Accueil Économie Il faut s’attaquer aux niches fiscales plutôt qu’aux riches

Il faut s’attaquer aux niches fiscales plutôt qu’aux riches

Les supprimer pourrait conduire à une imposition plus juste


Il faut s’attaquer aux niches fiscales plutôt qu’aux riches
Bernard Arnault et Emmanuel Macron à Paris, juin 2017. SIPA. 00811228_000008

La suppression des niches fiscales, dont la justification est souvent sommaire, et l’instauration d’un impôt proportionnel, plutôt que progressif, permettraient d’établir une imposition plus juste et plus claire sans nuire aux recettes de l’Etat. 


Climax de l’entretien d’Emmanuel Macron face à Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel, le sujet de la fiscalité. Plenel, en particulier, s’obstinant à confondre « optimisation » et « évasion fiscale », reprochait à Macron de protéger certains de ses « amis milliardaires », au nombre desquels Bernard Arnault. Peu commentée, cette confusion terminologique n’est pourtant pas anodine.

Elle traduit une méconnaissance profonde des enjeux fiscaux, la première pratique, d’optimisation, étant parfaitement légale et encadrée, quand le terme d’évasion renvoie à une forme de fraude. Plus largement, cet amalgame révèle, en creux, une suspicion systématique d’un certain journalisme à l’encontre des riches, considérés comme forcément malhonnêtes.

Haro sur Bernard Arnault !

Ce procès d’intention n’est pas nouveau. Bernard Arnault, toujours lui, en sait quelque chose, sa stature d’homme le plus riche de France l’exposant à un « traitement de faveur » de la part des rédactions du pays. Ainsi, dans l’émission « Pièces à conviction », diffusée le 28 mars sur une chaîne du service public, le dirigeant de LVMH a été mis en cause sans ménagement, mais sans convaincre. Une émission intéressante en cela qu’elle compilait l’essentiel des reproches régulièrement faits aux grandes fortunes, que l’on blâme parce qu’elles mettent à profit certains textes de loi, au lieu de s’en prendre à ces textes.

Les journalistes ont ainsi dénoncé l’absence de transparence de sociétés dont ils se sont procuré les comptes sans difficulté au greffe ou sur internet. Ils ont comparé l’impôt belge des holdings du groupe à l’impôt qui aurait été payé en France par des sociétés opérationnelles, sans saisir que les sociétés holding y disposent aussi d’un régime de quasi exonération d’impôt très proche du régime belge, comme quasiment partout dans le monde, pour éviter les doubles impositions sur les bénéfices distribués par les filiales qui ont déjà payé l’impôt. L’émission s’est émue de ce yacht incroyable acquis par une société du groupe et exploité à Malte en chartering, c’est-à-dire en location para-hôtelière, comme une résidence de luxe pourrait l’être. Elle s’est enfin insurgée contre le transfert des actions LVMH de Bernard Arnault à une fondation belge, tout en sachant qu’elles seraient soumises aux droits de succession si elles revenaient à ses enfants domiciliés en France. Ne serait-il pas plutôt préférable d’encourager en France cette option  déjà retenue, non sans difficultés, par les fondations Pierre Fabre, Mérieux, Varenne (groupe de presse La Montagne) ou Avril (Sofiprotéol) ?

Les riches à l’affiche…

D’une manière générale, le reportage a reconnu que les pratiques qu’il critiquait n’étaient pas illégales, pas plus que celles révélées par les « Paradise Papers », mais c’est à la richesse que l’opprobre a été jeté à titre moral. Pourtant, les grandes fortunes actuelles sont en très grande majorité le fruit de la création d’entreprises générant des emplois, offrant à des consommateurs des produits et services qu’ils achètent parce qu’ils sont utiles pour eux. Free, par exemple, a permis d’abaisser sensiblement le prix de tous les forfaits de téléphone mobile en cassant un marché oligopolistique, et tant mieux si cela a permis à son actionnaire Xavier Niel d’entrer dans le Top 10 des plus riches de France. Ces fortunes ne souffrent d’aucune illégitimité, contrairement à celles qui s’édifient par fraude et corruption, foncièrement injustes et destructrices du lien social.

Mais les sommes en jeu ont sans doute alimenté le trouble des téléspectateurs. Les comptes de la Fondation Louis Vuitton feraient apparaître un coût de son musée de l’ordre de 800 millions d’euros financés par des dons du Groupe, qui a pu en déduire 60%, soit 480 millions, de son impôt sur les bénéfices au titre de la loi Mécénat. Celle-ci a permis de réduire d’autant la charge qui aurait été de 800 millions pour les contribuables si l’Etat avait réalisé le projet lui-même, comme il a construit Versailles en son temps !

En définitive, ce débat a au moins le mérite de poser la question de la légitimité des niches et, plus généralement, de l’excès de complexité de la loi.

…et les niches à la niche

Les niches fiscales sont une caricature moderne des anciens privilèges. Sous la pression des électeurs, la France a créé tellement d’exceptions à la loi fiscale que celle-ci est devenue illisible et incompréhensible. Au total, 449 dépenses fiscales étaient recensées en 2016 par la loi de finances, pour un coût évalué à 83,4 milliards d’euros. Il faut  y ajouter divers dégrèvements et remboursements et toutes les niches sociales.  En tout, il y a sans doute pas moins de 700 niches qui représentent au moins 195 milliards d’euros, soit 83,5 % des recettes fiscales de l’Etat nettes des prélèvements au profit des collectivités locales et de l’Union européenne.

Certes, chaque niche a sa justification, mais souvent bien fragile. Celles qui existent en faveur de l’immobilier servent surtout à enrichir les promoteurs, celles de l’Outre Mer sont trop souvent illusoires pour l’investisseur… L’importance de ces niches crée un brouillard qui pollue toute la dynamique sociale. Les plus riches en profitent plus puisqu’ils payent plus d’impôts. Le top 10% des foyers acquitte 70% de l’impôt sur le revenu et les 2% les plus aisés, 40%. Mais chaque niche est une subvention déguisée et consiste à donner aux uns sur le dos des autres.

Pour une nouvelle nuit du 4 août

Dans la nuit du 4 août 1789, le vicomte de Noailles, principal instigateur de l’abolition des privilèges, proposa notamment l’égalité et la proportionnalité de l’impôt pour rendre à tous les mêmes droits. Il faut peut-être revenir aux sources, réécrire une loi fiscale simple et la même pour tous, prévisible, sécurisée, neutre. Un impôt proportionnel sur les revenus permettrait de supprimer toutes les niches et de rendre à chacun la liberté et la responsabilité de ses choix de consommation ou d’investissement. Au-delà d’une franchise suffisante pour que les plus démunis ne soient pas soumis à l’impôt, un taux unique et proportionnel de 15% d’imposition dégagerait un produit équivalent à celui de l’actuel impôt progressif sur le revenu.

Mais il faut aussi réduire la complexité de la loi qui permet à certains de s’immiscer dans ses interstices, même si désormais l’échange automatique d’informations entre pays du monde entier ne permet plus guère de dissimuler les bénéficiaires ultimes des sociétés. Des entreprises comme Iliad (mère de Free) et LVMH supportent des taux d’imposition effectifs de respectivement 38 et 30% (proches de ceux auxquels sont soumis les groupes plus hexagonaux), alors même que leurs activités internationales les conduisent à multiplier leurs filiales étrangères. Mais pour éviter les risques toujours possibles de fraude, la France pourrait décider, sans attendre une quelconque position de l’Europe, que la quote-part de bénéfices des filiales étrangères de chaque groupe français soit taxée à un taux minimum, égal par exemple au taux de 12,5% de l’Irlande, sans excéder l’impôt qui serait dû en France dans les mêmes conditions.

Une loi simple permettrait d’éclaircir le maquis des textes capable de générer beaucoup d’injustices. Ce serait mieux pour tous et éviterait sans doute que l’opinion s’insurge inutilement dans une confusion préjudiciable du droit et de la morale.

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Avocat fiscaliste, essayiste et président de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales, IREF.

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