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« Wesh, Madame » ?! — ou comment enseigner encore et toujours

On parle de plus en plus de démissions précoces d’enseignants, déçus, voire terrorisés par les conditions d’exercice de leur profession. Heureusement, explique notre chroniqueur, il y a encore des profs qui aiment leurs élèves et se dévouent à fond aux petits monstres qu’on leur a confiés. La preuve : le livre que vient de publier Myriam Meyer.


Le titre, au fond, dit tout. « Wesh » est une interjection d’origine berbère, commune aux peuples du Maghreb, qui signifie « Salut, comment vas-tu ? » — et par extension, peut marquer la surprise : « Mince, alors ! ». C’est le mot passe-partout d’élèves qui arrivent de leur famille, de leur quartier, avec un vocabulaire si réduit qu’un chien savant en saurait presque davantage.

Et c’est tout le fond de ce livre qu’une lecture rapide classerait dans la catégorie « sympathique », à cause des anecdotes nombreuses et souvent hilarantes qu’il contient, si l’on ne faisait pas attention au fond du problème : comment enseigner le Français à des populations conditionnées par leur entourage à pratiquer un pataouète qui tient davantage du borborygme crachoté que de la langue articulée. « Wesh » tient de l’éternument et de l’aboiement étouffé. C’est de la communication infrahumaine. Et c’est à ces petits barbares que Myriam Meyer s’efforce d’enseigner les subtilités des grammaires française et latine — jusqu’à les amener in situ à Rome pour visiter les ruines de l’Empire.

C’est en la confrontant aux purs produits des IUFM / ESPE / INSPE (peu importe l’appellation, c’est toujours la même soupe à la grimace), ces temples de l’enseignement de l’ignorance, que l’on saisit mieux la différence entre un bon prof et un pantin pédago. Un olibrius nommé pour remplacer une collègue absente lui explique ainsi qu’il développe une pédagogie de « projets » :

« – Mais de quels projets parles-tu ?

– Y en a deux en fait, tu vois. Et ils s’inscrivent à celui qu’ils veulent, ensuite, je les mets en îlots et ils bossent en autonomie. »

Et de préciser :

« Le premier, c’est de tenir un journal quotidien de tout ce qui se passe au collège, tu vois. Ils ont leurs propres articles, tout ça. [Et pendant ce temps, commente Myriam Meyer, ô Grand Initiateur de projets, tu n’as rien à faire. Ni préparation, ni cours, ni correction. Habile].
« Le deuxième projet, il s’appelle « Exil ». Le truc, c’est qu’ils vont interviewer les membres de leur famille, parce qu’ils sont d’origine immigrée, et qu’ils les feront parler de leur sentiment d’exil en France, tu vois… » En pendant ce temps, ni grammaire, ni littérature, ni expression correcte et corrigée, ni rien. C’est cela, le pédagogisme, tu vois…

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Cette pédadémagogie n’est pas la tasse de thé de la rédactrice de Wesh, Madame, somme d’instantanés de la vie ordinaire d’un prof normal dans un collège de REP — Réseau d’Éducation Prioritaire, pas même « Ambition Réussite » ni « Prévention Violence », mais pas loin : l’Educ-Nat ne manque pas de sigles obscurs pour désigner ceux que l’on a décidé de confiner a priori dans leur ghetto tout en feignant de les plaindre.

Myriam Meyer est une mauvaise prof selon les critères (inchangés, quelles que soient les bonnes intentions des ministres, toujours dépassés par la Machine qui a investi depuis quatre décennies l’État profond de la rue de Grenelle) de l’Inspection et des pédagos. Elle fait bosser ses loupiots, et ils en redemandent. Parce que refuser d’enseigner de façon coercitive à des élèves qui ne savent rien, ça, c’est de la vraie maltraitance. Mais rassurez-vous, dans ce monde orwellien où tout fonctionne à l’envers, les soi-disant « bons » enseignants sont ceux qui méprisent le plus les élèves, et donnent à leurs collègues des cours gratuits sur le « respect » qu’on leur doit — en ne dérangeant pas leur cancritude. Les mêmes plaident pour la « mixité » sociale, mais inscrivent leurs propres enfants ailleurs que dans les collèges pourris où ils enseignent – « Mais moi, tu vois, c’est différent »…

Enseigner le Français, cela consiste à enseigner la langue française : le truisme est évident pour tout le monde, sauf pour les IPR qui régentent ce monde absurde. Cela consiste à reprendre ceux qui croient qu’« humilité », « c’est quand on est mouillé, « comme dans Koh-Lanta » ». Ou « comme les députés, qui ont l’humilité parlementaire »… C’est reprendre, dix fois, cent fois, celui qui pense que « la religion des Romains, c’est la polysémie ».

« Je sors quelquefois de cours avec l’impression désespérante de vider l’océan à la cuillère », dit Myriam Meyer. Le tout est de ne pas se laisser aller au désespoir, comme ces enseignants, de plus en plus nombreux, qui démissionnent dès leur première année. Comme si un Nouveau Conducteur renonçait à son permis de conduire sous prétexte qu’il n’est pas tout de suite recruté en Formule 1.

La langue, vous dis-je. « Ça part en baston pour rien et sans arrêt parce que sur les dix mots de vocabulaire qu’ils ont, cinq sont des insultes ». Comme en ville, lors qu’au moindre prétexte, on en vient à l’agression verbale — en attendant mieux : l’insulte est le bagage de l’ignorant. Et les profs qui renoncent à apprendre à leurs élèves à s’insulter avec talent et références littéraires sont des pleutres. Enseigner le français, c’est donner l’envie de piocher dans la langue — celle que les élèves a priori ne maîtrisent pas. Les boomers apprenaient avec avidité les injures du capitaine Haddock. Les « millenials », la « génération X » et toutes celles qui lui ont succédé, se croient dans un feuilleton américain — référence incontournable des plus jeunes, marque d’inculture des plus vieux — où la communication commence et s’arrête à « fuck you ». Ou à « wesh », et autres échantillons de pseudo-arabe et de d’onomatopées banlieusardes.

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La faute à l’immigration ? Pas exactement. « Comme Paul, Marc, Solange, Victor, André, Jeanne, Agnès et Marie accumulent les bonnes notes et les réussites scolaires. À la maison, ils répondent à des patronymes chinois. Mais pour l’état civil, les parents ont choisi des patronymes français, d’un désuet quelquefois attendrissant. Je me garderai bien d’établir des statistiques, mais je n’oublierai jamais ce mot ravi d’un collègue aguerri découvrant la liste d’une de ses classes, en début d’année : « J’ai plein de Chinois ! On va pouvoir bosser ! » » L’intégration passe par la langue. La désintégration passe par le gloubiboulga. J’ai vécu moi-même la même expérience dans les années 1970 avec les réfugiés vietnamiens ou cambodgiens, boat-people survivants de tous les naufrages, qui en une année se mettaient largement au niveau des meilleurs. Quant à ce qui fait que les élèves maghrébins ou africains séjournent indéfiniment dans le dernier cercle de l’enfer linguistique, je laisse le lecteur libre de le déduire. Osons une hypothèse : cela tient moins à leur existence dans des ghettos sélectionnés qu’à leur croyance en une religion qui se fiche pas mal du progrès, sûre qu’elle est de détenir la vérité en ânonnant indéfiniment le texte « sacré » d’un livre auquel ils ne comprennent rien, puisqu’ils ne parlent pas la langue. Et qu’ils sont bien obligés de se fier à ce que des prêcheurs de barbarie obscure veulent bien leur souffler.

On s’étonne d’autant plus que Myriam Meyer, avec un joli nom comme le sien, n’évoque pas les réflexions racistes (ça suffit de parler d’antisémitisme : autant appeler les salopards par leur nom) qui fusent si souvent de ces publics irrigués par Netflix, les rézosocios et leur imam. 400% d’augmentation du nombre d’actes antisémites, vient d’avouer Darmanin. Mais que fait la police ?

L’air de rien, notre prof de Lettres ne nous cache rien des drames ordinaires, des suicides d’élèves harcelés ou désespérés, des personnels de direction dont le cœur s’essouffle à ramer à contre-courant des instructions officielles. Il y a, dans ce livre où l’on sourit souvent, des pages où l’on pleurerait volontiers. Myriam Meyer a du cœur à revendre — même si elle sait qu’on ne fait pas classe avec de bons sentiments, mais avec le Bescherelle et une grammaire latine exigeante.

PS. Myriam Meyer tient par ailleurs le journal de bord du cancer qui l’occupe depuis un certain temps. Une lecture annexe que je vous conseille vivement — vous qui allez bien, et vous qui allez mal.

Myriam Meyer, Wesh, madame ?! – Rires et larmes d’une prof de banlieue (Robert Laffont, 2024), 240 pp., 18,00€.

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Lucie Castets, le François Pignon de Matignon

Une énarque de gauche, voire d’extrême-gauche, essaie depuis quelques semaines de s’imposer comme Première ministre de la France, prétextant la « victoire » du NFP aux législatives. Quel est ce personnage prétentieux et que représenterait sa nomination, si jamais cela advenait? L’analyse de Céline Pina.


Lino Ventura avait Jacques Brel en guise de boulet dans l’« Emmerdeur », le film d’Edouard Molinaro. Emmanuel Macron a lui aussi trouvé son François Pignon en la personne de Lucie Castets. Ce personnage à la fois falot et collant, a la particularité de toujours faire le malheur de celui auquel il s’accroche, sans pour autant se forger un destin propre. Il est néanmoins sympathique, seul point qu’il ne partage pas avec Lucie Castets, première ministrable auto-proclamée et toujours aussi peu désirée.

Lucie Castets, simple produit d’une fiction ?

Pourquoi ce détour par la fiction ? Justement parce que Lucie Castets n’existe pas. Elle n’est qu’un concept, un produit et elle essaie donc de s’imposer par le seul chemin qui s’offre à ceux qui n’ont rien fait de leur vie : la communication. Elle est celle que personne n’attendait et que nul n’espère, une candidate à l’un des postes les plus importants de notre République qui essaie d’imposer sa nomination comme étant de droit, alors qu’elle n’a aucun état de service à faire valoir pour le mériter et que la coalition à laquelle elle appartient n’a pas gagné les élections. « A te voir, ils s’habitueront » semble être à la fois sa devise et sa seule stratégie. Cette femme est le symbole de la vacuité de notre système politique. Son symbole et son symbiote. Elle ne peut prospérer qu’en installant un mensonge et en le faisant passer pour une évidence ; mais c’est justement le fait de transformer en pure fiction notre réalité politique qui est en train de tuer la démocratie.

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Le problème de départ est arithmétique : aucun parti et aucune coalition n’a gagné ces élections, aucun n’a de majorité en mesure de gouverner, la situation est bloquée. Quant au Président, il est libre de nommer qui il veut. De toute façon l’espérance de vie d’un gouvernement dans de telles circonstances est nécessairement limitée. Si une clarification a eu lieu lors de ces Législatives, c’est en termes de désaveu. Hormis le RN qui progresse encore, les autres partis ont réalisé de maigres scores, reflet du peu d’attentes qu’ils suscitent et du peu de confiance qu’ils génèrent. Et ce n’est que justice.

Lucie Castets à Matignon, l’aboutissement d’une manipulation électorale ?

En effet la tentative de nous imposer Lucie Castets est la marque d’un système électoral qui prend les citoyens pour des imbéciles et ne fait même plus d’efforts pour le cacher. Rappelez-vous comment nous avons tous été manipulés. Alors que LFI sombrait dans la justification de la violence politique et l’antisémitisme et exhibait aux yeux de tous sa dérive fascisante ; c’est contre un RN, qui, lui, a renoncé au discours violent et antidémocratique que nous étions invités à faire barrage. Et ce au nom de la lutte contre un fascisme fantasmé qui est devenu l’alpha et l’oméga de notre vie politique. Il nous a même été expliqué qu’utiliser un bulletin du Nouveau Front Populaire contre le RN était légitime si on voulait prouver que l’on faisait partie des gentils. Et pas parce que LFI est moins dangereuse pour la démocratie que le RN. Ce n’est pas le cas.

Pourquoi de telles injonctions alors que nul n’a échappé aux dérapages anti-juifs de Jean-Luc Mélenchon et de ses sbires durant la campagne des Européennes ? Pourquoi de telles pressions alors que les dérapages des élus insoumis ont accentué les violences qui s’abattent sur les Juifs en France et encouragé des passages à l’acte violents ? Pourquoi passer dans ce cas des accords de désistement réciproques avec des gens sans foi ni loi, faisant au passage de l’antisémitisme et de la haine d’Israël, un point de détail de l’histoire alors que le nazisme et la Shoah nous ont montré ce qui se passait quand on mettait l’antisémitisme au cœur de sa vision du monde ?

Or toutes ces objections ont été balayées d’un revers de main dans l’entre-deux-tours. Et il y avait une raison à cela : LFI n’avait aucune chance d’accéder au pouvoir, nous ont assuré le camp présidentiel et les chœurs de vierges des LR. Mais une fois le RN écarté, voilà que l’on nous explique aujourd’hui dans les médias que ne pas nommer chef du gouvernement un fruit tavelé issu d’une alliance délétère avec un parti ouvertement antisémite serait un déni de démocratie ?

Une nomination symbole d’un déni de démocratie

Le vote pour le RN de 10 millions de Français a été jugé illégitime au profit d’une alliance honteuse unissant dans le lit de l’antisémitisme l’ensemble des partis de gauche. Et même avec la mobilisation de l’ensemble des autres partis, le NFP a réuni moins de voix que le RN, 1 millions de voix en moins, ce qui n’est pas rien. Cette coalition qui a trahi toutes les valeurs humanistes qu’elle était censée défendre serait donc notre seul horizon ? C’est à la fois désespérant et moralement dégradant.

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Mais poursuivons encore. Alors que les attentes des Français n’évoluent guère études après études, sondages après sondages, et que leurs préoccupations allient inquiétudes sur le pouvoir d’achat et insécurité culturelle, la prise de pouvoir du NFP nous est présentée comme inéluctable, symbole d’une bonne santé institutionnelle et démocratique. Or cette coalition considère une partie des attentes des Français comme relevant de la xénophobie la plus pure. Elle n’est pas seulement en opposition avec leurs demandes, elle estime que leur formulation même vous fait appartenir à l’axe du mal. Cette coalition, qui a montré qu’elle était capable de toutes les compromissions pour un plat de lentilles ministériel, se permet encore de considérer d’un œil dégoûté la majorité des Français, alors même qu’elle s’est alliée avec un parti indigne. Après la prise en otage de la démocratie, le déni continue et s’accentue.

D’un technocrate l’autre

Autre point. Lucie Castets est un Emmanuel Macron bis. Une autre figure de technocrate parisienne déconnectée des réalités dont la froideur, l’arrogance et l’incapacité à tenir compte du réel tiennent lieu de caractère. Ce type de profil se révèle incapable de penser en termes de rassemblement et d’intérêt général. Il vit en théorie, pense réellement qu’il sait tout et que ses échecs répétés sont dus à la bêtise et à l’indigence des gouvernés, ces Gaulois réfractaires, aussi épidermiques que superflus. Dans le fond, le technocrate n’est pas un démocrate, cela explique qu’il puisse faire un très correct serviteur mais un exécrable maître. Leur incursion en politique génère en général des désastres car ils considèrent le peuple comme une gêne au bon fonctionnement de l’administration.

Reste le programme de madame Castets. D’une indigence absolue, il se borne à être pour le bien et contre le mal. Qui peut être contre l’augmentation du pouvoir d’achat, la lutte pour la justice sociale, l’amélioration du système de santé, l’investissement dans l’éducation… ? Mais un programme n’est pas une lettre au père Noël et la nullité abyssale de trop de nos élus nationaux, dont les pires représentants émargent à LFI, a de quoi effrayer. Certes me direz-vous, avec un espoir de vie d’à peu près trois mois, un gouvernement LFI devrait voir sa capacité de nuisance limitée. Mais pas abolie cependant. En termes de nomination ou de capacité à signer des décrets, il reste une marge de manœuvre pour entamer une entreprise de destruction.

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Lucie Castets n’a donc rien à faire à Matignon, contrairement au récit qu’elle essaie d’installer et qui n’imprime guère. Elle est la meilleure illustration de l’effondrement de notre système politique. Alors qu’un premier ministre doit normalement avoir une image forte et une expérience reconnue pour incarner l’État en action, alors que sa personnalité est en soi un message, la candidature Castets ne dit plus qu’une seule chose : n’importe qui peut devenir ministre même en étant minoritaire dans le pays, même en n’ayant rien accompli qui justifie une telle élévation. Elle est la consécration de la fin du rôle des partis : ceux-ci ne sont plus en mesure de faire émerger des figures susceptibles de gouverner et n’ont même plus en leur sein de personnalités incontournables ou mêmes signifiantes. Ils ne jouent plus leur rôle, ils n’innervent plus la démocratie, ils en sont devenus les parasites. Faute de capacité de propositions, ils n’existent plus que dans l’ostracisation, la diabolisation de l’autre. Principale victime de ce triste jeu : la notion de communs et l’intérêt général.

La nomination de Lucie Castets, si elle advenait, ne pourrait pas être une preuve de bonne santé démocratique mais l’aboutissement d’un déni et d’une manipulation. Et tous ceux qui ont joué aux dévoués castors devraient se réveiller transformés en dindons de la farce.

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Regards contrastés sur l’abbé Pierre

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Si tout ce dont on accuse l’abbé Pierre est vrai et qu’il était jugé aujourd’hui, il faudrait nécessairement le condamner. Si l’Eglise connaissait ses fautes et se taisait, elle serait condamnable aussi. Il reste quand même la meilleure part de celui qui a lutté contre la misère et la détresse sociale. Le billet de Philippe Bilger.


Rien de plus dangereux que cette mode de déboulonner les idoles.

Rien de plus nécessaire que de déboulonner les idoles qui, contre leur légende, n’ont pas été irréprochables.

Qui, en même temps, peut être assez naïf pour s’imaginer qu’il existe des êtres tout d’un bloc, absolument et toujours admirables, modèles sans faille et résistant à toutes les remises en cause d’aujourd’hui, à cette envie parfois perverse de détruire des réputations, aussi à ce besoin de justice et de vérité qui ne tolère plus les moindres ombres dans les lumières trop longtemps éclatantes ?

Si tout ce qui, depuis quelques semaines, est révélé sur les comportements intimes de l’abbé Pierre, ses agressions sexuelles, son exploitation honteuse à des fins personnelles de la dépendance et de la précarité de certaines femmes, s’avère exact, il s’agit d’actes ignominieux.

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L’abbé Pierre est mort en 2007.

Tous ceux qui de son vivant connaissaient ses turpitudes mais se sont tus par admiration pour son oeuvre ou par peur du scandale ont eu tort. Rien n’est plus important, dans quelque secteur où les transgressions se commettent, que d’avoir le courage de les dénoncer. Le silence est coupable qui laisse les victimes se multiplier et donne au mis au cause la certitude déplorable de son impunité.

Si la hiérarchie catholique, dont trop d’exemples ont démontré que face à l’intolérable elle fermait plus volontiers les yeux qu’elle n’ouvrait son coeur, n’ignorait pas les agissements de l’abbé Pierre et qu’elle s’est abstenue d’en tirer les conséquences internes et judiciaires, ce serait une pierre capitale encore jetée dans le jardin d’un catholicisme qui défend trop peu et mal ce qu’il a de meilleur et occulte le pire qui peut surgir en son sein. Si l’Église était informée et qu’elle a laissé faire – un abbé Pierre imparfait valait mieux qu’un abbé Pierre dévoilé -, elle ne mérite pas la moindre indulgence. Il y en a assez de ces institutions cherchant à faire passer leur lâcheté pour de la sagesse.

Mais pour l’abbé Pierre lui-même ?

S’il était jugé aujourd’hui, je sais, ministère public, ce que je dirais, requérant sa condamnation en tentant d’expliquer son comportement.

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Si j’étais son avocat, je tenterais de proposer une argumentation sans complaisance pour ses actes mais susceptible d’expliquer leurs ressorts. Avec infiniment de délicatesse : il aurait été hors de question d’offenser les victimes.

Je présenterais le lien entre une approche structurelle – les débordements d’une nature sans frein, trop riche, trop pulsionnelle – et une analyse conjoncturelle. Sur ce plan, j’insisterais sur les dangers d’une telle personnalité impliquée dans le siècle, insérée dans un combat contre la misère et les détresses sociales, animée par les sentiments les plus généreux, un authentique désir d’assistance et de solidarité, une réelle indignation face à la clochardisation. La relation entre un tel être et les opportunités de faiblesse, de fragilité, de déviation et d’infractions provoquées par sa mission même a provoqué malheureusement ce qui semble lui être légitimement reproché. Et qui pour être rétrospectif reste odieux, et répétitif.

Il n’empêche que l’abbé Pierre, aujourd’hui encore, demeure l’abbé Pierre dans sa part de personnalité la meilleure.

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De la même manière que tous les artistes, comédiens, acteurs mis en examen ou intouchables grâce à la prescription demeurent, sur le plan de leur excellence, ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être.

L’abbé Pierre, pas plus que Gérard Depardieu par exemple, n’a sombré tout entier dans la zone sombre de lui-même.

Il reste heureusement toujours l’autre.

En août, lis ce que te goûte

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Les vacances imposent-elles la vacance de l’esprit ? Autant profiter de ce répit estival pour moissonner les sillons de sa bibliothèque. Sous le soleil d’août, votre serviteur y a passé sa charrue. Lectures par les champs et par les grèves…  Première livraison: « Si mon cœur est français… »


« Si mon cœur est français… mon cul, lui, est international ». L’aveu est à peine moins connu que la réplique : « Atmosphère !  atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? ». C’est peu dire que l’Occupation aura… occupé Arletty. Pourtant, dès avant les années noires, Hôtel du Nord, le film de Carné tiré du roman homonyme d’Eugène Dabit, a fait du jour au lendemain une star de la prolétaire de Courbevoie. Si la guerre n’était pas passée par là, le destin de Léontine Bathiat (1898- 1992) susciterait-il aujourd’hui la même curiosité ?

Sous les auspices de la maison Tallandier ressort en poche, dans une version remaniée à bon escient, la biographie très nourrie qu’en 2016 lui avait consacré David Alliot, spécialiste de la période et de Louis-Ferdinand Céline en particulier.  « De 1940 à 1944, écrit-il, Arletty a été l’actrice française la plus populaire, la plus courtisée, la plus emblématique et, de loin, la mieux payée de son temps ».  C’est là le paradoxe : elle qui se revendiquait crânement fille du peuple, et en gardera jusque dans la vieillesse la gouaille inimitable, « ne cessera de fréquenter les cénacles les plus huppés de la Collaboration artistique et politique, sans oublier les salons aristocratiques de la capitale »

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Drôle de vie que celle d’Arletty :  Le Jour se lève, Les Visiteurs du soir, Les Enfants du Paradis lui doivent tous leur postérité au firmament du Septième art. Moins universellement connus, La garçonne (1935) ou encore Faisons un rêve (1936) de Sacha Guitry, figurent d’autres joyaux encore. Tellement française, Arletty ! Au point d’avoir eu le coup de foudre, un jour de 1941, pour un bel officier de la Luftwaffe, Hans Jürgen Soehring, garçon francophile et cultivé, en poste à Paris. Familière des soirées mondaines à l’ambassade d’Allemagne, elle ne se cache même pas, dîne au Ritz ou à la Tour d’argent avec son amant en uniforme, fait du ski en couple à Megève… Il l’appelle « Biche » ; elle l’appelle « Faune ». Collabo, Arletty ? A l’horizontale, sans le moindre doute. Elle est loin d’être seule dans son cas. Pensez à Marie Bell, à Suzy Solidor, ou encore à Josseline Gaël, la femme de Jules Berry, qui forniquait avec un nervi de la Gestapo… Comme à sa décharge l’observe Alliot : «Il n’y a aucune activité politique, aucun engagement quelconque vis-à-vis du Reich » qu’on puise reprocher à Arletty. L’actrice écopera d’un simple « blâme » du comité d’épuration.

Faut-il rappeler qu’à sa sortie triomphale, en 1942, le chef d’œuvre de Marcel Carné Les Visiteurs du soir est récompensé du Grand prix du cinéma français, « créé et remis par les autorités de Vichy » ? C’est toute la complexité, l’ambiguïté de cette période qui, au-delà de la personnalité controversée de la frondeuse, est restituée de façon à la fois subtile, érudite et sans a priori dans les pages de cet ouvrage captivant.

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Car David Alliot a grand soin de replacer le dossier « Arletty » dans son contexte : ses liens avec le milieu du cinéma et du théâtre (c’est en 1943 qu’au « Français » triomphe Le Soulier de satin, la pièce du très catholique Claudel, mise en scène par Jean-Louis Barrault ! ) , ses relations avec la duchesse d’Harcourt et avec quelques figures de la Collaboration, son roman-feuilleton avec l’aventurière cinglée Edna Nicolle…  « A cause de son passé sulfureux, le métier se détourne d’elle » dans l’après-guerre : « son âge d’or est terminé […] Désormais, elle n’apparaît plus que dans des films pour le moins médiocres ». Arletty garde un lien avec son vieil ami Céline ; « Faune », à peine nommé ambassadeur de la RFA à Léopoldville, capitale de l’ex-Congo belge, se noie accidentellement en 1960. Quant à celle qui clamait : « J’ai une gueule à faire l’amour », elle s’éteint dans son appartement de la rue Rémusat, dans le quartier parisien d’Auteuil, « le 23 juillet 1992, après plusieurs jours d’une interminable agonie ». Presque centenaire, donc. Le fabuleux roman d’Arletty vaut bien un requiem.

Arletty, biographie par David Alliot. Tallandier, coll. Texto, 2024.  

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Le RN : boussole probable de l’Assemblée nationale?

Le nouvel exécutif qu’Emmanuel Macron s’apprête à nommer, ancré au centre, sera incapable de survivre sans le soutien des députés du Rassemblement national qui ne manqueront pas de monnayer leur coopération. Analyse.


La logique présidentielle fera émerger dans quelques jours un exécutif proche du bloc dit « central ». Ce nouveau pouvoir devrait être fort contraint par le risque d’une proposition de censure initiée soit depuis le bloc de gauche soit depuis le RN. Des vagues pouvant additionner jusqu’à 335 voix au moins. Dans le même temps, il doit pour exister répondre aux exigences fondamentales des anciens citoyens devenus aussi groupes de simples consommateurs – non de programmes politiques auxquels plus personne ne croit – mais de produits politiques adaptés à des ensembles plus ou moins solidaires mais aussi plus ou moins antagonistes. Il est facile de dresser la liste de ces exigences – certaines probablement fondamentales, d’autres moins – qui, là aussi, s’additionnent et se trouvent représentées dans des partis devenus entreprises politiques largement incapables d’offrir, face à leurs marchés émiettés, un programme cohérent : SMIC et pouvoir d’achat, réforme des retraites, pauvreté et inégalités, fiscalité, services publics (école, santé, etc.) immigration et sécurité. Cette liste qui figure dans tous les sondages est confirmée par la dernière enquête IPSOS de juillet.

Curieusement, ce même bloc central sera dominé par une ex-majorité présidentielle, contestée depuis très longtemps sur les sujets que nous venons d’énumérer. Ajoutons que ce bloc est extrêmement hétérogène avec des fractures importantes sur des dossiers décisifs, comme celui de la fiscalité ou du libre-échange. C’est dire que ce bloc central ne peut, curieusement, tenir que s’il est puissamment épaulé par les deux autres. Probablement incapable d’assurer sa cohérence interne, il ne peut survivre que par la contribution de son environnement. Il doit par conséquent être beaucoup plus qu’encadré et bénéficier d’une aide de ses adversaires. Il s’agit d’un important paradoxe.

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Selon les modalités de son action, il devrait tantôt s’appuyer sur la gauche, tantôt sur le RN et tantôt sur les deux. Sur le plan de la réforme des retraites, il n’aura guère le choix et devra impérativement obéir aux exigences conjuguées de la Gauche et du RN, exigences qui vont peser très lourd dans l’adoption ou non du budget 2025, et donc dans la survie du nouvel exécutif. Pour le reste, il lui faudra compter sur une aide indispensable du RN.

Et cette aide devra s’envisager quel que soit le domaine législatif ou règlementaire.

Les propositions du nouvel exécutif ne peuvent être que fort modestes dans ce qui touche au fonctionnement de l’économie et on verrait mal ce bloc central partir en guerre contre les règles du jeu du néolibéralisme de marché, règles surveillées étroitement par la holding européenne. Qu’il s’agisse de la hausse du SMIC, du chômage, voire du prix de l’électricité, et de tant d’autres domaines, les marges de manœuvre seront de plus en plus réduites. Dans ce registre, il devra affronter de façon violente la gauche qui exigera de nouveaux impôts et il ne pourra être sauvé que par une bienveillance ou une neutralité du RN. En cas de motion de censure lancée par la gauche, il devra négocier une simple abstention de celui qui reste officiellement son adversaire.

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Dans le registre des textes portant sur l’amélioration des services publics, l’impact économique est lui aussi non neutre et à court terme risque de peser sur le déficit et la dette. On ne pourra rétablir le service public hospitalier en misant sur les seuls gains de productivité. Même chose pour l’école ou l’Université. C’est dire que le nouvel exécutif va rencontrer d’énormes difficultés dans la volonté attendue de dominer les questions budgétaires. Si en ce domaine le risque de censure par la gauche est probablement plus faible, le bloc central ne pourra l’emporter qu’avec au moins la neutralité bienveillante du RN.

S’agissant maintenant des réformes touchant la sécurité, les frontières et les flux migratoires, le bloc central sera lui-même intrinsèquement faible en ce domaine et il est très clair qu’il faudra largement dépasser la négociation d’une simple bienveillance du RN et donc collaborer directement avec lui.

Quelque soient les projets, textes, voire les amendements discutés, l’onction du RN sera fondamentale. C’est dire que l’usine Assemblée Nationale fonctionnera largement sous haute influence RN.

Un Tisha BeAv particulier

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Les Iraniens auraient pu lancer une attaque contre Israël au moment du Tisha BeAv, jour de deuil qui commémore les calamités ayant frappé les Juifs au cours de l’histoire. S’ils ne l’ont pas fait, c’est sans doute qu’une offensive directe serait trop risquée et coûteuse, tandis que monnayer leur renoncement temporaire à la vengeance serait plus profitable, surtout face aux Américains. Tribune de Richard Prasquier, président d’honneur du Crif.


« Hélas, mon puits est devenu mon tombeau et le jour de lumière est devenu ténèbres ».

« Mon puits », la source de vie matérielle, se dit beeri en hébreu, et réfère au kibboutz Beeri, lieu emblématique des massacres du 7 octobre. « Le jour de lumière », c’est la journée de Simhat Tora, celle du 7 octobre 2023, ainsi nommée dans le Talmud. « Hélas », c’est la traduction du mot Eikha, titre du livre des Lamentations, qinot en hébreu, ces poèmes lyriques, récités la nuit de Tisha BeAv, que la tradition attribue au prophète Jérémie, pleurant, non pas seulement, comme on le dit, la destruction du Temple de Jérusalem, mais la détresse de la population judéenne.

Eikha ne signifie pas seulement « hélas », mais aussi « pourquoi ?», les deux émotions qui taraudent les Juifs dans le monde depuis 10 mois et qui ont donné à cette journée de Tisha BeAv, le neuf du mois de Av, la plus triste du calendrier liturgique juif, une tragique actualité.

Les drames encourus par les communautés juives au cours de l’histoire ont souvent suscité des élégies. Certaines ont trouvé leur chemin, global ou localisé, dans la liturgie de la journée. Ce ne fut pas toujours le cas et la Shoah notamment n’a pratiquement pas laissé de trace à Tisha BeAv. Beaucoup de décideurs orthodoxes, y compris certains qui y avaient perdu leur famille, s’y étaient opposés, prétextant que la liturgie était close. Il est frappant de constater que lorsque Leon Meiss, Président du Consistoire et du Crif, a sollicité une prière spéciale pour Tisha BeAv en 1946, il n’a obtenu qu’une proposition, celle des frères Neher. Leur texte, très émouvant pourtant, n’a pas été retenu. Au fond, la Shoah était, pour ceux qui l’avaient vécue eux-mêmes, une blessure trop vive pour être métabolisée sous forme de prière intemporelle et impersonnelle. 

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Mais il ne fait pas de doute que les massacres du 7 octobre 2023, dont le retentissement fut diffus et profond alors que le nombre des victimes, aussi nombreuses qu’elles fussent, n’était pas comparable à la quasi-extermination d’un peuple entier, prendront place dans la litanie des calamités du peuple juif. Peut-être « Qinat Be’eri », dont l’auteur, Yagel Haroush, JuIf orthodoxe de Yerucham, est un spécialiste du Maqam, ce système modal spécifique au monde islamique, et en particulier de la musique persane, restera-t-il dans la liturgie. 

On aurait souhaité que l’Iran n’impacte ce jour que de façon musicale….

C’est le 9 Av qu’a eu lieu la destruction du Temple de Salomon par les Babyloniens, du Second Temple par les Romains, l’expulsion des Juifs d’Angleterre puis celle des Juifs d’Espagne. C’est le 9 Av 1942 qu’ont commencé les déportations du ghetto de Varsovie vers les chambres à gaz de Treblinka. Celui qui a la fibre critique plus que mystique pensera que certaines de ces dates ont été volontairement choisies par les ennemis des Juifs comme un pied de nez à leur histoire et il ne manquait pas de commentateurs pour penser que les mollahs de Téhéran lanceraient leur attaque contre Israël à Tisha BeAv. 

C’était mon cas. J’avais oublié que, depuis le départ de Ahmadinedjad, qui avait tout d’un mystique apocalyptique bas d’intellect, ce sont des individus fanatiques mais retors qui sont aux commandes en Iran. Ils ne veulent pas risquer de perdre le pouvoir par des initiatives qui pourraient entrainer des réactions israéliennes violentes qui déclencheraient des désordres non maitrisables dans un pays où les mollahs sont haïs par la majeure partie de la population. Par ailleurs l’allié russe inspire ces jours-ci moins confiance que précédemment et les réactions du monde arabe à l’élimination de Haniyeh ont été plutôt molles.

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Certes, ils peuvent compter sur Erdogan, le plus toxique des maitres chanteurs, sur le Pakistan, la Malaisie et beaucoup de soutiens vocaux dans des populations sunnites chez qui la haine contre Israël prime les conflits inter-sectaires, mais en cas de guerre les Iraniens seraient seuls et, aussi fiers qu’ils prétendent l’être de leurs exploits du mois d’avril, ils savent que ceux-ci n’ont pas vraiment convaincu par leur efficacité. Enfin, une riposte israélienne risquerait de s’en prendre au nucléaire iranien avant que celui-ci ne soit opérationnel. 

C’est pourquoi les journaux iraniens suggèrent ces jours-ci que la vengeance est un plat qui se mange froid et qu’il y a d’autres moyens d’entrainer la panique dans le camp ennemi que de mener une offensive militaire classique. Ce qui sous-entend, entre autres, des opérations terroristes contre les intérêts israéliens et pas seulement en Israël…

Et puis, il y a les proxys : on pense avant tout au Hezbollah qui vient de perdre Fouad Chokr, son chef militaire. Ce brave homme, à la mort duquel le Président Macron a réagi en exprimant son inquiétude, était poursuivi par les Américains pour l’attentat qui, en 1983, avait tué 241 Marines à Beyrouth et a certainement été partie prenante dans l’attentat qui le jour même tuait 58 parachutistes français dans l’immeuble du Drakkar. Une vengeance qui se mange froid, certes, mais pas reconnue comme telle par la France et concoctée par un autre cuisinier…

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Enfin il y a la fibre morale dont l’Iran fait un usage particulièrement éhonté, mais qui risque d’être efficace. Prétextant de son droit à la vengeance après la mort de Haniyeh, rejetant comme impudentes les demandes des pays européens à ne pas déclencher la guerre, ce pays, qui est l’un des plus sanguinaires de la planète, va probablement essayer de monnayer son renoncement temporaire à celle-ci. L’époque est favorable, le gouvernement américain redoute d’être entrainé dans une guerre en pleine période électorale et voudrait tirer bénéfice politique interne d’un accord à Gaza. Voilà l’Iran prétendant qu’il ne répliquera pas si les pourparlers sur un cessez le feu aboutissent. Il veut laisser une porte de sortie à ce qui reste du Hamas, mais se donner l’image d’un partisan de la paix face aux extrémistes israéliens ne nuit pas à l’image, d’autant que le nouveau président iranien aura pour rôle de montrer un visage plus avenant de la dictature clérico-militaire qui a mis l’Iran en coupe réglée depuis 45 ans. 

Dans cette situation extrêmement délicate où le soutien américain est plus que jamais nécessaire, on n’est pas surpris que le cabinet du Premier Ministre israélien ait, pour une fois, critiqué vigoureusement les initiatives de son ministre Itamar Ben-Gvir commémorant sur le Mont du Temple un Tisha BeAv décidément inhabituel….

Paris n’est pas (seulement) une fête

Au cours des JO, la France – comme la ville de Paris – a pu construire une image des plus positives d’elle-même qui a dupé jusqu’à ses propres citoyens. Pourtant, le décor urbain construit pour ce grand événement garde un côté Potemkine. Pour nos deux chroniqueurs, certains des pires épisodes de l’histoire française ont été précédés par des moments de grande liesse populaire.


Ça ne commençait pourtant pas si bien… Sabotage massif à la SNCF opérée par une mystérieuse cinquième colonne, polémiques byzantines sur le sexe des athlètes et des interprètes de la cérémonie, on pouvait espérer que les Jeux Olympiques confirment les prophéties ronchonnes qui annonçaient les pires catastrophes : drones islamistes fonçant sur le public, nageurs attrapant la tourista en avalant la tasse séquanienne. Finalement, à la surprise générale, la quinzaine s’est formidablement bien passée, avec un nombre extrêmement réduit de polémiques et de couacs. On espérait pourtant le pire. Les premières images des rues grillagées évoquaient Pyongyang la veille de l’enterrement de Kim Il-Sung. Miracle ! Paris a su être une fête dans cette ambiance cyberpunk.

Sous le signe du cul-cul international

Dès la cérémonie d’ouverture, « Imagine » chanté par Juliette Armanet annonçait la couleur : des Jeux placés sous le signe du cul-cul international. Critiquée, la prestation de Philippe Katherine tout de bleu peint avait au moins eu le mérite d’inscrire la France dans sa grande vocation : être la grande embêteuse du monde. Si jamais on avait un doute, « Imagine » allait bien le leitmotiv de la quinzaine lorsque le morceau fut dégainé, en plein match de volleyball, pour atténuer les tensions entre joueuses brésiliennes et canadiennes. La musique adoucit les mœurs. Le sport rapproche les peuples ; pour un peu, c’était le tableau du Douanier Rousseau, « Les représentants des puissances étrangères venant saluer la République en signe de paix » (on est alors en 1907…).

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Ce fut d’ailleurs un carnaval sportif : Léon qui fait clac avec ses mains, Tom Daley en mode grand-mère qui tricotte son pull aux motifs kitsch et annonce sa retraite prématurée, la réponse du boxeur algérien à la boxeuse italienne, la libido de Jules Bouyer sur les réseaux sociaux… il y en avait pour tout le monde !

Forte de son succès, riche de son autocélébration complaisante, une nouvelle France est née cet été ! Souriante, enjouée, athlétique, torse nu, fluide et festive, optimiste, souriante, enjouée… elle acclame Léon, voit des policiers se tenir bras dessus bras dessous avec des touristes qui pourront dire comme Renaud : « J’ai embrassé un flic ». Pour un peu, les serveurs apporteraient le café en prononçant « enjoy », à la manière de leurs homologues londoniens.

Délestée pour partie de ses autochtones les plus hostiles, la capitale a vu déferler tout ce que le monde compte de gens enthousiasmés par des courses en sac ou des tournois de ping-pong. Tant pis pour les ronchons, les nez-rouges et les piliers de bar qui lisent Le Parisien au zinc le matin. Tant pis pour les commerçants patibulaires, les automobilistes irritables et irrités de ne pouvoir jouir de trois mois de vacances. Tant pis pour les rombières et leurs caniches des beaux quartiers. Tant pis pour le laborieux prolétariat des cuisines et des camions poubelles. Tant pis pour les étudiants verbeux en chambrette. Dans leur maison de campagne, chez leurs parents, au Bled, avec leur femme dans leur pavillon de banlieue… tous ceux qui ont pu fuir l’ont fait. Sur les écrans du monde : juste l’éternelle foule avinée et réjouie, heureuse parce qu’on lui a dit de l’être, passionnée de sport sans toujours en faire. Paris a pu offrir son plus beau visage de ville lumière, chassant du même coup ceux qui vivent à son ombre.

Une tranche de bonheur obligatoire

Paris a été pendant quinze jours une uchronie, une projection de la France avec un Lionel Jospin victorieux en 2002. Anamnèse fukuyamesque d’une fin de l’histoire qui ne fut que la fin des années 1990. Ville du cool, à mi-chemin entre Barcelone et Brighton. Dans la division internationale du travail, dans l’ultra spécialisation de l’archipel des métropoles mondiale, Paris n’a pourtant aucun intérêt à singer la capitale catalane, car il n’y fera jamais 37 degrés six mois sur douze et il n’y aura jamais la mer, sauf dans les pires prédictions d’Yves Cochet. De la même façon qu’il faut des films pour adultes avec des femmes naines unijambistes, Paris doit rester froide, grise, triste, pluvieuse… parce qu’il y a des gens qui aiment ça. Nous les premiers qui n’ont pas forcément aimé reprendre une tranche de tourisme et de bonheur obligatoire. 

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Et puis, dans l’histoire du pays les quelques moments d’enthousiasme ont souvent été les préludes des plus grands massacres. La France a toujours eu la gueule de bois un peu dure… En 1790, à la Fête de la Fédération, le roi et les Révolutionnaires célèbrent l’unité ; Talleyrand dit la messe. En montant à l’estrade, il glisse à Lafayette : « Par pitié, ne me faites pas rire ».  Le compte à rebours de la monarchie est déjà lancé. En 1936, accordéon, guinguette et musette dans les usines. Entre le Front Populaire et la débâcle de 1940, quatre ans, l’intervalle qui sépare deux Olympiades.

JO : le prix caché de la réussite

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Emmanuel Macron jubile après le grand succès des Jeux olympiques de Paris. Mais il semble avoir oublié le prix de cette réussite: déploiement extraordinaire des forces de l’ordre, déplacement de migrants illégaux, surveillance accrue des réseaux islamistes… Les thuriféraires de l’idéologie mondialiste jubilent aussi, sans voir la contradiction entre leur propre propagande postnationale et le nationalisme patriote qu’ont suscité les triomphes de nos sportifs. Le regard d’Ivan Rioufol.


Accordons à Emmanuel Macron, au-delà de la propagande woke de la cérémonie d’ouverture, le droit de se réjouir bruyamment du bilan des jeux Olympiques de Paris. Tout s’est bien passé durant ces quinze jours. C’est un fait. Dès lors, le chef de l’Etat a beau jeu de rappeler les doutes et les critiques d’hier sur la sécurité et l’organisation des événements. Se laissant aller à l’autosatisfaction, il a expliqué à L’Équipe, dimanche à l’issue de la clôture que « le perdant », de ces Jeux, « c’est l’esprit de défaite ». En détaillant la liste des objections émises par les experts les plus sceptiques : « La cérémonie d’ouverture sur la Seine était une inconscience sécuritaire, on n’aurait jamais assez de médailles, ce serait un gouffre financier, on n’arriverait pas à se baigner dans la Seine… Et, à la fin, on a réussi, on l’a fait ! […] » Hier, il a poursuivi, sans pudeur ni modestie excessives, son autocongratulation : « On peut être en même temps complètement fou et très bien organisé ». Bien organisé, oui, y compris avec un gouvernement démissionnaire, ce qui tendrait à démontrer le génie intact de la société civile et de ses propres élites, dès lors qu’elles ne sont pas entravées inutilement. Les médias se sont tous accordés également à reconnaître, dans les foules rassemblées, une même joie palpable. Libération, envouté par l’ambiance, a même titré le 10 août : « Paris, capitale de la douceur », en oubliant le prix de ce retour nostalgique à la « doulce France » : 45.000 policiers armés, 13.000 déplacements de clandestins, 44.000 grillages et barrières, des QRCodes ou des accès payants aux fans zones, un nettoyage social brutal, le remplacement des Parisiens par des spectateurs à pouvoir d’achat (4 euros le ticket de métro), etc. Le vivre-ensemble est un luxe.

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Il n’est pas sûr cependant que la gauche inclusive, emballée à juste titre par cette fraternité des jeux, prenne la peine d’analyser les ressorts si peu humanistes de cette réussite, liés pour beaucoup à l’exclusion des plus déshérités et des immigrés indésirables, et à la surveillance étroite des islamistes revendicatifs. Il est également très improbable que les mondialistes et autres idéologues postnationaux, qui hurlent au retour du fascisme à la moindre expression d’une fierté nationale, acceptent de creuser leurs propres contradictions, pour ceux qui ont partagé l’engouement nationaliste, cocardier, d’un peuple uni derrière son drapeau au-delà de la couleur des peaux. Or ces Jeux ont démontré, dans leur authentique ferveur nationale, que rien n’était plus faux que cette idée récitée par les perroquets qui voudrait, depuis François Mitterrand, que « le nationalisme, c’est la guerre ». La Grande-Bretagne a illustré, dans le même temps, que la guerre civile se dissimulait au contraire dans les plis du multiculturalisme, cheval de Troie de l’islamisme. La dénonciation convenue de « l’extrême droite » dans les révoltes anti-immigration, notamment à Southport, a occulté l’infiltration islamiste et propalestinienne des mouvements « antiracistes », et la subversion par la charia de la société anglaise. Pour la France en tout cas, le conte de fées s’achève : le carrosse est redevenu citrouille.

Peut-on se passer de ministres ?

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En dépit du fait que les ministres du gouvernement sont « démissionnaires », la gestion des affaires courantes a continué sans anicroche, ce qui invite à s’interroger sur l’utilité réelle des ministres. En tout cas, cette parenthèse olympique n’a rien fait pour donner aux Français plus de confiance par rapport à leurs dirigeants politiques. Le billet de Philippe Bilger.


Par provocation, tant par écrit qu’oralement, il m’est arrivé à plusieurs reprises de soutenir que deux ministères pourraient être supprimés parce que leur bureaucratie et leur inefficacité les rendent plus nuisibles qu’utiles : ceux de la Justice et de la Culture. Parce que l’élan et la liberté inventifs des pratiques du pays pallieraient aisément leur disparition. Au-delà de la saillie, j’étais persuadé qu’il y avait dans cette idée quelque chose à creuser. Je n’imaginais pas qu’un jour, à cause de la dissolution et de la procrastination due aux Jeux olympiques, on pourrait légitimement s’interroger sur l’importance ou non d’un pouvoir réduit à la gestion des affaires courantes.

Je ne crois pas qu’Eric Dupond-Moretti, en ayant jugé il y a quelques semaines cette période politique « passionnante », l’appréhendait de la même manière que moi. Il ne songeait probablement pas à sa propre éradication ès qualités ! Alors que durant les JO, la justice s’est modernisée sans lui ! (Le Figaro)

Je ne méconnais pas combien la situation des ministres doit être inconfortable en ce temps de vacances mais aussi d’attente et de tension qui les laisse totalement incertains de leur futur.

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Il n’empêche que de cette séquence démocratique si singulière – on dirait le pays politiquement à l’arrêt -, sans tomber dans la dérision m’est-il permis de tirer un enseignement un peu déprimant pour notre République et la sophistication de son organisation ? si les ministres avaient été en charge et en plein exercice, la France se porterait-elle mieux ? Considérer qu’aujourd’hui elle ne s’est pas radicalement dégradée avec des ministres vacants pourrait-il nous conduire à ne pas toujours tout attendre du pouvoir, avec cette incroyable naïveté française qui laisse espérer que chaque changement de gouvernement créera un choc positif et sortira comme par magie notre nation de ses difficultés et de sa régression ?

J’entends bien que, pendant que les ministres avaient l’arme au pied, l’administration immuable, consciencieuse et impartiale continuait à travailler et faisait tenir le pays en attendant le moment où le cours d’avant reprendrait son empire.

Philippe Bas avait conseillé au président de ne pas « ajouter de la procrastination à la dissolution » (Le Monde). Sa recommandation, à l’évidence, ne sera pas suivie puisque, si on en croit le JDD, le Premier ministre devrait être choisi après le 15 août et le gouvernement constitué à la fin du même mois.

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Dans tous les cas il est très dangereux de laisser perdurer cette zone imprécise et floue : elle risque d’aggraver le sentiment de défiance du citoyen à l’égard de la vie politique et de ceux qui détiennent le pouvoir.

Il ne faudrait pas que l’opinion dominante s’accordât sur ce constat que si les ministres n’existaient pas, il conviendrait de ne pas les inventer.

La volupté de l’humilité face aux champions…

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Pour les spectateurs que nous sommes, la réussite des plus grands sportifs nous impose une modestie qui nous rappelle nos propres limites, mais nous invite à les dépasser, du moins dans notre esprit. Le regard de Philippe Bilger.


Les Jeux olympiques sont une formidable école de modestie.

Pas seulement pour les vaincus et il faut admirer la classe de ceux qui manquent la médaille d’or pour infiniment peu. Quatre années d’efforts et de sacrifices, et c’est un autre qui en récolte les fruits ! Avec quelle élégance les médaillés d’argent et de bronze prennent acte de leur défaite, avec quelle tenue les autres participants à la finale admettent leur infériorité et viennent saluer celui ou celle qui montera sur la plus haute marche du podium ! Pas la moindre aigreur, l’esprit sportif dans ce qu’il a de meilleur, à son comble…

Mais aussi, mais surtout, pour tous les amateurs, les passionnés de sport, les pratiquants comme les sportifs en chambre, pour tous ceux qui à un moment de leur vie ou tout au long de l’existence se sont adonnés à ces divertissements du quotidien, à ces activités que sont par exemple la natation, le tennis, le tennis de table, la course à pied…

Loin que la différence colossale avec les champions de ces disciplines nous altère le moral et nous fasse perdre la plupart de nos illusions, c’est l’inverse qui se produit.

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Moi qui ai un peu joué au tennis à partir de 18 ans, pouvoir admirer Novak Djokovic ou Carlos Alcaraz et prendre la mesure de l’immense écart entre eux et moi, entre eux et ceux qui sont mus par le désir tout simple de progresser dans le classement, engendre une délicieuse volupté, celle de l’humilité. Non pas une humilité qui serait imposée et subie mais une humilité qui paradoxalement vous rehausse. On sait qu’on pratique ce sport mais que des géants vous dominent et c’est doux, et c’est bien.

Que dire face aux incroyables exploits de Léon Marchand, comme un poisson dans l’eau, alors que même dans nos meilleurs moments, nous ne pesons rien, comparés à ce génie si familier avec l’élément liquide qu’il semble créer avec lui un duo quasiment surnaturel ?

J’ai éprouvé, me rappelant mes jeunes années au collège ou ailleurs quand pour passer le temps je jouais beaucoup au ping-pong, une sensation magique en voyant Félix Lebrun, âgé de 17 ans, mener des échanges à un train d’enfer, avec une sûreté, une précision et un talent hors norme. Nous avons en commun le tennis de table mais lui a en propre cette irréductible singularité qui me fait glisser avec bonheur dans la conscience de mon infirmité…

Ce n’est pas seulement cette idée banale qu’il y a, en sport comme ailleurs, le profane et les professionnels, les besogneux et les cracks mais bien davantage : la certitude que nous sommes fiers d’être ainsi dépassés, relégués par la jeunesse, par le miracle de dons nous laissant à des années-lumière, parce qu’ils sont eux et que nous ne sommes que nous !

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Je raffole de cette modestie qui survient comme une grâce. Celle par exemple qui me laisse ébahi, stupéfié par Félix Lebrun quand il permet à la France d’obtenir une médaille de bronze par équipe.

C’est à cause de cet enthousiasme que nous inspirent leurs exploits que nous sommes sans doute trop sévères avec eux quand ils nous déçoivent. La jouissance de pouvoir les porter aux nues, en nous réduisant, implique le sadisme de les rejeter, en les jugeant.

Même si peu que ce soit, on ne souhaite pas qu’ils se rapprochent de nous. Nous tenons à la volupté de l’humilité.

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« Wesh, Madame » ?! — ou comment enseigner encore et toujours

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Salle de classe, le 4 septembre 2024. Romain Beaumont/SIPA

On parle de plus en plus de démissions précoces d’enseignants, déçus, voire terrorisés par les conditions d’exercice de leur profession. Heureusement, explique notre chroniqueur, il y a encore des profs qui aiment leurs élèves et se dévouent à fond aux petits monstres qu’on leur a confiés. La preuve : le livre que vient de publier Myriam Meyer.


Le titre, au fond, dit tout. « Wesh » est une interjection d’origine berbère, commune aux peuples du Maghreb, qui signifie « Salut, comment vas-tu ? » — et par extension, peut marquer la surprise : « Mince, alors ! ». C’est le mot passe-partout d’élèves qui arrivent de leur famille, de leur quartier, avec un vocabulaire si réduit qu’un chien savant en saurait presque davantage.

Et c’est tout le fond de ce livre qu’une lecture rapide classerait dans la catégorie « sympathique », à cause des anecdotes nombreuses et souvent hilarantes qu’il contient, si l’on ne faisait pas attention au fond du problème : comment enseigner le Français à des populations conditionnées par leur entourage à pratiquer un pataouète qui tient davantage du borborygme crachoté que de la langue articulée. « Wesh » tient de l’éternument et de l’aboiement étouffé. C’est de la communication infrahumaine. Et c’est à ces petits barbares que Myriam Meyer s’efforce d’enseigner les subtilités des grammaires française et latine — jusqu’à les amener in situ à Rome pour visiter les ruines de l’Empire.

C’est en la confrontant aux purs produits des IUFM / ESPE / INSPE (peu importe l’appellation, c’est toujours la même soupe à la grimace), ces temples de l’enseignement de l’ignorance, que l’on saisit mieux la différence entre un bon prof et un pantin pédago. Un olibrius nommé pour remplacer une collègue absente lui explique ainsi qu’il développe une pédagogie de « projets » :

« – Mais de quels projets parles-tu ?

– Y en a deux en fait, tu vois. Et ils s’inscrivent à celui qu’ils veulent, ensuite, je les mets en îlots et ils bossent en autonomie. »

Et de préciser :

« Le premier, c’est de tenir un journal quotidien de tout ce qui se passe au collège, tu vois. Ils ont leurs propres articles, tout ça. [Et pendant ce temps, commente Myriam Meyer, ô Grand Initiateur de projets, tu n’as rien à faire. Ni préparation, ni cours, ni correction. Habile].
« Le deuxième projet, il s’appelle « Exil ». Le truc, c’est qu’ils vont interviewer les membres de leur famille, parce qu’ils sont d’origine immigrée, et qu’ils les feront parler de leur sentiment d’exil en France, tu vois… » En pendant ce temps, ni grammaire, ni littérature, ni expression correcte et corrigée, ni rien. C’est cela, le pédagogisme, tu vois…

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Cette pédadémagogie n’est pas la tasse de thé de la rédactrice de Wesh, Madame, somme d’instantanés de la vie ordinaire d’un prof normal dans un collège de REP — Réseau d’Éducation Prioritaire, pas même « Ambition Réussite » ni « Prévention Violence », mais pas loin : l’Educ-Nat ne manque pas de sigles obscurs pour désigner ceux que l’on a décidé de confiner a priori dans leur ghetto tout en feignant de les plaindre.

Myriam Meyer est une mauvaise prof selon les critères (inchangés, quelles que soient les bonnes intentions des ministres, toujours dépassés par la Machine qui a investi depuis quatre décennies l’État profond de la rue de Grenelle) de l’Inspection et des pédagos. Elle fait bosser ses loupiots, et ils en redemandent. Parce que refuser d’enseigner de façon coercitive à des élèves qui ne savent rien, ça, c’est de la vraie maltraitance. Mais rassurez-vous, dans ce monde orwellien où tout fonctionne à l’envers, les soi-disant « bons » enseignants sont ceux qui méprisent le plus les élèves, et donnent à leurs collègues des cours gratuits sur le « respect » qu’on leur doit — en ne dérangeant pas leur cancritude. Les mêmes plaident pour la « mixité » sociale, mais inscrivent leurs propres enfants ailleurs que dans les collèges pourris où ils enseignent – « Mais moi, tu vois, c’est différent »…

Enseigner le Français, cela consiste à enseigner la langue française : le truisme est évident pour tout le monde, sauf pour les IPR qui régentent ce monde absurde. Cela consiste à reprendre ceux qui croient qu’« humilité », « c’est quand on est mouillé, « comme dans Koh-Lanta » ». Ou « comme les députés, qui ont l’humilité parlementaire »… C’est reprendre, dix fois, cent fois, celui qui pense que « la religion des Romains, c’est la polysémie ».

« Je sors quelquefois de cours avec l’impression désespérante de vider l’océan à la cuillère », dit Myriam Meyer. Le tout est de ne pas se laisser aller au désespoir, comme ces enseignants, de plus en plus nombreux, qui démissionnent dès leur première année. Comme si un Nouveau Conducteur renonçait à son permis de conduire sous prétexte qu’il n’est pas tout de suite recruté en Formule 1.

La langue, vous dis-je. « Ça part en baston pour rien et sans arrêt parce que sur les dix mots de vocabulaire qu’ils ont, cinq sont des insultes ». Comme en ville, lors qu’au moindre prétexte, on en vient à l’agression verbale — en attendant mieux : l’insulte est le bagage de l’ignorant. Et les profs qui renoncent à apprendre à leurs élèves à s’insulter avec talent et références littéraires sont des pleutres. Enseigner le français, c’est donner l’envie de piocher dans la langue — celle que les élèves a priori ne maîtrisent pas. Les boomers apprenaient avec avidité les injures du capitaine Haddock. Les « millenials », la « génération X » et toutes celles qui lui ont succédé, se croient dans un feuilleton américain — référence incontournable des plus jeunes, marque d’inculture des plus vieux — où la communication commence et s’arrête à « fuck you ». Ou à « wesh », et autres échantillons de pseudo-arabe et de d’onomatopées banlieusardes.

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La faute à l’immigration ? Pas exactement. « Comme Paul, Marc, Solange, Victor, André, Jeanne, Agnès et Marie accumulent les bonnes notes et les réussites scolaires. À la maison, ils répondent à des patronymes chinois. Mais pour l’état civil, les parents ont choisi des patronymes français, d’un désuet quelquefois attendrissant. Je me garderai bien d’établir des statistiques, mais je n’oublierai jamais ce mot ravi d’un collègue aguerri découvrant la liste d’une de ses classes, en début d’année : « J’ai plein de Chinois ! On va pouvoir bosser ! » » L’intégration passe par la langue. La désintégration passe par le gloubiboulga. J’ai vécu moi-même la même expérience dans les années 1970 avec les réfugiés vietnamiens ou cambodgiens, boat-people survivants de tous les naufrages, qui en une année se mettaient largement au niveau des meilleurs. Quant à ce qui fait que les élèves maghrébins ou africains séjournent indéfiniment dans le dernier cercle de l’enfer linguistique, je laisse le lecteur libre de le déduire. Osons une hypothèse : cela tient moins à leur existence dans des ghettos sélectionnés qu’à leur croyance en une religion qui se fiche pas mal du progrès, sûre qu’elle est de détenir la vérité en ânonnant indéfiniment le texte « sacré » d’un livre auquel ils ne comprennent rien, puisqu’ils ne parlent pas la langue. Et qu’ils sont bien obligés de se fier à ce que des prêcheurs de barbarie obscure veulent bien leur souffler.

On s’étonne d’autant plus que Myriam Meyer, avec un joli nom comme le sien, n’évoque pas les réflexions racistes (ça suffit de parler d’antisémitisme : autant appeler les salopards par leur nom) qui fusent si souvent de ces publics irrigués par Netflix, les rézosocios et leur imam. 400% d’augmentation du nombre d’actes antisémites, vient d’avouer Darmanin. Mais que fait la police ?

L’air de rien, notre prof de Lettres ne nous cache rien des drames ordinaires, des suicides d’élèves harcelés ou désespérés, des personnels de direction dont le cœur s’essouffle à ramer à contre-courant des instructions officielles. Il y a, dans ce livre où l’on sourit souvent, des pages où l’on pleurerait volontiers. Myriam Meyer a du cœur à revendre — même si elle sait qu’on ne fait pas classe avec de bons sentiments, mais avec le Bescherelle et une grammaire latine exigeante.

PS. Myriam Meyer tient par ailleurs le journal de bord du cancer qui l’occupe depuis un certain temps. Une lecture annexe que je vous conseille vivement — vous qui allez bien, et vous qui allez mal.

Myriam Meyer, Wesh, madame ?! – Rires et larmes d’une prof de banlieue (Robert Laffont, 2024), 240 pp., 18,00€.

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à paraître le 29 août

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Lucie Castets, le François Pignon de Matignon

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Lucie Castets visite l'usine Duralex à La Chapelle-Saint-Mesmin, le 31 juillet 2024. GUILLAUME SOUVANT-POOL/SIPA

Une énarque de gauche, voire d’extrême-gauche, essaie depuis quelques semaines de s’imposer comme Première ministre de la France, prétextant la « victoire » du NFP aux législatives. Quel est ce personnage prétentieux et que représenterait sa nomination, si jamais cela advenait? L’analyse de Céline Pina.


Lino Ventura avait Jacques Brel en guise de boulet dans l’« Emmerdeur », le film d’Edouard Molinaro. Emmanuel Macron a lui aussi trouvé son François Pignon en la personne de Lucie Castets. Ce personnage à la fois falot et collant, a la particularité de toujours faire le malheur de celui auquel il s’accroche, sans pour autant se forger un destin propre. Il est néanmoins sympathique, seul point qu’il ne partage pas avec Lucie Castets, première ministrable auto-proclamée et toujours aussi peu désirée.

Lucie Castets, simple produit d’une fiction ?

Pourquoi ce détour par la fiction ? Justement parce que Lucie Castets n’existe pas. Elle n’est qu’un concept, un produit et elle essaie donc de s’imposer par le seul chemin qui s’offre à ceux qui n’ont rien fait de leur vie : la communication. Elle est celle que personne n’attendait et que nul n’espère, une candidate à l’un des postes les plus importants de notre République qui essaie d’imposer sa nomination comme étant de droit, alors qu’elle n’a aucun état de service à faire valoir pour le mériter et que la coalition à laquelle elle appartient n’a pas gagné les élections. « A te voir, ils s’habitueront » semble être à la fois sa devise et sa seule stratégie. Cette femme est le symbole de la vacuité de notre système politique. Son symbole et son symbiote. Elle ne peut prospérer qu’en installant un mensonge et en le faisant passer pour une évidence ; mais c’est justement le fait de transformer en pure fiction notre réalité politique qui est en train de tuer la démocratie.

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Le problème de départ est arithmétique : aucun parti et aucune coalition n’a gagné ces élections, aucun n’a de majorité en mesure de gouverner, la situation est bloquée. Quant au Président, il est libre de nommer qui il veut. De toute façon l’espérance de vie d’un gouvernement dans de telles circonstances est nécessairement limitée. Si une clarification a eu lieu lors de ces Législatives, c’est en termes de désaveu. Hormis le RN qui progresse encore, les autres partis ont réalisé de maigres scores, reflet du peu d’attentes qu’ils suscitent et du peu de confiance qu’ils génèrent. Et ce n’est que justice.

Lucie Castets à Matignon, l’aboutissement d’une manipulation électorale ?

En effet la tentative de nous imposer Lucie Castets est la marque d’un système électoral qui prend les citoyens pour des imbéciles et ne fait même plus d’efforts pour le cacher. Rappelez-vous comment nous avons tous été manipulés. Alors que LFI sombrait dans la justification de la violence politique et l’antisémitisme et exhibait aux yeux de tous sa dérive fascisante ; c’est contre un RN, qui, lui, a renoncé au discours violent et antidémocratique que nous étions invités à faire barrage. Et ce au nom de la lutte contre un fascisme fantasmé qui est devenu l’alpha et l’oméga de notre vie politique. Il nous a même été expliqué qu’utiliser un bulletin du Nouveau Front Populaire contre le RN était légitime si on voulait prouver que l’on faisait partie des gentils. Et pas parce que LFI est moins dangereuse pour la démocratie que le RN. Ce n’est pas le cas.

Pourquoi de telles injonctions alors que nul n’a échappé aux dérapages anti-juifs de Jean-Luc Mélenchon et de ses sbires durant la campagne des Européennes ? Pourquoi de telles pressions alors que les dérapages des élus insoumis ont accentué les violences qui s’abattent sur les Juifs en France et encouragé des passages à l’acte violents ? Pourquoi passer dans ce cas des accords de désistement réciproques avec des gens sans foi ni loi, faisant au passage de l’antisémitisme et de la haine d’Israël, un point de détail de l’histoire alors que le nazisme et la Shoah nous ont montré ce qui se passait quand on mettait l’antisémitisme au cœur de sa vision du monde ?

Or toutes ces objections ont été balayées d’un revers de main dans l’entre-deux-tours. Et il y avait une raison à cela : LFI n’avait aucune chance d’accéder au pouvoir, nous ont assuré le camp présidentiel et les chœurs de vierges des LR. Mais une fois le RN écarté, voilà que l’on nous explique aujourd’hui dans les médias que ne pas nommer chef du gouvernement un fruit tavelé issu d’une alliance délétère avec un parti ouvertement antisémite serait un déni de démocratie ?

Une nomination symbole d’un déni de démocratie

Le vote pour le RN de 10 millions de Français a été jugé illégitime au profit d’une alliance honteuse unissant dans le lit de l’antisémitisme l’ensemble des partis de gauche. Et même avec la mobilisation de l’ensemble des autres partis, le NFP a réuni moins de voix que le RN, 1 millions de voix en moins, ce qui n’est pas rien. Cette coalition qui a trahi toutes les valeurs humanistes qu’elle était censée défendre serait donc notre seul horizon ? C’est à la fois désespérant et moralement dégradant.

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Mais poursuivons encore. Alors que les attentes des Français n’évoluent guère études après études, sondages après sondages, et que leurs préoccupations allient inquiétudes sur le pouvoir d’achat et insécurité culturelle, la prise de pouvoir du NFP nous est présentée comme inéluctable, symbole d’une bonne santé institutionnelle et démocratique. Or cette coalition considère une partie des attentes des Français comme relevant de la xénophobie la plus pure. Elle n’est pas seulement en opposition avec leurs demandes, elle estime que leur formulation même vous fait appartenir à l’axe du mal. Cette coalition, qui a montré qu’elle était capable de toutes les compromissions pour un plat de lentilles ministériel, se permet encore de considérer d’un œil dégoûté la majorité des Français, alors même qu’elle s’est alliée avec un parti indigne. Après la prise en otage de la démocratie, le déni continue et s’accentue.

D’un technocrate l’autre

Autre point. Lucie Castets est un Emmanuel Macron bis. Une autre figure de technocrate parisienne déconnectée des réalités dont la froideur, l’arrogance et l’incapacité à tenir compte du réel tiennent lieu de caractère. Ce type de profil se révèle incapable de penser en termes de rassemblement et d’intérêt général. Il vit en théorie, pense réellement qu’il sait tout et que ses échecs répétés sont dus à la bêtise et à l’indigence des gouvernés, ces Gaulois réfractaires, aussi épidermiques que superflus. Dans le fond, le technocrate n’est pas un démocrate, cela explique qu’il puisse faire un très correct serviteur mais un exécrable maître. Leur incursion en politique génère en général des désastres car ils considèrent le peuple comme une gêne au bon fonctionnement de l’administration.

Reste le programme de madame Castets. D’une indigence absolue, il se borne à être pour le bien et contre le mal. Qui peut être contre l’augmentation du pouvoir d’achat, la lutte pour la justice sociale, l’amélioration du système de santé, l’investissement dans l’éducation… ? Mais un programme n’est pas une lettre au père Noël et la nullité abyssale de trop de nos élus nationaux, dont les pires représentants émargent à LFI, a de quoi effrayer. Certes me direz-vous, avec un espoir de vie d’à peu près trois mois, un gouvernement LFI devrait voir sa capacité de nuisance limitée. Mais pas abolie cependant. En termes de nomination ou de capacité à signer des décrets, il reste une marge de manœuvre pour entamer une entreprise de destruction.

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Lucie Castets n’a donc rien à faire à Matignon, contrairement au récit qu’elle essaie d’installer et qui n’imprime guère. Elle est la meilleure illustration de l’effondrement de notre système politique. Alors qu’un premier ministre doit normalement avoir une image forte et une expérience reconnue pour incarner l’État en action, alors que sa personnalité est en soi un message, la candidature Castets ne dit plus qu’une seule chose : n’importe qui peut devenir ministre même en étant minoritaire dans le pays, même en n’ayant rien accompli qui justifie une telle élévation. Elle est la consécration de la fin du rôle des partis : ceux-ci ne sont plus en mesure de faire émerger des figures susceptibles de gouverner et n’ont même plus en leur sein de personnalités incontournables ou mêmes signifiantes. Ils ne jouent plus leur rôle, ils n’innervent plus la démocratie, ils en sont devenus les parasites. Faute de capacité de propositions, ils n’existent plus que dans l’ostracisation, la diabolisation de l’autre. Principale victime de ce triste jeu : la notion de communs et l’intérêt général.

La nomination de Lucie Castets, si elle advenait, ne pourrait pas être une preuve de bonne santé démocratique mais l’aboutissement d’un déni et d’une manipulation. Et tous ceux qui ont joué aux dévoués castors devraient se réveiller transformés en dindons de la farce.

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Regards contrastés sur l’abbé Pierre

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L'abbe Pierre devant la halte d'Emmaus en Normandie le 28 Janvier, 1994. HALEY/SIPA

Si tout ce dont on accuse l’abbé Pierre est vrai et qu’il était jugé aujourd’hui, il faudrait nécessairement le condamner. Si l’Eglise connaissait ses fautes et se taisait, elle serait condamnable aussi. Il reste quand même la meilleure part de celui qui a lutté contre la misère et la détresse sociale. Le billet de Philippe Bilger.


Rien de plus dangereux que cette mode de déboulonner les idoles.

Rien de plus nécessaire que de déboulonner les idoles qui, contre leur légende, n’ont pas été irréprochables.

Qui, en même temps, peut être assez naïf pour s’imaginer qu’il existe des êtres tout d’un bloc, absolument et toujours admirables, modèles sans faille et résistant à toutes les remises en cause d’aujourd’hui, à cette envie parfois perverse de détruire des réputations, aussi à ce besoin de justice et de vérité qui ne tolère plus les moindres ombres dans les lumières trop longtemps éclatantes ?

Si tout ce qui, depuis quelques semaines, est révélé sur les comportements intimes de l’abbé Pierre, ses agressions sexuelles, son exploitation honteuse à des fins personnelles de la dépendance et de la précarité de certaines femmes, s’avère exact, il s’agit d’actes ignominieux.

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L’abbé Pierre est mort en 2007.

Tous ceux qui de son vivant connaissaient ses turpitudes mais se sont tus par admiration pour son oeuvre ou par peur du scandale ont eu tort. Rien n’est plus important, dans quelque secteur où les transgressions se commettent, que d’avoir le courage de les dénoncer. Le silence est coupable qui laisse les victimes se multiplier et donne au mis au cause la certitude déplorable de son impunité.

Si la hiérarchie catholique, dont trop d’exemples ont démontré que face à l’intolérable elle fermait plus volontiers les yeux qu’elle n’ouvrait son coeur, n’ignorait pas les agissements de l’abbé Pierre et qu’elle s’est abstenue d’en tirer les conséquences internes et judiciaires, ce serait une pierre capitale encore jetée dans le jardin d’un catholicisme qui défend trop peu et mal ce qu’il a de meilleur et occulte le pire qui peut surgir en son sein. Si l’Église était informée et qu’elle a laissé faire – un abbé Pierre imparfait valait mieux qu’un abbé Pierre dévoilé -, elle ne mérite pas la moindre indulgence. Il y en a assez de ces institutions cherchant à faire passer leur lâcheté pour de la sagesse.

Mais pour l’abbé Pierre lui-même ?

S’il était jugé aujourd’hui, je sais, ministère public, ce que je dirais, requérant sa condamnation en tentant d’expliquer son comportement.

A lire aussi: L’abbé Pierre n’était pas #MeToo — et alors?

Si j’étais son avocat, je tenterais de proposer une argumentation sans complaisance pour ses actes mais susceptible d’expliquer leurs ressorts. Avec infiniment de délicatesse : il aurait été hors de question d’offenser les victimes.

Je présenterais le lien entre une approche structurelle – les débordements d’une nature sans frein, trop riche, trop pulsionnelle – et une analyse conjoncturelle. Sur ce plan, j’insisterais sur les dangers d’une telle personnalité impliquée dans le siècle, insérée dans un combat contre la misère et les détresses sociales, animée par les sentiments les plus généreux, un authentique désir d’assistance et de solidarité, une réelle indignation face à la clochardisation. La relation entre un tel être et les opportunités de faiblesse, de fragilité, de déviation et d’infractions provoquées par sa mission même a provoqué malheureusement ce qui semble lui être légitimement reproché. Et qui pour être rétrospectif reste odieux, et répétitif.

Il n’empêche que l’abbé Pierre, aujourd’hui encore, demeure l’abbé Pierre dans sa part de personnalité la meilleure.

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De la même manière que tous les artistes, comédiens, acteurs mis en examen ou intouchables grâce à la prescription demeurent, sur le plan de leur excellence, ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être.

L’abbé Pierre, pas plus que Gérard Depardieu par exemple, n’a sombré tout entier dans la zone sombre de lui-même.

Il reste heureusement toujours l’autre.

En août, lis ce que te goûte

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Arletty chez elle, Paris, le 1er février 1963. DALMAS/SIPA

Les vacances imposent-elles la vacance de l’esprit ? Autant profiter de ce répit estival pour moissonner les sillons de sa bibliothèque. Sous le soleil d’août, votre serviteur y a passé sa charrue. Lectures par les champs et par les grèves…  Première livraison: « Si mon cœur est français… »


« Si mon cœur est français… mon cul, lui, est international ». L’aveu est à peine moins connu que la réplique : « Atmosphère !  atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? ». C’est peu dire que l’Occupation aura… occupé Arletty. Pourtant, dès avant les années noires, Hôtel du Nord, le film de Carné tiré du roman homonyme d’Eugène Dabit, a fait du jour au lendemain une star de la prolétaire de Courbevoie. Si la guerre n’était pas passée par là, le destin de Léontine Bathiat (1898- 1992) susciterait-il aujourd’hui la même curiosité ?

Sous les auspices de la maison Tallandier ressort en poche, dans une version remaniée à bon escient, la biographie très nourrie qu’en 2016 lui avait consacré David Alliot, spécialiste de la période et de Louis-Ferdinand Céline en particulier.  « De 1940 à 1944, écrit-il, Arletty a été l’actrice française la plus populaire, la plus courtisée, la plus emblématique et, de loin, la mieux payée de son temps ».  C’est là le paradoxe : elle qui se revendiquait crânement fille du peuple, et en gardera jusque dans la vieillesse la gouaille inimitable, « ne cessera de fréquenter les cénacles les plus huppés de la Collaboration artistique et politique, sans oublier les salons aristocratiques de la capitale »

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Drôle de vie que celle d’Arletty :  Le Jour se lève, Les Visiteurs du soir, Les Enfants du Paradis lui doivent tous leur postérité au firmament du Septième art. Moins universellement connus, La garçonne (1935) ou encore Faisons un rêve (1936) de Sacha Guitry, figurent d’autres joyaux encore. Tellement française, Arletty ! Au point d’avoir eu le coup de foudre, un jour de 1941, pour un bel officier de la Luftwaffe, Hans Jürgen Soehring, garçon francophile et cultivé, en poste à Paris. Familière des soirées mondaines à l’ambassade d’Allemagne, elle ne se cache même pas, dîne au Ritz ou à la Tour d’argent avec son amant en uniforme, fait du ski en couple à Megève… Il l’appelle « Biche » ; elle l’appelle « Faune ». Collabo, Arletty ? A l’horizontale, sans le moindre doute. Elle est loin d’être seule dans son cas. Pensez à Marie Bell, à Suzy Solidor, ou encore à Josseline Gaël, la femme de Jules Berry, qui forniquait avec un nervi de la Gestapo… Comme à sa décharge l’observe Alliot : «Il n’y a aucune activité politique, aucun engagement quelconque vis-à-vis du Reich » qu’on puise reprocher à Arletty. L’actrice écopera d’un simple « blâme » du comité d’épuration.

Faut-il rappeler qu’à sa sortie triomphale, en 1942, le chef d’œuvre de Marcel Carné Les Visiteurs du soir est récompensé du Grand prix du cinéma français, « créé et remis par les autorités de Vichy » ? C’est toute la complexité, l’ambiguïté de cette période qui, au-delà de la personnalité controversée de la frondeuse, est restituée de façon à la fois subtile, érudite et sans a priori dans les pages de cet ouvrage captivant.

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Car David Alliot a grand soin de replacer le dossier « Arletty » dans son contexte : ses liens avec le milieu du cinéma et du théâtre (c’est en 1943 qu’au « Français » triomphe Le Soulier de satin, la pièce du très catholique Claudel, mise en scène par Jean-Louis Barrault ! ) , ses relations avec la duchesse d’Harcourt et avec quelques figures de la Collaboration, son roman-feuilleton avec l’aventurière cinglée Edna Nicolle…  « A cause de son passé sulfureux, le métier se détourne d’elle » dans l’après-guerre : « son âge d’or est terminé […] Désormais, elle n’apparaît plus que dans des films pour le moins médiocres ». Arletty garde un lien avec son vieil ami Céline ; « Faune », à peine nommé ambassadeur de la RFA à Léopoldville, capitale de l’ex-Congo belge, se noie accidentellement en 1960. Quant à celle qui clamait : « J’ai une gueule à faire l’amour », elle s’éteint dans son appartement de la rue Rémusat, dans le quartier parisien d’Auteuil, « le 23 juillet 1992, après plusieurs jours d’une interminable agonie ». Presque centenaire, donc. Le fabuleux roman d’Arletty vaut bien un requiem.

Arletty, biographie par David Alliot. Tallandier, coll. Texto, 2024.  

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Le RN : boussole probable de l’Assemblée nationale?

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Marine Le Pen et les nouveaux élus RN, à l'Assemblée nationale, le 10 juillet 2024. Tom Nicholson/Shutterstock

Le nouvel exécutif qu’Emmanuel Macron s’apprête à nommer, ancré au centre, sera incapable de survivre sans le soutien des députés du Rassemblement national qui ne manqueront pas de monnayer leur coopération. Analyse.


La logique présidentielle fera émerger dans quelques jours un exécutif proche du bloc dit « central ». Ce nouveau pouvoir devrait être fort contraint par le risque d’une proposition de censure initiée soit depuis le bloc de gauche soit depuis le RN. Des vagues pouvant additionner jusqu’à 335 voix au moins. Dans le même temps, il doit pour exister répondre aux exigences fondamentales des anciens citoyens devenus aussi groupes de simples consommateurs – non de programmes politiques auxquels plus personne ne croit – mais de produits politiques adaptés à des ensembles plus ou moins solidaires mais aussi plus ou moins antagonistes. Il est facile de dresser la liste de ces exigences – certaines probablement fondamentales, d’autres moins – qui, là aussi, s’additionnent et se trouvent représentées dans des partis devenus entreprises politiques largement incapables d’offrir, face à leurs marchés émiettés, un programme cohérent : SMIC et pouvoir d’achat, réforme des retraites, pauvreté et inégalités, fiscalité, services publics (école, santé, etc.) immigration et sécurité. Cette liste qui figure dans tous les sondages est confirmée par la dernière enquête IPSOS de juillet.

Curieusement, ce même bloc central sera dominé par une ex-majorité présidentielle, contestée depuis très longtemps sur les sujets que nous venons d’énumérer. Ajoutons que ce bloc est extrêmement hétérogène avec des fractures importantes sur des dossiers décisifs, comme celui de la fiscalité ou du libre-échange. C’est dire que ce bloc central ne peut, curieusement, tenir que s’il est puissamment épaulé par les deux autres. Probablement incapable d’assurer sa cohérence interne, il ne peut survivre que par la contribution de son environnement. Il doit par conséquent être beaucoup plus qu’encadré et bénéficier d’une aide de ses adversaires. Il s’agit d’un important paradoxe.

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Selon les modalités de son action, il devrait tantôt s’appuyer sur la gauche, tantôt sur le RN et tantôt sur les deux. Sur le plan de la réforme des retraites, il n’aura guère le choix et devra impérativement obéir aux exigences conjuguées de la Gauche et du RN, exigences qui vont peser très lourd dans l’adoption ou non du budget 2025, et donc dans la survie du nouvel exécutif. Pour le reste, il lui faudra compter sur une aide indispensable du RN.

Et cette aide devra s’envisager quel que soit le domaine législatif ou règlementaire.

Les propositions du nouvel exécutif ne peuvent être que fort modestes dans ce qui touche au fonctionnement de l’économie et on verrait mal ce bloc central partir en guerre contre les règles du jeu du néolibéralisme de marché, règles surveillées étroitement par la holding européenne. Qu’il s’agisse de la hausse du SMIC, du chômage, voire du prix de l’électricité, et de tant d’autres domaines, les marges de manœuvre seront de plus en plus réduites. Dans ce registre, il devra affronter de façon violente la gauche qui exigera de nouveaux impôts et il ne pourra être sauvé que par une bienveillance ou une neutralité du RN. En cas de motion de censure lancée par la gauche, il devra négocier une simple abstention de celui qui reste officiellement son adversaire.

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Dans le registre des textes portant sur l’amélioration des services publics, l’impact économique est lui aussi non neutre et à court terme risque de peser sur le déficit et la dette. On ne pourra rétablir le service public hospitalier en misant sur les seuls gains de productivité. Même chose pour l’école ou l’Université. C’est dire que le nouvel exécutif va rencontrer d’énormes difficultés dans la volonté attendue de dominer les questions budgétaires. Si en ce domaine le risque de censure par la gauche est probablement plus faible, le bloc central ne pourra l’emporter qu’avec au moins la neutralité bienveillante du RN.

S’agissant maintenant des réformes touchant la sécurité, les frontières et les flux migratoires, le bloc central sera lui-même intrinsèquement faible en ce domaine et il est très clair qu’il faudra largement dépasser la négociation d’une simple bienveillance du RN et donc collaborer directement avec lui.

Quelque soient les projets, textes, voire les amendements discutés, l’onction du RN sera fondamentale. C’est dire que l’usine Assemblée Nationale fonctionnera largement sous haute influence RN.

Un Tisha BeAv particulier

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Ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, s'approche du Mont du Temple, Jérusalem, le 13 août 2024. Ohad Zwigenberg/AP/SIPA

Les Iraniens auraient pu lancer une attaque contre Israël au moment du Tisha BeAv, jour de deuil qui commémore les calamités ayant frappé les Juifs au cours de l’histoire. S’ils ne l’ont pas fait, c’est sans doute qu’une offensive directe serait trop risquée et coûteuse, tandis que monnayer leur renoncement temporaire à la vengeance serait plus profitable, surtout face aux Américains. Tribune de Richard Prasquier, président d’honneur du Crif.


« Hélas, mon puits est devenu mon tombeau et le jour de lumière est devenu ténèbres ».

« Mon puits », la source de vie matérielle, se dit beeri en hébreu, et réfère au kibboutz Beeri, lieu emblématique des massacres du 7 octobre. « Le jour de lumière », c’est la journée de Simhat Tora, celle du 7 octobre 2023, ainsi nommée dans le Talmud. « Hélas », c’est la traduction du mot Eikha, titre du livre des Lamentations, qinot en hébreu, ces poèmes lyriques, récités la nuit de Tisha BeAv, que la tradition attribue au prophète Jérémie, pleurant, non pas seulement, comme on le dit, la destruction du Temple de Jérusalem, mais la détresse de la population judéenne.

Eikha ne signifie pas seulement « hélas », mais aussi « pourquoi ?», les deux émotions qui taraudent les Juifs dans le monde depuis 10 mois et qui ont donné à cette journée de Tisha BeAv, le neuf du mois de Av, la plus triste du calendrier liturgique juif, une tragique actualité.

Les drames encourus par les communautés juives au cours de l’histoire ont souvent suscité des élégies. Certaines ont trouvé leur chemin, global ou localisé, dans la liturgie de la journée. Ce ne fut pas toujours le cas et la Shoah notamment n’a pratiquement pas laissé de trace à Tisha BeAv. Beaucoup de décideurs orthodoxes, y compris certains qui y avaient perdu leur famille, s’y étaient opposés, prétextant que la liturgie était close. Il est frappant de constater que lorsque Leon Meiss, Président du Consistoire et du Crif, a sollicité une prière spéciale pour Tisha BeAv en 1946, il n’a obtenu qu’une proposition, celle des frères Neher. Leur texte, très émouvant pourtant, n’a pas été retenu. Au fond, la Shoah était, pour ceux qui l’avaient vécue eux-mêmes, une blessure trop vive pour être métabolisée sous forme de prière intemporelle et impersonnelle. 

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Mais il ne fait pas de doute que les massacres du 7 octobre 2023, dont le retentissement fut diffus et profond alors que le nombre des victimes, aussi nombreuses qu’elles fussent, n’était pas comparable à la quasi-extermination d’un peuple entier, prendront place dans la litanie des calamités du peuple juif. Peut-être « Qinat Be’eri », dont l’auteur, Yagel Haroush, JuIf orthodoxe de Yerucham, est un spécialiste du Maqam, ce système modal spécifique au monde islamique, et en particulier de la musique persane, restera-t-il dans la liturgie. 

On aurait souhaité que l’Iran n’impacte ce jour que de façon musicale….

C’est le 9 Av qu’a eu lieu la destruction du Temple de Salomon par les Babyloniens, du Second Temple par les Romains, l’expulsion des Juifs d’Angleterre puis celle des Juifs d’Espagne. C’est le 9 Av 1942 qu’ont commencé les déportations du ghetto de Varsovie vers les chambres à gaz de Treblinka. Celui qui a la fibre critique plus que mystique pensera que certaines de ces dates ont été volontairement choisies par les ennemis des Juifs comme un pied de nez à leur histoire et il ne manquait pas de commentateurs pour penser que les mollahs de Téhéran lanceraient leur attaque contre Israël à Tisha BeAv. 

C’était mon cas. J’avais oublié que, depuis le départ de Ahmadinedjad, qui avait tout d’un mystique apocalyptique bas d’intellect, ce sont des individus fanatiques mais retors qui sont aux commandes en Iran. Ils ne veulent pas risquer de perdre le pouvoir par des initiatives qui pourraient entrainer des réactions israéliennes violentes qui déclencheraient des désordres non maitrisables dans un pays où les mollahs sont haïs par la majeure partie de la population. Par ailleurs l’allié russe inspire ces jours-ci moins confiance que précédemment et les réactions du monde arabe à l’élimination de Haniyeh ont été plutôt molles.

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Certes, ils peuvent compter sur Erdogan, le plus toxique des maitres chanteurs, sur le Pakistan, la Malaisie et beaucoup de soutiens vocaux dans des populations sunnites chez qui la haine contre Israël prime les conflits inter-sectaires, mais en cas de guerre les Iraniens seraient seuls et, aussi fiers qu’ils prétendent l’être de leurs exploits du mois d’avril, ils savent que ceux-ci n’ont pas vraiment convaincu par leur efficacité. Enfin, une riposte israélienne risquerait de s’en prendre au nucléaire iranien avant que celui-ci ne soit opérationnel. 

C’est pourquoi les journaux iraniens suggèrent ces jours-ci que la vengeance est un plat qui se mange froid et qu’il y a d’autres moyens d’entrainer la panique dans le camp ennemi que de mener une offensive militaire classique. Ce qui sous-entend, entre autres, des opérations terroristes contre les intérêts israéliens et pas seulement en Israël…

Et puis, il y a les proxys : on pense avant tout au Hezbollah qui vient de perdre Fouad Chokr, son chef militaire. Ce brave homme, à la mort duquel le Président Macron a réagi en exprimant son inquiétude, était poursuivi par les Américains pour l’attentat qui, en 1983, avait tué 241 Marines à Beyrouth et a certainement été partie prenante dans l’attentat qui le jour même tuait 58 parachutistes français dans l’immeuble du Drakkar. Une vengeance qui se mange froid, certes, mais pas reconnue comme telle par la France et concoctée par un autre cuisinier…

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Enfin il y a la fibre morale dont l’Iran fait un usage particulièrement éhonté, mais qui risque d’être efficace. Prétextant de son droit à la vengeance après la mort de Haniyeh, rejetant comme impudentes les demandes des pays européens à ne pas déclencher la guerre, ce pays, qui est l’un des plus sanguinaires de la planète, va probablement essayer de monnayer son renoncement temporaire à celle-ci. L’époque est favorable, le gouvernement américain redoute d’être entrainé dans une guerre en pleine période électorale et voudrait tirer bénéfice politique interne d’un accord à Gaza. Voilà l’Iran prétendant qu’il ne répliquera pas si les pourparlers sur un cessez le feu aboutissent. Il veut laisser une porte de sortie à ce qui reste du Hamas, mais se donner l’image d’un partisan de la paix face aux extrémistes israéliens ne nuit pas à l’image, d’autant que le nouveau président iranien aura pour rôle de montrer un visage plus avenant de la dictature clérico-militaire qui a mis l’Iran en coupe réglée depuis 45 ans. 

Dans cette situation extrêmement délicate où le soutien américain est plus que jamais nécessaire, on n’est pas surpris que le cabinet du Premier Ministre israélien ait, pour une fois, critiqué vigoureusement les initiatives de son ministre Itamar Ben-Gvir commémorant sur le Mont du Temple un Tisha BeAv décidément inhabituel….

Paris n’est pas (seulement) une fête

Cérémonie de clôture des JO de 2024, Stade de France, le 11 août 2024. Julia Mineeva/TheNews2/Cover Images/SIPA

Au cours des JO, la France – comme la ville de Paris – a pu construire une image des plus positives d’elle-même qui a dupé jusqu’à ses propres citoyens. Pourtant, le décor urbain construit pour ce grand événement garde un côté Potemkine. Pour nos deux chroniqueurs, certains des pires épisodes de l’histoire française ont été précédés par des moments de grande liesse populaire.


Ça ne commençait pourtant pas si bien… Sabotage massif à la SNCF opérée par une mystérieuse cinquième colonne, polémiques byzantines sur le sexe des athlètes et des interprètes de la cérémonie, on pouvait espérer que les Jeux Olympiques confirment les prophéties ronchonnes qui annonçaient les pires catastrophes : drones islamistes fonçant sur le public, nageurs attrapant la tourista en avalant la tasse séquanienne. Finalement, à la surprise générale, la quinzaine s’est formidablement bien passée, avec un nombre extrêmement réduit de polémiques et de couacs. On espérait pourtant le pire. Les premières images des rues grillagées évoquaient Pyongyang la veille de l’enterrement de Kim Il-Sung. Miracle ! Paris a su être une fête dans cette ambiance cyberpunk.

Sous le signe du cul-cul international

Dès la cérémonie d’ouverture, « Imagine » chanté par Juliette Armanet annonçait la couleur : des Jeux placés sous le signe du cul-cul international. Critiquée, la prestation de Philippe Katherine tout de bleu peint avait au moins eu le mérite d’inscrire la France dans sa grande vocation : être la grande embêteuse du monde. Si jamais on avait un doute, « Imagine » allait bien le leitmotiv de la quinzaine lorsque le morceau fut dégainé, en plein match de volleyball, pour atténuer les tensions entre joueuses brésiliennes et canadiennes. La musique adoucit les mœurs. Le sport rapproche les peuples ; pour un peu, c’était le tableau du Douanier Rousseau, « Les représentants des puissances étrangères venant saluer la République en signe de paix » (on est alors en 1907…).

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Ce fut d’ailleurs un carnaval sportif : Léon qui fait clac avec ses mains, Tom Daley en mode grand-mère qui tricotte son pull aux motifs kitsch et annonce sa retraite prématurée, la réponse du boxeur algérien à la boxeuse italienne, la libido de Jules Bouyer sur les réseaux sociaux… il y en avait pour tout le monde !

Forte de son succès, riche de son autocélébration complaisante, une nouvelle France est née cet été ! Souriante, enjouée, athlétique, torse nu, fluide et festive, optimiste, souriante, enjouée… elle acclame Léon, voit des policiers se tenir bras dessus bras dessous avec des touristes qui pourront dire comme Renaud : « J’ai embrassé un flic ». Pour un peu, les serveurs apporteraient le café en prononçant « enjoy », à la manière de leurs homologues londoniens.

Délestée pour partie de ses autochtones les plus hostiles, la capitale a vu déferler tout ce que le monde compte de gens enthousiasmés par des courses en sac ou des tournois de ping-pong. Tant pis pour les ronchons, les nez-rouges et les piliers de bar qui lisent Le Parisien au zinc le matin. Tant pis pour les commerçants patibulaires, les automobilistes irritables et irrités de ne pouvoir jouir de trois mois de vacances. Tant pis pour les rombières et leurs caniches des beaux quartiers. Tant pis pour le laborieux prolétariat des cuisines et des camions poubelles. Tant pis pour les étudiants verbeux en chambrette. Dans leur maison de campagne, chez leurs parents, au Bled, avec leur femme dans leur pavillon de banlieue… tous ceux qui ont pu fuir l’ont fait. Sur les écrans du monde : juste l’éternelle foule avinée et réjouie, heureuse parce qu’on lui a dit de l’être, passionnée de sport sans toujours en faire. Paris a pu offrir son plus beau visage de ville lumière, chassant du même coup ceux qui vivent à son ombre.

Une tranche de bonheur obligatoire

Paris a été pendant quinze jours une uchronie, une projection de la France avec un Lionel Jospin victorieux en 2002. Anamnèse fukuyamesque d’une fin de l’histoire qui ne fut que la fin des années 1990. Ville du cool, à mi-chemin entre Barcelone et Brighton. Dans la division internationale du travail, dans l’ultra spécialisation de l’archipel des métropoles mondiale, Paris n’a pourtant aucun intérêt à singer la capitale catalane, car il n’y fera jamais 37 degrés six mois sur douze et il n’y aura jamais la mer, sauf dans les pires prédictions d’Yves Cochet. De la même façon qu’il faut des films pour adultes avec des femmes naines unijambistes, Paris doit rester froide, grise, triste, pluvieuse… parce qu’il y a des gens qui aiment ça. Nous les premiers qui n’ont pas forcément aimé reprendre une tranche de tourisme et de bonheur obligatoire. 

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Et puis, dans l’histoire du pays les quelques moments d’enthousiasme ont souvent été les préludes des plus grands massacres. La France a toujours eu la gueule de bois un peu dure… En 1790, à la Fête de la Fédération, le roi et les Révolutionnaires célèbrent l’unité ; Talleyrand dit la messe. En montant à l’estrade, il glisse à Lafayette : « Par pitié, ne me faites pas rire ».  Le compte à rebours de la monarchie est déjà lancé. En 1936, accordéon, guinguette et musette dans les usines. Entre le Front Populaire et la débâcle de 1940, quatre ans, l’intervalle qui sépare deux Olympiades.

JO : le prix caché de la réussite

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Emmanuel Macron, Cérémonie de remerciement aux acteurs publics et prives, nationaux et locaux, engages aux cotes des equipes de l'Etat et de Paris, jardin de l'Elysée. Eric Tschaen-POOL/SIPA

Emmanuel Macron jubile après le grand succès des Jeux olympiques de Paris. Mais il semble avoir oublié le prix de cette réussite: déploiement extraordinaire des forces de l’ordre, déplacement de migrants illégaux, surveillance accrue des réseaux islamistes… Les thuriféraires de l’idéologie mondialiste jubilent aussi, sans voir la contradiction entre leur propre propagande postnationale et le nationalisme patriote qu’ont suscité les triomphes de nos sportifs. Le regard d’Ivan Rioufol.


Accordons à Emmanuel Macron, au-delà de la propagande woke de la cérémonie d’ouverture, le droit de se réjouir bruyamment du bilan des jeux Olympiques de Paris. Tout s’est bien passé durant ces quinze jours. C’est un fait. Dès lors, le chef de l’Etat a beau jeu de rappeler les doutes et les critiques d’hier sur la sécurité et l’organisation des événements. Se laissant aller à l’autosatisfaction, il a expliqué à L’Équipe, dimanche à l’issue de la clôture que « le perdant », de ces Jeux, « c’est l’esprit de défaite ». En détaillant la liste des objections émises par les experts les plus sceptiques : « La cérémonie d’ouverture sur la Seine était une inconscience sécuritaire, on n’aurait jamais assez de médailles, ce serait un gouffre financier, on n’arriverait pas à se baigner dans la Seine… Et, à la fin, on a réussi, on l’a fait ! […] » Hier, il a poursuivi, sans pudeur ni modestie excessives, son autocongratulation : « On peut être en même temps complètement fou et très bien organisé ». Bien organisé, oui, y compris avec un gouvernement démissionnaire, ce qui tendrait à démontrer le génie intact de la société civile et de ses propres élites, dès lors qu’elles ne sont pas entravées inutilement. Les médias se sont tous accordés également à reconnaître, dans les foules rassemblées, une même joie palpable. Libération, envouté par l’ambiance, a même titré le 10 août : « Paris, capitale de la douceur », en oubliant le prix de ce retour nostalgique à la « doulce France » : 45.000 policiers armés, 13.000 déplacements de clandestins, 44.000 grillages et barrières, des QRCodes ou des accès payants aux fans zones, un nettoyage social brutal, le remplacement des Parisiens par des spectateurs à pouvoir d’achat (4 euros le ticket de métro), etc. Le vivre-ensemble est un luxe.

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Il n’est pas sûr cependant que la gauche inclusive, emballée à juste titre par cette fraternité des jeux, prenne la peine d’analyser les ressorts si peu humanistes de cette réussite, liés pour beaucoup à l’exclusion des plus déshérités et des immigrés indésirables, et à la surveillance étroite des islamistes revendicatifs. Il est également très improbable que les mondialistes et autres idéologues postnationaux, qui hurlent au retour du fascisme à la moindre expression d’une fierté nationale, acceptent de creuser leurs propres contradictions, pour ceux qui ont partagé l’engouement nationaliste, cocardier, d’un peuple uni derrière son drapeau au-delà de la couleur des peaux. Or ces Jeux ont démontré, dans leur authentique ferveur nationale, que rien n’était plus faux que cette idée récitée par les perroquets qui voudrait, depuis François Mitterrand, que « le nationalisme, c’est la guerre ». La Grande-Bretagne a illustré, dans le même temps, que la guerre civile se dissimulait au contraire dans les plis du multiculturalisme, cheval de Troie de l’islamisme. La dénonciation convenue de « l’extrême droite » dans les révoltes anti-immigration, notamment à Southport, a occulté l’infiltration islamiste et propalestinienne des mouvements « antiracistes », et la subversion par la charia de la société anglaise. Pour la France en tout cas, le conte de fées s’achève : le carrosse est redevenu citrouille.

Peut-on se passer de ministres ?

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Eric Dupond-Moretti, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, quitte la reunion de travail avec les membres du gouvernement à Matignon 31/07/2024 DORIAN DELETTRE/SIPA

En dépit du fait que les ministres du gouvernement sont « démissionnaires », la gestion des affaires courantes a continué sans anicroche, ce qui invite à s’interroger sur l’utilité réelle des ministres. En tout cas, cette parenthèse olympique n’a rien fait pour donner aux Français plus de confiance par rapport à leurs dirigeants politiques. Le billet de Philippe Bilger.


Par provocation, tant par écrit qu’oralement, il m’est arrivé à plusieurs reprises de soutenir que deux ministères pourraient être supprimés parce que leur bureaucratie et leur inefficacité les rendent plus nuisibles qu’utiles : ceux de la Justice et de la Culture. Parce que l’élan et la liberté inventifs des pratiques du pays pallieraient aisément leur disparition. Au-delà de la saillie, j’étais persuadé qu’il y avait dans cette idée quelque chose à creuser. Je n’imaginais pas qu’un jour, à cause de la dissolution et de la procrastination due aux Jeux olympiques, on pourrait légitimement s’interroger sur l’importance ou non d’un pouvoir réduit à la gestion des affaires courantes.

Je ne crois pas qu’Eric Dupond-Moretti, en ayant jugé il y a quelques semaines cette période politique « passionnante », l’appréhendait de la même manière que moi. Il ne songeait probablement pas à sa propre éradication ès qualités ! Alors que durant les JO, la justice s’est modernisée sans lui ! (Le Figaro)

Je ne méconnais pas combien la situation des ministres doit être inconfortable en ce temps de vacances mais aussi d’attente et de tension qui les laisse totalement incertains de leur futur.

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Il n’empêche que de cette séquence démocratique si singulière – on dirait le pays politiquement à l’arrêt -, sans tomber dans la dérision m’est-il permis de tirer un enseignement un peu déprimant pour notre République et la sophistication de son organisation ? si les ministres avaient été en charge et en plein exercice, la France se porterait-elle mieux ? Considérer qu’aujourd’hui elle ne s’est pas radicalement dégradée avec des ministres vacants pourrait-il nous conduire à ne pas toujours tout attendre du pouvoir, avec cette incroyable naïveté française qui laisse espérer que chaque changement de gouvernement créera un choc positif et sortira comme par magie notre nation de ses difficultés et de sa régression ?

J’entends bien que, pendant que les ministres avaient l’arme au pied, l’administration immuable, consciencieuse et impartiale continuait à travailler et faisait tenir le pays en attendant le moment où le cours d’avant reprendrait son empire.

Philippe Bas avait conseillé au président de ne pas « ajouter de la procrastination à la dissolution » (Le Monde). Sa recommandation, à l’évidence, ne sera pas suivie puisque, si on en croit le JDD, le Premier ministre devrait être choisi après le 15 août et le gouvernement constitué à la fin du même mois.

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Dans tous les cas il est très dangereux de laisser perdurer cette zone imprécise et floue : elle risque d’aggraver le sentiment de défiance du citoyen à l’égard de la vie politique et de ceux qui détiennent le pouvoir.

Il ne faudrait pas que l’opinion dominante s’accordât sur ce constat que si les ministres n’existaient pas, il conviendrait de ne pas les inventer.

La volupté de l’humilité face aux champions…

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Novak Djokovic lors de la célébration de l'équipe olympique serbe, Belgrade, le 12 août 2024. Marko Metlas/BETAPHOTO/SIPA

Pour les spectateurs que nous sommes, la réussite des plus grands sportifs nous impose une modestie qui nous rappelle nos propres limites, mais nous invite à les dépasser, du moins dans notre esprit. Le regard de Philippe Bilger.


Les Jeux olympiques sont une formidable école de modestie.

Pas seulement pour les vaincus et il faut admirer la classe de ceux qui manquent la médaille d’or pour infiniment peu. Quatre années d’efforts et de sacrifices, et c’est un autre qui en récolte les fruits ! Avec quelle élégance les médaillés d’argent et de bronze prennent acte de leur défaite, avec quelle tenue les autres participants à la finale admettent leur infériorité et viennent saluer celui ou celle qui montera sur la plus haute marche du podium ! Pas la moindre aigreur, l’esprit sportif dans ce qu’il a de meilleur, à son comble…

Mais aussi, mais surtout, pour tous les amateurs, les passionnés de sport, les pratiquants comme les sportifs en chambre, pour tous ceux qui à un moment de leur vie ou tout au long de l’existence se sont adonnés à ces divertissements du quotidien, à ces activités que sont par exemple la natation, le tennis, le tennis de table, la course à pied…

Loin que la différence colossale avec les champions de ces disciplines nous altère le moral et nous fasse perdre la plupart de nos illusions, c’est l’inverse qui se produit.

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Moi qui ai un peu joué au tennis à partir de 18 ans, pouvoir admirer Novak Djokovic ou Carlos Alcaraz et prendre la mesure de l’immense écart entre eux et moi, entre eux et ceux qui sont mus par le désir tout simple de progresser dans le classement, engendre une délicieuse volupté, celle de l’humilité. Non pas une humilité qui serait imposée et subie mais une humilité qui paradoxalement vous rehausse. On sait qu’on pratique ce sport mais que des géants vous dominent et c’est doux, et c’est bien.

Que dire face aux incroyables exploits de Léon Marchand, comme un poisson dans l’eau, alors que même dans nos meilleurs moments, nous ne pesons rien, comparés à ce génie si familier avec l’élément liquide qu’il semble créer avec lui un duo quasiment surnaturel ?

J’ai éprouvé, me rappelant mes jeunes années au collège ou ailleurs quand pour passer le temps je jouais beaucoup au ping-pong, une sensation magique en voyant Félix Lebrun, âgé de 17 ans, mener des échanges à un train d’enfer, avec une sûreté, une précision et un talent hors norme. Nous avons en commun le tennis de table mais lui a en propre cette irréductible singularité qui me fait glisser avec bonheur dans la conscience de mon infirmité…

Ce n’est pas seulement cette idée banale qu’il y a, en sport comme ailleurs, le profane et les professionnels, les besogneux et les cracks mais bien davantage : la certitude que nous sommes fiers d’être ainsi dépassés, relégués par la jeunesse, par le miracle de dons nous laissant à des années-lumière, parce qu’ils sont eux et que nous ne sommes que nous !

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Je raffole de cette modestie qui survient comme une grâce. Celle par exemple qui me laisse ébahi, stupéfié par Félix Lebrun quand il permet à la France d’obtenir une médaille de bronze par équipe.

C’est à cause de cet enthousiasme que nous inspirent leurs exploits que nous sommes sans doute trop sévères avec eux quand ils nous déçoivent. La jouissance de pouvoir les porter aux nues, en nous réduisant, implique le sadisme de les rejeter, en les jugeant.

Même si peu que ce soit, on ne souhaite pas qu’ils se rapprochent de nous. Nous tenons à la volupté de l’humilité.

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