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Nelson Mandela, une histoire juive


Nelson Mandela, une histoire juive

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Un document des archives israéliennes classé top secret révèle que, durant son périple africain en 1962, Nelson Mandela a été entraîné à la lutte armée dans les locaux de l’ambassade israélienne à Addis-Abeba, la capitale éthiopienne. Cette formation était assurée par le Mossad, les services secrets israéliens.

Au début des années soixante, en effet, Israël entretenait des relations amicales avec les Etats d’Afrique nouvellement indépendants et soutenait les mouvements en lutte contre les régimes coloniaux. Après la guerre des Six-Jours, en 1967, beaucoup de leaders africains se rapprochant des Palestiniens, la politique israélienne a évolué.

Mais cette année-là qui marque la fin de la lutte non violente contre l’apartheid, Mandela avait fui l’Afrique du Sud à la suite d’un procès qui s’était achevé, contre toute attente, par sa remise en liberté. Après avoir parcouru le pays déguisé en chauffeur pour organiser les cellules de l’African National Congress (ANC), l’organisation nationaliste qui se battait pour l’égalité raciale, il avait profité d’un meeting du Pan-African Freedom Movement for East, Central and Southern Africa (PAFMECSA) à Addis Abeba pour s’éclipser (février 1962). Il rencontra alors l’empereur éthiopien Haïle Selassié, prenant la parole après lui au meeting, puis Nasser au Caire, Habib Bourguiba à Tunis, avant d’entreprendre une tournée africaine ­— Maroc, Mali, Guinée, Sierra Leone, Liberia, Sénégal — et de retourner en Éthiopie.

La lettre publiée par le journal israélien Haaretz est adressée au ministère des Affaires étrangères à Jérusalem par le Mossad. Le sujet : « the Black Pimpernel », surnom de Mandela dans la presse sud-africaine (référence au Scarlet Pimpernel, le Mouron rouge, personnage romanesque créé par la Britannique Emma Orczy en 1905.) La lettre, datée du 11 octobre 1962, revient sur le cas du Rhodésien David Mobsari, auquel le Mossad devait apprendre le judo, le sabotage et le maniement des armes. La formation, qui devait durer six mois, s’était trouvée interrompue au bout de deux — le « Rhodésien » ayant été rappelé par l’ANC. Or le signataire de la lettre signale que « d’après les photos du Black Pimpernel publiées dans la presse sud-africaine », « David » était un pseudo car l’homme n’était autre que le militant de l’ANC, arrêté deux mois plus tôt.

Mandela apparaît dans le document comme un ami d’Israël : « Il disait« shalom » aux hommes en arrivant, connaissait bien les problèmes des Juifs et d’Israël, et donnait l’impression d’être un intellectuel. »  Il s’intéressait aussi à la façon dont les Juifs s’étaient battus contre les Britanniques pour obtenir leur indépendance. Le procès de Rivonia (1963-1964) qui suivit son retour a changé l’Afrique du Sud, dit-on. « J’ai chéri l’idéal d’une société libre et démocratique où nous vivrions tous ensemble en harmonie et avec des chances égales pour tous, déclara Nelson Mandela. C’est un idéal pour lequel j’espère vivre et agir. Mais (…) c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir. »

Héros universel, Nelson Mandela a voulu faire de sa vie une passerelle entre les peuples et ses obsèques ont rassemblé les représentants des pays de toute la planète, donnant un instant l’image d’une humanité réconciliée. Sa vie, en effet, fut exemplaire à plus d’un titre. Issu de la tribu des Xhosa dans un pays où les rapports étaient cloisonnés, son combat contre l’apartheid l’amena à découvrir le monde des Blancs à travers ses amis de lutte dont plusieurs étaient juifs. Dès son arrivée à Johannesburg, dans les années 40, son premier ami blanc fut Nat Bregman, un communiste juif  qui travaillait comme lui pour le cabinet juridique dirigé par Lazar Sidelsky, un sympathisant (juif) de la cause de l’ANC. En 1955, la Charte de la Liberté de l’ANC, qui jetait les bases d’un Etat démocratique, fut esquissée par Rusty Bernstein, ­ ce qui valut à celui-ci d’être condamné à 25 ans d’exil. On ne peut pas parler de Mandela sans évoquer Joe Slovo, Harry Schwarz et Ruth First, la femme de Joe. C’est à Wits University à la fin des années 50 que Mandela fit la connaissance de  ce trio. Ruth était la fille des fondateurs du parti communiste sud-africain (son père en était le trésorier) et elle fut assassinée sur l’ordre de  Craig Williamson, un ancien policier et un criminel, par un colis piégé en 1982 alors qu’elle était en exil au Mozambique. Dans Un Monde à part (A World Apart), Shawn Slovo, raconte la vie de ses parents et ces années fiévreuses. Le film qu’en a tiré Chris Menges nous plonge dans l’ambiance de ces années-là.

À partir des années 30, le National Party (NP) prônant l’idéologie nazie, l’antisémitisme s’exprimait sans embarras au pays de l’apartheid. Au procès de Rivonia, le procureur, Percy Yutar, était juif et « la cible de préjugés ». Mandela avait été arrêté dans la ferme d’Arthur Goldreich en compagnie de Denis Goldberg. Le policier qui questionnait ce dernier n’y alla pas par quatre chemins : « Tu vas mourir. Et le type qui va te faire pendre, c’est l’un des tiens. » (Goldberg fit 22 ans de prison.) Dans la préface de ses mémoires inachevés, écrite en 1995, Yutar  précise qu’il avait pris soin d’inculper les dix cadres de l’ANC de sabotage et non de haute trahison, leur donnant ainsi une chance d’échapper à la peine de mort. Cette année-là, peu après son élection, Mandela convia le vieux magistrat à un déjeuner : « Je le croyais plus grand que ça», déclara-t-il, amusé.

 *Photo : Theana Calitz/AP/SIPA. AP21500193_000001.



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