savoir comment ce nouveau prolétariat traiterait ses Lénine[1] si d’aventure ils accédaient au pouvoir. En attendant, comme l’a judicieusement formulé Jean-Baptiste Roques, après l’islamo-gauchisme, nous avons assisté à la naissance du racaillo-gauchisme.

Emmanuel Macron n’a certes pas annoncé de dotation massive pour les associations, ni fait repentance pour l’apartheid qui sévirait en France (il peut se rattraper le 14 juillet si ses conseillers lui vendent qu’il faut calmer le jeu, entendre la souffrance et ne pas énerver l’Algérie qui s’est mêlée de nos affaires sans provoquer la moindre protestation diplomatique). Il a vu, dit-on, dans les événements la confirmation de son diagnostic de décivilisation. Pour autant, nos dirigeants sont-ils prêts à voir ce qu’ils voient ? Il est à craindre que, comme après les émeutes de 2005 ou l’attentat de Charlie, ils s’empressent de refermer les yeux qu’ils viennent d’entrouvrir. Il faudra plus que 500 bâtiments publics vandalisés pour désarmer le camp du déni.

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Ce que retiennent nombre d’observateurs c’est d’abord l’impuissance de l’État. Quarante ans après, le syndrome Malik Oussekine inhibe encore les responsables de l’ordre public. Personne ne demande une police de cow-boys qui défouraille en toute occasion. Mais pour que force reste à la loi, il faut que force il y ait. Or, son emploi est tellement encadré et limité aux cas d’urgence absolue pour la vie humaine que cela revient à concéder aux voyous le monopole de fait du recours à la force. Et à admettre que les biens ne sont plus protégés. Résultat : contrairement aux policiers, les émeutiers ne risquent rien. C’est le contraire de la dissuasion. Depuis quarante ans, les politiques publiques sont guidées par l’obsession de ne pas jeter de l’huile sur le feu. Et depuis quarante ans, le feu couve. Peut-être serait-il temps de tester une autre méthode et un autre langage.

Comme le font, chacun dans ses termes, Alain Finkielkraut, Laurent Obertone, Driss Ghali, Michel Auboin dans les pages de notre magazine 114, il faut analyser cette sécession qui n’est pas politique ni sociale mais anthropologique, et dont la seule logique est la loi du clan, de la tribu, de la communauté ou du quartier. Les émeutiers prétendaient vouloir la Justice. Le message qu’ils ont adressé à la société française, à coups de mortiers et de cocktails Molotov, est qu’ils n’adhèrent ni à ses mœurs, ni à ses valeurs, ni à ses procédures de résolution des conflits.

La culture de l’excuse nous présente la facture

Autant dire que le problème paraît sans issue : comme on le répète en boucle, ces jeunes qui haïssent la France sont français. De plus, la minorité violente bénéficie de l’indulgence d’une partie de la majorité silencieuse, qui trouve que ce n’est pas bien de casser, mais qu’il faut comprendre. On aimerait entendre plus de voix comme celle d’Amine Elbahi, lui-même issu d’une cité, qui affirme qu’il n’y a pas d’excuse qui tienne.

Emmanuel Macron réunit les maires à l’Elysée, suite aux évènements insurrectionnels survenus dans les banlieues séparatistes après la mort d’un jeune à Nanterre, 4 juillet 2023 © Blondet Eliot /Pool/SIPA

Si la patience de nos gouvernants semble infinie, celle des gens ordinaires atteint sa limite. On peut raconter toutes les âneries sociologiques qu’on veut, la France qui bosse, paye ses impôts et élève ses gosses en a marre de payer pour ceux qui lui crachent dessus. Elle a voté avec sa carte bleue : comme le résume Gil Mihaely, le succès de la cagnotte pour le policier qui a tué Nahel est un référendum. « Que faire de la police ? » s’interrogeait Libération en « une » le 4 juillet. Beaucoup de Français se demandent plutôt que faire de ces compatriotes dont la contribution au bien commun est pour le moins contestable.


[1] Encore que pour Plenel, c’est la ressemblance avec Staline qui frappe.