Nous avons été séduits par la curieuse poésie qui se dégage du roman Fermez vos gueules, les mouettes

Reconnaissons à Olivier Maillart un talent certain pour la farce picaresque neurasthénique. Dans son deuxième roman, Fermez vos gueules, les mouettes (éditions Héliopoles, 2025), quatre professeurs et amis décident de voler l’urne mortuaire d’un ancien camarade de philosophie, afin de disperser ses cendres sur une plage. Ce n’est pas tout à fait l’Odyssée, néanmoins les péripéties se succèdent au pas de course vers l’absurde. Heureuse escapade nocturne où les migrants se donnent des rendez-vous de bourre-pif, et où nous nous aventurons, en la compagnie de nos valeureux héros de l’Éducation nationale, à une soirée Game ovaire dans un bar féministe queer. Au risque de fâcher, n’oublions point de citer parmi ces aimables pérégrinations la rencontre avec un certain Charles Pell. Ah, le grand Charles ! Poète au talent flou du merveilleux Râteau ivre, dont le génie a résolument pris le parti de la pose !
Cet impressionnisme satirique n’est pas sans évoquer Patrice Jean. Mais l’écriture de Patrice Jean est une vision en lutte avec le monde. L’homme surnuméraire que nous sommes tous se débat dans son œuvre contre l’expression, nouvelle à chaque époque, de la bêtise humaine. Olivier Maillart conserve plutôt une distance amusée avec le présent. Ses personnages acceptent le contemporain, sans trop faire d’histoires. Ils affichent pour la plupart une candeur vaguement étonnée. Une sorte de « pourquoi pas », placide et finalement accommodant. « Ah, tiens, le monde est devenu ainsi maintenant ? Ce sont les règles nouvelles ? Ah oui, bon, d’accord… » semble la petite musique qui rythme son ouvrage. L’extravagance narquoise des tableaux exprime en premier lieu une étrangeté actuelle. La raillerie sociale flirte avec le surréel. Il y a là-dedans quelque chose d’une satire onirique avec, en même temps, cette sensation de mauvais rêve que prend la vie dans le deuil.
Une comédie noire pleine de mouettes et de cendres
Voilà un ouvrage où la mort n’est jamais très loin de la drôlerie. Les personnages arrivent au début du récit pour la cérémonie d’enterrement ? Aussitôt l’auteur prend un malin plaisir à souligner que : « C’est Philippe qui engageait le plus volontiers la conversation, saluant les uns d’un signe de la tête, les autres d’une poignée de main. C’était tout de même un petit week-end à la campagne aussi, pour lui, cette histoire, et il y retrouvait des visages qu’il n’avait pas croisés depuis longtemps. Sans bien parvenir à masquer son contentement, il naviguait d’un groupe à l’autre. On pouvait croire à une amicale de profs de maths, car beaucoup avaient une équerre et un compas qui dépassaient de la poche gauche de leur manteau. Un grand chauve barbu serra la main tendue de Philippe d’une poigne faiblarde, façon demi-molle, lui grimaçant qu’il était content de le revoir, s’enquérant de nouvelles dont il n’avait visiblement rien à foutre, sans que cela refroidisse le muté — ou le Parisien, comme on l’appelait ici de manière peu flatteuse. »
Quant à un autre, sa tristesse nous est ainsi résumée : « L’hospitalisation de R. avait mécaniquement accru la dépendance de G. à tous les excitants modernes dont il était grand consommateur : drogues, demoiselles, philosophes danois et, bien entendu, alcools divers et variés. »
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Enfin, quoi de plus réconfortant que de raconter l’agonie de sa vieille mère à une serveuse transsexuelle, dans un moment d’intimité : « Adriana posa alors sa main sur celle de Philippe qui, à cette simple caresse, sentit fondre en lui les dernières résistances qui l’empêchaient de dire ce qu’il avait vu, ce qu’il avait vécu. Sa mère si affreusement diminuée, à l’hôpital, les dernières semaines. Incapable de respirer par elle-même, de se nourrir, de pisser comme de chier. De rien faire. Une sangle soutenant son menton qu’elle n’arrivait même plus à empêcher de laisser choir. »
Le ton pince-sans-rire d’Olivier Maillart se décline en plusieurs registres, comme les différents étages d’un immeuble où chaque appartement apporte une touche singulière à la vie collective. Les observations fines succèdent au loufoque. L’humour vient souvent adoucir un trait trop grave. On songe parfois à une blague potache et spleenétique. Il ne faut pas néanmoins s’attendre à de grandes tensions dramatiques. L’intrigue se révèle encore plus mince que Sydney Sweeney dans ses bons jeans. Les scènes se suivent sans nécessité particulière. Le lecteur n’y croit pas vraiment. Les personnages pas davantage. On a l’impression que même les décors ne tiennent pas droit… C’est le récit de gens ordinaires qui cherchent tout au long de ce roman à faire leur deuil, et c’est comme si cette errance intérieure contaminait le livre même. On a ce sentiment, derrière l’humour, d’une écriture un peu trop triste pour se fondre tout à fait dans ce qu’elle raconte. Il en reste une certaine atmosphère.
Ce je ne sais quoi dans le style de Maillart
Que possède donc l’écriture de notre auteur qui, phénomène singulier dans le milieu éditorial d’aujourd’hui, la distingue de beaucoup d’autres ? Je dirais, un certain charme. Nous sommes loin des grands orgues de Bernanos, ou de la raillerie cruelle d’un Houellebecq. Mais il se devine une tendresse dans cette peinture caustique d’un monde qui semble au bord de la folie. Notre condition humaine nous est exposée avec une légèreté navrée et indolente. Tout est approximatif dans ces chapitres, sauf la finesse d’esprit qui y triomphe. De sorte que cette approximation narrative, mêlée à une acuité dans les émotions, retourne la désinvolture en profondeur. Il en germe une grâce bizarre, comme une veste mal coupée, mais dont les mauvaises proportions séduisent aussitôt.
Car au fond, le charme, c’est toujours se tenir au bord du ratage. C’est ce qui pourrait ne pas marcher, mais qui nous emporte quand même, à notre grand étonnement. On pourrait en vouloir à l’auteur de ce livre sans véritable intrigue et aux scènes invraisemblables, peuplées de personnages à peine esquissés, mais on y trouve ce je ne sais quoi plein de pudeur, dans le ton de l’ouvrage, qui parvient à émouvoir.
Fermez vos gueules, les mouettes d’Olivier Maillart, nous enseigne à quel point le charme littéraire est un art exigeant. Une délicate alchimie pouvant insensiblement tourner au bouillon tiède ou à la mauvaise parodie. Cet équilibre requiert une écriture beaucoup plus subtile qu’il n’y paraît, où les personnages secondaires, en quelques mots, se révèlent davantage que la caricature qui nous est offerte de prime abord. Où chaque scène possède une curieuse poésie. Où la malice ne se heurte pas à la gravité du propos, mais lui donne tout son sel, pour nous sauver de la niaiserie. Afin d’atteindre au charme, il faut donc un peu rater, mais en y mettant une sensibilité discrète. Alors, comme dans ce roman, l’inabouti devient une couleur qui participe au style et dont la subtile maladresse touche parfois plus immédiatement que des œuvres mieux affirmées.
152 pages




