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Prix de l’humour à Bercy pour le «bonus réparation textile»!

Qui peut le croire ? Qui a eu un jour cette idée folle, qui l’a cautionnée ? Qui a sélectionné les 500 artisans labellisés par l’État pour lancer le bonus réparation textile ? Réponse: Bérangère Couillard, notre « courageuse » et frondeuse Secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargée de l’Écologie. Son dernier fait d’arme la confortera-t-elle lors d’un éventuel remaniement gouvernemental ?


Résumons. Une aide pour aller chez le cordonnier : 8 euros remboursés par la Sécurité Sociale des semelles fatiguées. 7 euros pour réparer un trou, une déchirure, un accroc ou refaire un talon. 8 à 15 euros pour la réparation d’un zip. Pour raccommoder une doublure, 10 à 25 euros. 500 commerçants seront concernés, et le dispositif devrait être mis en place à l’automne. D’accord, mais que fait-on des baskets ?

Plus belle la vie

Autrefois, on donnait nos vêtements autour de soi quand on n’en voulait plus. On les revendait même à des boutiques spécialisées, ou on les exposait aux vide-greniers ; bref on les jetait rarement, comme monsieur Jourdain et sa prose on faisait de l’économie circulaire sans le savoir ! Sachant que les grandes enseignes de prêt-à-porter vous reprennent les vieux vêtements achetés chez eux contre un bon d’achat. Mais on n’avait pas pris en compte le concept de « seconde vie » qui fait chaud au cœur de votre tee-shirt abandonné.

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L’aide, mise en place dès lors que les 500 couturiers et cordonniers seront référencés, sera sous la houlette d’Elsa Chassagnette, en charge de ce « fond de réparation » (ça ne s’invente pas) grâce à « l’éco contribution de la filière textile ». Oui, parce que nos fringues polluent et que votre shopping coup de cœur frise l’éco criminalité ! La filière textile, qui par ailleurs se porte très mal depuis l’épidémie du Covid et dont les principales chaînes de prêt-à-porter ont fermé, doit apprécier que l’on incite à ne plus acheter… Pas grave : on doit aller vers la décroissance et financer les victimes de la décroissance, CQFD… Donc au lieu de réparer le trou des Finances publiques, on va réparer ceux de nos vêtements en vidant un peu plus les caisses de Bercy sur le principe des vases communicants. Mais on est raisonnable et l’inquiétude est présente, car il faut un maillage non pas textile, mais territorial, des artisans commerçants agréés… Il faut précisément que l’artisan soit agréé par l’État ou ses représentants, les sachants toutes catégories (y aura-t-il bientôt un concours de couture à l’ENA ?). Parce que si le réparateur est à plus de 10 km, il faut prendre sa voiture (électrique et fabriquée en Chine, ça va de soit) mais pour le commun des troués, le prix et la pollution de l’essence consommée pour aller chez le médecin du vêtement vont polluer la verdeur de la démarche… Un casse-tête chinois !

Parlons chiffons

Ce n’est pas pour rien que le ministère des Finances intervient : il faudra que « le prix de la réparation soit inférieur à un tiers du prix de rachat » (sic). Sans commentaire, on vous laisse réfléchir…

Ce qui ne manque pas de sel c’est que la mode consiste actuellement à porter des vêtements troués, voire en lambeaux ! Y compris dans les collections de haute couture, nombreux sont ceux qui s’appliquent à trouer leur jeans, à effranger leurs chemises, à user coudes et genoux, à décolorer ce qui paraît neuf, etc. Peut-être pourrait-on créer un bonus « destroy » pour compenser l’absence de bonus de réparation ? Parce que lorsque le vêtement ressemble à une loque, il vaut plus cher. L’« ultra fast-fashion » va y perdre son latin. En France on n’a pas de pétrole, plus d’argent, mais on a des idées fumeuses.

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Milan Kundera: éloge de la «frontière terriblement floue»

Relire Milan Kundera, disparu récemment, nous permet d’y voir un peu plus clair dans les contradictions de la vie. « La frontière entre le bien et le mal est terriblement vague », écrivait-il. La frontière entre l’amour et l’amitié érotique l’est également…


Milan Kundera n’aimait pas se montrer, s’exposer, qu’on parle de lui ; il n’aimait pas les interviews, les caméras ni les projecteurs. Cela faisait longtemps déjà qu’il ne mêlait plus sa voix ni sa vie – une vie qui avait dépassé, dans le roman, le seul combat de l’individu contre le totalitarisme – à la grande fête de l’insignifiance contemporaine. Son silence – et le nôtre – a été rompu par sa mort. Nous lui disons adieu ; ses livres interrompent le cours de nos lectures estivales. À l’heure où les artistes se commentent eux-mêmes, à l’heure frémissante des posts, des blogs, des comptes Instagram etautres curieuses mises en scène de soi, la mort du grand écrivain tchèque nous rappelle à la rareté d’une vie discrète, grevée des douloureuses pesanteurs de l’histoire, nous laissant en héritage l’insoutenable légèreté des choses de ce monde. 

La lecture en guise d’hommage silencieux

Quel livre lire, là, maintenant, en guise d’hommage silencieux et contre l’oubli, cet oubli dont il redoutait l’énergie négative ? La disparition d’un écrivain nous oblige et nous rend à l’urgence de la lecture. On furète dans sa bibliothèque, on regarde ce que l’on a de lui, ce qu’il a laissé, en partant, sur nos étagères. Pour beaucoup d’entre nous, ce sera L’insoutenable légèreté de l’être, le cinquième roman de Kundera, publié en 1984, une œuvre totale, partition musicale d’une existence humaine complexe, ambiguë et contradictoire, écrite par un romancier qui pensait que la simplification était une forme de soumission. 

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Tomas, d’un côté, Tereza et Sabina de l’autre, « les deux pôles » de la vie du protagoniste, « des pôles éloignés, inconciliables mais beaux tous les deux ». Maîtresses permanentes ou maîtresses éphémères ? Coucher avec une femme ou dormir avec elle ? Amours exclusives ou amitiés amoureuses ? Éternelle répétition de l’amour ou millionième de dissemblable et d’inimaginable dans l’érotisme, compassion sinistre ou « co-sentiment » joyeux ? Douce légèreté de la nostalgie ou poids métaphysique de l’absence de l’autre, innocence dans l’ignorance de l’ignominie ou culpabilité œdipienne de la tragédie communiste et de son totalitarisme kitsch« La frontière entre le bien et le mal est terriblement vague », écrit Milan Kundera. La frontière entre l’amour et l’amitié érotique l’est également, comme l’est aussi celle que l’on croit irréductible entre la pesanteur et la légèreté.

La vie est contradictoire…

La pesanteur n’est pas toujours du côté du drame et la légèreté n’a pas forcément les traits de la liberté ; il y a de la beauté dans le poids de la vérité et du réel incarné, il y a de l’insignifiance dans ce qui n’est qu’à demi-réel et ne nous pèse pas sur les épaules. « Ce n’est pas logique mais c’est comme ça ». Phrase dite en riant par Tomas, et qui résume tout. Tomas se croit-il plus léger de n’avoir plus à se soucier de Tereza et de son encombrant amour ? Se croit-il libéré de ce poids du manque en allant la retrouver, éprouvant dès lors le désespoir d’être rentré auprès d’elle ? Que dire aussi de Franz, dont Sabina admire le corps musclé mais qui « n’a jamais cassé la gueule à personne » ni « utilisé une seule fois sa force contre elle » ? « Aimer c’est renoncer à la force », pense l’amant de Sabina. Phrase belle et vraie mais qui le raye immédiatement de la vie érotique de celle qui n’aurait pourtant pas supporté cinq minutes un homme qui lui donne des ordres… Au regard de notre culte contemporain de la légèreté – ne peser ni sur les évènements, ni sur les choses, ni sur les êtres, réduire notre consommation et notre empreinte carbone, soulager la planète de notre poids criminel et les autres de notre emprise asphyxiante – cette œuvre est d’une lecture salutaire.

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La vie est contradictoire, elle nous ballotte entre des pôles opposés : agir/ne pas agir, choisir/ne pas choisir, se battre/ne pas se battre, se rétracter/refuser de se rétracter. Anna Karénine n’est jamais loin (Tereza arrive chez Tomas « avec le gros livre de Tolstoï à la main » et nommera sa chienne Karénine), cette femme qui a pu être heureuse et gaie tout en ayant perdu sa réputation et fait le malheur de son mari et de son fils. Biberonnée à la tiédeur du « en même temps », sorte de magma ou s’émoussent la pensée et l’action, mais aussi hystérisée par les termes haineux du quant à soi politiquement séditieux, notre société a perdu le sens même de ces oppositions nécessaires et de ces contradictions inévitables. « Les mots incompris » et leur « petit lexique », qui constituent l’un des chapitres de l’Insoutenable légèreté de l’être, nous renvoient à ce creuset de nos ambiguïtés qu’est le langage, reflet du monde que l’on est en train de construire. Un langage aujourd’hui râpé à la pierre ponce du consensus et sommé de se réduire au principe unique de la communication transparente.

… c’est une ébauche sans tableau

La lecture de Milan Kundera nous permet de retrouver du sens à nos vies bienheureusement contradictoires, et remettre des « frontières terriblement vagues » là où elles l’exigent. Milan Kundera n’a vécu qu’une fois, lui qui s’interrogeait sur le sens de ce « mythe loufoque » de l’éternel retour nietzschéen, comme si nos actions, nos jugements et nos sentiments étaient les ébauches d’un tableau final. Il pensait au contraire que « la vie est une esquisse de rien », « une ébauche sans tableau ». S’il nous était d’ailleurs donné de vivre nos vies plusieurs fois, serions-nous capables de ne pas répéter nos propres erreurs ? Celui qui répond oui est un optimiste. Soyons optimistes, faisons à nouveau revivre le grand romancier, par la lecture cette fois, et portons sur lui ce seul regard qui lui plaisait, non pas celui de l’adulateur ou du flagorneur, mais celui du rêveur posé sur un être absent. Nous vous regardons avec ces yeux-là, Monsieur Kundera. Car vous n’êtes plus là mais vous êtes bel et bien présent. « Ce n’est pas logique, mais c’est comme ça. »

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Le choc dé-civilisation

Les émeutes qui ont ravagé la France n’ont été accompagnées d’aucune revendication. De quoi dérouter les sociologues et politiques les mieux intentionnés qui ne peuvent admettre le caractère imbécile et clanique de ces violences. Cela suffira-t-il à désarmer le camp du déni ? Pas sûr. Mais beaucoup de Français sont de moins en moins résignés à vivre parmi tant de petits anges.


Beaucoup l’ont redoutée, d’autres, secrètement espérée. Pendant ces nuits où, sur nos écrans, défilaient des images de villes en flammes, de nombreux Français ont pensé que, cette fois, on y était – que la guerre civile commençait en vrai. Comme à chaque fois, ça s’est tassé une fois les razzias finies. Il est vrai qu’après des discours d’apaisement tenus au plus haut niveau de l’État (avec le succès que l’on sait) et deux nuits de quasi-laisser-faire, le changement de cap du gouvernement, la mobilisation policière et l’inhabituelle sévérité de la justice – qui a même envoyé quelques casseurs en prison –  ont pu donner l’illusion d’une riposte ferme. Et puis, il y a la fatigue, la lassitude : cette génération biberonnée au « tout, tout de suite » se lasse vite. Même de détruire.

Retour au vivre-ensemble

Au moment où nous bouclons, le président s’est félicité du retour au calme, c’est-à-dire, on suppose, au vivre-ensemble tel qu’il se pratique au quotidien au rythme des agressions, des règlements de comptes et des incivilités. Mais on peut se demander ce qui se passerait si toutes les cités « sensibles » décidaient en même temps de marcher sur les centres-villes. Notre chance est que, pour l’essentiel, ces émeutiers sont totalement déstructurés, pour être polie, et surtout, dépourvus de tout projet politique et de toute ambition collective.

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Même les sociologues, experts en ripolinage du réel, doivent en convenir. « Tout se passe comme si les quartiers étaient dans un vide politique, comme si les rages et les révoltes ne débouchaient sur aucun processus politique », déclare François Dubet au Monde. Non, ce n’est pas « comme si », c’est exactement ça. Ce qui ne l’empêche pas d’affirmer que « les jeunes des quartiers ne sont pas différents des femmes et des minorités sexuelles : tous adhèrent à la promesse républicaine ». C’est évident, si des hordes ont détruit ici une école, là une mairie ou, comme à Chambéry, un cinéma d’art et d’essai (sans doute parce qu’ils détestent les films ouzbeks), c’est parce qu’elles adhèrent à la promesse républicaine. Quant à la convergence des luttes minoritaires, il faudra en toucher un mot aux amoureux de la République qui ont menacé de saccager un bar gay à Brest. Des petits anges, vous dit-on.

Chantage au désordre

De très mauvaises fées leur ont donc fourni un narratif susceptible de donner à leur violence imbécile les apparences d’une révolte contre l’injustice. Tandis que la nomenklatura associative qui vit du chantage au désordre ressortait la faribole usée des agrégés-chômeurs qui peupleraient les quartiers, Insoumis, écolos et leurs truchements médiatiques ânonnaient leurs mantras usés : ce déchaînement était dû à la relégation, la ghettoïsation et la discrimination. On préfère ne jamais savoir comment ce nouveau prolétariat traiterait ses Lénine[1] si d’aventure ils accédaient au pouvoir. En attendant, comme l’a judicieusement formulé Jean-Baptiste Roques, après l’islamo-gauchisme, nous avons assisté à la naissance du racaillo-gauchisme.

Emmanuel Macron n’a certes pas annoncé de dotation massive pour les associations, ni fait repentance pour l’apartheid qui sévirait en France (il peut se rattraper le 14 juillet si ses conseillers lui vendent qu’il faut calmer le jeu, entendre la souffrance et ne pas énerver l’Algérie qui s’est mêlée de nos affaires sans provoquer la moindre protestation diplomatique). Il a vu, dit-on, dans les événements la confirmation de son diagnostic de décivilisation. Pour autant, nos dirigeants sont-ils prêts à voir ce qu’ils voient ? Il est à craindre que, comme après les émeutes de 2005 ou l’attentat de Charlie, ils s’empressent de refermer les yeux qu’ils viennent d’entrouvrir. Il faudra plus que 500 bâtiments publics vandalisés pour désarmer le camp du déni.

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Ce que retiennent nombre d’observateurs c’est d’abord l’impuissance de l’État. Quarante ans après, le syndrome Malik Oussekine inhibe encore les responsables de l’ordre public. Personne ne demande une police de cow-boys qui défouraille en toute occasion. Mais pour que force reste à la loi, il faut que force il y ait. Or, son emploi est tellement encadré et limité aux cas d’urgence absolue pour la vie humaine que cela revient à concéder aux voyous le monopole de fait du recours à la force. Et à admettre que les biens ne sont plus protégés. Résultat : contrairement aux policiers, les émeutiers ne risquent rien. C’est le contraire de la dissuasion. Depuis quarante ans, les politiques publiques sont guidées par l’obsession de ne pas jeter de l’huile sur le feu. Et depuis quarante ans, le feu couve. Peut-être serait-il temps de tester une autre méthode et un autre langage.

Comme le font, chacun dans ses termes, Alain Finkielkraut, Laurent Obertone, Driss Ghali, Michel Auboin dans les pages de notre magazine 114, il faut analyser cette sécession qui n’est pas politique ni sociale mais anthropologique, et dont la seule logique est la loi du clan, de la tribu, de la communauté ou du quartier. Les émeutiers prétendaient vouloir la Justice. Le message qu’ils ont adressé à la société française, à coups de mortiers et de cocktails Molotov, est qu’ils n’adhèrent ni à ses mœurs, ni à ses valeurs, ni à ses procédures de résolution des conflits.

La culture de l’excuse nous présente la facture

Autant dire que le problème paraît sans issue : comme on le répète en boucle, ces jeunes qui haïssent la France sont français. De plus, la minorité violente bénéficie de l’indulgence d’une partie de la majorité silencieuse, qui trouve que ce n’est pas bien de casser, mais qu’il faut comprendre. On aimerait entendre plus de voix comme celle d’Amine Elbahi, lui-même issu d’une cité, qui affirme qu’il n’y a pas d’excuse qui tienne.

Emmanuel Macron réunit les maires à l’Elysée, suite aux évènements insurrectionnels survenus dans les banlieues séparatistes après la mort d’un jeune à Nanterre, 4 juillet 2023 © Blondet Eliot /Pool/SIPA

Si la patience de nos gouvernants semble infinie, celle des gens ordinaires atteint sa limite. On peut raconter toutes les âneries sociologiques qu’on veut, la France qui bosse, paye ses impôts et élève ses gosses en a marre de payer pour ceux qui lui crachent dessus. Elle a voté avec sa carte bleue : comme le résume Gil Mihaely, le succès de la cagnotte pour le policier qui a tué Nahel est un référendum. « Que faire de la police ? » s’interrogeait Libération en « une » le 4 juillet. Beaucoup de Français se demandent plutôt que faire de ces compatriotes dont la contribution au bien commun est pour le moins contestable.


[1] Encore que pour Plenel, c’est la ressemblance avec Staline qui frappe.

Le wokisme ne passera pas!

Le wokisme me semble relever d’une très longue tradition des campus, l’onanisme universitaire. Ce monde dans lequel on se donne parfois un mal fou pour avoir l’air de penser, où l’on vit dans l’angoisse perpétuelle d’être pris en flagrant délit d’indigence conceptuelle, de vacuité doctrinale. 


Cela donne fort souvent des théories très alambiquées et des ouvrages prétentieusement illisibles. Artificiellement hermétiques, si vous préférez. Cependant, il serait injuste de ne pas reconnaître à un grand nombre de ces publications une vertu somnifère de première efficacité. Hélas, elles ne sont pas remboursées par la Sécurité sociale. De loin en loin, parmi ces productions qui affluent de préférence en des temps de basses eaux intellectuelles, il s’en trouve qui condescendent à se faire quasiment lisibles. J’allais dire « populistement » lisibles. Le wokisme tend à cela, en effet. Par exemple, à l’opposé de celle vue, explorée, analysée, distillée par un Jacques Derrida (qui, disons-le tout net, mériterait le Nobel avec palme dans la catégorie somnifères et purges) la déconstruction induite par le wokisme serait presque aussi facile d’accès qu’un tome des aventures de la pétulante Martine. En gros, il s’agit de déconstruire, donc de détruire tout ce qui a à voir de près ou de loin avec le très fameux privilège blanc, privilège dont l’incarnation la plus odieuse, la plus abjecte serait le mâle – blanc, cela va de soi – de préférence effroyablement hétérosexuel. Tout ce qui vient de lui serait à proscrire et à livrer aux flammes des bûchers de la nouvelle inquisition : le savoir, la science, les arts, la culture, l’histoire, l’éducation, les bonnes manières, que sais-je encore ?

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Toutes fariboles qui n’auraient d’autres finalités que de perpétuer la répugnante domination de ce gros con de mâle blanc sur les minorités, toutes les minorités, raciales, ethniques, sexuelles, genrées, dégenrées, regenrées, multi-genrées (C’est que je ne voudrais oublier personne, comprenez-vous.) En un mot comme en cent, le monde est d’une simplicité époustouflante. « T’es blanc, t’es coupable. T’es tout et n’importe quoi sauf blanc, t’es victime. » Voilà l’essentiel du dogme. Simplifié, certes. Mais si peu… Puisqu’il y a effectivement dogme, on serait tenté d’envisager que le wokisme pourrait être une religion. Il y a de cela en effet dans la stratégie de propagande de ses tenants, de ses gourous, et dans la construction rhétorique de leurs prêches. Mais bien que leur dogmatique en ait effectivement les apparences, elle ne saurait être authentiquement une religion en cela qu’elle fait l’impasse sur ce qui fonde la vitalité, la nécessité, l’intemporalité, la richesse et jusqu’à la gloire de toute religion : le Salut. Toutes, à l’évidence, sont porteuses de cette issue de lumière. Au bout du bout, au terme du chemin, au sortir de la vallée de larmes que serait le passage sur terre, le Salut. Oui, la possibilité du Salut est le sel même du religieux. Le Jansénisme en son temps est mort de s’être voulu parcimonieux à l’excès sur ce plan-là. Porteur impitoyable d’une espérance seulement réservée à quelques hommes, il acculait les autres à l’abandon, au désespoir.

A ne pas manquer, notre numéro de l’été et son dossier sur les artistes qui disent non au wokisme : Causeur: l’insurrection des imbéciles

Le wokisme, confiné dans la ratiocination obsessionnelle du ressentiment, confit en hystérie haineuse, s’avère tragiquement incapable d’annoncer ne serait-ce que la bonne vieille lubie des lendemains qui chantent. La messe communiste avait au moins cela. Parce qu’il ne propose aucune issue – autre que le chaos déconstructeur – il n’en a lui même aucune. J’en suis convaincu. Certes il servira encore d’alibi à des partouzes onanistiques qualifiées de colloques, certes il fera encore les belles heures de dîners en ville dans les bonnes maisons des bons quartiers, mais il est radicalement trop pauvre d’espérance vraie, trop gangrené de vérités fabriquées, et, au fond, bien trop ennemi de l’humain pour entrer durablement dans l’esprit et le cœur des gens. Je veux dire, dans l’esprit, le cœur et l’âme de nous autres, les gens de la vraie vie. Alors, j’en prends le pari : le wokisme ne passera pas ! Il faudra juste avoir la volonté, le courage intellectuel et politique de réparer les dégâts qu’il aura laissés derrière lui.

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Aux larmes etc.

La star Jane Birkin, dont la carrière est indissociable du grand Serge Gainsbourg, nous émouvait avec sa voix, et nous faisait rire au cinéma. La plus française des Britanniques est morte ce dimanche, à Paris. Hommage.


« Signalement yeux bleus, cheveux châtains, Jane B, tu dors au bord du chemin une fleur de sang à la main. » Jane B. vient de nous quitter en ce 16 juillet à l’âge de 76 ans. Il me semble que la tristesse des Français est unanime. L’émotion est palpable sur les réseaux sociaux : « je pleure », peut-on même y lire. « Inimaginable de vivre dans un monde sans ta lumière » a écrit Etienne Daho sur Facebook. Il avait magnifiquement produit son dernier album, son testament : Oh pardon tu dormais, en 2020. « Jane Birkin était une icône française », avance Emmanuel Macron.

Indissociable de Serge Gainsbourg

La petite Anglaise, indissociable de Serge Gainsbourg, qui a sans doute écrit pour elle ses plus belles chansons, de Baby alone in Babylone jusqu’à Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve, a toujours fait partie de nos vies. Elle instaurait une proximité avec le public, elle se racontait volontiers : son enfance anglaise à l’ombre de sa mère, actrice, et de son père, héros de la deuxième guerre, son héros à elle également, elle qui se considérait comme le mouton noir de sa famille : « Je prends trop de place, même pour moi, je prends trop de place », chante-t-elle ainsi dans son dernier album, le plus personnel, et dans lequel elle utilise enfin ses propres mots, et non plus ceux de Serge. Elle osait, au soir de sa vie, mettre à distance son Pygmalion, celui qui la fit naître une seconde fois, mais qui fut sans doute un peu trop étouffant ; elle voulait tant être à sa hauteur, ne jamais le décevoir. « Je voulais être une telle perfection pour toi » chante-t-elle dans le titre éponyme qui figure sur son dernier album. 

De Serge Gainsbourg, elle parlait avec une infinie tendresse ; elle aimait évoquer des anecdotes du début de leur rencontre, car c’est avec ses maladresses que ce génie de la chanson avait réussi à la conquérir ; en lui marchant sur les pieds lorsqu’ils dansaient ensemble, ou, en louant, fou de jalousie lorsqu’elle tournait dans La piscine avec Delon, une Rolls avec chauffeur (Serge Gainsbourg ne passa jamais son permis) pour la rejoindre sur le tournage, et épater la galerie… 

Une voix souvent moquée

Et puis, il fit d’elle Melody Nelson, il lui offrit Je t’aime moi non plus, chanson qu’il avait initialement écrite pour Bardot, et des perles plus méconnues comme Le canari est sur le balcon, l’histoire d’une jeune fille qui met la cage de son canari sur le balcon avant d’ouvrir le gaz. Beaucoup ont moqué sa voix, prétendant qu’elle ne savait pas chanter. Cette voix qui monte dans les aigus, un peu tremblante mais qu’elle avait appris à maîtriser avec le temps, elle la doit également à Serge Gainsbourg, qui lui avait demandé de chanter comme un petit garçon dans une chorale. 

La première vocation de Jane Birkin était de faire l’actrice. Elle rencontra d’ailleurs Gainsbourg sur le tournage de Slogan, film mineur de Pierre Grimblat, où elle remplaçait Marisa Berenson au grand dam de Serge, qui qualifia la petite Anglaise de « boudin ». Il fit cependant tourner son « boudin », dans Je t’aime moi non plus, film étrange, inclassable, à la fois poussiéreux et lumineux. De ce film nous retenons surtout la sublime chanson Ballade de Johnny Jane et son texte à fleur de peau, qui nous rappelle à quel point l’amour est fragile et douloureux mais « que le temps ronge l’amour comme l’acide »…

Jane possédait une véritable vis comica, qu’elle exploita à merveille dans La moutarde me monte au nez, de Claude Zidi, avec Pierre Richard. Dans les années 80, elle rencontre Jacques Doillon, qui devient son compagnon et qui fait d’elle une actrice à la fois tragique et fragile, notamment dans La fille prodige. Mais, à mon sens, c’est au théâtre qu’elle fit des étincelles, Jane Birkin avait le sens de la scène, elle savait s’en emparer, sa présence était palpable. En 2007 au théâtre des Amandiers, sous la direction de Patrice Chéreau, elle campe une Electre très émouvante et au bord du gouffre. 

Voilà, maintenant notre petite Anglaise va pouvoir retrouver dans les étoiles sa fille Kate, disparue tragiquement un soir d’hiver 2013. So long Jane.

La flexible morale du suprémacisme diversitaire

L’immigration reste un sujet olfactif. Plus les yeux s’ouvrent sur les désastres causés par un peuplement de substitution, plus les coups tombent sur les propos « nauséabonds » des lucides. La propagande des promoteurs du diversitisme ne recule devant rien, à commencer par la réécriture de l’histoire.


« Charognards ! » Le mot est dégainé par les adeptes du suprémacisme diversitaire dès qu’un protégé est mis en accusation. Faire taire est l’obsession de ceux qui ont juré de sacraliser l’Autre, rédempteur des fautes françaises. Au prétexte de respecter une émotion, toute parole déplacée est vue comme un blasphème. Face à l’assassinat de la petite Lola par une clandestine algérienne, les cloueurs de becs avaient jugé les indignations plus indécentes que le crime. Je me souviens du scandale que mes propos avaient suscité, le soir de l’assassinat, le 7 janvier 2015, de mes confrères de Charlie Hebdo par un commando islamiste : participant à « On refait le monde », sur RTL, j’avais enjoint aux musulmans de se désolidariser de cette monstruosité et de le faire savoir afin d’éviter les amalgames. « Ce n’est pas le moment ! » avaient répliqué les intervenants. Rokhaya Diallo y avait été de ses larmes pour signifier ma brutalité. En 2011, la même militante de l’islam avait dit ne pas vouloir « s’apitoyer » sur l’incendie criminel de la même rédaction, qu’elle accusait alors d’être « main dans la main avec [ses] supporteurs Claude Guéant, Ivan Rioufol et Marine Le Pen ». Après l’agression au couteau d’un Syrien contre des bébés, le 8 juin à Annecy, la journaliste Pascale Clark a écrit : « La vie d’enfants est en jeu, les extrêmes pourraient avoir la décence de se taire. » Jamais le moment, compris ?

La gauche aussi fait de la « récupération »

Un bémol cependant : la règle de la décence et de la non-récupération souffre d’exceptions. Il suffit que la diversité soit la victime et non plus le bourreau. Dès lors, les charognards se font colombes. Ni la pudeur ni le respect n’ont fait obstacle, en septembre 2015, à l’exposition mondiale du cadavre d’Aylan, 3 ans, enfant syrien rejeté sur une plage turque après le naufrage d’une embarcation qui devait mener sa famille en Europe. Le portrait de George Floyd, Noir étouffé par un policier blanc américain en mai 2020, a immédiatement fait le tour du monde et suscité d’innombrables manifestations de protestations. Après le naufrage d’un bateau de pêche parti de Libye avec 750 personnes à bord, Libération, le 5 juin, puis L’Humanité, le lendemain, ont fait leur une sur cette tragédie (« Leur cimetière », « Ils les ont laissé mourir »), dans une exploitation politique d’ailleurs compréhensible. La mort de Naël M., conducteur de 17 ans tué le 27 juin à Nanterre par un policier s’estimant sans doute en danger, a immédiatement enflammé des cités éruptives. Bref, les lyncheurs appliquent des lois flexibles. Ce qu’ils veulent, c’est maintenir leur impunité et de ne pas avoir à rendre des comptes sur les violences de leur clientèle. J’ai cherché en vain une réaction du SNJ (Syndicat national des journalistes) après la mort, le 8 juin, d’un cameraman de TF1, Guillaume Taverne, tué dans une rue de Paris par un SDF algérien.

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Constatons-le : l’immigration reste un sujet olfactif. Plus les yeux s’ouvrent sur les désastres causés, en moins de quarante ans, par un peuplement de substitution, plus les coups tombent sur les propos « nauséabonds » des lucides. Une majorité de sondés jugent qu’il y a trop d’immigrés. Les promoteurs du diversitisme soutiennent qu’il n’y en a pas assez. Leur propagande ne recule devant rien, à commencer par la réécriture de l’histoire. Les régimes totalitaires procédaient de la sorte pour marteler leurs vérités. C’est ainsi que le Musée de l’histoire de l’immigration, sous l’impulsion de l’historien Patrick Boucheron et le parrainage du ministère de la Culture, s’est mis au service des fanatiques d’une société multiculturelle, au prix d’un mémoricide balayant la source gauloise. Le musée est allé jusqu’à faire de Louis XIV, descendant d’Henri IV et des Capétiens, un de ces « étrangers qui ont fait la France » car sa mère, Anne d’Autriche, était espagnole et sa grand-mère autrichienne. « Notre mission c’est de faire de l’immigration un élément central de l’histoire nationale », avait expliqué Pap Ndiaye, lorsqu’il était directeur du musée de la porte Dorée. Ce grand remplacement des ancêtres est une violence faite aux « Français de souche », indigènes indésirables. En mémoire de ma famille née dans le Vivarais (1469, premier document), je refuse cet effacement.

La caste des déracinés

Une guerre des mémoires est attisée par les faussaires. Ils sont soutenus par la caste des déracinés qui s’accrochent au pouvoir. Le terrain leur est favorable, tant la transmission de l’histoire a été saccagée par l’École amnésique. Le gouvernement part en guerre contre la désinformation, mais laisse les mensonges s’épanouir. À côté des falsificateurs du roman national, les dénégationnistes se bousculent : ils jurent que ce que l’on voit n’est pas ce que l’on voit. Une vidéo filme une grand-mère et sa petite fille agressées à Bordeaux par le Français Brahima B., mais Élisabeth Borne accuse de « récupération » ceux qui s’exaspèrent. Après l’horreur des bébés poignardés, la députée LFI Clémentine Autain avait déclaré : « Il n’y a pas de lien entre ce drame et l’immigration. » Même aveuglement chez le sociologue Jean Viard, le 9 juin sur France 5 : « Aujourd’hui l’immigré est considéré comme un risque, mais il faut rappeler que la délinquance des immigrés n’est pas supérieure aux taux des Français. » Et d’ajouter : « L’essentiel des immigrés, aujourd’hui, sont des universitaires. » Jacques Attali avait donné le la au chœur des bonimenteurs, le 3 octobre 2019, en déclarant aux Échos : « Il n’y a aucun envahissement de la France ni de l’Europe par l’islam ou par l’Afrique. […] 99 % des migrants non européens s’intègrent parfaitement. » Ces déments assurent que leurs contradicteurs sont fous.

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Question : jusqu’à quand les Français aux yeux grands ouverts vont-ils devoir supporter ce monde faux, ce dérèglement des esprits, cette mascarade qui s’installe jusque dans la guerre-spectacle et le putsch bidon contre Poutine ? Henri d’Anselme, 24 ans, le pèlerin héroïque qui a chassé, le 9 juin, le démoniaque Syrien « chrétien » qui s’apprêtait au massacre renouvelé des Innocents, a apporté une réponse limpide : « Levez la tête, arrêtez de subir le mal. Ce que nos ancêtres ont fait de grand, de beau et de bien ce sont les cathédrales, formidables symboles d’unité, d’espoir et d’espérance. » Oui ; dire non.

La télévision sous parasol

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« Quarante degrés à l’ombre », l’émission balnéaire des années 1980/1990 qui sauva nos étés meurtriers


Il fait chaud, trop chaud, pour soulever son corps du canapé. Toute tentative de bouger est vouée à l’échec. Les volets du salon sont clos, un ventilateur des années 1950 brasse de l’air chaud, dehors le goudron se transforme en flaques d’huile, la route qui passe à trois cents mètres au-dessus de la maison n’a pas vu une automobile depuis la fin de matinée, même le bruit des moissonneuses-batteuses semble étouffé par la langueur de ce mois d’août ; y a-t-il encore traces d’une vie humaine dans le canton ? Les ufologues en doutent. L’été sera long cette année. Les vacances scolaires sont le calvaire des enfants ruraux, deux mois d’une inactivité propice à l’engourdissement de l’esprit et à une forme de désengagement citoyen. Reléguée dans des villages à l’abandon, cette jeunesse de France n’attendait déjà rien des pouvoirs publics à la fin des années 1980. Ici, pas de médiathèque Pablo Neruda, de centres de loisirs, d’activités nautiques, de terrains de sport tridimensionnels, de cours de breakdance, de gentils éducateurs ou d’ateliers circassiens, le campagnard en gestation n’avait pas vocation à devenir sportif ou artiste, intellectuel progressiste ou start-uppeur assisté par l’État, il observait le délitement du temps avec indifférence et une pointe de lassitude. Il ne comptait pas dans les cadres de la République, l’homme surnuméraire, c’était lui. Alors, il s’adonnait à l’oisiveté sans réel plaisir, entre une consommation excessive de « Pouss Pouss » Miko planqués dans le congélo et le briquage de son bicross dans le garage. Aujourd’hui, on appelle ces vélos tout-terrain des BMX, l’acronyme lui a fait perdre son côté bucolique et sous-préfet aux champs. Des heures durant, dans un état semi-léthargique, ce collégien en déshérence perdait son regard dans les jantes à bâtons jaunes de son Motobécane. À ce moment précis de sa monotonie, il ne pensait pas au TGV, au Minitel, à la 205 GTI, à la cohabitation ou à la crise des DOM-TOM. Il attendait cependant qu’un improbable événement vienne faire dérailler son atone existence. Sans trop y croire, tout de même. Il avait été lâché par toute la société animée par l’expansion économique et la chute des barrières douanières. Nous n’étions pas dans le Midi, les plages de la Méditerranée se trouvent à six cents kilomètres et le soleil ici-bas ne bronze pas, il brûle les foins, il coupe la respiration, il enlève toute foi dans l’avenir, il bloque les pas. Si l’école avait échoué à nous donner envie de lire et d’apprendre, la télévision nous lançait, chaque année, une bouée de sauvetage, tous les après-midis sur FR3 puis France 3 pendant au moins deux heures pleines. L’émission « 40 degrés à l’ombre » fut certainement entre 1987 et 1997 le meilleur rempart face aux émeutiers et aux caillassages. Elle calmait les révoltes achélèmes, dégonflait les colères urbaines et limitait les suicides vicinaux. Nous lui devons tant. Elle eut des vertus apaisantes sur nos cicatrices départementales. Sans elle, nous aurions eu encore plus de délinquance et de politiciens spongieux. Remettez-nous Vincent Perrot et Caroline Tresca et je peux vous assurer que le calme reviendra dans notre pays en moins de 24 heures. Cette tournée des stations balnéaires de Bénodet à Collioure nous permettait à peu de frais de regarder des gens en maillot de bain, des playbacks foireux, des jeux de la séduction à la limite de la correctionnelle et des chroniques tirées par les cheveux à base d’animaux, de folklore local et d’érotisme chaste. Nous n’étions pas dupes de l’amateurisme ambiant et d’une forme de légèreté surjouée, à vrai dire, très agréable, très partageuse, très saine. En ce temps-là, les chaînes n’œuvraient pas dans les poncifs, tous les sujets n’étaient pas censés nous alerter sur les dangers identitaires et climatiques. Nous étions alors dégagés de toute responsabilité. Il n’y a rien de plus réconfortant que de voir d’autres Français en slip et topless. Par contumace, nous pataugions dans ce bonheur un peu trop lumineux et graisseux pour être totalement vrai. Tant pis, l’intention de nous extraire de notre lenteur provinciale était animée par de bons sentiments. Rien que de repenser à Thierry Beccaro, Pascal Sanchez et à Isabelle Martinet, je regrette ce temps béni de la « 3 ». Un jour, nous avions même eu une frousse terrible lorsque l’inestimable Marie-Ange Nardi fut attaquée par un lion. Et que dire de la séquence dite « Le tombeur » avec la participation de la compagnie Air Inter où un certain Gérard, professeur de ski nautique et une Brenda à l’accent américain se dragouillaient à l’antenne ou de ce massage des pieds, sous le regard interloqué de Julie Piétri, orchestré par une certaine Chantal qui affirmait : « J’essaye de transmettre à travers mes massages l’amour ». Cette insouciance-là, nous manque.

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Alain Robbe-Grillet, quand même!

En 1955, Alain Robbe-Grillet publie Le Voyeur. Les cartes postales de l’été, la série de Pascal Louvrier


Randonnée sur la crête du plomb du Cantal ; la brume bleutée se dilate dans l’atmosphère émolliente. Le sol caillouteux, pelé comme le dos d’un vieux chameau, invite plutôt à la prudence. Pause, sac à terre, silence. Pas même un rapace dans le ciel récuré, net. Assis sur une pierre érodée, je lis à haute voix une page du Voyeur, d’Alain Robbe-Grillet. Souplesse de la phrase, allitération, respiration lente due au point-virgule. Détails précis d’une scène qui est, à plusieurs reprises, décrite ; sans être décrite de la même façon, avec un élément supplémentaire, ou une correction infime, ou encore un autre détail qui vient contredire la précision chirurgicale de ce que Mathias, le personnage principal, avait cru voir. D’ailleurs, est-ce lui le voyeur ? Ne serait-ce pas plutôt le lecteur ? Et l’important est-il ce qui est donné à voir ? D’emblée, la difficulté est annoncée. « C’était comme si personne n’avait entendu. » Et si l’on n’entend pas, on reste dans son silence intérieur. Avec Le Voyeur, paru en 1955, deux ans après Les gommes, Alain Robbe-Grillet bouscule le schéma narratif. Il déroute le lecteur, non sans une certaine malice, pour ne pas dire qu’il le perd, ce lecteur paresseux, avec un brin de perversité assumée.

Roman policier sans police

Le Voyeur est un roman policier, sans police, ni intrigue policière classique. Peut-être y a-t-il un crime, et même deux, mais rien n’est certain. On peut juste dire qu’un homme, Mathias, voyageur de commerce fauché, vient passer la journée dans une île, celle de son enfance, pour y vendre son lot de bracelets-montres. Il doit repartir avec le bateau de 16 heures quinze. Le moindre détail a son importance dans le récit. On suit Mathias dans l’île, pas à pas, toquer de maison en maison, pour tenter de vendre sa marchandise, dans ce « pays d’alcooliques ». Il y a des détails récurrents : un paquet de cigarettes, un sac de bonbons, une cordelette roulée en huit. Mais ce compte rendu minutieux est marqué par un blanc, un temps mort qui ne peut être récupéré : il manque une heure dans l’emploi du temps de Mathias. Malgré la description du réel, à la limite de l’obsession, une scène est occultée, celle où un crime sexuel s’est produit. Une adolescente a été tuée, Jacqueline. Ou alors elle a chuté de la falaise, le corps déjà mangé par les crabes. Qui mène le lecteur vers la fausse piste ? Mathias ? Les hallucinations de Mathias ? Le lecteur, lui-même, inattentif aux détails ? Et puis Mathias évoque une autre jeune fille, Violette, morte voilà plusieurs années. Il la décrit, mais par rapport à la réalité ou par rapport à l’image fantasmée qu’il se fait d’elle ? Page 94, version poche, celle que je possède sur la crête du plomb, on lit : « Violette avait les jambes ouvertes mais appliquées néanmoins toutes les deux contre le tronc, les talons touchant la souche mais écartées l’un de l’autre de toute la largeur de celle-ci – quarante centimètres environ. » Mathias peut être un serial killer revenu tuer, après plusieurs années… 


Le sens hypothétique de la réalité

Une fois achevée la lecture de ce roman magnétique, l’envie nous prend de le relire pour y déceler ce qui nous a échappé. Dans l’un de ses articles, Alain Robbe-Grillet note : « Le roman moderne, comme nous le disions en commençant, est une recherche, mais une recherche qui crée elle-même ses propres significations, au fur et à mesure. La réalité a-t-elle un sens ? L’artiste contemporain ne peut répondre à cette question : il n’en sait rien. Tout ce qu’il peut dire, c’est que cette réalité aura peut-être un sens après son passage, c’est-à-dire l’œuvre une fois menée à son terme. » Au bout du chemin pierreux, l’horizon ondoie sous le soleil dément, comme s’il se liquéfiait. Je le vois ainsi, et c’est peut être ce qui se produit.

Alain Robbe-Grillet, Le Voyeur, Minuit double.

Nicolas Peyrac et mon père

Les chansons de Sophie, série d’été


Cette chronique, je la dédie à mon père, qui nous a quittés par une maudite nuit caniculaire de l’été 2020. La peine s’estompe, et les souvenirs reviennent. Il était ce qui convient d’appeler un intellectuel, en effet, il enseignait la littérature à l’Université. Cependant, comme moi, il adorait la culture populaire, les chansons de variétés, les films de de Funès que nous regardions ensemble… Je me souviens encore de son rire devant les mimiques du grand Louis. Je l’entends encore me dire : « Joe Dassin est un grand » alors que nous regardions religieusement une émission des Carpentier. Les chiens ne font pas des chats…


Au mitan des années 70, Nicolas Peyrac fit son apparition dans le paysage des chansons dites de variété, alors que selon moi, il est un véritable chanteur folk. Une rareté en France.

Mon père et moi étions tombés amoureux de So far away for L.A, le pendant américain de Et Mon père, qui est une fort belle chanson aussi. Cependant, So far away est plus intrigante, plus riche, plus mélancolique… Peyrac, qui est aujourd’hui un homme accessible, avec qui je communique parfois sur Facebook, est un fou de cinéma, surtout américain. Et So far away est une juxtaposition d’images cinématographiques. « Quelques lueurs d’aéroport, d’étranges filles aux cheveux d’or, dans ma mémoire traînent encore », et là, nous visualisons immédiatement des clones de Sharon Tate (pauvre madame Polanski), déambulant en mini jupes, les jambes interminables, et entourées de vapeurs de cannabis… Nous y sommes. Bien sûr, il m’a fallu quelques années pour comprendre qu’avec ces quelques mots, l’artiste avait capté l’essence du Summer of Love. Mais pas seulement. De manière impressionniste, c’est toute l’Amérique du XXème siècle qu’il nous raconte. Mon passage préféré était celui-ci : « Et les collines se souviennent des fastes de la dynastie, qui de Garbo jusqu’à Bogie faisaient résonner ses folies. » Je n’avais bien sûr pas encore les références pour le comprendre, mais je ressentais instinctivement le glamour désabusé, fitzgeraldien, qui émanait de ce passage. Aujourd’hui, lorsque j’écoute la chanson, je visualise Jean Harlow, langoureusement étendue sur un lit en forme de coquillage, ses lèvres rouges en forme de cœur, son halo de cheveux platine, son regard empreint de tragique.

Cependant, de façon subtile –et toute cette chanson est un chef-d’œuvre de subtilité-  Peyrac mêle le cauchemar et le rêve américain (lesquels sont d’ailleurs consubstantiels). Caryl Chessman : « avait-il raison ou bien tort ? ». Sharon Tate éventrée, « d’un seul coup on t’as pris deux vies », et les sanglots couleur de prison d’Alcatraz… alors que le Golden Gate s’endort. Toute une mythologie, à la fois sublime et tragique. Et il y a cette mélancolie, omniprésente chez Peyrac, qui s’est toujours demandé ce qu’il faisait sur les plateaux télé, qui n’y a jamais vraiment trouvé sa place, qui rêvait sans doute d’être Bob Dylan. « So far away from L.A, so far ago from Frisco, I’m no one but a shadow .» Oui, cette chanson définitivement des accents dylaniens, il se permet, comme Zimmerman, de tordre la langue anglaise. Les chansons de Peyrac plus méconnues flirtent souvent avec la poésie, peut-être sans le vouloir, et cela est encore plus beau. La poésie est plus belle quand elle surgit lorsqu’on ne s’y attend pas. Sa chanson «  Mais Comment t’appelles-tu ?», est une sorte d’ovni, qu’il a composée en une nuit sur un piano qui avait servi aux Rolling Stones. Une évocation amoureuse aux accents proustiens : « Et son parfum monte en moi, comme un vieux souvenir, qui s’accroche à ma mémoire et m’empêche de vieillir. » Maintenant que les années me rapprochent de plus en plus de la vieillesse, cela me ferait pleurer…

Enfin, ce cinéphile sensible a écrit la plus belle chanson qui soit sur Marilyn, délicate, intime ; on sent qu’il touche du doigt son malheur, sans en faire des tonnes : « On disait tout de toi, on en avait tant dit, qu’ils ne surent pas pourquoi tu t’étais endormie, au soleil. »

Voilà, en creux, mon hommage à mon père à travers Nicolas Peyrac, et, lorsque nous l’écoutions ensemble, nul doute « qu’il ignorait qu’un jour j’en parlerai. »

Emmanuel Macron: la monotonie de la surprise à tout prix

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Le président de la République a choisi cette année de ne pas se livrer à la traditionnelle interview télévisée du 14-Juillet devant les Français. Il ne laisse rien transparaitre de ses éventuelles volontés de remaniements ministériels. Alors que la période désordonnée, instable et violente aurait appelé le retour d’une accalmie, d’une habitude démocratique d’écoute, de dialogue et d’apaisement, le président, selon son bon plaisir, a raisonné à l’inverse, déplore notre chroniqueur.


Entre tradition et nouveauté, la plupart de nos présidents de la République ont eu du mal à opérer une synthèse satisfaisante pour leurs concitoyens. Après Charles de Gaulle et Georges Pompidou (un grand président mort trop tôt), ils ont tenté de satisfaire, chacun à sa manière, rupture et sauvegarde, classicisme et originalité. Il serait facile de le démontrer pour Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande. À des degrés divers mais pour l’ensemble de ces mandats, la mue était difficile à réaliser entre le chef d’État qu’attendaient les Français et celui que chaque personnalité rêvait d’être. Mais il me semble qu’Emmanuel Macron bat tous les records sur ce plan. Son premier mandat, comme la première année du second, me paraissent en effet gangrenés par l’envie maladive de surprendre. Depuis sa réélection en particulier, on peut avoir l’impression qu’il cherche à gagner en inattendu ce qu’il a perdu en majorité. Comme si le singulier était destiné à le consoler de la perte de la majorité absolue. Et à nous étonner plus qu’à nous convaincre et nous mobiliser.

La politique est un art

De quelque côté qu’on se tourne, la propension du président de la République à ralentir quand on le souhaite rapide, à être indulgent quand on le voudrait sévère, à laisser les ministres et les choses en l’état quand on aspirerait à une verticalité décisive, à changer de conviction au fil des jours, des tactiques et des rapports de force alors qu’on l’aimerait fermement campé sur un socle stable et sincère, est éclatante. Elle le constitue tel un fugitif permanent de lui-même et un créateur d’étonnements pour les citoyens. À force de ne jamais être là où l’attend, il a perdu le bénéfice de la surprise. Il est tombé dans l’ennui d’une posture dont l’invention n’est plus spontanée, mais programmée : l’incongru est roi.

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Certes j’admets volontiers que la politique est un art. Elle exige un talent capable de s’adapter à la réalité dans toutes ses évolutions. Mais, par exemple, n’y a-t-il pas, dans la volonté persistante du président de ne pas tirer les leçons de certains échecs gouvernementaux ou ministériels et de maintenir contre toute attente la Première ministre (les dernières supputations la voient remplacée par Gérald Darmanin) et certains ministres, différant le remaniement comme s’il jouait avec les nerfs de son peuple, une obsession de ne pas réagir comme ses prédécesseurs et de damer le pion à ceux qui prétendraient savoir lire dans ses pensées ? À un certain degré de contradiction avec le sentiment populaire majoritaire, la pratique d’un président ne relève presque plus de sa liberté mais d’une forme de sadisme républicain désireux seulement de se distinguer par la déception qu’il inspire.

Le pays est sorti de ses gonds, mais Emmanuel Macron est distant

Dans un registre mineur, alors que comme chaque année la France aura un invité d’honneur pour le 14 juillet, le président de la République a décidé de ne pas respecter la tradition – il l’a déjà transgressée – de l’entretien du 14 juillet. Il avait pourtant promis de s’exprimer en ce jour de fête nationale et on aurait pu espérer que cet engagement serait tenu et que cette normalité républicaine serait contagieuse pour mettre en état de tranquillité un pays sorti de ses gonds. Mais non. Dans quelques jours il se livrera à cet exercice ou communiquera d’une autre manière. Alors que cette période, précisément parce qu’elle est désordonnée, instable et violente, aurait appelé le retour d’une accalmie, d’une habitude démocratique d’écoute, de dialogue et d’apaisement, le président, selon son bon plaisir, a raisonné à l’inverse. Et je pense qu’il a tort. On ne peut pas toujours prendre prétexte de situations bouleversantes pour s’interdire l’exigence de sérénité. Il y a une puissance, dans les rituels respectés, qui mettent de l’ordre et de l’espoir dans les temps, aussi troublés qu’ils soient.

Je pourrais aussi, au risque de lasser, considérer comme une pratique présidentielle bizarre le fait de garder près de soi à l’Élysée ou au gouvernement des personnalités mises en examen, notamment Thierry Solère qui traîne la bagatelle de 13 mises en examen, ce qui ne gêne apparemment pas Emmanuel Macron.

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Dans cet entêtement qui récuse les conclusions que le bon sens privilégierait, faut-il remarquer une obstination qui ne veut rien se laisser imposer, surtout pas l’opinion dominante du profane, ou un tempérament ludique qui trouve son plaisir à faire des pieds de nez à la morale et à la décence républicaine ?

Il serait navrant en tout cas que le cercle des courtisans autour du président le conforte dans cette conception du pouvoir en félicitant sa personnalité d’être aussi atypique. Ce n’est pas faire injure à Emmanuel Macron que de vouloir pour la France, en 2027, quel que soit son successeur, une brillante normalité. J’ose croire que ce sera possible.

Prix de l’humour à Bercy pour le «bonus réparation textile»!

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Bérangère Couillard chez "Monoprix" à Paris, janvier 2023 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Qui peut le croire ? Qui a eu un jour cette idée folle, qui l’a cautionnée ? Qui a sélectionné les 500 artisans labellisés par l’État pour lancer le bonus réparation textile ? Réponse: Bérangère Couillard, notre « courageuse » et frondeuse Secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargée de l’Écologie. Son dernier fait d’arme la confortera-t-elle lors d’un éventuel remaniement gouvernemental ?


Résumons. Une aide pour aller chez le cordonnier : 8 euros remboursés par la Sécurité Sociale des semelles fatiguées. 7 euros pour réparer un trou, une déchirure, un accroc ou refaire un talon. 8 à 15 euros pour la réparation d’un zip. Pour raccommoder une doublure, 10 à 25 euros. 500 commerçants seront concernés, et le dispositif devrait être mis en place à l’automne. D’accord, mais que fait-on des baskets ?

Plus belle la vie

Autrefois, on donnait nos vêtements autour de soi quand on n’en voulait plus. On les revendait même à des boutiques spécialisées, ou on les exposait aux vide-greniers ; bref on les jetait rarement, comme monsieur Jourdain et sa prose on faisait de l’économie circulaire sans le savoir ! Sachant que les grandes enseignes de prêt-à-porter vous reprennent les vieux vêtements achetés chez eux contre un bon d’achat. Mais on n’avait pas pris en compte le concept de « seconde vie » qui fait chaud au cœur de votre tee-shirt abandonné.

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L’aide, mise en place dès lors que les 500 couturiers et cordonniers seront référencés, sera sous la houlette d’Elsa Chassagnette, en charge de ce « fond de réparation » (ça ne s’invente pas) grâce à « l’éco contribution de la filière textile ». Oui, parce que nos fringues polluent et que votre shopping coup de cœur frise l’éco criminalité ! La filière textile, qui par ailleurs se porte très mal depuis l’épidémie du Covid et dont les principales chaînes de prêt-à-porter ont fermé, doit apprécier que l’on incite à ne plus acheter… Pas grave : on doit aller vers la décroissance et financer les victimes de la décroissance, CQFD… Donc au lieu de réparer le trou des Finances publiques, on va réparer ceux de nos vêtements en vidant un peu plus les caisses de Bercy sur le principe des vases communicants. Mais on est raisonnable et l’inquiétude est présente, car il faut un maillage non pas textile, mais territorial, des artisans commerçants agréés… Il faut précisément que l’artisan soit agréé par l’État ou ses représentants, les sachants toutes catégories (y aura-t-il bientôt un concours de couture à l’ENA ?). Parce que si le réparateur est à plus de 10 km, il faut prendre sa voiture (électrique et fabriquée en Chine, ça va de soit) mais pour le commun des troués, le prix et la pollution de l’essence consommée pour aller chez le médecin du vêtement vont polluer la verdeur de la démarche… Un casse-tête chinois !

Parlons chiffons

Ce n’est pas pour rien que le ministère des Finances intervient : il faudra que « le prix de la réparation soit inférieur à un tiers du prix de rachat » (sic). Sans commentaire, on vous laisse réfléchir…

Ce qui ne manque pas de sel c’est que la mode consiste actuellement à porter des vêtements troués, voire en lambeaux ! Y compris dans les collections de haute couture, nombreux sont ceux qui s’appliquent à trouer leur jeans, à effranger leurs chemises, à user coudes et genoux, à décolorer ce qui paraît neuf, etc. Peut-être pourrait-on créer un bonus « destroy » pour compenser l’absence de bonus de réparation ? Parce que lorsque le vêtement ressemble à une loque, il vaut plus cher. L’« ultra fast-fashion » va y perdre son latin. En France on n’a pas de pétrole, plus d’argent, mais on a des idées fumeuses.

La France sens dessus dessous !: Les caprices de Marianne

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Milan Kundera: éloge de la «frontière terriblement floue»

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© CHOCHOLA/SIPA

Relire Milan Kundera, disparu récemment, nous permet d’y voir un peu plus clair dans les contradictions de la vie. « La frontière entre le bien et le mal est terriblement vague », écrivait-il. La frontière entre l’amour et l’amitié érotique l’est également…


Milan Kundera n’aimait pas se montrer, s’exposer, qu’on parle de lui ; il n’aimait pas les interviews, les caméras ni les projecteurs. Cela faisait longtemps déjà qu’il ne mêlait plus sa voix ni sa vie – une vie qui avait dépassé, dans le roman, le seul combat de l’individu contre le totalitarisme – à la grande fête de l’insignifiance contemporaine. Son silence – et le nôtre – a été rompu par sa mort. Nous lui disons adieu ; ses livres interrompent le cours de nos lectures estivales. À l’heure où les artistes se commentent eux-mêmes, à l’heure frémissante des posts, des blogs, des comptes Instagram etautres curieuses mises en scène de soi, la mort du grand écrivain tchèque nous rappelle à la rareté d’une vie discrète, grevée des douloureuses pesanteurs de l’histoire, nous laissant en héritage l’insoutenable légèreté des choses de ce monde. 

La lecture en guise d’hommage silencieux

Quel livre lire, là, maintenant, en guise d’hommage silencieux et contre l’oubli, cet oubli dont il redoutait l’énergie négative ? La disparition d’un écrivain nous oblige et nous rend à l’urgence de la lecture. On furète dans sa bibliothèque, on regarde ce que l’on a de lui, ce qu’il a laissé, en partant, sur nos étagères. Pour beaucoup d’entre nous, ce sera L’insoutenable légèreté de l’être, le cinquième roman de Kundera, publié en 1984, une œuvre totale, partition musicale d’une existence humaine complexe, ambiguë et contradictoire, écrite par un romancier qui pensait que la simplification était une forme de soumission. 

A lire aussi, Jacques-Emile Miriel: Milan Kundera et notre petite île de temps

Tomas, d’un côté, Tereza et Sabina de l’autre, « les deux pôles » de la vie du protagoniste, « des pôles éloignés, inconciliables mais beaux tous les deux ». Maîtresses permanentes ou maîtresses éphémères ? Coucher avec une femme ou dormir avec elle ? Amours exclusives ou amitiés amoureuses ? Éternelle répétition de l’amour ou millionième de dissemblable et d’inimaginable dans l’érotisme, compassion sinistre ou « co-sentiment » joyeux ? Douce légèreté de la nostalgie ou poids métaphysique de l’absence de l’autre, innocence dans l’ignorance de l’ignominie ou culpabilité œdipienne de la tragédie communiste et de son totalitarisme kitsch« La frontière entre le bien et le mal est terriblement vague », écrit Milan Kundera. La frontière entre l’amour et l’amitié érotique l’est également, comme l’est aussi celle que l’on croit irréductible entre la pesanteur et la légèreté.

La vie est contradictoire…

La pesanteur n’est pas toujours du côté du drame et la légèreté n’a pas forcément les traits de la liberté ; il y a de la beauté dans le poids de la vérité et du réel incarné, il y a de l’insignifiance dans ce qui n’est qu’à demi-réel et ne nous pèse pas sur les épaules. « Ce n’est pas logique mais c’est comme ça ». Phrase dite en riant par Tomas, et qui résume tout. Tomas se croit-il plus léger de n’avoir plus à se soucier de Tereza et de son encombrant amour ? Se croit-il libéré de ce poids du manque en allant la retrouver, éprouvant dès lors le désespoir d’être rentré auprès d’elle ? Que dire aussi de Franz, dont Sabina admire le corps musclé mais qui « n’a jamais cassé la gueule à personne » ni « utilisé une seule fois sa force contre elle » ? « Aimer c’est renoncer à la force », pense l’amant de Sabina. Phrase belle et vraie mais qui le raye immédiatement de la vie érotique de celle qui n’aurait pourtant pas supporté cinq minutes un homme qui lui donne des ordres… Au regard de notre culte contemporain de la légèreté – ne peser ni sur les évènements, ni sur les choses, ni sur les êtres, réduire notre consommation et notre empreinte carbone, soulager la planète de notre poids criminel et les autres de notre emprise asphyxiante – cette œuvre est d’une lecture salutaire.

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La vie est contradictoire, elle nous ballotte entre des pôles opposés : agir/ne pas agir, choisir/ne pas choisir, se battre/ne pas se battre, se rétracter/refuser de se rétracter. Anna Karénine n’est jamais loin (Tereza arrive chez Tomas « avec le gros livre de Tolstoï à la main » et nommera sa chienne Karénine), cette femme qui a pu être heureuse et gaie tout en ayant perdu sa réputation et fait le malheur de son mari et de son fils. Biberonnée à la tiédeur du « en même temps », sorte de magma ou s’émoussent la pensée et l’action, mais aussi hystérisée par les termes haineux du quant à soi politiquement séditieux, notre société a perdu le sens même de ces oppositions nécessaires et de ces contradictions inévitables. « Les mots incompris » et leur « petit lexique », qui constituent l’un des chapitres de l’Insoutenable légèreté de l’être, nous renvoient à ce creuset de nos ambiguïtés qu’est le langage, reflet du monde que l’on est en train de construire. Un langage aujourd’hui râpé à la pierre ponce du consensus et sommé de se réduire au principe unique de la communication transparente.

… c’est une ébauche sans tableau

La lecture de Milan Kundera nous permet de retrouver du sens à nos vies bienheureusement contradictoires, et remettre des « frontières terriblement vagues » là où elles l’exigent. Milan Kundera n’a vécu qu’une fois, lui qui s’interrogeait sur le sens de ce « mythe loufoque » de l’éternel retour nietzschéen, comme si nos actions, nos jugements et nos sentiments étaient les ébauches d’un tableau final. Il pensait au contraire que « la vie est une esquisse de rien », « une ébauche sans tableau ». S’il nous était d’ailleurs donné de vivre nos vies plusieurs fois, serions-nous capables de ne pas répéter nos propres erreurs ? Celui qui répond oui est un optimiste. Soyons optimistes, faisons à nouveau revivre le grand romancier, par la lecture cette fois, et portons sur lui ce seul regard qui lui plaisait, non pas celui de l’adulateur ou du flagorneur, mais celui du rêveur posé sur un être absent. Nous vous regardons avec ces yeux-là, Monsieur Kundera. Car vous n’êtes plus là mais vous êtes bel et bien présent. « Ce n’est pas logique, mais c’est comme ça. »

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Le choc dé-civilisation

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Nuits de heurts à Bordeaux, 29 juin 2023 © Stéphane Duprat/Sipa

Les émeutes qui ont ravagé la France n’ont été accompagnées d’aucune revendication. De quoi dérouter les sociologues et politiques les mieux intentionnés qui ne peuvent admettre le caractère imbécile et clanique de ces violences. Cela suffira-t-il à désarmer le camp du déni ? Pas sûr. Mais beaucoup de Français sont de moins en moins résignés à vivre parmi tant de petits anges.


Beaucoup l’ont redoutée, d’autres, secrètement espérée. Pendant ces nuits où, sur nos écrans, défilaient des images de villes en flammes, de nombreux Français ont pensé que, cette fois, on y était – que la guerre civile commençait en vrai. Comme à chaque fois, ça s’est tassé une fois les razzias finies. Il est vrai qu’après des discours d’apaisement tenus au plus haut niveau de l’État (avec le succès que l’on sait) et deux nuits de quasi-laisser-faire, le changement de cap du gouvernement, la mobilisation policière et l’inhabituelle sévérité de la justice – qui a même envoyé quelques casseurs en prison –  ont pu donner l’illusion d’une riposte ferme. Et puis, il y a la fatigue, la lassitude : cette génération biberonnée au « tout, tout de suite » se lasse vite. Même de détruire.

Retour au vivre-ensemble

Au moment où nous bouclons, le président s’est félicité du retour au calme, c’est-à-dire, on suppose, au vivre-ensemble tel qu’il se pratique au quotidien au rythme des agressions, des règlements de comptes et des incivilités. Mais on peut se demander ce qui se passerait si toutes les cités « sensibles » décidaient en même temps de marcher sur les centres-villes. Notre chance est que, pour l’essentiel, ces émeutiers sont totalement déstructurés, pour être polie, et surtout, dépourvus de tout projet politique et de toute ambition collective.

A lire aussi: A. Finkielkraut : « Ce qui fait peur, c’est la convergence entre les pillards et les Insoumis »

Même les sociologues, experts en ripolinage du réel, doivent en convenir. « Tout se passe comme si les quartiers étaient dans un vide politique, comme si les rages et les révoltes ne débouchaient sur aucun processus politique », déclare François Dubet au Monde. Non, ce n’est pas « comme si », c’est exactement ça. Ce qui ne l’empêche pas d’affirmer que « les jeunes des quartiers ne sont pas différents des femmes et des minorités sexuelles : tous adhèrent à la promesse républicaine ». C’est évident, si des hordes ont détruit ici une école, là une mairie ou, comme à Chambéry, un cinéma d’art et d’essai (sans doute parce qu’ils détestent les films ouzbeks), c’est parce qu’elles adhèrent à la promesse républicaine. Quant à la convergence des luttes minoritaires, il faudra en toucher un mot aux amoureux de la République qui ont menacé de saccager un bar gay à Brest. Des petits anges, vous dit-on.

Chantage au désordre

De très mauvaises fées leur ont donc fourni un narratif susceptible de donner à leur violence imbécile les apparences d’une révolte contre l’injustice. Tandis que la nomenklatura associative qui vit du chantage au désordre ressortait la faribole usée des agrégés-chômeurs qui peupleraient les quartiers, Insoumis, écolos et leurs truchements médiatiques ânonnaient leurs mantras usés : ce déchaînement était dû à la relégation, la ghettoïsation et la discrimination. On préfère ne jamais savoir comment ce nouveau prolétariat traiterait ses Lénine[1] si d’aventure ils accédaient au pouvoir. En attendant, comme l’a judicieusement formulé Jean-Baptiste Roques, après l’islamo-gauchisme, nous avons assisté à la naissance du racaillo-gauchisme.

Emmanuel Macron n’a certes pas annoncé de dotation massive pour les associations, ni fait repentance pour l’apartheid qui sévirait en France (il peut se rattraper le 14 juillet si ses conseillers lui vendent qu’il faut calmer le jeu, entendre la souffrance et ne pas énerver l’Algérie qui s’est mêlée de nos affaires sans provoquer la moindre protestation diplomatique). Il a vu, dit-on, dans les événements la confirmation de son diagnostic de décivilisation. Pour autant, nos dirigeants sont-ils prêts à voir ce qu’ils voient ? Il est à craindre que, comme après les émeutes de 2005 ou l’attentat de Charlie, ils s’empressent de refermer les yeux qu’ils viennent d’entrouvrir. Il faudra plus que 500 bâtiments publics vandalisés pour désarmer le camp du déni.

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Ce que retiennent nombre d’observateurs c’est d’abord l’impuissance de l’État. Quarante ans après, le syndrome Malik Oussekine inhibe encore les responsables de l’ordre public. Personne ne demande une police de cow-boys qui défouraille en toute occasion. Mais pour que force reste à la loi, il faut que force il y ait. Or, son emploi est tellement encadré et limité aux cas d’urgence absolue pour la vie humaine que cela revient à concéder aux voyous le monopole de fait du recours à la force. Et à admettre que les biens ne sont plus protégés. Résultat : contrairement aux policiers, les émeutiers ne risquent rien. C’est le contraire de la dissuasion. Depuis quarante ans, les politiques publiques sont guidées par l’obsession de ne pas jeter de l’huile sur le feu. Et depuis quarante ans, le feu couve. Peut-être serait-il temps de tester une autre méthode et un autre langage.

Comme le font, chacun dans ses termes, Alain Finkielkraut, Laurent Obertone, Driss Ghali, Michel Auboin dans les pages de notre magazine 114, il faut analyser cette sécession qui n’est pas politique ni sociale mais anthropologique, et dont la seule logique est la loi du clan, de la tribu, de la communauté ou du quartier. Les émeutiers prétendaient vouloir la Justice. Le message qu’ils ont adressé à la société française, à coups de mortiers et de cocktails Molotov, est qu’ils n’adhèrent ni à ses mœurs, ni à ses valeurs, ni à ses procédures de résolution des conflits.

La culture de l’excuse nous présente la facture

Autant dire que le problème paraît sans issue : comme on le répète en boucle, ces jeunes qui haïssent la France sont français. De plus, la minorité violente bénéficie de l’indulgence d’une partie de la majorité silencieuse, qui trouve que ce n’est pas bien de casser, mais qu’il faut comprendre. On aimerait entendre plus de voix comme celle d’Amine Elbahi, lui-même issu d’une cité, qui affirme qu’il n’y a pas d’excuse qui tienne.

Emmanuel Macron réunit les maires à l’Elysée, suite aux évènements insurrectionnels survenus dans les banlieues séparatistes après la mort d’un jeune à Nanterre, 4 juillet 2023 © Blondet Eliot /Pool/SIPA

Si la patience de nos gouvernants semble infinie, celle des gens ordinaires atteint sa limite. On peut raconter toutes les âneries sociologiques qu’on veut, la France qui bosse, paye ses impôts et élève ses gosses en a marre de payer pour ceux qui lui crachent dessus. Elle a voté avec sa carte bleue : comme le résume Gil Mihaely, le succès de la cagnotte pour le policier qui a tué Nahel est un référendum. « Que faire de la police ? » s’interrogeait Libération en « une » le 4 juillet. Beaucoup de Français se demandent plutôt que faire de ces compatriotes dont la contribution au bien commun est pour le moins contestable.


[1] Encore que pour Plenel, c’est la ressemblance avec Staline qui frappe.

Le wokisme ne passera pas!

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Assa Traoré et Eric Coquerel, rassemblement anti police interdit par la préfécture, Paris, 8 juillet 2023 © Chang Martin/SIPA

Le wokisme me semble relever d’une très longue tradition des campus, l’onanisme universitaire. Ce monde dans lequel on se donne parfois un mal fou pour avoir l’air de penser, où l’on vit dans l’angoisse perpétuelle d’être pris en flagrant délit d’indigence conceptuelle, de vacuité doctrinale. 


Cela donne fort souvent des théories très alambiquées et des ouvrages prétentieusement illisibles. Artificiellement hermétiques, si vous préférez. Cependant, il serait injuste de ne pas reconnaître à un grand nombre de ces publications une vertu somnifère de première efficacité. Hélas, elles ne sont pas remboursées par la Sécurité sociale. De loin en loin, parmi ces productions qui affluent de préférence en des temps de basses eaux intellectuelles, il s’en trouve qui condescendent à se faire quasiment lisibles. J’allais dire « populistement » lisibles. Le wokisme tend à cela, en effet. Par exemple, à l’opposé de celle vue, explorée, analysée, distillée par un Jacques Derrida (qui, disons-le tout net, mériterait le Nobel avec palme dans la catégorie somnifères et purges) la déconstruction induite par le wokisme serait presque aussi facile d’accès qu’un tome des aventures de la pétulante Martine. En gros, il s’agit de déconstruire, donc de détruire tout ce qui a à voir de près ou de loin avec le très fameux privilège blanc, privilège dont l’incarnation la plus odieuse, la plus abjecte serait le mâle – blanc, cela va de soi – de préférence effroyablement hétérosexuel. Tout ce qui vient de lui serait à proscrire et à livrer aux flammes des bûchers de la nouvelle inquisition : le savoir, la science, les arts, la culture, l’histoire, l’éducation, les bonnes manières, que sais-je encore ?

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Toutes fariboles qui n’auraient d’autres finalités que de perpétuer la répugnante domination de ce gros con de mâle blanc sur les minorités, toutes les minorités, raciales, ethniques, sexuelles, genrées, dégenrées, regenrées, multi-genrées (C’est que je ne voudrais oublier personne, comprenez-vous.) En un mot comme en cent, le monde est d’une simplicité époustouflante. « T’es blanc, t’es coupable. T’es tout et n’importe quoi sauf blanc, t’es victime. » Voilà l’essentiel du dogme. Simplifié, certes. Mais si peu… Puisqu’il y a effectivement dogme, on serait tenté d’envisager que le wokisme pourrait être une religion. Il y a de cela en effet dans la stratégie de propagande de ses tenants, de ses gourous, et dans la construction rhétorique de leurs prêches. Mais bien que leur dogmatique en ait effectivement les apparences, elle ne saurait être authentiquement une religion en cela qu’elle fait l’impasse sur ce qui fonde la vitalité, la nécessité, l’intemporalité, la richesse et jusqu’à la gloire de toute religion : le Salut. Toutes, à l’évidence, sont porteuses de cette issue de lumière. Au bout du bout, au terme du chemin, au sortir de la vallée de larmes que serait le passage sur terre, le Salut. Oui, la possibilité du Salut est le sel même du religieux. Le Jansénisme en son temps est mort de s’être voulu parcimonieux à l’excès sur ce plan-là. Porteur impitoyable d’une espérance seulement réservée à quelques hommes, il acculait les autres à l’abandon, au désespoir.

A ne pas manquer, notre numéro de l’été et son dossier sur les artistes qui disent non au wokisme : Causeur: l’insurrection des imbéciles

Le wokisme, confiné dans la ratiocination obsessionnelle du ressentiment, confit en hystérie haineuse, s’avère tragiquement incapable d’annoncer ne serait-ce que la bonne vieille lubie des lendemains qui chantent. La messe communiste avait au moins cela. Parce qu’il ne propose aucune issue – autre que le chaos déconstructeur – il n’en a lui même aucune. J’en suis convaincu. Certes il servira encore d’alibi à des partouzes onanistiques qualifiées de colloques, certes il fera encore les belles heures de dîners en ville dans les bonnes maisons des bons quartiers, mais il est radicalement trop pauvre d’espérance vraie, trop gangrené de vérités fabriquées, et, au fond, bien trop ennemi de l’humain pour entrer durablement dans l’esprit et le cœur des gens. Je veux dire, dans l’esprit, le cœur et l’âme de nous autres, les gens de la vraie vie. Alors, j’en prends le pari : le wokisme ne passera pas ! Il faudra juste avoir la volonté, le courage intellectuel et politique de réparer les dégâts qu’il aura laissés derrière lui.

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Aux larmes etc.

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Jane Birkin à Deauville en 1985 © BENAROCH/SIPA

La star Jane Birkin, dont la carrière est indissociable du grand Serge Gainsbourg, nous émouvait avec sa voix, et nous faisait rire au cinéma. La plus française des Britanniques est morte ce dimanche, à Paris. Hommage.


« Signalement yeux bleus, cheveux châtains, Jane B, tu dors au bord du chemin une fleur de sang à la main. » Jane B. vient de nous quitter en ce 16 juillet à l’âge de 76 ans. Il me semble que la tristesse des Français est unanime. L’émotion est palpable sur les réseaux sociaux : « je pleure », peut-on même y lire. « Inimaginable de vivre dans un monde sans ta lumière » a écrit Etienne Daho sur Facebook. Il avait magnifiquement produit son dernier album, son testament : Oh pardon tu dormais, en 2020. « Jane Birkin était une icône française », avance Emmanuel Macron.

Indissociable de Serge Gainsbourg

La petite Anglaise, indissociable de Serge Gainsbourg, qui a sans doute écrit pour elle ses plus belles chansons, de Baby alone in Babylone jusqu’à Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve, a toujours fait partie de nos vies. Elle instaurait une proximité avec le public, elle se racontait volontiers : son enfance anglaise à l’ombre de sa mère, actrice, et de son père, héros de la deuxième guerre, son héros à elle également, elle qui se considérait comme le mouton noir de sa famille : « Je prends trop de place, même pour moi, je prends trop de place », chante-t-elle ainsi dans son dernier album, le plus personnel, et dans lequel elle utilise enfin ses propres mots, et non plus ceux de Serge. Elle osait, au soir de sa vie, mettre à distance son Pygmalion, celui qui la fit naître une seconde fois, mais qui fut sans doute un peu trop étouffant ; elle voulait tant être à sa hauteur, ne jamais le décevoir. « Je voulais être une telle perfection pour toi » chante-t-elle dans le titre éponyme qui figure sur son dernier album. 

De Serge Gainsbourg, elle parlait avec une infinie tendresse ; elle aimait évoquer des anecdotes du début de leur rencontre, car c’est avec ses maladresses que ce génie de la chanson avait réussi à la conquérir ; en lui marchant sur les pieds lorsqu’ils dansaient ensemble, ou, en louant, fou de jalousie lorsqu’elle tournait dans La piscine avec Delon, une Rolls avec chauffeur (Serge Gainsbourg ne passa jamais son permis) pour la rejoindre sur le tournage, et épater la galerie… 

Une voix souvent moquée

Et puis, il fit d’elle Melody Nelson, il lui offrit Je t’aime moi non plus, chanson qu’il avait initialement écrite pour Bardot, et des perles plus méconnues comme Le canari est sur le balcon, l’histoire d’une jeune fille qui met la cage de son canari sur le balcon avant d’ouvrir le gaz. Beaucoup ont moqué sa voix, prétendant qu’elle ne savait pas chanter. Cette voix qui monte dans les aigus, un peu tremblante mais qu’elle avait appris à maîtriser avec le temps, elle la doit également à Serge Gainsbourg, qui lui avait demandé de chanter comme un petit garçon dans une chorale. 

La première vocation de Jane Birkin était de faire l’actrice. Elle rencontra d’ailleurs Gainsbourg sur le tournage de Slogan, film mineur de Pierre Grimblat, où elle remplaçait Marisa Berenson au grand dam de Serge, qui qualifia la petite Anglaise de « boudin ». Il fit cependant tourner son « boudin », dans Je t’aime moi non plus, film étrange, inclassable, à la fois poussiéreux et lumineux. De ce film nous retenons surtout la sublime chanson Ballade de Johnny Jane et son texte à fleur de peau, qui nous rappelle à quel point l’amour est fragile et douloureux mais « que le temps ronge l’amour comme l’acide »…

Jane possédait une véritable vis comica, qu’elle exploita à merveille dans La moutarde me monte au nez, de Claude Zidi, avec Pierre Richard. Dans les années 80, elle rencontre Jacques Doillon, qui devient son compagnon et qui fait d’elle une actrice à la fois tragique et fragile, notamment dans La fille prodige. Mais, à mon sens, c’est au théâtre qu’elle fit des étincelles, Jane Birkin avait le sens de la scène, elle savait s’en emparer, sa présence était palpable. En 2007 au théâtre des Amandiers, sous la direction de Patrice Chéreau, elle campe une Electre très émouvante et au bord du gouffre. 

Voilà, maintenant notre petite Anglaise va pouvoir retrouver dans les étoiles sa fille Kate, disparue tragiquement un soir d’hiver 2013. So long Jane.

La flexible morale du suprémacisme diversitaire

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D.R

L’immigration reste un sujet olfactif. Plus les yeux s’ouvrent sur les désastres causés par un peuplement de substitution, plus les coups tombent sur les propos « nauséabonds » des lucides. La propagande des promoteurs du diversitisme ne recule devant rien, à commencer par la réécriture de l’histoire.


« Charognards ! » Le mot est dégainé par les adeptes du suprémacisme diversitaire dès qu’un protégé est mis en accusation. Faire taire est l’obsession de ceux qui ont juré de sacraliser l’Autre, rédempteur des fautes françaises. Au prétexte de respecter une émotion, toute parole déplacée est vue comme un blasphème. Face à l’assassinat de la petite Lola par une clandestine algérienne, les cloueurs de becs avaient jugé les indignations plus indécentes que le crime. Je me souviens du scandale que mes propos avaient suscité, le soir de l’assassinat, le 7 janvier 2015, de mes confrères de Charlie Hebdo par un commando islamiste : participant à « On refait le monde », sur RTL, j’avais enjoint aux musulmans de se désolidariser de cette monstruosité et de le faire savoir afin d’éviter les amalgames. « Ce n’est pas le moment ! » avaient répliqué les intervenants. Rokhaya Diallo y avait été de ses larmes pour signifier ma brutalité. En 2011, la même militante de l’islam avait dit ne pas vouloir « s’apitoyer » sur l’incendie criminel de la même rédaction, qu’elle accusait alors d’être « main dans la main avec [ses] supporteurs Claude Guéant, Ivan Rioufol et Marine Le Pen ». Après l’agression au couteau d’un Syrien contre des bébés, le 8 juin à Annecy, la journaliste Pascale Clark a écrit : « La vie d’enfants est en jeu, les extrêmes pourraient avoir la décence de se taire. » Jamais le moment, compris ?

La gauche aussi fait de la « récupération »

Un bémol cependant : la règle de la décence et de la non-récupération souffre d’exceptions. Il suffit que la diversité soit la victime et non plus le bourreau. Dès lors, les charognards se font colombes. Ni la pudeur ni le respect n’ont fait obstacle, en septembre 2015, à l’exposition mondiale du cadavre d’Aylan, 3 ans, enfant syrien rejeté sur une plage turque après le naufrage d’une embarcation qui devait mener sa famille en Europe. Le portrait de George Floyd, Noir étouffé par un policier blanc américain en mai 2020, a immédiatement fait le tour du monde et suscité d’innombrables manifestations de protestations. Après le naufrage d’un bateau de pêche parti de Libye avec 750 personnes à bord, Libération, le 5 juin, puis L’Humanité, le lendemain, ont fait leur une sur cette tragédie (« Leur cimetière », « Ils les ont laissé mourir »), dans une exploitation politique d’ailleurs compréhensible. La mort de Naël M., conducteur de 17 ans tué le 27 juin à Nanterre par un policier s’estimant sans doute en danger, a immédiatement enflammé des cités éruptives. Bref, les lyncheurs appliquent des lois flexibles. Ce qu’ils veulent, c’est maintenir leur impunité et de ne pas avoir à rendre des comptes sur les violences de leur clientèle. J’ai cherché en vain une réaction du SNJ (Syndicat national des journalistes) après la mort, le 8 juin, d’un cameraman de TF1, Guillaume Taverne, tué dans une rue de Paris par un SDF algérien.

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Constatons-le : l’immigration reste un sujet olfactif. Plus les yeux s’ouvrent sur les désastres causés, en moins de quarante ans, par un peuplement de substitution, plus les coups tombent sur les propos « nauséabonds » des lucides. Une majorité de sondés jugent qu’il y a trop d’immigrés. Les promoteurs du diversitisme soutiennent qu’il n’y en a pas assez. Leur propagande ne recule devant rien, à commencer par la réécriture de l’histoire. Les régimes totalitaires procédaient de la sorte pour marteler leurs vérités. C’est ainsi que le Musée de l’histoire de l’immigration, sous l’impulsion de l’historien Patrick Boucheron et le parrainage du ministère de la Culture, s’est mis au service des fanatiques d’une société multiculturelle, au prix d’un mémoricide balayant la source gauloise. Le musée est allé jusqu’à faire de Louis XIV, descendant d’Henri IV et des Capétiens, un de ces « étrangers qui ont fait la France » car sa mère, Anne d’Autriche, était espagnole et sa grand-mère autrichienne. « Notre mission c’est de faire de l’immigration un élément central de l’histoire nationale », avait expliqué Pap Ndiaye, lorsqu’il était directeur du musée de la porte Dorée. Ce grand remplacement des ancêtres est une violence faite aux « Français de souche », indigènes indésirables. En mémoire de ma famille née dans le Vivarais (1469, premier document), je refuse cet effacement.

La caste des déracinés

Une guerre des mémoires est attisée par les faussaires. Ils sont soutenus par la caste des déracinés qui s’accrochent au pouvoir. Le terrain leur est favorable, tant la transmission de l’histoire a été saccagée par l’École amnésique. Le gouvernement part en guerre contre la désinformation, mais laisse les mensonges s’épanouir. À côté des falsificateurs du roman national, les dénégationnistes se bousculent : ils jurent que ce que l’on voit n’est pas ce que l’on voit. Une vidéo filme une grand-mère et sa petite fille agressées à Bordeaux par le Français Brahima B., mais Élisabeth Borne accuse de « récupération » ceux qui s’exaspèrent. Après l’horreur des bébés poignardés, la députée LFI Clémentine Autain avait déclaré : « Il n’y a pas de lien entre ce drame et l’immigration. » Même aveuglement chez le sociologue Jean Viard, le 9 juin sur France 5 : « Aujourd’hui l’immigré est considéré comme un risque, mais il faut rappeler que la délinquance des immigrés n’est pas supérieure aux taux des Français. » Et d’ajouter : « L’essentiel des immigrés, aujourd’hui, sont des universitaires. » Jacques Attali avait donné le la au chœur des bonimenteurs, le 3 octobre 2019, en déclarant aux Échos : « Il n’y a aucun envahissement de la France ni de l’Europe par l’islam ou par l’Afrique. […] 99 % des migrants non européens s’intègrent parfaitement. » Ces déments assurent que leurs contradicteurs sont fous.

A lire aussi, du même auteur: Et, soudain, cette honte d’être Français…

Question : jusqu’à quand les Français aux yeux grands ouverts vont-ils devoir supporter ce monde faux, ce dérèglement des esprits, cette mascarade qui s’installe jusque dans la guerre-spectacle et le putsch bidon contre Poutine ? Henri d’Anselme, 24 ans, le pèlerin héroïque qui a chassé, le 9 juin, le démoniaque Syrien « chrétien » qui s’apprêtait au massacre renouvelé des Innocents, a apporté une réponse limpide : « Levez la tête, arrêtez de subir le mal. Ce que nos ancêtres ont fait de grand, de beau et de bien ce sont les cathédrales, formidables symboles d’unité, d’espoir et d’espérance. » Oui ; dire non.

La télévision sous parasol

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L'animateur Vincent Perrot D.R.

« Quarante degrés à l’ombre », l’émission balnéaire des années 1980/1990 qui sauva nos étés meurtriers


Il fait chaud, trop chaud, pour soulever son corps du canapé. Toute tentative de bouger est vouée à l’échec. Les volets du salon sont clos, un ventilateur des années 1950 brasse de l’air chaud, dehors le goudron se transforme en flaques d’huile, la route qui passe à trois cents mètres au-dessus de la maison n’a pas vu une automobile depuis la fin de matinée, même le bruit des moissonneuses-batteuses semble étouffé par la langueur de ce mois d’août ; y a-t-il encore traces d’une vie humaine dans le canton ? Les ufologues en doutent. L’été sera long cette année. Les vacances scolaires sont le calvaire des enfants ruraux, deux mois d’une inactivité propice à l’engourdissement de l’esprit et à une forme de désengagement citoyen. Reléguée dans des villages à l’abandon, cette jeunesse de France n’attendait déjà rien des pouvoirs publics à la fin des années 1980. Ici, pas de médiathèque Pablo Neruda, de centres de loisirs, d’activités nautiques, de terrains de sport tridimensionnels, de cours de breakdance, de gentils éducateurs ou d’ateliers circassiens, le campagnard en gestation n’avait pas vocation à devenir sportif ou artiste, intellectuel progressiste ou start-uppeur assisté par l’État, il observait le délitement du temps avec indifférence et une pointe de lassitude. Il ne comptait pas dans les cadres de la République, l’homme surnuméraire, c’était lui. Alors, il s’adonnait à l’oisiveté sans réel plaisir, entre une consommation excessive de « Pouss Pouss » Miko planqués dans le congélo et le briquage de son bicross dans le garage. Aujourd’hui, on appelle ces vélos tout-terrain des BMX, l’acronyme lui a fait perdre son côté bucolique et sous-préfet aux champs. Des heures durant, dans un état semi-léthargique, ce collégien en déshérence perdait son regard dans les jantes à bâtons jaunes de son Motobécane. À ce moment précis de sa monotonie, il ne pensait pas au TGV, au Minitel, à la 205 GTI, à la cohabitation ou à la crise des DOM-TOM. Il attendait cependant qu’un improbable événement vienne faire dérailler son atone existence. Sans trop y croire, tout de même. Il avait été lâché par toute la société animée par l’expansion économique et la chute des barrières douanières. Nous n’étions pas dans le Midi, les plages de la Méditerranée se trouvent à six cents kilomètres et le soleil ici-bas ne bronze pas, il brûle les foins, il coupe la respiration, il enlève toute foi dans l’avenir, il bloque les pas. Si l’école avait échoué à nous donner envie de lire et d’apprendre, la télévision nous lançait, chaque année, une bouée de sauvetage, tous les après-midis sur FR3 puis France 3 pendant au moins deux heures pleines. L’émission « 40 degrés à l’ombre » fut certainement entre 1987 et 1997 le meilleur rempart face aux émeutiers et aux caillassages. Elle calmait les révoltes achélèmes, dégonflait les colères urbaines et limitait les suicides vicinaux. Nous lui devons tant. Elle eut des vertus apaisantes sur nos cicatrices départementales. Sans elle, nous aurions eu encore plus de délinquance et de politiciens spongieux. Remettez-nous Vincent Perrot et Caroline Tresca et je peux vous assurer que le calme reviendra dans notre pays en moins de 24 heures. Cette tournée des stations balnéaires de Bénodet à Collioure nous permettait à peu de frais de regarder des gens en maillot de bain, des playbacks foireux, des jeux de la séduction à la limite de la correctionnelle et des chroniques tirées par les cheveux à base d’animaux, de folklore local et d’érotisme chaste. Nous n’étions pas dupes de l’amateurisme ambiant et d’une forme de légèreté surjouée, à vrai dire, très agréable, très partageuse, très saine. En ce temps-là, les chaînes n’œuvraient pas dans les poncifs, tous les sujets n’étaient pas censés nous alerter sur les dangers identitaires et climatiques. Nous étions alors dégagés de toute responsabilité. Il n’y a rien de plus réconfortant que de voir d’autres Français en slip et topless. Par contumace, nous pataugions dans ce bonheur un peu trop lumineux et graisseux pour être totalement vrai. Tant pis, l’intention de nous extraire de notre lenteur provinciale était animée par de bons sentiments. Rien que de repenser à Thierry Beccaro, Pascal Sanchez et à Isabelle Martinet, je regrette ce temps béni de la « 3 ». Un jour, nous avions même eu une frousse terrible lorsque l’inestimable Marie-Ange Nardi fut attaquée par un lion. Et que dire de la séquence dite « Le tombeur » avec la participation de la compagnie Air Inter où un certain Gérard, professeur de ski nautique et une Brenda à l’accent américain se dragouillaient à l’antenne ou de ce massage des pieds, sous le regard interloqué de Julie Piétri, orchestré par une certaine Chantal qui affirmait : « J’essaye de transmettre à travers mes massages l’amour ». Cette insouciance-là, nous manque.

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Alain Robbe-Grillet, quand même!

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L'écrivain Alain Robbe-Grillet (1922-2008) photographié dans les années 70 © MARY EVANS/SIPA

En 1955, Alain Robbe-Grillet publie Le Voyeur. Les cartes postales de l’été, la série de Pascal Louvrier


Randonnée sur la crête du plomb du Cantal ; la brume bleutée se dilate dans l’atmosphère émolliente. Le sol caillouteux, pelé comme le dos d’un vieux chameau, invite plutôt à la prudence. Pause, sac à terre, silence. Pas même un rapace dans le ciel récuré, net. Assis sur une pierre érodée, je lis à haute voix une page du Voyeur, d’Alain Robbe-Grillet. Souplesse de la phrase, allitération, respiration lente due au point-virgule. Détails précis d’une scène qui est, à plusieurs reprises, décrite ; sans être décrite de la même façon, avec un élément supplémentaire, ou une correction infime, ou encore un autre détail qui vient contredire la précision chirurgicale de ce que Mathias, le personnage principal, avait cru voir. D’ailleurs, est-ce lui le voyeur ? Ne serait-ce pas plutôt le lecteur ? Et l’important est-il ce qui est donné à voir ? D’emblée, la difficulté est annoncée. « C’était comme si personne n’avait entendu. » Et si l’on n’entend pas, on reste dans son silence intérieur. Avec Le Voyeur, paru en 1955, deux ans après Les gommes, Alain Robbe-Grillet bouscule le schéma narratif. Il déroute le lecteur, non sans une certaine malice, pour ne pas dire qu’il le perd, ce lecteur paresseux, avec un brin de perversité assumée.

Roman policier sans police

Le Voyeur est un roman policier, sans police, ni intrigue policière classique. Peut-être y a-t-il un crime, et même deux, mais rien n’est certain. On peut juste dire qu’un homme, Mathias, voyageur de commerce fauché, vient passer la journée dans une île, celle de son enfance, pour y vendre son lot de bracelets-montres. Il doit repartir avec le bateau de 16 heures quinze. Le moindre détail a son importance dans le récit. On suit Mathias dans l’île, pas à pas, toquer de maison en maison, pour tenter de vendre sa marchandise, dans ce « pays d’alcooliques ». Il y a des détails récurrents : un paquet de cigarettes, un sac de bonbons, une cordelette roulée en huit. Mais ce compte rendu minutieux est marqué par un blanc, un temps mort qui ne peut être récupéré : il manque une heure dans l’emploi du temps de Mathias. Malgré la description du réel, à la limite de l’obsession, une scène est occultée, celle où un crime sexuel s’est produit. Une adolescente a été tuée, Jacqueline. Ou alors elle a chuté de la falaise, le corps déjà mangé par les crabes. Qui mène le lecteur vers la fausse piste ? Mathias ? Les hallucinations de Mathias ? Le lecteur, lui-même, inattentif aux détails ? Et puis Mathias évoque une autre jeune fille, Violette, morte voilà plusieurs années. Il la décrit, mais par rapport à la réalité ou par rapport à l’image fantasmée qu’il se fait d’elle ? Page 94, version poche, celle que je possède sur la crête du plomb, on lit : « Violette avait les jambes ouvertes mais appliquées néanmoins toutes les deux contre le tronc, les talons touchant la souche mais écartées l’un de l’autre de toute la largeur de celle-ci – quarante centimètres environ. » Mathias peut être un serial killer revenu tuer, après plusieurs années… 


Le sens hypothétique de la réalité

Une fois achevée la lecture de ce roman magnétique, l’envie nous prend de le relire pour y déceler ce qui nous a échappé. Dans l’un de ses articles, Alain Robbe-Grillet note : « Le roman moderne, comme nous le disions en commençant, est une recherche, mais une recherche qui crée elle-même ses propres significations, au fur et à mesure. La réalité a-t-elle un sens ? L’artiste contemporain ne peut répondre à cette question : il n’en sait rien. Tout ce qu’il peut dire, c’est que cette réalité aura peut-être un sens après son passage, c’est-à-dire l’œuvre une fois menée à son terme. » Au bout du chemin pierreux, l’horizon ondoie sous le soleil dément, comme s’il se liquéfiait. Je le vois ainsi, et c’est peut être ce qui se produit.

Alain Robbe-Grillet, Le Voyeur, Minuit double.

Le voyeur

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Nicolas Peyrac et mon père

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Le chanteur Nicolas Peyrac en 1977 © VILLARD/SIPA

Les chansons de Sophie, série d’été


Cette chronique, je la dédie à mon père, qui nous a quittés par une maudite nuit caniculaire de l’été 2020. La peine s’estompe, et les souvenirs reviennent. Il était ce qui convient d’appeler un intellectuel, en effet, il enseignait la littérature à l’Université. Cependant, comme moi, il adorait la culture populaire, les chansons de variétés, les films de de Funès que nous regardions ensemble… Je me souviens encore de son rire devant les mimiques du grand Louis. Je l’entends encore me dire : « Joe Dassin est un grand » alors que nous regardions religieusement une émission des Carpentier. Les chiens ne font pas des chats…


Au mitan des années 70, Nicolas Peyrac fit son apparition dans le paysage des chansons dites de variété, alors que selon moi, il est un véritable chanteur folk. Une rareté en France.

Mon père et moi étions tombés amoureux de So far away for L.A, le pendant américain de Et Mon père, qui est une fort belle chanson aussi. Cependant, So far away est plus intrigante, plus riche, plus mélancolique… Peyrac, qui est aujourd’hui un homme accessible, avec qui je communique parfois sur Facebook, est un fou de cinéma, surtout américain. Et So far away est une juxtaposition d’images cinématographiques. « Quelques lueurs d’aéroport, d’étranges filles aux cheveux d’or, dans ma mémoire traînent encore », et là, nous visualisons immédiatement des clones de Sharon Tate (pauvre madame Polanski), déambulant en mini jupes, les jambes interminables, et entourées de vapeurs de cannabis… Nous y sommes. Bien sûr, il m’a fallu quelques années pour comprendre qu’avec ces quelques mots, l’artiste avait capté l’essence du Summer of Love. Mais pas seulement. De manière impressionniste, c’est toute l’Amérique du XXème siècle qu’il nous raconte. Mon passage préféré était celui-ci : « Et les collines se souviennent des fastes de la dynastie, qui de Garbo jusqu’à Bogie faisaient résonner ses folies. » Je n’avais bien sûr pas encore les références pour le comprendre, mais je ressentais instinctivement le glamour désabusé, fitzgeraldien, qui émanait de ce passage. Aujourd’hui, lorsque j’écoute la chanson, je visualise Jean Harlow, langoureusement étendue sur un lit en forme de coquillage, ses lèvres rouges en forme de cœur, son halo de cheveux platine, son regard empreint de tragique.

Cependant, de façon subtile –et toute cette chanson est un chef-d’œuvre de subtilité-  Peyrac mêle le cauchemar et le rêve américain (lesquels sont d’ailleurs consubstantiels). Caryl Chessman : « avait-il raison ou bien tort ? ». Sharon Tate éventrée, « d’un seul coup on t’as pris deux vies », et les sanglots couleur de prison d’Alcatraz… alors que le Golden Gate s’endort. Toute une mythologie, à la fois sublime et tragique. Et il y a cette mélancolie, omniprésente chez Peyrac, qui s’est toujours demandé ce qu’il faisait sur les plateaux télé, qui n’y a jamais vraiment trouvé sa place, qui rêvait sans doute d’être Bob Dylan. « So far away from L.A, so far ago from Frisco, I’m no one but a shadow .» Oui, cette chanson définitivement des accents dylaniens, il se permet, comme Zimmerman, de tordre la langue anglaise. Les chansons de Peyrac plus méconnues flirtent souvent avec la poésie, peut-être sans le vouloir, et cela est encore plus beau. La poésie est plus belle quand elle surgit lorsqu’on ne s’y attend pas. Sa chanson «  Mais Comment t’appelles-tu ?», est une sorte d’ovni, qu’il a composée en une nuit sur un piano qui avait servi aux Rolling Stones. Une évocation amoureuse aux accents proustiens : « Et son parfum monte en moi, comme un vieux souvenir, qui s’accroche à ma mémoire et m’empêche de vieillir. » Maintenant que les années me rapprochent de plus en plus de la vieillesse, cela me ferait pleurer…

Enfin, ce cinéphile sensible a écrit la plus belle chanson qui soit sur Marilyn, délicate, intime ; on sent qu’il touche du doigt son malheur, sans en faire des tonnes : « On disait tout de toi, on en avait tant dit, qu’ils ne surent pas pourquoi tu t’étais endormie, au soleil. »

Voilà, en creux, mon hommage à mon père à travers Nicolas Peyrac, et, lorsque nous l’écoutions ensemble, nul doute « qu’il ignorait qu’un jour j’en parlerai. »

Emmanuel Macron: la monotonie de la surprise à tout prix

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14 juillet 2023 © JACOVIDES/POOL/SIPA

Le président de la République a choisi cette année de ne pas se livrer à la traditionnelle interview télévisée du 14-Juillet devant les Français. Il ne laisse rien transparaitre de ses éventuelles volontés de remaniements ministériels. Alors que la période désordonnée, instable et violente aurait appelé le retour d’une accalmie, d’une habitude démocratique d’écoute, de dialogue et d’apaisement, le président, selon son bon plaisir, a raisonné à l’inverse, déplore notre chroniqueur.


Entre tradition et nouveauté, la plupart de nos présidents de la République ont eu du mal à opérer une synthèse satisfaisante pour leurs concitoyens. Après Charles de Gaulle et Georges Pompidou (un grand président mort trop tôt), ils ont tenté de satisfaire, chacun à sa manière, rupture et sauvegarde, classicisme et originalité. Il serait facile de le démontrer pour Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande. À des degrés divers mais pour l’ensemble de ces mandats, la mue était difficile à réaliser entre le chef d’État qu’attendaient les Français et celui que chaque personnalité rêvait d’être. Mais il me semble qu’Emmanuel Macron bat tous les records sur ce plan. Son premier mandat, comme la première année du second, me paraissent en effet gangrenés par l’envie maladive de surprendre. Depuis sa réélection en particulier, on peut avoir l’impression qu’il cherche à gagner en inattendu ce qu’il a perdu en majorité. Comme si le singulier était destiné à le consoler de la perte de la majorité absolue. Et à nous étonner plus qu’à nous convaincre et nous mobiliser.

La politique est un art

De quelque côté qu’on se tourne, la propension du président de la République à ralentir quand on le souhaite rapide, à être indulgent quand on le voudrait sévère, à laisser les ministres et les choses en l’état quand on aspirerait à une verticalité décisive, à changer de conviction au fil des jours, des tactiques et des rapports de force alors qu’on l’aimerait fermement campé sur un socle stable et sincère, est éclatante. Elle le constitue tel un fugitif permanent de lui-même et un créateur d’étonnements pour les citoyens. À force de ne jamais être là où l’attend, il a perdu le bénéfice de la surprise. Il est tombé dans l’ennui d’une posture dont l’invention n’est plus spontanée, mais programmée : l’incongru est roi.

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Certes j’admets volontiers que la politique est un art. Elle exige un talent capable de s’adapter à la réalité dans toutes ses évolutions. Mais, par exemple, n’y a-t-il pas, dans la volonté persistante du président de ne pas tirer les leçons de certains échecs gouvernementaux ou ministériels et de maintenir contre toute attente la Première ministre (les dernières supputations la voient remplacée par Gérald Darmanin) et certains ministres, différant le remaniement comme s’il jouait avec les nerfs de son peuple, une obsession de ne pas réagir comme ses prédécesseurs et de damer le pion à ceux qui prétendraient savoir lire dans ses pensées ? À un certain degré de contradiction avec le sentiment populaire majoritaire, la pratique d’un président ne relève presque plus de sa liberté mais d’une forme de sadisme républicain désireux seulement de se distinguer par la déception qu’il inspire.

Le pays est sorti de ses gonds, mais Emmanuel Macron est distant

Dans un registre mineur, alors que comme chaque année la France aura un invité d’honneur pour le 14 juillet, le président de la République a décidé de ne pas respecter la tradition – il l’a déjà transgressée – de l’entretien du 14 juillet. Il avait pourtant promis de s’exprimer en ce jour de fête nationale et on aurait pu espérer que cet engagement serait tenu et que cette normalité républicaine serait contagieuse pour mettre en état de tranquillité un pays sorti de ses gonds. Mais non. Dans quelques jours il se livrera à cet exercice ou communiquera d’une autre manière. Alors que cette période, précisément parce qu’elle est désordonnée, instable et violente, aurait appelé le retour d’une accalmie, d’une habitude démocratique d’écoute, de dialogue et d’apaisement, le président, selon son bon plaisir, a raisonné à l’inverse. Et je pense qu’il a tort. On ne peut pas toujours prendre prétexte de situations bouleversantes pour s’interdire l’exigence de sérénité. Il y a une puissance, dans les rituels respectés, qui mettent de l’ordre et de l’espoir dans les temps, aussi troublés qu’ils soient.

Je pourrais aussi, au risque de lasser, considérer comme une pratique présidentielle bizarre le fait de garder près de soi à l’Élysée ou au gouvernement des personnalités mises en examen, notamment Thierry Solère qui traîne la bagatelle de 13 mises en examen, ce qui ne gêne apparemment pas Emmanuel Macron.

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Dans cet entêtement qui récuse les conclusions que le bon sens privilégierait, faut-il remarquer une obstination qui ne veut rien se laisser imposer, surtout pas l’opinion dominante du profane, ou un tempérament ludique qui trouve son plaisir à faire des pieds de nez à la morale et à la décence républicaine ?

Il serait navrant en tout cas que le cercle des courtisans autour du président le conforte dans cette conception du pouvoir en félicitant sa personnalité d’être aussi atypique. Ce n’est pas faire injure à Emmanuel Macron que de vouloir pour la France, en 2027, quel que soit son successeur, une brillante normalité. J’ose croire que ce sera possible.