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Vertiges

Le personnage principal du dernier roman de Jean-Marc Parisis découvre qu’il va bientôt mourir…


Françoise Sagan écrit : « On ne sait jamais ce que le passé nous réserve ». Quand on lit le nouveau livre de Jean-Marc Parisis, Prescriptions, on se dit qu’elle a raison. Depuis la publication de son prémonitoire premier roman, La Mélancolie des fast-foods, paru en 1987, Parisis est devenu une figure incontournable de la littérature française contemporaine qui, reconnaissons-le, tourne en rond et finit par nous ennuyer. Ce qui n’est pas le cas ici. Outre le fait d’avoir du style, son dixième roman le prouve une nouvelle fois, Parisis ne cesse de nous étonner en se renouvelant en permanence.

Le personnage principal se nomme Pierre Vernier. Il dirige le service photo du journal « Le Nouveau » qui louvoie depuis quarante ans « entre allégeance au pouvoir et opposition parodique, quel que soit le pouvoir, quelle que soit l’opposition », précise Parisis avec une ironie toute voltairienne. Son regard n’est pas celui d’un écrivain qui se couche face à la bien-pensance. N’oublions pas qu’il a préfacé la réédition de l’essai La mort de L.-F. Céline, de l’infréquentable Dominique de Roux. Vernier est victime d’un sérieux malaise, terrassé par une migraine. Il consulte un neurologue. Le verdict est sans appel : il souffre d’une maladie auto-immune dégénérative, répertoriée sous le nom de Pabst-Thomas, son découvreur. Espérance de vie : quelques mois avant un AVC, voire un infarctus. Un médicament pour retarder la mort et mettre un peu d’ordre dans une vie foutue : le Tonzidium. L’homme en blouse blanche ne peut se tromper, car il détient le savoir. À partir de là, le roman s’accélère, mais pas comme on pourrait s’y attendre. Deux femmes, le jour du verdict médical, se rappellent à Vernier. Le lecteur est entraîné dans une vertigineuse histoire où le mystère s’intensifie. Le passé de Vernier ressurgit et l’enquête commence. On glisse dans un roman teinté de noir. Normal, car cet homme apparemment tranquille est un grand lecteur de Dashiell Hammett. Et puis un autre personnage aide à entrer dans les zones obscures de l’existence. Il se nomme Serge Tassel ; c’est un ancien grand reporter de guerre, un vrai baroudeur, avec soixante ans de carrière sur son front balafré. Il peut faire sauter la République. « Tu as vécu comme on ne vivra plus » lâche Vernier.

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Sur les Gnossiennes de Satie, dont les doigts « apportaient l’oubli des choses vécues et les souvenirs d’une vie à vivre », le lecteur va se retrouver à Montreuil dans une rue qui s’achève sur une maison éventrée. Le puzzle se reconstitue, malgré la migraine diagnostiquée mortelle par l’homme en blouse blanche. Mais la réalité correspond-elle à la réalité ? L’écrivain, ce démiurge, donne à voir ce qu’il imagine. Ou plus exactement, comme l’écrit Parisis, au sommet de son art, « on devinait les choses plus qu’on ne les voyait ».

Ce roman original, débarrassé du gras, n’est pas sans rappeler la méthode expérimentée par Alain Robbe-Grillet, dynamiteur des conventions romanesques, notamment dans son court récit Djinn, qui consiste à refuser de reproduire toute signification du monde faite à l’avance. Il convient, au contraire, de l’inventer sans cesse. Cela se nomme la liberté de l’artiste.

Jean-Marc Parisis, Prescriptions, Stock 234 pages.

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Elon Musk, les « Messieurs propres » et nous

Macronie et gauches réunies ont effacé l’expression de l’exaspération française. Le RN s’est vu privé des postes qui lui revenaient à l’Assemblée et l’indésirable droite a assisté au tour de passe-passe qui a permis la réélection de Yaël Braun-Pivet au perchoir. Si l’on veut nommer la chose, c’est un déni de la démocratie.


Elon Musk n’aurait pas dû. Répliquant, le 12 août, à une injonction du commissaire Thierry Breton qui le sommait de se plier au nouveau code de modération européenne sur son réseau X (ex-Twitter), le milliardaire a envoyé paître le pandore de la pensée autorisée. S’appropriant une réplique de Tom Cruise dans Tonnerre sous les tropiques, Musk a posté : « First, take a big step back and literally fuck your own face ! » (« Tout d’abord, faites un grand pas en arrière et littéralement baisez votre propre visage ! »). Bref, il a dit à Breton : « Va te faire foutre ! » Musk n’aurait pas dû. Pourtant, il se pourrait que des Français à leur tour, excédés d’être rappelés à l’ordre par les Messieurs Propres d’un système qui se déglingue et se cabre, n’aient plus envie non plus de se taire. Les atteintes à la liberté d’expression, soumise aux censures des clercs d’en haut et aux oukases des minorités d’en bas, sont devenues folles. « Les gens ordinaires en ont marre de se faire donner des leçons par des tartuffes », analyse Christophe Guilluy (L’Express, 10 juillet). Le géographe voit s’aggraver le choc entre métropoles privilégiées et périphéries délaissées, entre Métropolia et Périphéria. Mon camp reste sans réserve celui de Périphéria. Ces mal-aimés sont appelés par l’histoire. Ils ont à récupérer leur place, confisquée par une caste d’eunuques prosélytes, brutaux faute d’être convaincants.

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Gérald Darmanin aurait-il pressenti la force explosive de cette colère populaire encore partiellement enfouie ? À peine était-il devenu membre d’un gouvernement démissionnaire après l’échec de son camp aux législatives que le premier flic de France se précipitait devant les caméras, col ouvert, pour théoriser son « sans-cravatisme », avatar boulevardier du sans-culottisme révolutionnaire. Dans le JDD du 21 juillet, le révolté de la 25e heure expliquait ainsi son rejet de la cravate : « Ce bout de tissu est devenu pour beaucoup de Français le symbole d’une élite à laquelle ils ne s’identifient plus au point parfois de la haïr. L’élite a fait sécession depuis plusieurs années. » Rien de faux dans cette analyse de la rupture, faite par d’autres depuis des décennies. Sauf que Darmanin, depuis, s’est gardé de protester contre les assauts clabaudeurs de son gouvernement contre les électeurs coupables de voter RN ou LFI. Quand une part importante de la classe moyenne est exclue du cercle politique par des partis désavoués par les urnes, qu’est-ce d’autre qu’un déni de démocratie ? La météo politique s’annonce, dès septembre, tempétueuse. Le vieux monde a entamé sa chute.

Le mur qui sépare les élus des réprouvés ne peut que s’effondrer si la classe politique persiste à ne rien comprendre du dégoût qu’elle suscite auprès de ceux qu’elle rejette. Enlever sa cravate en guise de contrition est un artifice grossier. La peur du peuple, quand ce dernier n’obéit plus aux culpabilisations morales des « élites » mondialistes et immigrationnistes, est à la source des fautes accumulées, depuis les gilets jaunes, par le pouvoir arrogant et inquiet. Emmanuel Macron, plutôt que d’analyser sa déroute, a voulu voir sa victoire personnelle dans l’échec relatif, le 7 juillet, de Jordan Bardella à l’issue du second tour des législatives. Depuis, observer l’acharnement que met l’Élysée et ses relais à tenter d’ensevelir, jusqu’à l’étouffement, la montée de l’électorat RN-Ciotti fait penser à cette réflexion de Marx à Engels, dans une lettre de 1870, à propos des répressions de 1793 : « La Terreur, c’est la bourgeoisie qui a chié dans ses culottes[1]. » Toute proportion gardée, une même trouille de perdre son hégémonie pousse l’ancien monde morbifique à persécuter la droite populaire et réactive, qualifiée d’« extrême droite » pour mieux la noyer. Il y a, oui, une pente fascistoïde en France. Mais elle s’observe dans le « progressisme » aux abois, prêt à tous les coups bas pour survivre.

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Ainsi, le jeu de l’été a été, pour l’État en sursis, de faire disparaître l’expression de l’exaspération française, vue comme une humeur peccante. Premier parti de France, le RN s’est tout d’abord vu privé, par l’Assemblée liguée, de postes qui lui revenaient par l’usage (deux vice-présidences, un poste de questeur). Puis l’indésirable droite a assisté au tour de passe-passe de ministres-députés qui ont fait réélire Yaël Braun-Pivet à la présidence de l’Assemblée en dépit de la séparation des pouvoirs qui aurait dû les empêcher de voter. Les damnés de la Macronie ont entendu le Premier ministre fantôme, Gabriel Attal, appeler le 13 août à un « pacte d’action pour la France », excluant le RN et LFI, soit près de la moitié de l’électorat. Entre-temps, les téléspectateurs coupables de suivre C8 et NRJ 12 ont appris, le 24 juillet, sous les hourras de la gauche, que l’Arcom avait décidé de ne pas renouveler les fréquences de ces chaînes trop populaires. Le 27 juillet, les médias ont salué à l’unanimité la « grandiose » (Ouest France, Libération) et « époustouflante » (Le Parisien) cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques transformée ici et là en propagande pour l’homme nouveau, universel et métissé. L’obsession d’une poignée de militants de gauche adoubés par le gouvernement a été d’y concevoir un « anti-Puy du Fou » aux fins d’enrager les conservateurs. Tout ceci en violation de l’article 50-02 de la charte olympique du CIO : « Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique. »

Devant ces coups de force d’un camp du Bien enragé, les questions qui se posent sont celles-ci : les ruraux dans la mistoufle, sensibles « à la nostalgie des pays labourés » (Jules Renard), sauront-ils réagir et se défendre ? Périphéria aura-t-elle la force mentale qui, seule, lui permettra de se libérer de la pression idéologique des déracineurs en perdition, qui ont mobilisé propagandistes et lyncheurs pour tenter d’assurer leur pérennité par la schlague, quitte à piétiner la démocratie ? Les parias sauront-ils chasser leurs maltraitants ? Oseront-ils la (regrettable) grossièreté de Musk ? Pour eux, il n’est plus l’heure d’être polis.


[1] Cité par Jean Meyer, en préface de Le Génocide franco-français : la Vendée-Vengé, de Reynald Secher, PUF, 2001.

Rentrée littéraire: le bel avenir du passé

Effet de mode ou signe du temps, nombre de romanciers ont plongé leur plume dans l’histoire, la grande comme la petite, et choisi comme héros des personnages célèbres ou méconnus. Autant d’ouvrages qui redonnent vie au passé.


En France, la rentrée littéraire commence toujours par des chiffres. Celui des parutions – en attendant celui des ventes. En ce mois de septembre, 459 romans s’empilent sur les tables des libraires. Et si on s’intéresse aux détails, ce sont 311 romans français, dont 68 premiers romans, et 148 romans étrangers. L’offre a beau décliner depuis une dizaine d’années, elle reste abondante.

Dans cette moisson, il est notamment question de familles, de fratries et de menaces environnementales. Mais ce qui nous a frappés, c’est le nombre de personnages littéraires ou historiques, célèbres ou oubliés, qui ont inspiré nos écrivains. Le passé est un matériau à jamais malléable pour toute imagination inspirée – et documentée.

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Ainsi nous est-il possible de suivre l’ultime passion de Marguerite Yourcenar pour un photographe américain, Jerry Wilson, de 46 ans son cadet (Un autre m’attend ailleurs, Christophe Bigot, La Martinière) ; d’assister à la rencontre méconnue entre Dalí, Zweig et Freud (Le Sentiment des crépuscules, Clémence Boulouque, Robert Laffont) ; de recroiser le père de la psychanalyse à travers Anna, sa fille de chair (Les Sept Maisons d’Anna Freud, Isabelle Pandazopoulos, Actes Sud) ; de découvrir l’existence d’Émile Coué, obscur pharmacien inventeur d’une méthode promise à un bel avenir (La Vie meilleure, Étienne Kern, Gallimard) ; ou d’accompagner Hemingway dans ses derniers jours (Il ne rêvait plus que de paysages et de lions au bord de la mer, Gérard de Cortanze, Albin Michel).

La liberté de l’écrivain maître du temps, maître de l’histoire, se retrouve chez Thierry Thomas, lorsqu’il fait revivre le quartier Saint-Lazare en 1916, quand Georges Feydeau, qui habite l’Hôtel Terminus, y rencontre une jeune veuve de guerre… (Feydeau s’en va, Albin Michel) ; Olivier Guez n’hésite pas à enfourcher un chameau pour suivre Gertrude Bell dans les sables d’Orient (Mesopotamia, Grasset) ; et Thierry Clermont explore une splendide mais sinistre Lituanie pour y croiser Brodsky, Leonard Cohen et Romain Gary (Vilna tango, Stock). L’ombre de la Shoah plane également sur les rapports mystérieux entre Hitler et Albert Speer, son architecte et ministre de l’Armement qui échappe habilement à l’exécution (Vous êtes l’amour malheureux du Führer, Jean-Noël Orengo, Grasset). Sébastien Lapaque choisit lui la lumière, celle de la foi et des tropiques, en retraçant l’engagement de Bernanos exilé au Brésil dès les accords de Munich (Échec et mat au paradis, Actes Sud) ; quant à Guillaume Perilhou, il nous confronte au trouble de la beauté à travers le destin de Björn, ce jeune Suédois devenu Tadzio sous la direction de Visconti dans Mort à Venise (La Couronne du serpent, L’Observatoire).

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Que de monde ! Dans cette galerie de portraits d’ombres tutélaires, il a fallu faire un choix. Mais il fut rapide : Alexandra Lemasson et Vincent Roy ont eu chacun un coup de foudre pour un ouvrage dont la profondeur du sujet le dispute à la beauté du style. Retrouvez leurs articles dans notre dernier numéro : https://kiosque-numerique.causeur.fr/


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L’été de Pavese

Cesare Pavese s’est suicidé en août 1950, à Turin. Auparavant, il a visité ses amis et les villes qu’il aimait. Dans Hotel Roma, Pierre Adrian parcourt à son tour cette Italie estivale en effleurant délicatement la noirceur de son modèle.


Ce n’est pas sans appréhension qu’on ouvre Hotel Roma, le nouveau livre de Pierre Adrian, consacré à Cesare Pavese. Comme si la tristesse de l’écrivain italien, sa noirceur, son pessimisme, son perpétuel état dépressif étaient susceptibles de nous contaminer. On a tôt fait d’être rassuré. Certes, le livre s’ouvre sur son suicide. Nous sommes en août 1950, le 27. Dans la chambre 49 de l’Hotel Roma, l’écrivain est découvert sans vie sur son lit. Sur le bureau, sept paquets de cigarettes, une dose mortelle de somnifères, un verre d’eau et un livre, Dialogues avec Leuco, sur la première page duquel il a écrit : « Je pardonne à tous et à tous je demande pardon. Ça va ? Pas trop de bavardages. » Deux mois plus tôt, l’auteur du Métier de vivre avait reçu le prestigieux prix Strega. Puis il était allé visiter des amis dans leurs lieux de villégiature. C’était l’été. Ces derniers étaient loin de se douter qu’ils ne le reverraient jamais.

Avant Cesare Pavese, Pierre Adrian a publié un livre sur Pier Paolo Pasolini, puis l’idée s’est imposée de partir sur les traces de l’auteur du Bel Été. Un voyage littéraire qui en cache un autre. Amoureux cette fois. C’est en effet à Turin, ville où Pavese s’est donné la mort, que Pierre Adrian retrouve celle qu’il appelle « la fille à la peau mate ». Elle est parisienne. Il vit à Rome. Turin abrite leur amour à mi-chemin. Ensemble ils sillonnent l’Italie à l’affût des adresses de l’écrivain. Santo Stefano Belbo où il vit le jour. Reggio de Calabre où il passa sept mois d’exil. Brancaleone où il écrivit Le Métier de vivre. Mais aussi ses restaurants, ses cafés, sa librairie. C’est toute la lumière et la douceur de l’Italie que l’auteur fait revivre en ces pages. Son amoureuse y est sensible comme lui et finit par partager sa passion pour Pavese. On ne choisit jamais un auteur par hasard. De même que son compagnonnage n’est jamais fortuit. « Piémontais ténébreux, dur, laconique, sentencieux, Pavese était l’ami cher qui glissait ses petites considérations l’air de rien comme des cailloux dans la chaussure. » Pierre Adrian se surprend, au fil des jours, à marcher comme lui. Un peu voûté, les mains croisées dans le dos. Mais ce n’est rien à côté de l’acteur italien Luigi Vannucchi, dont il rappelle qu’il avait lu et joué des textes de l’auteur de Travailler fatigue et poussé l’identification jusqu’à se suicider, comme lui, au cœur de l’été. On a dit de Pavese qu’il était laid, impuissant, complexé et misogyne. Une chose est sûre : les femmes furent le grand drame de sa vie. « Elles finissaient par le quitter parce qu’il les ennuyait avec ses livres et sa tristesse. Repoussé par lui-même, il en dégoûtait aussi les autres. » D’une empathie communicative, le livre de Pierre Adrian est écrit dans une langue magnifique. Aussi lumineux que mélancolique, il ne donne qu’une envie : lire et relire Pavese.

Pierre Adrian, Hôtel Roma, Gallimard, 2024.

Et maintenant, quel gouvernement?

Après les piques déplacées adressées lors de la passation de pouvoir par Gabriel Attal jeudi soir, Michel Barnier doit désormais composer une nouvelle équipe pour gouverner la France. Il a déjà choisi son directeur de cabinet, Jérôme Fournel, lequel s’entend parfaitement avec le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler, et travaillait jusqu’alors pour Bruno Le Maire – Matignon assure que contrairement au précédent gouvernement, il n’entend évidemment pas se faire dicter la moindre nomination par le Palais.


On a enfin un Premier ministre : Michel Barnier. Ce n’est pas parce qu’on a échappé à Lucie Castets que les choses vont être simples pour le premier qui va se trouver dans le registre d’une cohabitation qu’on espère respectueuse – pas de doute avec Michel Barnier – mais ferme, avec un président de la République défait qui nous a fait languir au-delà de toute mesure. On nous annonce que les fils ont déjà commencé à être coupés avec Matignon. Tant mieux. Comme les citoyens n’ont pas voix au chapitre pour la composition du gouvernement – un travail d’Hercule mêlé de finesse pour Barnier -, ils ont au moins le droit de dire tout ce qu’il ne faudra pas faire au regard des expériences précédentes. D’abord une adéquation entre les compétences et les fonctions. Ce qui est une évidence. Mais si peu concrétisée quand on songe à beaucoup d’incuries passées. Ensuite ne pas nommer un ministre qui dans sa vie antérieure a été en permanence en opposition, voire plus, avec le milieu dont on s’apprête à lui confier la charge. Il sera sans doute possible par exemple de choisir un ministre de la Justice qui n’a pas détesté la magistrature avant ! Il conviendra par ailleurs – Michel Barnier me rassure tout à fait sur ce plan – de ne pas promouvoir quelqu’un pour « faire un coup », par provocation, par humeur, pour se faire valoir soi, au lieu de songer à l’intérêt de la France. Et de grâce, qu’on ne laisse pas les proches, qui n’y connaissent rien, influencer pour le pire. La catastrophe qui consisterait, après un excellent ministre, à choisir, par incohérence ou légèreté, son contraire à tous points de vue, sera évitée. On ne fait pas suivre un Blanquer par Pap Ndiaye ni Gabriel Attal par Nicole Belloubet !

Ce n’est pas parce qu’ils sont discrets que les ministres sont forcément compétents

De plus il conviendra d’écarter les ambitieux obsessionnels qui n’apporteront aucune valeur ajoutée, sinon leur envie de créer un désordre gouvernemental et la zizanie entre les ministres. Mais le partage sera parfois difficile à effectuer. Prenons l’exemple de Rachida Dati. On ne peut nier son appétence pour le pouvoir, celui qu’elle a ne lui suffisant jamais. Elle a eu tort récemment de donner, elle, des leçons illégitimes et intempestives à Édouard Philippe et à Jean-Michel Blanquer. Mais il n’empêche que malgré sa part d’ombre qui n’est pas mince, elle a étonné dans sa gestion de la culture, la sortant de l’élitisme snobinard pour lui donner une véritable assise populaire détachée du parisianisme. Ministre, elle a été plus forte, avec ses œuvres, que ses manœuvres et ses éclats qui sont la rançon de son éclatante personnalité.

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Il ne faudra pas confondre également les ministres qui ne parlent jamais avec des professionnels qui travailleraient forcément d’arrache-pied ! De la même manière que certains infiniment médiatisés n’ont plus le temps pour autre chose ou ont au contraire une puissance de travail considérable.
Un ministre peut se tromper de bonne foi. Ce n’est pas grave. Cela le devient quand il n’a pas la modestie de le reconnaître. Il doit avoir l’orgueil de sa fonction, jamais de son personnage.

Un gouvernement qui devra mettre fin à la bordelisation du parlement

Ce serait dangereux de projeter dans la lumière des incultes, des grossiers, étrangers à toute courtoisie notamment parlementaire et au respect de tous les députés élus démocratiquement. Ils devront user de la langue française correctement, voire avec aisance. Les questions au gouvernement ne seront plus pour lui ce qu’elles ont été parfois : un exercice de haine et de mépris. Quelle que soit l’opinion du citoyen, ses convictions, on aura à cœur de lui permettre d’être fier de ses ministres au gré des alternances politiques. Cela dépendra d’eux. Il serait déprimant de retrouver un gouvernement trop proche de celui dont on ne veut plus. La majorité des ministres devra se faire une raison. Michel Barnier n’a pas besoin de mes conseils. Je ne voudrais pas être comme Gabriel Attal, le 5 septembre au soir, à son égard. Mais je ne serais pas choqué si Rachida Dati et Gérald Darmanin – il s’est multiplié pour sauver le régalien du naufrage – demeuraient et je ferais évidemment entrer au gouvernement Philippe Juvin, à la Santé ou ailleurs. Pour le reste, bon courage à Premier ministre. Mais qu’il fasse vite : notre patience est à bout !

Rentrée en musique à Radio France

Si la petite musique politique des stations qu’elle abrite en agace plus d’un, les grands concerts de musique classique de la rentrée, à l’Auditorium de la Maison de la radio, sont à ne pas manquer. Brahms, Debussy, Elsa Barraine, Richard Strauss, Berlioz… Demandez le programme.


Le nom d’Elsa Barraine ne vous dit rien ? Dommage. Alors je vous conseille, toutes affaires cessantes, de filer au concert d’ouverture de la saison, à l’Auditorium de Radio France, ce jeudi 12 septembre. C’est à 20h. Avec la violoniste Julia Fisher qui interprétera le Concerto pour violon de Brahms. Au programme également, les Images pour orchestre, de Debussy. Et justement… la Symphonie n°2 d’Elsa Barraine.

Retransmission en direct sur France Musique et sur Arte-Concert

Fille d’un violoniste et d’une voix chorale, élève dans la classe de composition de Charles-Marie Widor puis de Paul Dukas (dont elle se fera un ami), Elsa Barraine (1910-1999) obtient le prestigieux Prix de Rome à 19 ans à peine, pour une cantate : La Vierge guerrière -vous aurez reconnu Jeanne d’Arc – sur un poème d’Armand Foucher. Les accords de Munich poussent Elsa Barraine, également pianiste et chef d’orchestre, à adhérer au parti communiste. Entrée en Résistance sous le nom de Catherine Bonnard, elle deviendra, après-guerre, critique musical pour L’Humanité, entre autres. Elle a la bonne idée de rompre avec le Parti dès 1949.

On doit à Elsa Barraine quantité de musiques de films, mais aussi de scène – de Jean Grémillon à Jean-Louis Barrault, en passant par Jacques Demy. Elle continue d’enseigner avant d’intégrer le ministère de la Culture comme inspectrice des théâtres lyriques. Elle est aussi la compositrice de Quatre chants juifs (1937), d’un ballet sur la Chanson du Mal-Aimé (1959), de plusieurs cantates : Cantate du vendredi saint (1955) ou encore celle baptisée Les Paysans, sur un poème d’André Frénaud (1958)… En 1967, Elsa Barraine signe une Musique rituelle pour orgue gong, tam-tam et xylorimba ! Percutant, non ?

À noter que le concert de jeudi – à la baguette, Cristian Macelaru, le directeur musical de l’Orchestre national de France – est diffusé le soir même en direct sur France-Musique et sur Arte Concert.

Des notes slaves pour terminer

Le programme de rentrée des formations musicales de Radio-France se poursuit ce vendredi 13 sous les auspices de l’Orchestre Philharmonique de Radio France et du chef finlandais Mikko Franck, avec les Nuits d’été (Berlioz), chantées par la mezzo Lea Desandre, et l’immortelle Symphonie alpestre (Richard Strauss). En clôture, une création mondiale :  le Gouffre de l’aurore – joli titre –, une œuvre de la prolifique Tatiana Probst (Pour mémoire, Tatiana Probst, née dans le sérail en 1987, à la fois pianiste, compositrice, comédienne et soprano, est la petite-fille de Gisèle Casadesus et de Lucien Pascal, et la nièce de Jean-Claude Casadesus).

Pour finir cette semaine musicalement bien chargée, RDV ce dimanche à 16h pour un concert choral – Lionel Sow au pupitre – sous le signe de la culture slave, avec Tchaïkovski et Rachmaninov en vedettes, autour desquels gravitent quelques astres de moindre scintillement, tels Diletsky, Bortnianski, Penderecki ou Alexander Kastalsky.

Détails et réservations sur : https://www.maisondelaradioetdelamusique.fr

Une certaine idée de l’offense

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7 septembre : Michel Barnier, nouveau Premier ministre, planche sur la composition de son futur gouvernement… Mélenchon et LFI, de leur côté, sont dans la rue… Le putsch des généreux ? s’amuse notre contributeur


 « Le mensonge, chez nous, cherche de moins en moins à être cru. On fausse les indices, les comptes, les prix, les changes, mais tout le monde le sait. L’imposture triomphante n’a plus pour objet de faire illusion, mais de respecter un certain code de convenances, qui d’ailleurs n’est formulé nulle part. Le ministre joue son rôle dans un scénario dont il n’est pas l’auteur. Les politiques français peuvent ne pas se soucier du fait, parce qu’au départ, ils ne s’attendaient pas trop à ce qu’il confirmât leurs idées. Les erreurs les plus flagrantes les disqualifient rarement, aux yeux des autres et aux leurs propres, pourvu qu’ils résistent à la tentation de les avouer. Aussi, quand la France rêve, il faut de bien grands malheurs pour la réveiller » (Emmanuel Berl, La France irréelle). Le réveil est douloureux.

Combiné alpin

Fini les Marseillaise, les médailles, tableaux grandioses d’orgies romaines, inclusives, tous nus et tous bronzés, en ouverture, clôture, mondiovisions. Maître des horloges façon Harold Lloyd, Guy Lux arbitrant les duels de vachettes dans la méga-bassine savonneuse du Palais-Bourbon, Emmanuel Macron a cherché tout l’été une chèvre de Monsieur Seguin, un mouton à cinq pattes.

Au terme de sept semaines de ruses et tromperies, au fond du huitième cercle de l’Enfer et ses dix fosses de Mormons, d’adulateurs, ruffians, concussionnaires, le président a harponné un Premier ministre savoyard, auréolé d’un label mystérieux, œcuménique, « gaulliste social ». Le combiné alpin, une épreuve de descente et de slalom, réussit aux compétiteurs polyvalents. Michel Barnier connait la musique. Il veut « des changements et des ruptures… répondre aux défis, aux colères, au sentiment d’abandon et d’injustice… constituer un gouvernement de rassemblement au service du pays ». Le changement dans la continuité et réciproquement… Jusque-là tout va bien.

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Pour former son gouvernement, ramasser et ressouder les tronçons du glaive, le Premier ministre peut compter sur une cordelle d’insubmersibles naufrageurs qui, depuis des décennies, ont fait don de la France à leurs personnes. Aventurières de la Culture ; intermittents de l’Education nationale ; gardes des Sceaux sur écoute ; Grands chambellans du spread, des assignats et de la banqueroute ; Pap Ndiaye, Amélie Oudéa-Castéra et Nicole Belloubet déguisés en Jules Fait.rire ; Ségolène Royal, Bonemine thaumaturge… Les ministres et conseillers démissionnaires, qui ont vendu tous ceux qui les ont achetés, monnaient leurs carnets d’adresses, un ralliement contre un soutien, un parachutage dans le Vercors, un fromage. Il ne faut pas bêcher l’élite. Ne pas rater le dernier strapontin du dernier TGV « Paris-Les Arcs républicains ». Rachida Dati adore la Raclette et l’Abondance. Gérald Darmanin est un fondu de Reblochon. Hervé Morin, chamois d’or. Éric Dupond-Moretti a plaidé à Bonneville.

Perette et le pot aux roses

À gauche, les Augustes, ratels insoumis, Jean-Luc Mélenchon, Lucie Castets, enragent. « Au voleur ! au voleur ! Justice, juste ciel ! je suis assassiné ; on m’a dérobé mon élection ; Allons, vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences, et des bourreaux ! ». Gros-Jean comme devant, Faure, Boyard et Hollande ont perdu, à l’insu de leur plein gré, la partie de poker menteur. Adieu, veau, vache, cochon, couvée et PS maître de l’échiquier… Tu me fends le cœur ! Fabien Roussel, alias Super Résistant, dénonce le coup de farce, et prépare 2027. Nul n’est jamais assez fort pour ce calcul. « La démocratie est salie. Le peuple de France est bâillonné. La République est menacée. Nous appelons à l’union du peuple de France. Partout, devant les préfectures, dans les villes, unissons nos forces. Pour la liberté, pour les salaires, pour nos services publics » … A pied, à cheval, en voiture ou en trottinette électrique. Le putsch des généreux.

Michel Barnier est-il otage du Rassemblement national ? Dans leur roue de gruyère du 116 avenue du Président-Kennedy, les journalistes de Radio France, diversocrates du service public, sont sur le qui-vive. Ils reniflent le nauséabond. Ils éclairent la notion. Ils ont fait de la philo, de la socio, jouent au bonneteau avec les déterminismes, les champs, les schèmes, cognitifs, classificatoires. Comme Jacques Vabre achetant le café dans les publicités des années 80, ils séparent l’ivraie populiste, illibéral, du bon grain progressiste. « Il faut planter les caféiers tout là-haut, sur les hauts plateaux [télés], car l’air est plus pur et le soleil plus fort. Et c’est ça qui donne au café tout son arôme. Bien sûr, c’est plus fatiguant d’aller là-haut. Mais les gringos [de France Inter], eux, ils vont les voir, les caféiers ». Colegiala, colegiala !

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Le camp du progrès a de nobles idéaux (sauver la planète, jouir sans entraves, de la thune), des angoisses (l’extrême droite, le travail, la précarité menstruelle), des obsessions (les races, la déconstruction, la censure, l’inclusion), des coupables (l’Occident, les blancs, le patriarcat). On croit ce qu’on désire. En théorie, tout se passe bien. Hélas, l’émancipation des genres humains, le tout à l’égo, le droit à la morale et le mélange du gratin et des nouilles, ne vont pas de soi.

Les incantations, vœux pieux, mantras magnanimes sur le dialogue, le consensus et les indispensables compromis, portent à faux. Plus personne n’attend quoi que ce soit des politiques et, plus grave, de la politique. La récente enquête Ipsos post législatives confirme ce profond désenchantement. 85% des électeurs ont un état d’esprit négatif. Malaise ? Malentendu ? Malédiction ?

La défiance mortifère qui gangrène notre démocratie cessera lorsque les ministres, les candidats, ne se contenteront plus de petites phrases, postures, promesses démagogiques, lorsqu’ils feront passer leurs ambitions personnelles après les intérêts supérieurs de la nation. Le pays est miné par un surendettement abyssal, un écroulement éducatif, culturel, une insécurité, le chaos migratoire, plus récemment, la crétinisation et vampirisation du temps de cerveau disponible par les rézzous sociaux. Depuis deux générations, rien n’y fait, rien n’est fait. Le reste, c’est de la mandoline.

Le cardinal Charles II de Bourbon a une devise stoïque : « N’espoir ne peur ».

L’impossibilité d’une île

Yasser al-Habib ne pourra finalement pas préparer « la domination civilisationnelle chiite » de l’Occident depuis l’île de Torsa, à l’ouest de l’Écosse.


Au registre des séparatistes musulmans prompts à abuser du droit d’asile occidental, Yasser al-Habib est un cas d’école. Voilà une quinzaine d’années, ce prédicateur chiite koweïtien s’est installé au Royaume-Uni, où le statut de réfugié lui a été reconnu en raison de la persécution judiciaire qu’il subissait dans son pays pour avoir exprimé des positions théologiques dissidentes. En 2003, le quadragénaire avait déclaré publiquement qu’Aïcha, la plus jeune épouse de Mahomet, était une « ennemie de Dieu ». Un grave blasphème aux yeux de la plupart des autorités religieuses du monde islamique. Qui a valu à son auteur dix ans de prison par contumace au Koweït, assortis d’une déchéance de nationalité. Depuis, al-Habib vit exilé dans le village de Fulmer, à 30 kilomètres de Londres, où il a ouvert une mosquée fondamentaliste, créé une chaîne télévision et même tenté une aventure dans le cinéma en produisant récemment un long-métrage sur la vie de Fatima, la fille de Mahomet. Las, le film n’a pas rencontré son public… Comment rebondir après ce cuisant échec ? En prenant possession d’une île écossaise !

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L’année dernière, al-Habib a lancé une souscription pour racheter l’île privée de Torsa (« l’île de Thor » en vieux norrois, langue scandinave médiévale), sur la côte ouest de l’Écosse, mise en vente pour 1,5 million de livres sterling. Son projet : permettre à ses fidèles « de s’installer à un endroit spécial en Occident » et d’y préparer « la domination civilisationnelle chiite ». Trois millions de livres sterling ont été récoltées dans le cadre de la levée de fonds. De quoi construire, sur ce territoire grand comme un quartier parisien, une école, un centre médical et même un camp d’entraînement pour une milice privée. Patatras. Face à la levée de boucliers des médias et des politiques locaux, les vendeurs ont fait savoir cet été qu’ils refusaient l’offre d’al-Habib. « Ils souhaitent que l’on continue de vivre sur leur propriété comme leur famille l’a fait durant des générations », a justifié l’agence immobilière en charge du mandat. Comment dit-on « continuité historique » en vieux norrois ?

« Houris », de Kamel Daoud: le grand roman de la «décennie noire» (1990-2000)

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La loi de Réconciliation nationale, citée par Kamel Daoud en exergue de son roman, punit d’un emprisonnement de trois à cinq ans « quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise et instrumentalise les blessures de la tragédie nationale… » Autant dire que le romancier de Meursault : contre-enquête (2013) est désormais tricard dans son propre pays. Peut-être l’obtention du Goncourt — un pari de notre chroniqueur — et la certitude d’avoir écrit un grand livre le consoleront de cet exil imposé.


Notre collaborateur Jean-Paul Brighelli vient parallèlement de publier L’école sous emprise, dont Céline Pina rend compte ici NDLR

En 1994, j’enseignais au lycée de Corbeil-Essonnes, mère de toutes les ZEP, coincé entre la cité (maghrébine) des Tarterêts et celle de Mauconseil, bastion majoritairement africain. Un jour, un élève de Première pas très intelligent lança, en plein cours : « Moi, j’suis au GIA, M’sieur ! » « Eh bien, nous savions tous que tu étais un crétin, nous savons désormais que tu es aussi un futur assassin. »
Le Groupement Islamique Armé était la plus radicale des factions qui se disputaient alors l’Algérie, après la dissolution du Front Islamique du Salut, qui avait inopportunément remporté les élections de 1990. Les « Tangos » (les moudjahidines islamiques) et les « Charlie » (l’armée algérienne, tout aussi portée aux exactions) se disputèrent pendant dix ans, à grands coups de massacres, le territoire et le pouvoir. 200, 300, 500 000 morts ? Aucun bilan n’a réellement été tiré de ces dix ans d’horreurs, que Kamel Daoud s’emploie à ressusciter en passant par la voix d’une femme qui parle au fœtus dont elle hésite à se débarrasser.

(Comment, un homme qui parle au féminin ? N’a-t-il pas honte de procéder à une appropriation pareille ? Non — d’autant qu’il le fait à la perfection).

Les lois algériennes sur l’avortement sont parmi les plus restrictives au monde. De très nombreuses femmes avaient été violées par les combattants de ces années noires — mais l’Assemblée nationale refusa d’inscrire le viol parmi les motifs autorisés d’avortement. Quand on veut conquérir le monde avec le ventre de ses femmes, on fait feu de tout zob.

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Aube / Fajr, « coincée entre l’envie de te tuer et celle de te parler sans fin », parle donc au petit amas de cellules dont elle peut encore se débarrasser. Elle lui raconte comment elle en est arrivée à vivre avec une canule plantée dans ce qu’il lui reste de larynx : un soldat d’Allah a bien tenté de lui trancher la gorge, comme à sa sœur, mais l’a partiellement ratée. Elle avait alors cinq ou six ans, on l’a rafistolée comme on a pu, avec un barbelé dessiné sur sa gorge. Elle arbore ce sourire kabyle (« le sourire n’a pas de dents, juste des points de suture, une quinzaine ; c’est une longue grimace, une balafre ahurissante ») et parle d’une voix feutrée, car ses cordes vocales aussi ont été partiellement coupées. Une manie, chez ces bons apôtres, que l’usage inconsidéré du couteau : « L’année où est né mon « sourire », par exemple, on avait égorgé plus d’hommes que de moutons. »
Projet insensé que le sien : « Comment te dire la guerre, dit-elle à sa fille-en-devenir, sans te salir ou te montrer des monstres et te les mettre dans la bouche, un par un, pour te les faire mâcher et avaler ? »
C’est justement là le projet de ce livre terrible. « Ici, il ne reste rien de la guerre que les égorgeurs de Dieu ont menée il y a quelques années. Rien que moi, avec ma longue histoire qui s’enroule et se déroule, t’enveloppant comme une corde nourricière. C’est ce qui rend les gens si nerveux autour de moi quand ils me croisent au bas de l’immeuble. Peut-être qu’ils se doutent que, par le trou de ma gorge, ce sont les centaines de milliers de morts de la guerre civile algérienne qui les toisent. »

Les houris sont les créatures éternellement vierges que la tradition coranique promet aux vrais croyants après leur mort. 72 en général, mais selon les versions, ça peut aller jusqu’à 5000.
C’est curieux, cette manie des vierges, dans l’islam. Être le premier, être le seul. Faut-il croire Trevanian, qui dans Shibumi affirme : « La virginité est capitale pour les Arabes, qui craignent avec raison les comparaisons. » Déflorer une femme est rarement une partie de plaisir, ni pour l’un, ni pour l’autre — alors 72 ad libitum
Quant à ce que les femmes auront à se mettre sous la dent au Paradis d’Allah, le Coran est muet sur ce point. Mais est-ce qu’elles comptent ? « Entends-tu les hommes dehors dans le café ? Leur Dieu leur conseille de se laver le corps après avoir étreint nos corps interdits à la lumière du jour. Ils appellent ça « la grande ablution », car nous sommes la grande salissure. » La condition des femmes est l’une des multiples abominations de l’islam : « Je t’évite de naître pour t’éviter de mourir à chaque instant », dit-elle à son enfant-en-devenir.

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Cela, c’est la première partie du roman. Les voix ensuite se diversifient : ainsi, ce libraire errant, qui va de village en village vendre des livres de cuisine et des exemplaires du Coran — car on lui interdit tout le reste. Il suffit de lui donner une date pour que sa mémoire dévide les massacres de ce jour-là.
Kamel Daoud arrive alors au niveau du plus grand livre de guerre jamais écrit, le Tombeau pour cinq cent mille soldats de Pierre Guyotat que Gallimard publia en 1967. Des alignements de massacres. Parce qu’enfin, la guerre est d’abord cela : des litanies indicibles auxquelles il faut donner une voix.

Les jurés du Goncourt, qui ont sélectionné Houris dans leur première sélection, seraient bien avisés de donner à Kamel Daoud, couronné jadis pour le Goncourt du meilleur premier roman, un prix qui mettra en lumière ce que l’histoire officielle — celle qu’enseignent les manuels scolaires et, chez nous, les pédagogues qui refusent de parler de la traite saharienne ou des razzias opérées sur les côtes européennes — tente en vain de glisser sous le tapis de prière.

Kamel Daoud, Houris, Gallimard, septembre 2024, 412 p.

Houris

Price: 23,00 €

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Ovide, Ovidie, ovidé…

Selon l’ancienne actrice porno reconvertie philosophe de l’intime, même « déconstruits » les hommes n’ont toujours rien compris…


Ovidie est une ex-actrice porno reconvertie dans le féminisme, adulée par Télérama et la radio publique. Conceptrice d’ouvrages insignifiants sur la soi-disant société hétéronormative ou la prétendue masculinité toxique, elle a récemment co-signé La Fabrique du prince charmant, un roman-photo censé dénoncer l’homme faussement déconstruit et le patriarcat toujours triomphant. Pour en parler, le philosophe Charles Pépin l’a reçue sur France Inter, le 7 août. Après avoir narré « l’histoire d’un homme blanc, hétéro, d’environ cinquante ans » qui, la tête dans les nuages, ne voit pas les femmes qu’il croise sur le trottoir, les obligeant ainsi à s’écarter sur son passage, l’animateur radiophonique s’interroge : ce comportement est-il celui d’un doux rêveur ou celui d’un homme « porté par des siècles de société patriarcale » ? Ovidie, on s’en doute, a la réponse. M. Pépin abonde d’ailleurs dans son sens : si certains hommes se sont rendu compte de « leurs privilèges », d’autres, en revanche, « sombrent dans un déni absolu ».

Version 1.0.0

Heureusement, la spécialiste des « codes du porno et de l’intime » veille au grain, affirme M. Pépin. En plus de « décentrer le regard pour produire une réflexion sur le sexisme », l’ex-star du X pratiquerait « une philosophie au sens de la dialectique socratique ». Bref, suggère Pépin, Ovidie est une penseuse de haut vol. Raison pour laquelle il n’hésite pas à lui poser l’épineuse question qui le tarabuste depuis des années : que faire pour sortir vraiment du patriarcat ? « Il s’agit de reprogrammer nos imaginaires », proclame alors notre penseuse, les synapses en fusion. Mais attention, ajoute-t-elle, « un certain nombre d’hommes n’y parviennent pas, car s’ils s’y essaient, ils pensent dans tous les cas être dans le bon camp, celui du bien, en pérennisant de vieux codes qui nécessitent d’être de toute façon déconstruits ». Malgré l’opacité du propos, chacun aura compris que l’homme, quoi qu’il fasse, a toujours tout faux. C’est d’ailleurs l’intérêt de la chose – sinon, de quoi vivrait Mme Delsart, alias Ovidie ?

Vertiges

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L'écrivain Jean-Marc Parisis © Dorian Prost

Le personnage principal du dernier roman de Jean-Marc Parisis découvre qu’il va bientôt mourir…


Françoise Sagan écrit : « On ne sait jamais ce que le passé nous réserve ». Quand on lit le nouveau livre de Jean-Marc Parisis, Prescriptions, on se dit qu’elle a raison. Depuis la publication de son prémonitoire premier roman, La Mélancolie des fast-foods, paru en 1987, Parisis est devenu une figure incontournable de la littérature française contemporaine qui, reconnaissons-le, tourne en rond et finit par nous ennuyer. Ce qui n’est pas le cas ici. Outre le fait d’avoir du style, son dixième roman le prouve une nouvelle fois, Parisis ne cesse de nous étonner en se renouvelant en permanence.

Le personnage principal se nomme Pierre Vernier. Il dirige le service photo du journal « Le Nouveau » qui louvoie depuis quarante ans « entre allégeance au pouvoir et opposition parodique, quel que soit le pouvoir, quelle que soit l’opposition », précise Parisis avec une ironie toute voltairienne. Son regard n’est pas celui d’un écrivain qui se couche face à la bien-pensance. N’oublions pas qu’il a préfacé la réédition de l’essai La mort de L.-F. Céline, de l’infréquentable Dominique de Roux. Vernier est victime d’un sérieux malaise, terrassé par une migraine. Il consulte un neurologue. Le verdict est sans appel : il souffre d’une maladie auto-immune dégénérative, répertoriée sous le nom de Pabst-Thomas, son découvreur. Espérance de vie : quelques mois avant un AVC, voire un infarctus. Un médicament pour retarder la mort et mettre un peu d’ordre dans une vie foutue : le Tonzidium. L’homme en blouse blanche ne peut se tromper, car il détient le savoir. À partir de là, le roman s’accélère, mais pas comme on pourrait s’y attendre. Deux femmes, le jour du verdict médical, se rappellent à Vernier. Le lecteur est entraîné dans une vertigineuse histoire où le mystère s’intensifie. Le passé de Vernier ressurgit et l’enquête commence. On glisse dans un roman teinté de noir. Normal, car cet homme apparemment tranquille est un grand lecteur de Dashiell Hammett. Et puis un autre personnage aide à entrer dans les zones obscures de l’existence. Il se nomme Serge Tassel ; c’est un ancien grand reporter de guerre, un vrai baroudeur, avec soixante ans de carrière sur son front balafré. Il peut faire sauter la République. « Tu as vécu comme on ne vivra plus » lâche Vernier.

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Sur les Gnossiennes de Satie, dont les doigts « apportaient l’oubli des choses vécues et les souvenirs d’une vie à vivre », le lecteur va se retrouver à Montreuil dans une rue qui s’achève sur une maison éventrée. Le puzzle se reconstitue, malgré la migraine diagnostiquée mortelle par l’homme en blouse blanche. Mais la réalité correspond-elle à la réalité ? L’écrivain, ce démiurge, donne à voir ce qu’il imagine. Ou plus exactement, comme l’écrit Parisis, au sommet de son art, « on devinait les choses plus qu’on ne les voyait ».

Ce roman original, débarrassé du gras, n’est pas sans rappeler la méthode expérimentée par Alain Robbe-Grillet, dynamiteur des conventions romanesques, notamment dans son court récit Djinn, qui consiste à refuser de reproduire toute signification du monde faite à l’avance. Il convient, au contraire, de l’inventer sans cesse. Cela se nomme la liberté de l’artiste.

Jean-Marc Parisis, Prescriptions, Stock 234 pages.

Prescriptions

Price: 20,00 €

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Elon Musk, les « Messieurs propres » et nous

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Elon Musk © CraSH/imageSPACE/Sipa USA

Macronie et gauches réunies ont effacé l’expression de l’exaspération française. Le RN s’est vu privé des postes qui lui revenaient à l’Assemblée et l’indésirable droite a assisté au tour de passe-passe qui a permis la réélection de Yaël Braun-Pivet au perchoir. Si l’on veut nommer la chose, c’est un déni de la démocratie.


Elon Musk n’aurait pas dû. Répliquant, le 12 août, à une injonction du commissaire Thierry Breton qui le sommait de se plier au nouveau code de modération européenne sur son réseau X (ex-Twitter), le milliardaire a envoyé paître le pandore de la pensée autorisée. S’appropriant une réplique de Tom Cruise dans Tonnerre sous les tropiques, Musk a posté : « First, take a big step back and literally fuck your own face ! » (« Tout d’abord, faites un grand pas en arrière et littéralement baisez votre propre visage ! »). Bref, il a dit à Breton : « Va te faire foutre ! » Musk n’aurait pas dû. Pourtant, il se pourrait que des Français à leur tour, excédés d’être rappelés à l’ordre par les Messieurs Propres d’un système qui se déglingue et se cabre, n’aient plus envie non plus de se taire. Les atteintes à la liberté d’expression, soumise aux censures des clercs d’en haut et aux oukases des minorités d’en bas, sont devenues folles. « Les gens ordinaires en ont marre de se faire donner des leçons par des tartuffes », analyse Christophe Guilluy (L’Express, 10 juillet). Le géographe voit s’aggraver le choc entre métropoles privilégiées et périphéries délaissées, entre Métropolia et Périphéria. Mon camp reste sans réserve celui de Périphéria. Ces mal-aimés sont appelés par l’histoire. Ils ont à récupérer leur place, confisquée par une caste d’eunuques prosélytes, brutaux faute d’être convaincants.

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Gérald Darmanin aurait-il pressenti la force explosive de cette colère populaire encore partiellement enfouie ? À peine était-il devenu membre d’un gouvernement démissionnaire après l’échec de son camp aux législatives que le premier flic de France se précipitait devant les caméras, col ouvert, pour théoriser son « sans-cravatisme », avatar boulevardier du sans-culottisme révolutionnaire. Dans le JDD du 21 juillet, le révolté de la 25e heure expliquait ainsi son rejet de la cravate : « Ce bout de tissu est devenu pour beaucoup de Français le symbole d’une élite à laquelle ils ne s’identifient plus au point parfois de la haïr. L’élite a fait sécession depuis plusieurs années. » Rien de faux dans cette analyse de la rupture, faite par d’autres depuis des décennies. Sauf que Darmanin, depuis, s’est gardé de protester contre les assauts clabaudeurs de son gouvernement contre les électeurs coupables de voter RN ou LFI. Quand une part importante de la classe moyenne est exclue du cercle politique par des partis désavoués par les urnes, qu’est-ce d’autre qu’un déni de démocratie ? La météo politique s’annonce, dès septembre, tempétueuse. Le vieux monde a entamé sa chute.

Le mur qui sépare les élus des réprouvés ne peut que s’effondrer si la classe politique persiste à ne rien comprendre du dégoût qu’elle suscite auprès de ceux qu’elle rejette. Enlever sa cravate en guise de contrition est un artifice grossier. La peur du peuple, quand ce dernier n’obéit plus aux culpabilisations morales des « élites » mondialistes et immigrationnistes, est à la source des fautes accumulées, depuis les gilets jaunes, par le pouvoir arrogant et inquiet. Emmanuel Macron, plutôt que d’analyser sa déroute, a voulu voir sa victoire personnelle dans l’échec relatif, le 7 juillet, de Jordan Bardella à l’issue du second tour des législatives. Depuis, observer l’acharnement que met l’Élysée et ses relais à tenter d’ensevelir, jusqu’à l’étouffement, la montée de l’électorat RN-Ciotti fait penser à cette réflexion de Marx à Engels, dans une lettre de 1870, à propos des répressions de 1793 : « La Terreur, c’est la bourgeoisie qui a chié dans ses culottes[1]. » Toute proportion gardée, une même trouille de perdre son hégémonie pousse l’ancien monde morbifique à persécuter la droite populaire et réactive, qualifiée d’« extrême droite » pour mieux la noyer. Il y a, oui, une pente fascistoïde en France. Mais elle s’observe dans le « progressisme » aux abois, prêt à tous les coups bas pour survivre.

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Ainsi, le jeu de l’été a été, pour l’État en sursis, de faire disparaître l’expression de l’exaspération française, vue comme une humeur peccante. Premier parti de France, le RN s’est tout d’abord vu privé, par l’Assemblée liguée, de postes qui lui revenaient par l’usage (deux vice-présidences, un poste de questeur). Puis l’indésirable droite a assisté au tour de passe-passe de ministres-députés qui ont fait réélire Yaël Braun-Pivet à la présidence de l’Assemblée en dépit de la séparation des pouvoirs qui aurait dû les empêcher de voter. Les damnés de la Macronie ont entendu le Premier ministre fantôme, Gabriel Attal, appeler le 13 août à un « pacte d’action pour la France », excluant le RN et LFI, soit près de la moitié de l’électorat. Entre-temps, les téléspectateurs coupables de suivre C8 et NRJ 12 ont appris, le 24 juillet, sous les hourras de la gauche, que l’Arcom avait décidé de ne pas renouveler les fréquences de ces chaînes trop populaires. Le 27 juillet, les médias ont salué à l’unanimité la « grandiose » (Ouest France, Libération) et « époustouflante » (Le Parisien) cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques transformée ici et là en propagande pour l’homme nouveau, universel et métissé. L’obsession d’une poignée de militants de gauche adoubés par le gouvernement a été d’y concevoir un « anti-Puy du Fou » aux fins d’enrager les conservateurs. Tout ceci en violation de l’article 50-02 de la charte olympique du CIO : « Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique. »

Devant ces coups de force d’un camp du Bien enragé, les questions qui se posent sont celles-ci : les ruraux dans la mistoufle, sensibles « à la nostalgie des pays labourés » (Jules Renard), sauront-ils réagir et se défendre ? Périphéria aura-t-elle la force mentale qui, seule, lui permettra de se libérer de la pression idéologique des déracineurs en perdition, qui ont mobilisé propagandistes et lyncheurs pour tenter d’assurer leur pérennité par la schlague, quitte à piétiner la démocratie ? Les parias sauront-ils chasser leurs maltraitants ? Oseront-ils la (regrettable) grossièreté de Musk ? Pour eux, il n’est plus l’heure d’être polis.


[1] Cité par Jean Meyer, en préface de Le Génocide franco-français : la Vendée-Vengé, de Reynald Secher, PUF, 2001.

Rentrée littéraire: le bel avenir du passé

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D.R

Effet de mode ou signe du temps, nombre de romanciers ont plongé leur plume dans l’histoire, la grande comme la petite, et choisi comme héros des personnages célèbres ou méconnus. Autant d’ouvrages qui redonnent vie au passé.


En France, la rentrée littéraire commence toujours par des chiffres. Celui des parutions – en attendant celui des ventes. En ce mois de septembre, 459 romans s’empilent sur les tables des libraires. Et si on s’intéresse aux détails, ce sont 311 romans français, dont 68 premiers romans, et 148 romans étrangers. L’offre a beau décliner depuis une dizaine d’années, elle reste abondante.

Dans cette moisson, il est notamment question de familles, de fratries et de menaces environnementales. Mais ce qui nous a frappés, c’est le nombre de personnages littéraires ou historiques, célèbres ou oubliés, qui ont inspiré nos écrivains. Le passé est un matériau à jamais malléable pour toute imagination inspirée – et documentée.

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Ainsi nous est-il possible de suivre l’ultime passion de Marguerite Yourcenar pour un photographe américain, Jerry Wilson, de 46 ans son cadet (Un autre m’attend ailleurs, Christophe Bigot, La Martinière) ; d’assister à la rencontre méconnue entre Dalí, Zweig et Freud (Le Sentiment des crépuscules, Clémence Boulouque, Robert Laffont) ; de recroiser le père de la psychanalyse à travers Anna, sa fille de chair (Les Sept Maisons d’Anna Freud, Isabelle Pandazopoulos, Actes Sud) ; de découvrir l’existence d’Émile Coué, obscur pharmacien inventeur d’une méthode promise à un bel avenir (La Vie meilleure, Étienne Kern, Gallimard) ; ou d’accompagner Hemingway dans ses derniers jours (Il ne rêvait plus que de paysages et de lions au bord de la mer, Gérard de Cortanze, Albin Michel).

La liberté de l’écrivain maître du temps, maître de l’histoire, se retrouve chez Thierry Thomas, lorsqu’il fait revivre le quartier Saint-Lazare en 1916, quand Georges Feydeau, qui habite l’Hôtel Terminus, y rencontre une jeune veuve de guerre… (Feydeau s’en va, Albin Michel) ; Olivier Guez n’hésite pas à enfourcher un chameau pour suivre Gertrude Bell dans les sables d’Orient (Mesopotamia, Grasset) ; et Thierry Clermont explore une splendide mais sinistre Lituanie pour y croiser Brodsky, Leonard Cohen et Romain Gary (Vilna tango, Stock). L’ombre de la Shoah plane également sur les rapports mystérieux entre Hitler et Albert Speer, son architecte et ministre de l’Armement qui échappe habilement à l’exécution (Vous êtes l’amour malheureux du Führer, Jean-Noël Orengo, Grasset). Sébastien Lapaque choisit lui la lumière, celle de la foi et des tropiques, en retraçant l’engagement de Bernanos exilé au Brésil dès les accords de Munich (Échec et mat au paradis, Actes Sud) ; quant à Guillaume Perilhou, il nous confronte au trouble de la beauté à travers le destin de Björn, ce jeune Suédois devenu Tadzio sous la direction de Visconti dans Mort à Venise (La Couronne du serpent, L’Observatoire).

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Que de monde ! Dans cette galerie de portraits d’ombres tutélaires, il a fallu faire un choix. Mais il fut rapide : Alexandra Lemasson et Vincent Roy ont eu chacun un coup de foudre pour un ouvrage dont la profondeur du sujet le dispute à la beauté du style. Retrouvez leurs articles dans notre dernier numéro : https://kiosque-numerique.causeur.fr/


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L’été de Pavese

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Pierre Adrian © Editions Gallimard

Cesare Pavese s’est suicidé en août 1950, à Turin. Auparavant, il a visité ses amis et les villes qu’il aimait. Dans Hotel Roma, Pierre Adrian parcourt à son tour cette Italie estivale en effleurant délicatement la noirceur de son modèle.


Ce n’est pas sans appréhension qu’on ouvre Hotel Roma, le nouveau livre de Pierre Adrian, consacré à Cesare Pavese. Comme si la tristesse de l’écrivain italien, sa noirceur, son pessimisme, son perpétuel état dépressif étaient susceptibles de nous contaminer. On a tôt fait d’être rassuré. Certes, le livre s’ouvre sur son suicide. Nous sommes en août 1950, le 27. Dans la chambre 49 de l’Hotel Roma, l’écrivain est découvert sans vie sur son lit. Sur le bureau, sept paquets de cigarettes, une dose mortelle de somnifères, un verre d’eau et un livre, Dialogues avec Leuco, sur la première page duquel il a écrit : « Je pardonne à tous et à tous je demande pardon. Ça va ? Pas trop de bavardages. » Deux mois plus tôt, l’auteur du Métier de vivre avait reçu le prestigieux prix Strega. Puis il était allé visiter des amis dans leurs lieux de villégiature. C’était l’été. Ces derniers étaient loin de se douter qu’ils ne le reverraient jamais.

Avant Cesare Pavese, Pierre Adrian a publié un livre sur Pier Paolo Pasolini, puis l’idée s’est imposée de partir sur les traces de l’auteur du Bel Été. Un voyage littéraire qui en cache un autre. Amoureux cette fois. C’est en effet à Turin, ville où Pavese s’est donné la mort, que Pierre Adrian retrouve celle qu’il appelle « la fille à la peau mate ». Elle est parisienne. Il vit à Rome. Turin abrite leur amour à mi-chemin. Ensemble ils sillonnent l’Italie à l’affût des adresses de l’écrivain. Santo Stefano Belbo où il vit le jour. Reggio de Calabre où il passa sept mois d’exil. Brancaleone où il écrivit Le Métier de vivre. Mais aussi ses restaurants, ses cafés, sa librairie. C’est toute la lumière et la douceur de l’Italie que l’auteur fait revivre en ces pages. Son amoureuse y est sensible comme lui et finit par partager sa passion pour Pavese. On ne choisit jamais un auteur par hasard. De même que son compagnonnage n’est jamais fortuit. « Piémontais ténébreux, dur, laconique, sentencieux, Pavese était l’ami cher qui glissait ses petites considérations l’air de rien comme des cailloux dans la chaussure. » Pierre Adrian se surprend, au fil des jours, à marcher comme lui. Un peu voûté, les mains croisées dans le dos. Mais ce n’est rien à côté de l’acteur italien Luigi Vannucchi, dont il rappelle qu’il avait lu et joué des textes de l’auteur de Travailler fatigue et poussé l’identification jusqu’à se suicider, comme lui, au cœur de l’été. On a dit de Pavese qu’il était laid, impuissant, complexé et misogyne. Une chose est sûre : les femmes furent le grand drame de sa vie. « Elles finissaient par le quitter parce qu’il les ennuyait avec ses livres et sa tristesse. Repoussé par lui-même, il en dégoûtait aussi les autres. » D’une empathie communicative, le livre de Pierre Adrian est écrit dans une langue magnifique. Aussi lumineux que mélancolique, il ne donne qu’une envie : lire et relire Pavese.

Pierre Adrian, Hôtel Roma, Gallimard, 2024.

Et maintenant, quel gouvernement?

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Michel Barnier et Emmanuel Macron, 23 février 2019, Paris © Michel Euler/AP/SIPA

Après les piques déplacées adressées lors de la passation de pouvoir par Gabriel Attal jeudi soir, Michel Barnier doit désormais composer une nouvelle équipe pour gouverner la France. Il a déjà choisi son directeur de cabinet, Jérôme Fournel, lequel s’entend parfaitement avec le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler, et travaillait jusqu’alors pour Bruno Le Maire – Matignon assure que contrairement au précédent gouvernement, il n’entend évidemment pas se faire dicter la moindre nomination par le Palais.


On a enfin un Premier ministre : Michel Barnier. Ce n’est pas parce qu’on a échappé à Lucie Castets que les choses vont être simples pour le premier qui va se trouver dans le registre d’une cohabitation qu’on espère respectueuse – pas de doute avec Michel Barnier – mais ferme, avec un président de la République défait qui nous a fait languir au-delà de toute mesure. On nous annonce que les fils ont déjà commencé à être coupés avec Matignon. Tant mieux. Comme les citoyens n’ont pas voix au chapitre pour la composition du gouvernement – un travail d’Hercule mêlé de finesse pour Barnier -, ils ont au moins le droit de dire tout ce qu’il ne faudra pas faire au regard des expériences précédentes. D’abord une adéquation entre les compétences et les fonctions. Ce qui est une évidence. Mais si peu concrétisée quand on songe à beaucoup d’incuries passées. Ensuite ne pas nommer un ministre qui dans sa vie antérieure a été en permanence en opposition, voire plus, avec le milieu dont on s’apprête à lui confier la charge. Il sera sans doute possible par exemple de choisir un ministre de la Justice qui n’a pas détesté la magistrature avant ! Il conviendra par ailleurs – Michel Barnier me rassure tout à fait sur ce plan – de ne pas promouvoir quelqu’un pour « faire un coup », par provocation, par humeur, pour se faire valoir soi, au lieu de songer à l’intérêt de la France. Et de grâce, qu’on ne laisse pas les proches, qui n’y connaissent rien, influencer pour le pire. La catastrophe qui consisterait, après un excellent ministre, à choisir, par incohérence ou légèreté, son contraire à tous points de vue, sera évitée. On ne fait pas suivre un Blanquer par Pap Ndiaye ni Gabriel Attal par Nicole Belloubet !

Ce n’est pas parce qu’ils sont discrets que les ministres sont forcément compétents

De plus il conviendra d’écarter les ambitieux obsessionnels qui n’apporteront aucune valeur ajoutée, sinon leur envie de créer un désordre gouvernemental et la zizanie entre les ministres. Mais le partage sera parfois difficile à effectuer. Prenons l’exemple de Rachida Dati. On ne peut nier son appétence pour le pouvoir, celui qu’elle a ne lui suffisant jamais. Elle a eu tort récemment de donner, elle, des leçons illégitimes et intempestives à Édouard Philippe et à Jean-Michel Blanquer. Mais il n’empêche que malgré sa part d’ombre qui n’est pas mince, elle a étonné dans sa gestion de la culture, la sortant de l’élitisme snobinard pour lui donner une véritable assise populaire détachée du parisianisme. Ministre, elle a été plus forte, avec ses œuvres, que ses manœuvres et ses éclats qui sont la rançon de son éclatante personnalité.

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Il ne faudra pas confondre également les ministres qui ne parlent jamais avec des professionnels qui travailleraient forcément d’arrache-pied ! De la même manière que certains infiniment médiatisés n’ont plus le temps pour autre chose ou ont au contraire une puissance de travail considérable.
Un ministre peut se tromper de bonne foi. Ce n’est pas grave. Cela le devient quand il n’a pas la modestie de le reconnaître. Il doit avoir l’orgueil de sa fonction, jamais de son personnage.

Un gouvernement qui devra mettre fin à la bordelisation du parlement

Ce serait dangereux de projeter dans la lumière des incultes, des grossiers, étrangers à toute courtoisie notamment parlementaire et au respect de tous les députés élus démocratiquement. Ils devront user de la langue française correctement, voire avec aisance. Les questions au gouvernement ne seront plus pour lui ce qu’elles ont été parfois : un exercice de haine et de mépris. Quelle que soit l’opinion du citoyen, ses convictions, on aura à cœur de lui permettre d’être fier de ses ministres au gré des alternances politiques. Cela dépendra d’eux. Il serait déprimant de retrouver un gouvernement trop proche de celui dont on ne veut plus. La majorité des ministres devra se faire une raison. Michel Barnier n’a pas besoin de mes conseils. Je ne voudrais pas être comme Gabriel Attal, le 5 septembre au soir, à son égard. Mais je ne serais pas choqué si Rachida Dati et Gérald Darmanin – il s’est multiplié pour sauver le régalien du naufrage – demeuraient et je ferais évidemment entrer au gouvernement Philippe Juvin, à la Santé ou ailleurs. Pour le reste, bon courage à Premier ministre. Mais qu’il fasse vite : notre patience est à bout !

Rentrée en musique à Radio France

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Les concerts de la rentrée à Radio France. DR.

Si la petite musique politique des stations qu’elle abrite en agace plus d’un, les grands concerts de musique classique de la rentrée, à l’Auditorium de la Maison de la radio, sont à ne pas manquer. Brahms, Debussy, Elsa Barraine, Richard Strauss, Berlioz… Demandez le programme.


Le nom d’Elsa Barraine ne vous dit rien ? Dommage. Alors je vous conseille, toutes affaires cessantes, de filer au concert d’ouverture de la saison, à l’Auditorium de Radio France, ce jeudi 12 septembre. C’est à 20h. Avec la violoniste Julia Fisher qui interprétera le Concerto pour violon de Brahms. Au programme également, les Images pour orchestre, de Debussy. Et justement… la Symphonie n°2 d’Elsa Barraine.

Retransmission en direct sur France Musique et sur Arte-Concert

Fille d’un violoniste et d’une voix chorale, élève dans la classe de composition de Charles-Marie Widor puis de Paul Dukas (dont elle se fera un ami), Elsa Barraine (1910-1999) obtient le prestigieux Prix de Rome à 19 ans à peine, pour une cantate : La Vierge guerrière -vous aurez reconnu Jeanne d’Arc – sur un poème d’Armand Foucher. Les accords de Munich poussent Elsa Barraine, également pianiste et chef d’orchestre, à adhérer au parti communiste. Entrée en Résistance sous le nom de Catherine Bonnard, elle deviendra, après-guerre, critique musical pour L’Humanité, entre autres. Elle a la bonne idée de rompre avec le Parti dès 1949.

On doit à Elsa Barraine quantité de musiques de films, mais aussi de scène – de Jean Grémillon à Jean-Louis Barrault, en passant par Jacques Demy. Elle continue d’enseigner avant d’intégrer le ministère de la Culture comme inspectrice des théâtres lyriques. Elle est aussi la compositrice de Quatre chants juifs (1937), d’un ballet sur la Chanson du Mal-Aimé (1959), de plusieurs cantates : Cantate du vendredi saint (1955) ou encore celle baptisée Les Paysans, sur un poème d’André Frénaud (1958)… En 1967, Elsa Barraine signe une Musique rituelle pour orgue gong, tam-tam et xylorimba ! Percutant, non ?

À noter que le concert de jeudi – à la baguette, Cristian Macelaru, le directeur musical de l’Orchestre national de France – est diffusé le soir même en direct sur France-Musique et sur Arte Concert.

Des notes slaves pour terminer

Le programme de rentrée des formations musicales de Radio-France se poursuit ce vendredi 13 sous les auspices de l’Orchestre Philharmonique de Radio France et du chef finlandais Mikko Franck, avec les Nuits d’été (Berlioz), chantées par la mezzo Lea Desandre, et l’immortelle Symphonie alpestre (Richard Strauss). En clôture, une création mondiale :  le Gouffre de l’aurore – joli titre –, une œuvre de la prolifique Tatiana Probst (Pour mémoire, Tatiana Probst, née dans le sérail en 1987, à la fois pianiste, compositrice, comédienne et soprano, est la petite-fille de Gisèle Casadesus et de Lucien Pascal, et la nièce de Jean-Claude Casadesus).

Pour finir cette semaine musicalement bien chargée, RDV ce dimanche à 16h pour un concert choral – Lionel Sow au pupitre – sous le signe de la culture slave, avec Tchaïkovski et Rachmaninov en vedettes, autour desquels gravitent quelques astres de moindre scintillement, tels Diletsky, Bortnianski, Penderecki ou Alexander Kastalsky.

Détails et réservations sur : https://www.maisondelaradioetdelamusique.fr

Une certaine idée de l’offense

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Le Premier ministre Michel Barnier au journal télévisé de TF1, 6 septembre 2024 © Jacques Witt/SIPA

7 septembre : Michel Barnier, nouveau Premier ministre, planche sur la composition de son futur gouvernement… Mélenchon et LFI, de leur côté, sont dans la rue… Le putsch des généreux ? s’amuse notre contributeur


 « Le mensonge, chez nous, cherche de moins en moins à être cru. On fausse les indices, les comptes, les prix, les changes, mais tout le monde le sait. L’imposture triomphante n’a plus pour objet de faire illusion, mais de respecter un certain code de convenances, qui d’ailleurs n’est formulé nulle part. Le ministre joue son rôle dans un scénario dont il n’est pas l’auteur. Les politiques français peuvent ne pas se soucier du fait, parce qu’au départ, ils ne s’attendaient pas trop à ce qu’il confirmât leurs idées. Les erreurs les plus flagrantes les disqualifient rarement, aux yeux des autres et aux leurs propres, pourvu qu’ils résistent à la tentation de les avouer. Aussi, quand la France rêve, il faut de bien grands malheurs pour la réveiller » (Emmanuel Berl, La France irréelle). Le réveil est douloureux.

Combiné alpin

Fini les Marseillaise, les médailles, tableaux grandioses d’orgies romaines, inclusives, tous nus et tous bronzés, en ouverture, clôture, mondiovisions. Maître des horloges façon Harold Lloyd, Guy Lux arbitrant les duels de vachettes dans la méga-bassine savonneuse du Palais-Bourbon, Emmanuel Macron a cherché tout l’été une chèvre de Monsieur Seguin, un mouton à cinq pattes.

Au terme de sept semaines de ruses et tromperies, au fond du huitième cercle de l’Enfer et ses dix fosses de Mormons, d’adulateurs, ruffians, concussionnaires, le président a harponné un Premier ministre savoyard, auréolé d’un label mystérieux, œcuménique, « gaulliste social ». Le combiné alpin, une épreuve de descente et de slalom, réussit aux compétiteurs polyvalents. Michel Barnier connait la musique. Il veut « des changements et des ruptures… répondre aux défis, aux colères, au sentiment d’abandon et d’injustice… constituer un gouvernement de rassemblement au service du pays ». Le changement dans la continuité et réciproquement… Jusque-là tout va bien.

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Pour former son gouvernement, ramasser et ressouder les tronçons du glaive, le Premier ministre peut compter sur une cordelle d’insubmersibles naufrageurs qui, depuis des décennies, ont fait don de la France à leurs personnes. Aventurières de la Culture ; intermittents de l’Education nationale ; gardes des Sceaux sur écoute ; Grands chambellans du spread, des assignats et de la banqueroute ; Pap Ndiaye, Amélie Oudéa-Castéra et Nicole Belloubet déguisés en Jules Fait.rire ; Ségolène Royal, Bonemine thaumaturge… Les ministres et conseillers démissionnaires, qui ont vendu tous ceux qui les ont achetés, monnaient leurs carnets d’adresses, un ralliement contre un soutien, un parachutage dans le Vercors, un fromage. Il ne faut pas bêcher l’élite. Ne pas rater le dernier strapontin du dernier TGV « Paris-Les Arcs républicains ». Rachida Dati adore la Raclette et l’Abondance. Gérald Darmanin est un fondu de Reblochon. Hervé Morin, chamois d’or. Éric Dupond-Moretti a plaidé à Bonneville.

Perette et le pot aux roses

À gauche, les Augustes, ratels insoumis, Jean-Luc Mélenchon, Lucie Castets, enragent. « Au voleur ! au voleur ! Justice, juste ciel ! je suis assassiné ; on m’a dérobé mon élection ; Allons, vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences, et des bourreaux ! ». Gros-Jean comme devant, Faure, Boyard et Hollande ont perdu, à l’insu de leur plein gré, la partie de poker menteur. Adieu, veau, vache, cochon, couvée et PS maître de l’échiquier… Tu me fends le cœur ! Fabien Roussel, alias Super Résistant, dénonce le coup de farce, et prépare 2027. Nul n’est jamais assez fort pour ce calcul. « La démocratie est salie. Le peuple de France est bâillonné. La République est menacée. Nous appelons à l’union du peuple de France. Partout, devant les préfectures, dans les villes, unissons nos forces. Pour la liberté, pour les salaires, pour nos services publics » … A pied, à cheval, en voiture ou en trottinette électrique. Le putsch des généreux.

Michel Barnier est-il otage du Rassemblement national ? Dans leur roue de gruyère du 116 avenue du Président-Kennedy, les journalistes de Radio France, diversocrates du service public, sont sur le qui-vive. Ils reniflent le nauséabond. Ils éclairent la notion. Ils ont fait de la philo, de la socio, jouent au bonneteau avec les déterminismes, les champs, les schèmes, cognitifs, classificatoires. Comme Jacques Vabre achetant le café dans les publicités des années 80, ils séparent l’ivraie populiste, illibéral, du bon grain progressiste. « Il faut planter les caféiers tout là-haut, sur les hauts plateaux [télés], car l’air est plus pur et le soleil plus fort. Et c’est ça qui donne au café tout son arôme. Bien sûr, c’est plus fatiguant d’aller là-haut. Mais les gringos [de France Inter], eux, ils vont les voir, les caféiers ». Colegiala, colegiala !

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Le camp du progrès a de nobles idéaux (sauver la planète, jouir sans entraves, de la thune), des angoisses (l’extrême droite, le travail, la précarité menstruelle), des obsessions (les races, la déconstruction, la censure, l’inclusion), des coupables (l’Occident, les blancs, le patriarcat). On croit ce qu’on désire. En théorie, tout se passe bien. Hélas, l’émancipation des genres humains, le tout à l’égo, le droit à la morale et le mélange du gratin et des nouilles, ne vont pas de soi.

Les incantations, vœux pieux, mantras magnanimes sur le dialogue, le consensus et les indispensables compromis, portent à faux. Plus personne n’attend quoi que ce soit des politiques et, plus grave, de la politique. La récente enquête Ipsos post législatives confirme ce profond désenchantement. 85% des électeurs ont un état d’esprit négatif. Malaise ? Malentendu ? Malédiction ?

La défiance mortifère qui gangrène notre démocratie cessera lorsque les ministres, les candidats, ne se contenteront plus de petites phrases, postures, promesses démagogiques, lorsqu’ils feront passer leurs ambitions personnelles après les intérêts supérieurs de la nation. Le pays est miné par un surendettement abyssal, un écroulement éducatif, culturel, une insécurité, le chaos migratoire, plus récemment, la crétinisation et vampirisation du temps de cerveau disponible par les rézzous sociaux. Depuis deux générations, rien n’y fait, rien n’est fait. Le reste, c’est de la mandoline.

Le cardinal Charles II de Bourbon a une devise stoïque : « N’espoir ne peur ».

L’impossibilité d’une île

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DR.

Yasser al-Habib ne pourra finalement pas préparer « la domination civilisationnelle chiite » de l’Occident depuis l’île de Torsa, à l’ouest de l’Écosse.


Au registre des séparatistes musulmans prompts à abuser du droit d’asile occidental, Yasser al-Habib est un cas d’école. Voilà une quinzaine d’années, ce prédicateur chiite koweïtien s’est installé au Royaume-Uni, où le statut de réfugié lui a été reconnu en raison de la persécution judiciaire qu’il subissait dans son pays pour avoir exprimé des positions théologiques dissidentes. En 2003, le quadragénaire avait déclaré publiquement qu’Aïcha, la plus jeune épouse de Mahomet, était une « ennemie de Dieu ». Un grave blasphème aux yeux de la plupart des autorités religieuses du monde islamique. Qui a valu à son auteur dix ans de prison par contumace au Koweït, assortis d’une déchéance de nationalité. Depuis, al-Habib vit exilé dans le village de Fulmer, à 30 kilomètres de Londres, où il a ouvert une mosquée fondamentaliste, créé une chaîne télévision et même tenté une aventure dans le cinéma en produisant récemment un long-métrage sur la vie de Fatima, la fille de Mahomet. Las, le film n’a pas rencontré son public… Comment rebondir après ce cuisant échec ? En prenant possession d’une île écossaise !

À lire aussi, du même auteur: La droite sans gazole ni vachettes

L’année dernière, al-Habib a lancé une souscription pour racheter l’île privée de Torsa (« l’île de Thor » en vieux norrois, langue scandinave médiévale), sur la côte ouest de l’Écosse, mise en vente pour 1,5 million de livres sterling. Son projet : permettre à ses fidèles « de s’installer à un endroit spécial en Occident » et d’y préparer « la domination civilisationnelle chiite ». Trois millions de livres sterling ont été récoltées dans le cadre de la levée de fonds. De quoi construire, sur ce territoire grand comme un quartier parisien, une école, un centre médical et même un camp d’entraînement pour une milice privée. Patatras. Face à la levée de boucliers des médias et des politiques locaux, les vendeurs ont fait savoir cet été qu’ils refusaient l’offre d’al-Habib. « Ils souhaitent que l’on continue de vivre sur leur propriété comme leur famille l’a fait durant des générations », a justifié l’agence immobilière en charge du mandat. Comment dit-on « continuité historique » en vieux norrois ?

« Houris », de Kamel Daoud: le grand roman de la «décennie noire» (1990-2000)

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Kamel Daoud © Hannah Assouline

La loi de Réconciliation nationale, citée par Kamel Daoud en exergue de son roman, punit d’un emprisonnement de trois à cinq ans « quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise et instrumentalise les blessures de la tragédie nationale… » Autant dire que le romancier de Meursault : contre-enquête (2013) est désormais tricard dans son propre pays. Peut-être l’obtention du Goncourt — un pari de notre chroniqueur — et la certitude d’avoir écrit un grand livre le consoleront de cet exil imposé.


Notre collaborateur Jean-Paul Brighelli vient parallèlement de publier L’école sous emprise, dont Céline Pina rend compte ici NDLR

En 1994, j’enseignais au lycée de Corbeil-Essonnes, mère de toutes les ZEP, coincé entre la cité (maghrébine) des Tarterêts et celle de Mauconseil, bastion majoritairement africain. Un jour, un élève de Première pas très intelligent lança, en plein cours : « Moi, j’suis au GIA, M’sieur ! » « Eh bien, nous savions tous que tu étais un crétin, nous savons désormais que tu es aussi un futur assassin. »
Le Groupement Islamique Armé était la plus radicale des factions qui se disputaient alors l’Algérie, après la dissolution du Front Islamique du Salut, qui avait inopportunément remporté les élections de 1990. Les « Tangos » (les moudjahidines islamiques) et les « Charlie » (l’armée algérienne, tout aussi portée aux exactions) se disputèrent pendant dix ans, à grands coups de massacres, le territoire et le pouvoir. 200, 300, 500 000 morts ? Aucun bilan n’a réellement été tiré de ces dix ans d’horreurs, que Kamel Daoud s’emploie à ressusciter en passant par la voix d’une femme qui parle au fœtus dont elle hésite à se débarrasser.

(Comment, un homme qui parle au féminin ? N’a-t-il pas honte de procéder à une appropriation pareille ? Non — d’autant qu’il le fait à la perfection).

Les lois algériennes sur l’avortement sont parmi les plus restrictives au monde. De très nombreuses femmes avaient été violées par les combattants de ces années noires — mais l’Assemblée nationale refusa d’inscrire le viol parmi les motifs autorisés d’avortement. Quand on veut conquérir le monde avec le ventre de ses femmes, on fait feu de tout zob.

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Aube / Fajr, « coincée entre l’envie de te tuer et celle de te parler sans fin », parle donc au petit amas de cellules dont elle peut encore se débarrasser. Elle lui raconte comment elle en est arrivée à vivre avec une canule plantée dans ce qu’il lui reste de larynx : un soldat d’Allah a bien tenté de lui trancher la gorge, comme à sa sœur, mais l’a partiellement ratée. Elle avait alors cinq ou six ans, on l’a rafistolée comme on a pu, avec un barbelé dessiné sur sa gorge. Elle arbore ce sourire kabyle (« le sourire n’a pas de dents, juste des points de suture, une quinzaine ; c’est une longue grimace, une balafre ahurissante ») et parle d’une voix feutrée, car ses cordes vocales aussi ont été partiellement coupées. Une manie, chez ces bons apôtres, que l’usage inconsidéré du couteau : « L’année où est né mon « sourire », par exemple, on avait égorgé plus d’hommes que de moutons. »
Projet insensé que le sien : « Comment te dire la guerre, dit-elle à sa fille-en-devenir, sans te salir ou te montrer des monstres et te les mettre dans la bouche, un par un, pour te les faire mâcher et avaler ? »
C’est justement là le projet de ce livre terrible. « Ici, il ne reste rien de la guerre que les égorgeurs de Dieu ont menée il y a quelques années. Rien que moi, avec ma longue histoire qui s’enroule et se déroule, t’enveloppant comme une corde nourricière. C’est ce qui rend les gens si nerveux autour de moi quand ils me croisent au bas de l’immeuble. Peut-être qu’ils se doutent que, par le trou de ma gorge, ce sont les centaines de milliers de morts de la guerre civile algérienne qui les toisent. »

Les houris sont les créatures éternellement vierges que la tradition coranique promet aux vrais croyants après leur mort. 72 en général, mais selon les versions, ça peut aller jusqu’à 5000.
C’est curieux, cette manie des vierges, dans l’islam. Être le premier, être le seul. Faut-il croire Trevanian, qui dans Shibumi affirme : « La virginité est capitale pour les Arabes, qui craignent avec raison les comparaisons. » Déflorer une femme est rarement une partie de plaisir, ni pour l’un, ni pour l’autre — alors 72 ad libitum
Quant à ce que les femmes auront à se mettre sous la dent au Paradis d’Allah, le Coran est muet sur ce point. Mais est-ce qu’elles comptent ? « Entends-tu les hommes dehors dans le café ? Leur Dieu leur conseille de se laver le corps après avoir étreint nos corps interdits à la lumière du jour. Ils appellent ça « la grande ablution », car nous sommes la grande salissure. » La condition des femmes est l’une des multiples abominations de l’islam : « Je t’évite de naître pour t’éviter de mourir à chaque instant », dit-elle à son enfant-en-devenir.

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Cela, c’est la première partie du roman. Les voix ensuite se diversifient : ainsi, ce libraire errant, qui va de village en village vendre des livres de cuisine et des exemplaires du Coran — car on lui interdit tout le reste. Il suffit de lui donner une date pour que sa mémoire dévide les massacres de ce jour-là.
Kamel Daoud arrive alors au niveau du plus grand livre de guerre jamais écrit, le Tombeau pour cinq cent mille soldats de Pierre Guyotat que Gallimard publia en 1967. Des alignements de massacres. Parce qu’enfin, la guerre est d’abord cela : des litanies indicibles auxquelles il faut donner une voix.

Les jurés du Goncourt, qui ont sélectionné Houris dans leur première sélection, seraient bien avisés de donner à Kamel Daoud, couronné jadis pour le Goncourt du meilleur premier roman, un prix qui mettra en lumière ce que l’histoire officielle — celle qu’enseignent les manuels scolaires et, chez nous, les pédagogues qui refusent de parler de la traite saharienne ou des razzias opérées sur les côtes européennes — tente en vain de glisser sous le tapis de prière.

Kamel Daoud, Houris, Gallimard, septembre 2024, 412 p.

Houris

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Ovide, Ovidie, ovidé…

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DR.

Selon l’ancienne actrice porno reconvertie philosophe de l’intime, même « déconstruits » les hommes n’ont toujours rien compris…


Ovidie est une ex-actrice porno reconvertie dans le féminisme, adulée par Télérama et la radio publique. Conceptrice d’ouvrages insignifiants sur la soi-disant société hétéronormative ou la prétendue masculinité toxique, elle a récemment co-signé La Fabrique du prince charmant, un roman-photo censé dénoncer l’homme faussement déconstruit et le patriarcat toujours triomphant. Pour en parler, le philosophe Charles Pépin l’a reçue sur France Inter, le 7 août. Après avoir narré « l’histoire d’un homme blanc, hétéro, d’environ cinquante ans » qui, la tête dans les nuages, ne voit pas les femmes qu’il croise sur le trottoir, les obligeant ainsi à s’écarter sur son passage, l’animateur radiophonique s’interroge : ce comportement est-il celui d’un doux rêveur ou celui d’un homme « porté par des siècles de société patriarcale » ? Ovidie, on s’en doute, a la réponse. M. Pépin abonde d’ailleurs dans son sens : si certains hommes se sont rendu compte de « leurs privilèges », d’autres, en revanche, « sombrent dans un déni absolu ».

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Heureusement, la spécialiste des « codes du porno et de l’intime » veille au grain, affirme M. Pépin. En plus de « décentrer le regard pour produire une réflexion sur le sexisme », l’ex-star du X pratiquerait « une philosophie au sens de la dialectique socratique ». Bref, suggère Pépin, Ovidie est une penseuse de haut vol. Raison pour laquelle il n’hésite pas à lui poser l’épineuse question qui le tarabuste depuis des années : que faire pour sortir vraiment du patriarcat ? « Il s’agit de reprogrammer nos imaginaires », proclame alors notre penseuse, les synapses en fusion. Mais attention, ajoute-t-elle, « un certain nombre d’hommes n’y parviennent pas, car s’ils s’y essaient, ils pensent dans tous les cas être dans le bon camp, celui du bien, en pérennisant de vieux codes qui nécessitent d’être de toute façon déconstruits ». Malgré l’opacité du propos, chacun aura compris que l’homme, quoi qu’il fasse, a toujours tout faux. C’est d’ailleurs l’intérêt de la chose – sinon, de quoi vivrait Mme Delsart, alias Ovidie ?