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Onfray délire


Onfray délire
L'objet du délit : le divan de Freud.
Divan
L'objet du délit : le divan de Freud.

Avant même sa sortie, le livre de Michel Onfray, Crépuscule d’une idole, a fait la une des journaux qu’il faut lire. Libération : « Onfray tue le père Freud » ; Le Point : « Onfray déboulonne Freud » ; Le Nouvel Observateur : « Onfray dénonce le complot Œdipe »…

À l’instar de Nietzsche, qui se décrit, dans Le Crépuscule des idoles, comme l’« attrapeur de rats qui arrive à faire parler ce qui voudrait rester muet… », Onfray prétend révéler au monde entier ce que les psychanalystes garderaient secret, à savoir la névrose de Freud, son antisémitisme, ses perversions en tout genre, son appétence pour l’argent, l’inefficacité de sa méthode thérapeutique, etc.

En bref et en résumé, la psychanalyse serait une entreprise juteuse, montée par un escroc qui aurait trouvé là le moyen de satisfaire ses perversions tout en s’en mettant plein les poches…

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Plus accablant que la bêtise des propos d’Onfray, la riposte des psychanalystes

Rien de très nouveau sous le soleil, et cette déclaration de guerre n’arrive pas à la cheville de celle que Nietzsche, avec sa philosophie au marteau, fit en son temps aux « idoles éternelles ». Cela étant dit, le plus accablant dans cette affaire, c’est moins la banale bêtise des propos d’Onfray que les réactions des psychanalystes eux-mêmes. « La psychanalyse ne guérit pas, elle sauve » (Philippe Grimbert) ; « Onfray nous insulte » (Serge Hefez) ; « Un canevas délirant » (J. A. Miller) ; « Onfray réhabilite un discours d’extrême droite » (E. Roudinesco) : j’en passe, et des meilleures sans doute.

Je rappellerai juste au passage à Jacques-Alain Miller que tout délire comporte une part de vérité historique. Et que ce n’est sûrement pas en disant à un patient qu’il délire qu’on l’aidera à aller mieux (B-A BA, niveau première année de psycho). Quant à Élisabeth Roudinesco, faut-il lui indiquer que la projection (en cette occurrence, attribuer à Onfray des idées d’extrême droite parce qu’Onfray attribue ces mêmes idées à Freud) est le mécanisme de défense favori des paranoïaques et qu’à tomber dans le panneau, on ne peut qu’y perdre des plumes. Qui veut trop prouver s’égare !

Alors quoi, vous Messieurs, Mesdames les psychanalystes, vous n’avez rien de mieux à faire qu’à vous évanouir, vous alarmer, sonner le tocsin et jouer les vierges effarouchées qui pétitionnent en boucle parce qu’« on n’a pas le droit de dire des choses comme ça ! » ! Franchement, vous n’avez pas mieux à faire ? Pas de colloque en vue, pas de séminaire de travail, pas de texte à écrire, pas de patients ? Votre temps si précieux, qui chez certains justifie des séances au chrono, vous le perdez dans les méandres des discussions de comptoir ?

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Si Onfray a tout lu, tout vu, tout bu, il n’a bien évidemment rien compris. Mais est-ce vraiment si grave ? Le livre n’était même pas sorti que, déjà, vous lui faisiez la meilleure des publicités. Résistants de la première heure, vous brandissiez l’étendard de ceux qui, sûrs de leur bon droit, se lancent à corps perdu dans une guerre déshonorante. Vous résistez ? J’en suis fort aise… Eh bien, révisez vos classiques, maintenant !

Je vous renvoie aux pages 375 à 377 des Écrits de Jacques Lacan. L’humeur obsidionale dont vous vous parez pourrait porter ses fruits si seulement vous la mettiez à l’école de la lutte réelle. Vous apprendriez alors que « la réponse la plus efficace à une défense n’est pas d’y porter l’épreuve de force. »

À ignorer cela, vous offrez, comme le dit Lacan, le spectacle de gens « qui n’étaient appelés à leur profession par rien d’autre que d’être en posture d’y avoir toujours le dernier mot, et qui, pour y rencontrer un peu plus de difficulté que dans d’autres activités libérales, montrent la figure ridicule de Purgons obsédés par la “défense” de quiconque ne comprend pas ce pourquoi sa fille est muette ».

Suivez les conseils de Lacan et relisez Clausewitz !

Vos réponses du tac au tac où vous vous disputez la vérité participent d’un même dessein, d’un même mensonge, d’un même aveuglement. La guerre n’est-elle pas qu’un prolongement des moyens de la politique ? Un peu plus de stratégie, un peu plus de technique, un peu plus de courage : suivez les conseils de Lacan et relisez Clausewitz !

Qui se souvient des Féeries anatomiques de Michel Onfray ? Moi, je l’ai lu, tout au moins le début. L’on y apprend que sa femme a eu un cancer du sein. Il a beaucoup souffert ! Pauvre homme ! Mais il a su adopter la bonne attitude. Chapeau l’artiste ! Quel courage ! Quelle belle preuve d’amour que de publier sa souffrance pour l’autre !

Adèle Blanc-Sec pour adulte ; responsable mais pas coupable de l’accident de sa sœur, elle gagne sa bonne conscience en ressuscitant des pharaons et en gagnant au passage argent et notoriété !

Mais une grande âme comme Onfray ne pouvait pas réserver sa compassion à sa seule épouse, surtout après que celle-ci a guéri. Sa mission libératrice vaut pour l’ensemble de l’humanité – lectrice de préférence. Après s’en être pris aux cancers de la religion et de la réaction, le voici qui arrache à mains nues la tumeur du freudisme, libérant pour la modique somme de 22 euros des centaines de milliers de patients otages de l’obscurantisme psychanalytique.

Depuis toujours, la psychanalyse a été critiquée, malmenée, science juive, aujourd’hui antisémite, et demain ? Homophobe, raciste, que sais-je encore ? Du sublime au ridicule, il semblerait que le pas ait été franchi.

Éternel retour du même ! Incipit tragedia.[/access]

Mai 2010 · N° 23

Article extrait du Magazine Causeur



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Hélène Hessel est psychanalyste.

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